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  • Les chocolats d'Hitler

     

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    Je n'aime pas, le soir,
    te savoir loin de moi.

    Les voyelles se meurent
    quand l'amour est trop loin
    de ce qu'on dit le coeur,
    qui devient alors HERZ,
    pour ne pas dire SCHMERZ ,
    dans ce pays fermé.

    Vienne n'est pas ce soir
    une ville amoureuse:
    il y a dans l'escalier noir
    un Hitler à la voix
    de sinistre mémoire,
    criant comme une mitrailleuse.

    Et tout est si suave
    dans les salons de thé
    VERBOTEN à tout étranger.

    Le monde m'ennuie, amie,
    quand tu es loin de moi.

     

    (À Vienne sans L., en 1995, avec visa renouvelé en février 2019)

  • Voici des fleurs

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    En mémoire de Thierry Vernet
     
    La beauté de l’objet
    soit la seule mesure de la chose.
    On ne lance rien au hasard.
    À l’établi l’orfèvre
    est concentré sur son art
    tout humble d’artisan
    qui cisèle des roses -
    ou cet objet secret
    révélé par son autre part.
     
    On ne sait rien d’avance
    de l’eau sur laquelle on ira
    là-bas dans le miroir
    d’un ciel à jamais incertain.
     
    L’objet se révèle à mesure
    qu’on oublie d’y penser.
    Le chant s’élève et dure
    le temps de ne pas oublier.
     
    (La Désirade, ce 26 mars 2018)

  • De lectrice à lecteur

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    Ce qu'écrit Isabelle Roche sur son blog, à propos des Jardins suspendus.

     

    Je disais donc...
    je crois d'ailleurs savoir où j'irai en premier...

    En écrivant cela je pensais à une page très précise d'un cahier bien particulier, où le soin que j'ai mis à ne pas laisser mes phrases déborder dans la marge contraste avec l'écriture hâtée, fébrile, fortement raturée et, en bien des points, quasi illisible tant les lettres sont déformées. Écrire si mal, de manière si peu lisible, témoigne moins d'une fébrilité à capter une pensée insaisissable que d'une conviction obscure et profonde, sans doute agissante tandis que j'écrivais, que cela ne vaut rien – n'a pas en tout cas la valeur, la signifiance que je lui ai vue sous le coup de l'embrasement scriptural. La meilleure preuve est qu'en à peine quelques jours ce que je croyais avoir amené à se mouvoir dans le texte ne m'est plus perceptible. Mais en réécrivant, en retouchant, peut-être quelque chose sortira-t-il de ce chaos...

    J'ai inscrit une date en haut de la page – j'entendais ainsi marquer que le surgissement était consécutif au travail que j'effectuais alors: la lecture-correction des épreuves d'un recueil de textes de Jean-Louis Kuffer, Les Jardins suspendus* – mais elle est erronée: j'ai noté «semaine du 17/09» quand la période correspondant à ce travail est cette même semaine mais du mois suivant. Un lapsus révélateur de mon rapport au temps. Deux pages plus loin, ce fouillis au crayon, toujours issu de la lecture des Jardins suspendus:
    La présence = «arrêt sur être» que seul l’art peut rendre manifeste.

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    Présence: un mot stable où se meut imperceptiblement un perpétuel flux d’être à régime variable.
    Et sur mon bureau numérique, contemporain de cette page de cahier mi-ordonnée mi-chaotique, un fichier-texte sauvegardé sous le titre BROUILLON:

    C'est bien souvent sous les mots des autres – quand on est lecteur goûteur de mots et que ces «autres» sont d'authentiques écrivains – que l'on découvre quelques clés menant à l'une ou l'autre de ses propres vérités. Ainsi ai-je tout juste – juste avant de consentir à taper, ici, ces lignes, pour une fois cédant à la pulsion brute de «filer la phrase» à défaut de métaphores pour donner forme à l'un, au moins, de ces innombrables afflux discursifs qui sans cesse me traversent – tout juste compris, donc, à travers de savoureuses phrases de Jean-Louis Kuffer le concernant lui ou d'autres écrivains dont il dit si bien l'art, de quelle nature pouvait être ce mystérieux embrasement d'où naissent tant de sublimités textuelles.

    La littérature – c'est-à-dire cet usage non ustensilaire de la langue qui fait proliférer confluences et ambiguïtés sémantiques, jeux sonores, interpolations lexicales... toutes choses qui fondent la littérarité – a ce pouvoir unique...
    Quel pouvoir? Bien vite mon élan a été coupé, ne restent que ces points de suspension par lesquels je me signifiais qu'il y aurait une suite à écrire. Je crois qu'elle est là, sur la page de cahier – oui, en effet:

    La littérature a ce pouvoir unique de faire vibrer entre les mots, les phrases, une ineffable présence, un «au-delà de ce qui est écrit» peignant à l’horizon de la lecture un vague paysage qui donne à celle-ci sens et relief – un vague paysage propre à chaque lecteur et dont l’auteur ne saura jamais rien. Le vrai critique, le critique lumineux, est celui qui sera capable de rendre justice à la littérarité d’autrui non pas seulement en citant de larges extraits – car ce faisant il reste en surface, dans une monstration qui n’amène pas le lecteur dans les profondeurs bouleversantes de l’écriture dont il est question – mais en faisant à son tour advenir dans ses phrases une littérarité singulière, en suscitant à son tour un «vague paysage». Celui qui saura aussi, en même temps, faire entrevoir au lecteur ce «paysage» qu’il a lui-même entrevu en lisant, et souligner comment l’écrivain dont il parle parvient à rendre manifeste la présence mystérieuse.

