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  • Mémoire vive, 2016

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    BRUGES. - Tout à été dit et écrit sur la poésie de cette ville comme ensablée dans le temps, mais tout est aujourd'hui à relire ou redire tant l'époque est à l'agitation distraite et à la consommation pressée, aux circuits et aux programmes.

    Comme à Venise le soir, les ruelles et les quais ne tardent pas à se rendre au silence où retentit votre seul pas, et voici que vous réentendez cette voix préludant au récit déchirant d'un veuvage, tel que le module le roman mystique et mythique à la fois que Georges Rodenbach publia en 1892 sous le titre de Bruges-la-Morte, qui associe un grand deuil à l'évocation rédemptrice d'une ville-refuge.

    Or faisant écho au romancier, maints poètes, de Baudelaire à Rilke ou de Zweig à Verhaeren ont dit eux aussi le «sourire dans les larmes» de Bruges, selon l'expression de Camille Lemonnier, «le sourire de cette tendre, vivante, spirituelle lumière, avivée ou décolorée selon les heures, aux heures où la grande buée grise s'entrouvre» et prolongeant la mélancolie de Rodenbach Henri de Régnier dit à son tour la «Belle Morte, dont le silence vit encore / Maille à maille et sur qui le carillon étend / Linceul aérien, sa dentelle sonore»...

    MILLER EN FINESSE. - Si l'on est choqué par la présence d'un débit de junk food au cœur du vieux quartier de Bruges, dans une haute et vénérable maison à blason, c'est sous la plume d'un Américain des plus civilisés en dépit de sa dégaine de libertin bohème que l'on trouve le meilleur interprète de ce rejet.

    « Je suis sorti du labyrinthe stérile et rectiligne de la ville américaine, échiquier du progrès et de l'ajournement », écrit ainsi Henry Miller dans ses Impressions de Bruges. « J'erre dans un rêve plus réel, plus tangible que le cauchemar mugissant et climatisé que les Américains prennent pour la vie».

    Et de noter ceci encore, datant de 1953 mais qui reste si juste aujourd'hui: «Ce monde qui fut si familier, si réel, si vivant, il me semblait l'avoir perdu depuis des siècles. Maintenant, ici à Bruges, je me rends compte une fois de plus que rien n'est jamais perdu, pas même un soupir. Nous ne vivons pas au milieu des ruines, mais au cœur même de l'éternité».

     

    PHILISTINS. - La rencontre, sur une terrasse du Grote Markt de Bruges, d’un couple d’Allemands en bisbille (Monsieur nous a raconté le supplice qu’il endure du fait de l’insatisfaction systématique de sa compagne et de son humeur de massacre) nous a fait mieux apprécier le privilège que nous avons de ne jamais nous disputer en voyage, sans faire d’ailleurs le moindre effort…

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    Ce dimanche 10 avril.- « Laissez venir l'immensité des choses », écrivait Ramuz, et je me le rappelle à chaque fois que nous en revenons à la réalité géographique du monde, loin de la jactance des médias. L'immensité de l'histoire compte évidemment, mais elle reste le plus souvent abstraite. Or ce que nous aurons laissé venir à nous aujourd'hui tenait à la fois à l'immensité géographique de la côté d'opale découverte au sud de Calais, dont les collines ondulées au-dessus des gazons bordés de falaises évoquent la haute Toscane, et à l'omniprésent rappel de la guerre en ces lieux stratégiques symbolisés par les vestiges du mur de l'Atlantique.

    Entre les deux Caps blanc et gris, les oiseaux transitent et font se braquer les appareils sophistiqués des ornithophiles amateurs tandis que les jeunes garçons imaginent de vraies canonnades d'un rivage à l'autre - au loin se distingue la vague ligne blanche des falaises de la perfide Albion, Shakespeare's Cliff & Company; et puis, entre les deux caps se dresse un énorme bunker boche transformé en musée et flanqué d'un canon toujours braqué sur l'Angleterre, tandis qu'une petite pancarte interdit au visiteur de fouler la pelouse du « lieu de mémoire ».

    Ensuite, le seul nom de Stella-plage m'ayant induit en rêverie balnéaire vintage (avec transats jaunes ou à rayures bleues face à l'océanique immensité, où la sténodactylo passe son congé payé à fumer ses Mary Long filtre en rêvant à quelque prince charmant en costume de tennisman), j'avais proposé à Lady L. d'y pousser une première pointe avant Le Touquet.

