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  • Comme un rêve éveillé

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    J’étais perdu dans la savane,
    mais à y resonger,
    ce vieux relent de caravanes
    m’est un rêve étranger.

     

    Je suis en seyant pyjama,
    dans cet aéropage
    de séducteurs en panamas,
    qui me semblent hors d’âge.

     

    Tu es tout nu dans les bureaux
    des juges en cravates
    en train d’aligner des zéros
    au nom du Psychopathe.

     

    Ils travailleront à la chaîne
    de l’usine onirique
    tant que nul autre enfant ne vienne
    à eux des Amériques.

     

    Elle est parfois contrariée
    par ton sourire errant
    la nuit remuant ses marées,
    et ton regard dément.

     

    Dans ce monde on ne rêve pas,
    dit la Dame aux yeux mauves
    qui te berce au creux de ses bras
    de fée aux dents de fauve.

    (Peinture: Robert Indermaur. PP. JLK)

  • Ceux qui s'excusent

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    Celui qui exige de sa mère qu’elle lui demande pardon de l’avoir mis au monde / Celle qui s'excuse de demander pardon au curé qu’elle a faussement accusé de reluquer ses mollets / Ceux qui baissent le nez avant de s’excuser de s’être attouchés eux-mêmes et d’avoir ainsi attristé les deux dieux Père et Fils / Celle qui branlait le petit Marcel pour le faire dormir et qu’on excuse ou pas selon qu’on apprécie ou pas la Recherche du Temps perdu / Ceux qui demandent pardon à la mosquée au nom de leurs ancêtres croisés qui ont cassé du mahométan / Celui qui sonde sa conscience en sorte de trouver un motif de s'excuser qui le fasse remarquer chez Ruquier / Celle qui écrase un cafard et se promet d'allumer un cierge à sa mémoire / Ceux qui regrettent le fait que la Suisse n'ait jamais eu de colonies qui leur permettrait de le déplorer en toute sincérité / Celui qui aime bien les catéchumènes qui se châtient elles-mêmes dans son confessionnal aéré / Celle qui attend de son fiancé autre chose que des excuses quitte à le lui reprocher ensuite dans leur groupe de conscience / Ceux qui se battent les flancs dès que la caméra est enclenchée / Celui qui refuse d'excuser son molosse de t'avoir mordu au point que tu ne t'excuseras pas de lui faire un procès / Celle qui excuse le peuple allemand de n'être pas français sans que ceci n'explique cela / Ceux qui se confondent en excuses en vous marchant sur les pieds, etc.

  • Le Niagara du chiqué

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    En février 1983, un certain JLK parlait en ces termes amènes de Femmes, le best-seller de Philippe Sollers…

    Quand bien même elle constitue un assommant pensum, la lecture de Femmes, le dernier livre de Philippe Sollers, qui fait ces jours quelques vagues dans le gobelet d’eau plate du parisianisme littéraire, a du moins l’intérêt d'étaler sous nos yeux un « digest » symptomatique des petites obsessions et des immenses prétentions d’une certaine «élite» intellectuelle, dont la vaine sophistication de l’expression ne cache plus du tout, en l’occurrence, la fondamentale frivolité, pour ne pas dire la chiennerie, la pourriture suressentielle.

    Coq en pâte de la littérature pseudo-révolutionnaire, Philippe Sollers assume sans discontinuer, bien qu’avec force palinodies, sa vocation profonde de fils à maman conchiant le giron natal en trissotant et fricotant «dans les velours ambigus et les violettes fanées de l’inutilité rêveuse», pour reprendre une image du salubre Dominique de Roux, lequel déculotta en son temps l’écrivain touchant à la trentaine.

    A l’époque, l’auteur de l’illisible Nombres (1966), qui était entré en littérature avec la talentueuse bluette bourgeoise d'Une curieuse solitude, (1958) s’échinait déjà puissamment en sorte de ramener l'écriture à sa pure matérialité, au broum-broum ou au scrouitch-scrouitch d’une musique verbale toute « concrète ».