    Jean-Louis Kuffer est de cette confrérie des critiques lumineux.

    Mais avant que d'avoir extrait de la note broussailleuse ce qui précède, quelque peu désordonnée et pressée surtout d'attraper un peu de sens quand des phrases avenantes se présentent qui paraissent le servir, j'avais ajouté au bas de ce BROUILLON :

    Un livre admirable, où en toute page se révèle la langue d'un orfèvre-joaillier – non pas «langue de poète», une expression si figée qu'elle me semble rapetisser le «poète», et l'auteur de Jardins suspendus, poète assurément, ne mérite en aucune façon pareil sort – qui excelle à faire rutiler l'écriture des autres mais aussi, taillant à facettes ses propres mots et rythmes, les émerveillements qui tiennent son âme en éveil, qu'ils soient suscités par les livres ou par les innombrables percepts offerts à tout moment par le monde environnant.
    Donnant irrésistiblement envie de lire les livres dont il parle, d’aller à son tour, par les chemins littéraires, à la rencontre des écrivains auxquels il prête l’oreille, Jean-Louis Kuffer s’avère un passeur majuscule pour cette autre raison qu’en ces délectables «jardins suspendus» il fait advenir ce miracle rare: à travers des expériences profondément intimes dont il transfigure par son écriture la singularité, l’irréductibilité, il tend à qui le lit de ces mêmes clefs de vie, de ces mêmes clefs d'être qu'il a trouvées au creux des livres. Ainsi dit-il, par exemple, de la lecture: Avant de commencer à écrire, entre seize et vingt ans, j’ai d’abord vécu les mots, si l’on peut dire: j’ai vécu ce rapport parfois vertigineux qu’on peut éprouver devant l’étrangeté mystérieuse des mots qui découle de l’énigme insondable de notre présence au monde.

    … Voulant rapiécer toutes ces bribes à seules fins introscopiques – car sous les mots de Jean-Louis Kuffer, je crois bien avoir ramassé deux ou trois clefs d’or, dont il me faut maintenant apprendre à me servir – je me suis aperçue que je retouchais et réécrivais non pas tant pour cerner de plus près quelles jouissives lumières m’avaient apportées ce livre mais pour, au bout du compte, tâcher de rendre hommage à un auteur que je lisais pour la première fois. Mais alors il me faut rajouter deux ou trois petites choses à propos du livre.

    À l’évidence compilation de textes déjà publiés c’est avant tout une totalité qui se tient par elle-même et pensée comme telle, où chaque pièce a été subtilement retaillée pour prendre place à l’intérieur d’une architecture extrêmement précise.

    Outre que se glissent ici et là des poèmes, de petites fugues autobiographiques, on voit que les interviews, les articles critiques ont été habilement pérennisés, non pas coupés artificiellement de leur époque d’écriture (certains sont explicitement datés) mais revus de telle manière que celle-ci en relève la saveur dans notre présent en dépit des années écoulées. L’on a ainsi un recueil exceptionnel, qui mérite d’être lu comme un ensemble mais dont on peut, aussi, goûter chaque texte isolément, dans l’ordre que l’on veut – et quel que soit le mode de lecture adopté, le plaisir sera pareillement intense.

    Pour toutes les richesses que contient le livre dont je ne laisse rien paraître, des points de suspension suffiront qui vaudront invite à visiter sans attendre ces Jardins…

    Jean-Louis Kuffer, Les Jardins suspendus, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2018. 416 p. - 27,00 €.

    Ce texte est extrait du blog: http://terres-nykthes.over-blog.com

    Portrait de JLK: Philip Seelen.

  • Bruno Ganz le médium

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    Le plus grand comédien suisse de ces dernières décennies vient de nous quitter, à l'âge de 77 ans. Au tournant de sa 70 année, le Festival de Locarno l'avait honoré.

    Ma correspondance dans le quotidien 24 Heures, en 2011.

    Septuagénaire cette année, Bruno Ganz fête aussi un demi-siècle de présence continue sur la scène internationale. On peut rappeler alors qu’avant ses débuts au théâtre, Bruno Ganz fut un petit Suisse comme les autres, ou presque.

    Né en 1941 à Zurich dans un milieu d’Helvètes moyens, il eut d’abord à affronter un père qui ne voyait pas d’un bon œil cette lubie de comédien, à moins de l’être «à côté » d’un métier digne de ce nom. Son paternel lui trouva donc une place d’apprentissage de peintre en bâtiment… à laquelle il ne se présenta jamais, préférant rejoindre les comédiens allemands souvent fameux que la capitale alémanique avait accueillis pendant la guerre.