    Hélas quelle erreur, ou plus exactement: quelle horreur ! En son front de mer , de part et d'autre d'un terrain vague jonché de détritus et d'un parking bouchant la vue sur la mer, Stella-plage n'aligne que bâtisses décaties et moches constructions de vacances, sans une terrasse avenante ni trace d'autre restau qu'une sinistre brasserie. Triste débouché négligé d'une zone où pullulent les propriétés de super-luxe, véritable injure au moindre soupçon d'intelligence urbanistique malgré le bluff ringard annonçant un paradis avec vue sur la mer...

    Aussi, le seul nom de Paris-plage dit tout, qui fait du Touquet la parfaite illustration de l'esprit binaire à la française, entre castels royaux (ou simili-royaux) dans les bois environnants, et pavillons populaires, jardins somptueux et pelouses miteuses, vitrines rutilantes et boutiques à remettre.

    Paris-sur-mer, au Touquet, c'est d'un côté le Menu Gainsbourg de chez Flavio ou les soirées étoilées (toque, toque, toque) du palace Manchester, et de l'autre les restaus alignés de la zone piétonne où les brasseries plus ou moins chic des Années folles se la jouent à prix surfaits, front de mer entièrement plombé par de hautes bâtisses sans une terrasse (à une exception près, de la chaîne Hippopotamus) avec vue sur l'inévitable parking, etc.

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    SACRIFIÉS - En cours de route, un panneau indiquant un Cimetière chinois m’a fait réagir, ma bonne amie a bifurqué et nous nous sommes engagés, par un hameau, dans un chemin de terre qui nous a conduits jusqu’à un lieu d’une étrange sérénité, grand enclos entourant plus de 800 tombes surmontées de grands cyprès et parfaitement entretenues.

    Ce sanctuaire a quelque chose de très émouvant, qui commémore le sacrifice de centaines de Chinois plus ou moins déportés par les Anglais au bénéfice des civils français, à la fin de la Grande Guerre, et qui s’acquittèrent de besognes nécessitées par l’absence des hommes en ces régions, avec l’interdiction de frayer avec la population hors des heures de travail. Ce qu’on appelle du travail forcé, imposé par les nations civilisées aux colonisés du bout du monde…

    Dinard, ce lundi 11 avril. - Nous avons ressenti une profonde émotion, ce matin, en découvrant la plage d’Omaha, où a eu lieu le débarquement de Normandie, le cimetière américain et tout l’arrière-pays dont quelques survivants et quelques vieux murs, quelques arbres aussi, ont « assisté » à cette tuerie garante de notre liberté, selon la formule consacrée – et justifiée en partie. Cependant, devant la plage à peu près déserte, j’ai surtout communié, intérieurement, avec les milliers de jeunes gens massacrés le même jour à cause, aussi, de l’incurie de leurs supérieurs.

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    La journée avait commencé par un aperçu télévisé des dernières nouvelles, relatives, notamment, à la préparation d’un grand spectacle qui marquera la résurrection de Claude François en 3D, par hologramme, ainsi qu’une enquête sur la cryogénisation et notre avenir de misérables immortels…

    Or une sorte de honte rétrospective m’est venue, à la fin de la même matinée, en découvrant le rivage de sable d’Omaha Beach où, le 6 juin 1944, des milliers de jeunes gens ont été massacrés par les mitrailleuses allemandes alors qu’ils débarquaient à l’aube aux premières lignes du débarquement de Normandie.

    L’on a beau avoir vu cent fois mille images photographiques ou cinématographiques de cette aurore homérique aux doigts de sang : se trouver sur le lieu de ce sacrifice collectif reste tout de même bouleversant, et d’autant plus que nulle boutique ou buvette (comme il y en a même à Auschwitz) n’apparaissent sur ce kilomètre de grève nue où ne subsistent que quelques vestiges de casemates entre quelques stèles de mémoire, et ce seul arbre à la silhouette si expressive. Alors, le souvenir de Claude François, face à «tout ça»…

    WELLNESS.- En grec homérique la mer se dit thalassa, et l'établissement où nous avons fait escale est tout entier voué à la thalassothérapie, entre autres soins extrêmes dont certains frisent le haut comique, à grand renfort de dépenses supplémentaires - ce qui s'appelle vulgairement faire pisser le dinar...

    Ainsi, â côté des classiques bains en eau salée, massages hydrorelax, enveloppements d’algues et autre détente coachée sous pluie marine, est-il possible, en ce temple du bien-être, de «remodeler son corps» par l’expertise minceur d’Acquascience en 3 séances de Watermass (190 euros), avant un gommage douceur aux senteurs méditerranéennes (50 euros les 25 minutes), préludant à trois séances de Conseils en image de soi subdivisées en une expertise de colorimétrie (la couleur de vos fringues assortie à votre carnation), une autre de maquillage et une troisième relative au dressing code – toutes opérations éminemment valorisantes au niveau de l’estime reconquise de soi, à raison de 190 euros le multipack…