    Sollers fumait alors la cigarette et se prenait pour une manière de nouveau Dante sorti de la cuisse gauche du Joyce de Finnnegans Wake. Parallèlement, le pilier de la revue Tel Quel tâtait un peu du maoïsme.

    Puis il se mit à fumer la pipe et, comme la mode y venait, loucha vers Dieu, dont il s’entretint en compagnie du bouillant Maurice Clavel, avant que de publier l’illisible Paradis (1982).

    Sous-Céline de bidet

    En son dernier avatar, Philippe Sollers arbore un joli porte-cigarettes, se prend pour Céline en accumulant les points de suspension afin de faire passer ses inimaginables bouts de phrases et, par la voix d’un journaliste américain, pose au prophète annonciateur d’ères nouvelles, au mystique d’alcôve.

    L’idée « géniale » qui sous-tend le courant de ce Niagara du chiqué d’un peu moins de six cents pages, c’est que « le monde appartient aux femmes, c’est-à- dire à la mort ».

    Or, pour se libérer de la femme-mère, donc de l’ignoble femme- vie ou femme-famille, il ne reste à l’homme non encore enjupé que la vraie, l’authentique femme-baise, le trou cosmique de la grande Fusion.

    Dans la foulée, notre prophète se voudrait également chroniqueur. D’où le déballage de ragots et autres vidures de bidets touchant aux figures en vue du parisianisme intellocrate (la mort de Barthes, le meurtre d’Althusser ou l’enlèvement de Jean-Edern Hallier), avec un mépris des individus dont l’impression répugnante qu’il donne est accentuée par la véritable dévotion que l’auteur manifeste envers lui-même.

    Philippe Sollers. Femmes. Gallimard, 1983.
    (Cet article a paru dans le quotidien La Tribune-Le Matin en date du 14 février 1983.)

  • Christian Bourgois le découvreur

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    Il fut, au début des années 1960, le premier éditeur français de Garcia Marquez et de Soljenitsyne, à l’enseigne de Julliard. Sous son propre label, il publia Toni Morrison, prix Nobel de littérature en 1993, et brava le terrorisme islamiste en éditant Les versets sataniques de Salman Rushdie, ce qui le contraignit à s’entourer de gardes du corps pendant plusieurs mois, avant d’être lâché par l’écrivain pour mieux offrant…

    Avec un catalogue prestigieux mêlant grands noms (Jünger, Borges, Gombrowicz, Miller) et autres découvertes, Christian Bourgois incarnait l’une des dernières figures mythiques de l’édition littéraire française, avec Maurice Nadeau et Jean-Jacques Pauvert.

    « Je suis en somme un éditeur du XIXe siècle », me disait-il il y a une dizaine d’années de ça, au tournant du trentième anniversaire de sa maison.

    Il était entré en édition au côté de Dominique de Roux, proche aussi de Vladimir Dimitrijevic dont il soutint L’Age d’Homme, à Lausanne. De la race des passionnés et des découvreurs, il avait renoncé à une carrière plus lucrative dans les hautes sphères de l’édition commerciale pour se frayer une voie personnelle. Il a succombé au cancer à l'âge de 74 ans, en décembre 2007.

    C’est en 1959 que le jeune Christian Bourgois, brillant sujet de l’ENA (dans la volée d’un certain Chirac) renonça à la haute administration pour rejoindre l’éditeur René Julliard, auprès duquel il fit ses premières armes d’éditeur, dont la première initiative inspirée fut le développement de la collection de poche 10/18, parallèlement au lancement de sa propre maison, dès 1966.

    Convaincu que l’avenir du livre résidait dans le passé, à savoir dans le texte, le sens, la valeur et la beauté des mots, Christian Bourgois n’avait rien pour autant de l’éditeur recroquevillé sur les valeurs homologuées.

    C’est ainsi qu’il se fit vite connaître, avec la « ligne » esthétique immédiatement reconnaissable de ses ouvrages, par la défense d’auteurs novateurs (de Witold Gombrowicz à Juan Carlos Onetti ou de William Burroughs à Fernando Arrabal, entre beaucoup d’autres), sans se borner aux modes passagères.