    Dès ses vingt ans, ensuite, le jeune acteur se retrouva à Berlin où il allait participer, avec Peter Stein, à l’aventure de la Berliner Schaubühne. Dix ans plus tard, il était sacré acteur de l’année pour son rôle dans une pièce de Thomas Bernhard.

    Quant au cinéma, ce fut en 1967 qu’il y vint dans Haut les mains de Jerzy Skolimovksi, prélude à une carrière marquée par le non conformisme et la recherche de qualité.
    Avant-gardiste alors ? Pas exactement. En tout cas pas intello sectaire ! Disons plutôt que rien de ce qui est humain n’est étranger à Bruno Ganz, qui fut l’ange Damiel dans Les ailes du désir de Wim Wenders, et le démoniaque Adolf Hitler dans La chute d’Olivier Hirschbiegel.

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    Avec autant de puissance que de maîtrise intelligente, ce comédien venu du théâtre est de ceux qui n’ont pas besoin de «surjouer» pour imposer leur présence tout en se coulant dans les personnages les plus divers.

    Au Festival de Locarno, en 2006, on le découvrit ainsi en grand-père anarchisant dans Vitus, de Fredi M. Murer, puis on le retrouva l’an dernier en vieil amant émouvant dans La Disparition de Giulia de Christoph Schaub.

    L’ensemble de sa filmographie associe en outre son nom à ceux des plus authentiques créateurs du 7e art, d’Eric Rohmer (La Marquise d’O) à Théo Angelopoulos (L’éternité Et un jour) en passant par Alain Tanner (Dans la ville blanche), Francis Ford Coppola (L’Homme sans âge) ou Volker Schlöndorff (Le faussaire). Son honnêteté intellectuelle l’a amené à refuser, en 1993, d’incarner Oskar Schindler dans la fameuse Liste de Schindler de Spielberg, alors qu’il a accepté de se mettre dans la peau d’Hitler pour une interprétation dénuée de toute complaisance.

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    Si le comédien a été gratifié des plus hautes distinctions, l’homme Bruno Ganz est resté aussi simple qu’ironiquement débonnaire, tel qu’il apparaissait d’ailleurs dans Vitus. Autant dire qu’on se réjouit particulièrement de voir ce très grand Monsieur du cinéma d’auteur monter sur la scène de la Piazza Grande, le 11 août prochain, pour recevoir un léopard « à la carrière » avant la projection en première mondiale de Sport de filles de Patricia Mazuy, film français dans lequel on le retrouve en entraîneur équestre de légende.

    Enfin, nous retrouverons Bruno Ganz dans d’autres films projetés cette année à Locarno, à commencer par La provinciale de Claude Goretta, gratifié pour sa part d’un léopard d’honneur, mais également La Marquise d’O de Rohmer, La Chute déjà citée et Le couteau dans le tête de Reinhard Hauf, illustrant autant d’aspects de l’immense talent d’un véritable médium-interprète.

  • La Chine dont nous rêvons

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    Que se passait-il dans la tête du président Xi Jinping lorsque, le 17 janvier 2017, au Forum économique mondial de Davos, ce pur et dur communiste chinois fit l’éloge du libre échange devant un parterre de capitalistes durs et purs qui s’en trouvèrent apparemment épatés ?

    Se poser la question revient à se demander ce qui se passait dans la tête de l’actuel président de la Confédération helvétique Ueli Maurer quand, en visite à Pékin en 2013, au titre de ministre des affaires étrangères, il affirma crânement que, s’agissant du massacre de Tian’anmen, en 1989, donc il y avait plus de vingt ans de ça, il était temps de «tirer un trait» sur cette page «tournée depuis longtemps». Et l’on imagine, passant en battant de ses deux ailes, l’ange Win-Win invoqué in petto par les deux présidents.

    Dans la foulée, je me rappelle que le boss du parti suisse majoritaire UDC (Union Démocratique du Centre) auquel est affilé le ministre Maurer, le milliardaire suisse Christoph Blocher, n’avait pas attendu ces années de prescription pour «tirer un trait» sur les pages des plus sombres années du maoïsme, ayant été l’un des premiers industriels suisses à composer commercialement avec la Chine communiste sous le même battement d’ailes de l’ange Win-Win.

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    Or voici ce qu’écrivait Simon Leys il y a juste dix ans de ça, dans sa préface à la réédition du livre qui fut l’un des premiers témoignage lucides et honnêtes sur la meurtrière Révolution culturelle chinoise célébrée par tant d’idiots utiles occidentaux, de Jean-Luc Godard à Philippe Sollers, et jusque, tout à l’heure, par l’impayable Alain Badiou :
    « La Chine a connu ces dernières années de prodigieuses transformations. Elle est en passe de devenir une super-puissance – sinon la super-Puissance. Dans ce cas, elle sera – chose inouïe – une super-puissance amnésique. Car, jusqu’à présent, sa miraculeuse métamorphose s’effectue sans mettre en question l’absolu monopole que le Parti communiste continue à exercer sur le pouvoir politique, et sans toucher à l’image tutélaire du président Mao, symbole et clé-de-voûte du régime. Et le corollaire de ces deux impératifs est la nécessité de censurer la vérité historique de la République Populaire depuis sa fondation : interdiction absolue de faire l’Histoire du maoïsme en action – les purges sanglantes des années cinquante, la gigantesque famine créée par Mao (dans un accès de délire idéologique) au débit des années soixante, et enfin le monstrueux désastre de la « Révolution culturelle » (1966-1976). Treize ans après la mort du despote, le massacre de Tian’anmen (4 juin 1989) est encore survenu comme un post scriptum ajouté par les héritiers, pour marquer leur fidélité au testament laissé par l’ancêtre-fondateur. Mais ces quarante années de tragédies historiques (1949-1989) ont été englouties dans une « trou de mémoire » orwellien: les Chinois qui ont vingt ans aujourd’hui ne disposant d’aucun accès à ces informations-là – il leur est plus facile de découvrir l’histoire moderne de l’Europe ou de l’Amérique, que celle de leur propre pays. »

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    Au terme de la même préface, Simon Leys écrivait encore, par rapport à l’effort de certains de pallier l’amnésie chinoise, au risque de ne pas « tirer un trait » sur la tragédie de Tian’anmen, entre tant d'autres

    : «La métaphore la plus éloquente de la situation présente est encore ce Coma de Pékin évoqué par Ma Jian : le protagoniste du roman (la plus puissante création produite à ce jour par la littérature chinoise contemporaine) est un jeune manifestant décervelé par une balle perdue de Tian’anmen, qui flotte, paralysé, muet, sourd et aveugle, dans un coma sans fin »…

    C’était il y a dix ans. Depuis lors, le seul nom de Ma Jian, auteur de plusieurs livres tous interdits en Chine, a été condamné pour « pollution spirituelle » et vit en exil à Londres où a paru China Dream, le Rêve Chinois, satire dévastatrice des hautes sphères du pouvoir chinois actuel, disponible aujourd’hui en traduction français sous le titre de … China Dream, un tableau satirique formidablement vivant et non moins émouvant par son regard sur la Chine des Chinois réels dont le pouvoir aimerait extirper les rêves personnels pour leur imposer un seul Rêve Chinois sous contrôle et, à terme, implanté en chacun par le truchement d’une puce numérique.

    Dédié à la mémoire d’Orwell, ce roman saisissant, qui rappelle à certains égards la satire antisoviétique d’un Alexandre Zinoviev dans Les hauteurs béantes, nous est balancé comme en miroir vu que ce rêve « chinois » amnésique et hyper-consumériste est aussi le nôtre avec sa fuite en avant, son clinquant hideux, sa société inégalitaire, ses ville flottantes de luxe et ses terres spoliées, etc.

    Or je reviendrai, beaucoup plus en détail, sur ce roman qui nous défie de tirer aucun trait sur la réalité telle qu'elle est, fût-elle désobligeante voire carrément inappropriée...

    Ma Jian, China Dream. Flammarion, 2019. Egalement disponible en version numérique sur Kindle.

  • Au miroir de l'enfant

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    Dans la foulée de Dickens ou de Poil de carotte, l’enfance blessée n’en finit pas d’inspirer des livres qui sont parfois de terribles réquisitoires, comme « Le Prince d’Aquitaine » de Christopher Gérard, ou des remémorations plus amples et nuancées à la manière de « François, roman », récit autobiographique de François Taillandier. Deux ouvrages également remarquables par leur très belle écriture et leur pouvoir d’évocation, voire d'identification.

    L’exergue du Prologue du Prince d’Aquitaine du romancier et essayiste belge Christopher Gérard, dont le titre fait allusion au fameux poème El Desdichado de Nerval («Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l’Inconsolé / Le prince d’Aquitaine à la Tour abolie : / Ma seule étoile est morte et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie»), introduit parfaitement ce roman qu’on pourrait dire l’exorcisme littéraire d’une enfance et d’une adolescence bafouées par un père incarnant le parfait pervers narcissique : «Et là où le désordre conduit à la souffrance, et la souffrance à la plainte muette, là fleurit la poésie», citation tirée de Neiges d’antan de Gregor von Rezzori.

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    S’agit-il vraiment d’un roman, dont les personnages relèveraient de la pure fiction ? Je n’en crois rien mais ne ferai pas un début d’enquête à ce propos, car je tends à prendre pour «vérité vécue» les tribulations du narrateur qui dit JE avec une immédiate véhémence et dit TU à son père qui ne l’a pas tout à fait tué.

    De fait, Le Prince d’Aquitaine transforme le schéma œdipien classique du fils supposé tuer papa pour se taper maman, en un scénario non moins fréquent dans certaines familles dignes d’être haïes, où le père s’acharne à rabaisser sa progéniture et, si c’est un garçon trop brillant, à le «tuer» d’une façon ou de l’autre. En l’occurrence, ce sera avec une mesquinerie et une bassesse rares. Qui plus est, le père en question, incapable de transmettre quoi que ce soit à son fils, s’est ingénié à effacer, après sa mort, toute trace de son père à lui, héros de la Grande Guerre, blessé en septembre 1914 par une salve d’artillerie sous les remparts d’Anvers, immobilisé pendant des années et voué finalement à «la pitié de femmes», à commencer par la Grand-Mère en laquelle son fils trouvera un recours récurrent à ses folles dépenses et autres malversations, et le petit-fils un soutien affectif introuvable auprès de ses parents.