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    Avec des conseillers avisés (tels Dominique de Roux ou Francis Lacassin, Hubert Juin, Paul Zumthor ou Brice Matthieussent), Christian Bourgois constitua un catalogue international en constant renouveau, où apparurent les noms du jeune Irlandais McLiam Wilson ou de l’Alémanique Martin Suter, de la Française Linda Lê ou du Portugais Antonio Lobo Antunes, dont l’œuvre fascinante reste un fleuron de la maison.

    Découvreur de tempérament, Christian Bourgois avait révélé au public francophone l’essayiste américaine Annie Dillard et le philosophe allemand Peter Sloterdijk, ainsi que les premières traductions d’Antonio Tabucchi.70124385_10220656769436011_1188168853801140224_n.jpg

    Comme beaucoup de ses pairs sourciers, il vit nombre de ses « poulains » lui échapper vers de plus verte prairies, selon les fluctuations de l’offre. Reste un catalogue formidablement vivant et varié, où Lovecraft voisine avec Juan Marsé, Martin Amis ou Tolkien, Boris Vian ou Peter Stamm. A préciser enfin que Christian Bourgois ne se prenait pas lui-même pour un créateur, estimant que son catalogue le justifiait à cet égard...69709363_10220656769916023_2101592274629558272_n.jpg

    Son héritier bien vivant est le fils de son ami Dominique de Roux, mon ami Pierre-Guillaume...

  • Sous le vent de l'Histoire

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    Pages du Journal de Joseph Czapski, I

    Les premières notes écrites et dessinées de l’immense journal de Czapski, dont j’ai sous les yeux la première tranche de l’édition du fac-similé, courant de 1942 à 1961, m’évoquent les bribes arrachées par le vent de l’Histoire qui a poussé le soldat artiste jusque dans les déserts d’Iran et d’Irak après les déportations successives de Pologne en Russie et, de camps de prisonniers en camps de réfugiés errants, jusqu’en Palestine ; et ce sont ces croquis de gens et de lieux, cet homme tête nue au milieu de ses semblables en burnous, sous les palmiers, ces noms inscrits en liste sur une page de papier brun, de Mossoul et de Bagdad, de Tel Aviv et du Caire, avec deux inscriptions en plus grandes lettres bleues, PALESTYNA, EGIP; et la tendre figure d’un adolescent, la tête d’un homme se voilant la face, des cavaliers au repos devant un sphinx, des échassiers et des mosquée, tout cela jeté dans le fleuve des mots, comme si l’Histoire éparpillée se regroupait en détails sur le papier – et tout est là de ce qui sans cesse sera vu et ressaisi par ce regard qui, à ce moment-là, déjà revient du bout de la nuit.69729323_10220657140805295_7999569029104664576_n.jpg

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  • Transfiguration

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    (In Paradiso)

    Ce sont, alignés sur une table de cuisine recouverte, comme d’une nappe, par la double page ouverte du Figaro, trois bols blancs et un bol noir que la vieille Maria regarde en pensant à quelque chose que le contraste des bols blancs et du bol noir lui ont suggéré, se disant qu’elle est là - comme cette espèce de tableau est là devant elle -, sous le regard du Seigneur qu’elle prie alors de lui dire ce qu’elle verra après ce qu’elle voit là, dans l’autre monde - dis-moi, Seigneur, dis-moi ce que je verrai après, je vais fermer les yeux en comptant les bols qu’il y a là et ensuite je les rouvre et tu me montres ; et la vieille Maria ferme les yeux et compte jusqu’à trois pour les bols blanc, respire et compte le bol noir, puis elle ouvre les yeux et voilà ce qu’elle voit exactement comme c’est là, mais dans une autre lumière qui est peut-être celle qu’elle voit en elle quand elle ferme les yeux.

    Joseph Czapski. Quatre bols et le Figaro. Huile sur toile.