    La bascule des Golden sixties

    Je ne sais pas vous, mais nous autres, mes sœurs et notre frère aîné, avons eu la chance d’être entourés, aimés, encouragés par des parents soucieux de notre présent et de notre futur, avec le soutien de grands-parents également attentifs et bienveillants, dans un milieu plutôt modeste encore contraint d’«économiser», au lendemain d’une guerre qui avait épargné notre pays.

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    Or curieusement, je trouve, dans Le Prince d’Aquitaine, de multiples échos à ce que nous avons certes vécu tout autrement mais avec les mêmes «couleurs» d’époque, Christopher Gérard marquant admirablement la transition d’un monde qu’on pourrait dire d’«avant» à celui qui suivrait les « golden sixties ».

    Son instituteur Cornet aux rituels quasi militaires, je l'ai connu sous les traits d'un Monsieur Besson sévère mais juste, et même si elles nous ont été épargnées, les «colonies» pas toujours jolies où son père s’empressait de «caser» son fils durant les mois d’été, aux ambiances de petites casernes plus ou moins religieuses à réfectoires sinistres et moniteurs à l’avenant, évoquent tout un univers fleurant encore les années 50.
    À l'opposé, le papa flambeur et joueur, fonçant en Alfa Roméo ou en Porsche entre sa jeune épouse américaine humiliée et sa maîtresse allemande, ses potes de ribotes et autres putes, ses dettes accumulées et ses petites arnaques (jusqu’à piller son propre fiston) annonce le monde d’ «après» que nous connaissons, de l’égoïsme cynique et du chacun pour soi matérialiste et vulgaire, auquel le garçon, traité avec mépris de «petit intellectuel» par son tyran alcoolique, va s’opposer dans son quant à soi immunitaire, passionné qu’il est de sciences naturelles ou d’archéologie, puis de littérature, jusqu’au jour lointain où il rencontrera l’âme sœur qu’il appelle «l’Aimée».

    Si Le Prince d’Aquitaine relève de l’exorcisme, et même d’une certaine revanche posthume, c’est par le brassage de la vie et par l’exceptionnel relief de ses observations, traduites par une écriture claire et cinglante, bien accordée au défi de l’ «Inconsolé», que ce livre nous atteint et nous touche. On se rappelle ce que Balzac a fait de sa cousine Bette, pas vraiment un modèle «sympa» elle non plus. Et plus puant que le père indigne du Prince d’Aquitaine, on ne saurait l’imaginer. Mais quel personnage !

    Unknown.jpegLe regard intransigeant de notre ange gardien

    Passé le tournant de la soixantaine, quelque vingt-cinq livres à son actif, reconnu du public et de ses pairs, candidat à l’Académie française, François Taillandier se retrouve face à un garçon de sept ans dont nous découvrons le portrait en pied au début de son nouveau «roman», petit bonhomme à l’air grave, «petit mais intraitable, avec son blouson et sa frange, et son regard déterminé à ne céder à rien», et l’écrivain de se demander : «Mais qui est-il ? Qui est-on ? Il l’ignore lui-même. L’enfant sort de la nuit, de l’inconscience, de l’ignorance».

    Ce qui revient à se demander, et nous avec : mais que suis-je donc devenu, que sommes-nous tant d’années après au regard de cet enfant que nous avons été, devenu parfois un étranger, parfois un fantôme oublié, parfois encore – et ce sera le cas ici – une sorte d’ange gardien ?

    À ces questions, et à tant d’autres qui concernent toute une génération et le monde en mutation qu'il a vu évoluer, François Taillandier répond par un récit autobiographique qu’il sous-intitule «roman» pour le distinguer, peut-être, d’un «récit de vie» comme il en pullule par les temps qui courent, mais en somme aussi peu «roman» que le Pedigree de Georges Simenon, et néanmoins aussi «romanesque» que celui-ci par la traversée du temps retravaillée qu’il représente, et par ses climats divers – entre Auvergne profonde et quartiers parisiens -, ses personnages bien silhouettés et la chronique opposant là aussi un «avant» provincial et un «après» mondialisé, une culture séculaire marquée par la religion et un nouvel univers «pluriel» et souvent perdu…

    La contrée et ses gens

    La première partie du récit, intitulée La contrée, s’ouvre sur une phrase marquant d’emblée le passage d’un monde à l’autre (« … Moi en tout cas je n’étais pas né sur une « planète »), opposant, à notre vision actuelle de terriens soucieux de «sauver la planète», celle d’une Création présentée à ses élèves par une certaine demoiselle Marthet, institutrice à l’école Saint-Gabriel, à Clermont Ferrand, qui dispensait ses leçons de catéchisme, au début des années 60, avec « la même méthode élémentaire et implacable dont elle usait pour nous inculquer le kilogramme, le multiplicande ou la conjugaison des verbes du deuxième groupe ».

    Et le styliste charnu de s’en donner illico à cœur joie : «Mademoiselle Marthet était une de ces raseuses vieilles taupes, emphytéotiquement confites dans une virginité mielleuse à la fois et miaulante, que les parents appréciaient parce que, paraît-il, elle aimait les enfants…Je ne dis pas le contraire. J’ai su bien plus tard qu’elle se souvenait, devenue une très vieille dame, de chacune de ses classes, et du nom de chacun des gamins qui s’y trouvaient».

    Tout un monde ! Et qui a existé à Lausanne aussi, dans le quartier de Chailly où, derrière le vieux collège, une demoiselle Chambovey nous fit tirer un portrait de classe, à l’automne 54, où je me reconnais le même air «dans la lune» que le jeune François...

    Comme le disait volontiers ce cher Alexandre Vialatte, l’Auvergne remonte à la plus haute Antiquité, et c’est dans ce monde de volcans et de pneus Michelin (le père de François, d’abord ouvrier à l’usine, y était devenu cadre supérieur), de campagnes montueuses et de rues tortueuses (Clermont la ville représentant la première «nature» élue par le garçon), évoquant le passé Gallo-Romain par un arrière-grand-père mythique et la pacification chrétienne par une grand-mère mystique sur les bords, dans cette contrée d’innocence biblique (même le péché originel était alors innocent» à sa façon) et de truculence tribale que nous emmène Taillandier, comme dans un grand village d’Astérix où voisinent des tantes pittoresques et des figures, tel Raquet le boucher vieux garçon, bon type sauf quand il a trop bu au point de noyer le chien de La Chose, laquelle ne le cède en rien à la Louloune, fille du quincailler Lotiron, sans parler du redoutable Tâton, «personnage d’ombre dont on était menacé de la visite si l’on chipotait sur sa soupe ou refusait d’aller au lit ». Bref, ça ne se raconte pas : ça se lit !

    La bonne vie d’hier et d’aujourd’ui, et foin d'idéologies…

    François Taillandier, romancier très attaché à la perception et à l’interprétation du réel, tout en revisitant sa contrée natale avec les yeux d’un enfant solitaire aux yeux bien ouverts, n’en fait pas un Eden pour autant mais arpente une France des contrées qui rappelle un peu la Creuse de Jouhandeau ou la Corrèze de Richard Millet, avec une tendresse qui n’exclut pas un coup de gueule en passant, contre un prof de gym sadique qui lui fait subir en ricanant le supplice connu de la poutre, entre autres humiliations dont l’écrivain se venge en nommant le sale type (lui aussi nous l’avons connu !) par son nom et en se jurant, au dam de toute mansuétude chrétienne, de ne jamais lui pardonner.
    Et l’écrivain de se déchaîner derechef : « Moi j’ai vécu, m’entendez-vous, et j’ai levé le nez sur l’horizon. Ma vie belle surplombe de haut votre vie de minable. Chaque livre que j’ai lu, Grenier, chaque ville où j’ai volontairement perdu mes pas, chaque rivage respire, chaque nuit d’ivresse ou de rire m’aura vengé de vous en secret ».

    Puis il y aura la découverte, après les comptines, de la poésie, avec trois vers de Marie Noël ou trois strophes de Victor Hugo, et le chant plus immédiat dans les chansons (de Jean Ferrat, notamment) et ensuite les tirades de Cyrano, et plus tard Aragon; et les filles, d’abord tout timidement et ensuite en Don Juan.

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    Entretemps on aura passé de la contrée à Paris via Le fleuve et le train de la deuxième partie, et ce sera mai 68 et le remplacement du catholicisme par le catéchisme freudien, pas mal de pas de côté voire d’égarements dans l’oubli de l’ange gardien François, et des retours, d’autres avancées, et la mise en garde du petit garçon à son «rejeton» plus âgé: «Tu te campes dans tes décombres, François, et tu regardes ce que tu peux faire. N’aie crainte : François t’aidera. ».

    De François à François, de lui à vous, de vous à toi au miroir, devant ce que nous avons été enfant et qui reste en nous, telle est la retrouvaille : «Il ressortait de l’ombre et de l’exil dans lesquels je l’avais relégué».

    Et toi ? Et vous ? Pourriez-vous dire comme François Taillandier : « François m’avait retrouvé, et il me prenait par la main (…) Depuis, je crois que nous ne sommes plus jamais lâchés ».

    Pour moi c'est tout vu, à l'approche de mes 73 balais consommant la retombée extra-lucide, et c’est tout le bien que je vous souhaite à vous aussi...


    Christopher Gérard. Le Prince d’Aquitaine. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 157p. 2018

    François Taillandier. François, roman. Editions Stock,262p. 2019.

  • Images de Czapski

     

     

     

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  • Arbor

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    …Ce qui nous a branchés, et cela nous est sans doute resté de nos interminables entretiens philosophiques dans les sous- bois de notre université buissonnière, c’est l’arborescence de tout ça, dans la turbulence nébuleuse des cosmologies restées à l’état de conjectures, l’arbre des curiosités sous nos doigts de gamins, le grand jeu princier de la poursuite prétendue triviale soudain accessible à tous, l’encyclopédie feuilletée dans le cliquetis insonore et tout qui s’allume sur la Toile comme un vitrail quand le jour se lève…

    Image: Philip Seelen.

  • Couleurs du noir

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    L’argentique reste ce qu’il fut comme le noir et blanc du cinéma le plus pur, mais une nouvelle modulation de la nuit américaine redonna, par l’usage approprié des computeurs de pointe, du mordant mélancolique à ces moments d’effarement solitaire où tout à coup tout semble sculpté au ciseau d’obsidienne.

    Image: Philip Seelen.

  • Mais où ce qu'on va comme ça ?

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    Après le «Que faire» russe du début du XXe siècle, Emmanuel Todd se demande: «Où en sommes-nous?» La question implique la nouvelle complexité du réel mondialisé, défiant les explications binaires, et nous porte à grappiller les éléments de réponse un peu partout, dans la trame de nos vies et sur la Toile, en restant plus que jamais attentifs à l’élément humain…

    En ma qualité particulière, voire générale, de 72e chronique des compères JLK et Matthias Rihs, j’émerge ce matin de mon puits virtuel comme Vénus à l’aube ou comme la vérité toute nue (avec un V majuscule comme Vamp ou Vanité), et ce n’est pas qu’une métaphore bidon puisque le sieur JLK a commencé de me bricoler dans la rubrique NOTES de son smartphone, immergé jusqu’au cou dans son bain nordique chauffé à 38° avec vue intégrale sur le lac Léman à peine voilé d’un pudique stratus.

    Or, hier soir encore, ledit chroniqueur ne savait pas trop ce qu’il allait me faire dire, tenté d’évoquer les beaux et bons livres (signés Dino Buzzati, François Taillandier, Christopher Gerard , Bruno Lafourcade ou Daniel Rondeau, notamment) qu’il a lus durant les quinze jours qu’il venait de passer en Bretagne, ou peut-être de la France périphérique qu’il avait traversée avec sa Lady L. en communion de pensée avec les gilets jaunes et les protagonistes du dernier Houellebecq, ou encore du formidable reportage consacré à une année de confrontation entre les journalistes du New York Times et Donald Trump, quand, se fiant à la recommandation d’un ami, le voilà qui tombe, via YOUTUBE, sur un entretien avec Emmanuel Todd à propos de son dernier essai intitulé Où en sommes-nous? et cristallisant plus précisément, et plus urgemment surtout, LE sujet du moment d’ailleurs relié à plusieurs de ses «envies» possiblement bonnes pour la tête…

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    Quand Emmanuel Todd plaide pour l’«humain»…

    Celles et ceux qui connaissent le sociologue-anthropologue-historien-chercheur-polémiste Emmanuel Todd, fils unique du grand reporter Olivier Todd (remarquable biographe, lui, d’Albert Camus et de Jacques Brel), savent qu’Emmanuel Todd ne pratique pas la langue de bois des idéologues et que sa façon de critiquer très sévèrement la politique butée du président Macron en rapport avec la crise majeure des gilets jaunes, de pointer même son incapacité psychologique voire intellectuelle à inventer un règlement du conflit dont les gilets jaunes eux-mêmes n’ont qu’une idée confuse, ou sa façon de parler sans mépris de ce qu’on appelle le populisme et de la perception anglo-saxonne de la réalité, ne sont pas d’un démagogue provocateur mais d’un observateur de bonne volonté, qui explique tranquillement qu’Emmanuel Macron ne peut pas faire grand chose dans une Europe soumise à la restriction obsessionnelle de l’euro, qu’un coup d’Etat de sa part serait aussi dommageable pour tous que son «dégagement», qu’il vaudrait mieux faire confiance aux députés de la République en marche, si tant est que ceux-ci s’en montrent dignes, qu’il ne suffit pas de cracher sur Donald Trump et de sa base pour expliquer le désarroi de celle-ci et le retour au protectionnisme de celui-là, enfin et surtout que dans toutes ces questions l’élément humain (l’humanité des gilets jaunes et des «petits Blancs» américains, etc.) est trop souvent négligé ou simplement ignoré des «élites».

    Or, c’est aussi ce que «raconte» le très remarquable récit autobiographique de François Taillandier, intitulé François, roman (Stock, 2019) et retraçant un demi-siècle d’évolution, dans la vie des Français «périphériques» autant que dans nos propres parcours, marquées par une transformation profonde, enthousiasmante à beaucoup d’égards et non moins déstabilisante – mais de ce livre JLK ne parlera que dans sa 73e chronique…

    1549470284_bplt_jlk_72_grd.jpgEt si l’on «faisait avec» le numérique?

    Mon rôle de deuxième paragraphe de la 72e chronique des compères JLK et Matthias, rédigé sur le grand écran d’un E-Mac jouxtant la fenêtre de l’antre de JLK par laquelle se découvre, à l’altitude 1111 m, le plus beau panorama du monde dont les montagnes bleues à créneaux étincelants de neige plus pure que de la coke, sommant le plus grand lac d’Europe, nous rappellent que nous ne sommes rien que des plantigrades augmentés, à cela près que l’accession au Verbe nous distingue de la roche muette autant que du lagopède.

    Revenant de sa contemplation matinale panoramique, le sieur JLK s’est alors rappelé diverses observations faites ces derniers temps sur INTERNET, et notamment via la plateforme de NETFLIX et le site de la RTS, sur lequel il a visionné les quatre épisodes d’un documentaire passionnant consacré aux relations hautement tendues du New York Times et du président Donald Trump.

    De la saga de celui-ci, un excellent aperçu a déjà été donné sur NETFLIX, où l’on découvre les tenants familiaux et sociaux du chasseur d’apparts «fils de» devenu Bête médiatique et mentor milliardaire des Blancs mal lotis, longtemps méprisé par les «élites» et prenant une revanche dans l’ovale de son salon où lui seul cause et «tweete». Quant au reportage filmé en temps réel dans les open spaces du NYT, à New York et à Washington, il a le double mérite d’illustrer, en temps réel, l’immense travail d’investigation quotidienne accompli sous pression par l’équipe du boss noir Dean Baquet, régulièrement insultée par un président qu’a toujours fasciné (!) le journal en question, et aussi de montrer la montée en puissance de l’outil numérique utilisé 24h/24 par les journalistes autant que par le serial tweeter en chef, et le passage inexorable du papier au numérique.

    Or, que nous dit ce reportage de l’«humain», pour en revenir à la question d’Emmanuel Todd? Beaucoup de choses que le troisième paragraphe de cette chronique ne fera qu’esquisser…

    De la course au fric et de l’appel au sens commun

    Dans ma 71e chronique publiée sur le «média indocile» Bon Pour La Tête, j’évoquais l’universelle connerie et le nouveau cliché qui fait d’un Donald Trump le «connard absolu». Or, il va de soi que le personnage, si grossier voire grotesque qu’il nous paraisse, montre une intelligence pratique, une perception pragmatique de la réalité, une compréhension des «gens simples» sans doute supérieures à celles des «élites», et plus précisément de l’intelligentsia «libérale» qu’il ne cesse de défier, notamment incarnée par les «gauchistes» du New York Times.

    Sa conquête du pouvoir est passée par la télévision et les réseaux sociaux qu’il a su manipuler en expliquant aux gens comment devenir aussi riche que lui, tandis qu’un Steve Bannon ou un Rush Limbaugh, ses célèbres acolytes, usaient eux aussi du petit écran, de la radio et d’Internet pour diffuser leur idéologie plus agressivement raciste et nationaliste – plus «intellectuelle» que la sienne.

    Réduire Donald Trump aux dimensions d’un fou dangereux ou d’un débile inculte revient en somme à une double erreur: ne pas voir l’humain chez lui – plus retors et malin tu meurs –,et surtout esquiver la réalité paradoxale qu’il représente, d’une partie de la société flouée qui en bave, dégoûtée par une autre partie de la même société qui «fait le show». À cet égard, il vaut la peine de voir, sur NETFLIX, le film intitulé Le festival qui n’a jamais existé, qui documente la mise sur pied, notamment par le truchement d’Internet et des réseaux sociaux, de ce qui devait être le plus grand festival du monde, aux Bahamas, drainant le nec plus des stars de la mode et de la musique, et qui s’est soldé par un flop géant et des millions de dollars jetés dans le vide. Mais peut-on dire alors que Donald Trump est le symbole de cette course au fric, comme on a dit d’Emmanuel qu’il était le «président des riches»? Et si tout était plus complexe, plus enchevêtré, moins binaire, plus intéressant à démêler?

    1540-1.jpgC’est ce que je me dis en lisant Où en sommes-nous? d’Emmanuel Todd, dont les études sur la famille, le territoire ou l’interaction entre niveau d’éducation et options politiques échappent à l’approche binaire de la réalité. Montrant comment, à un moment donné l’éducation méritocratique produit une classe qui, se croyant supérieure, se braque dans un repliement intellectuel coupé de la réalité des gens (on pense alors à Macron et non à Trump), Emmanuel Todd propose un retour à ce que Montaigne appelait le «milieu juste» dépassant les antagonismes sociaux exacerbés par la démagogie (on pense alors à Trump plus qu’à Macron), et substituant, aux éructations affolées de la meute – entre autres emballements médiatico-numériques –, le verbe humain propre à la conversation et à l’apaisement négocié: «Le bon sens nous indique qu’aucun choix brutal ne saurait résoudre la contradiction entre l’égalitarisme, qui résulte de l’instruction primaire, et l’inégalitarisme, qui découle de l’enseignement supérieur, et que les sociétés avancées, si elles veulent rester cohérentes et viables, doivent définir une voie moyenne. Bref, il nous faut parvenir à concilier les valeurs des gens d’en bas et celles des gens d’en haut, la sécurité des peuples et l’ouverture au monde. Parce qu’une démocratie ne peut fonctionner sans peuple, la dénonciation du populisme est absurde. Parce qu’une démocratie ne peut fonctionner sans élites, qui représentent et guident, la dénonciation des élites en tant que telles est tout aussi absurde. L’obstination dans l’affrontement populisme/élitisme, s’il devait se prolonger, ne saurait mener qu’à la désagrégation sociale»…

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    (Dessin de Matthias Rihs. Cette chronique a paru ce matin sur le site indocile de BON POUR LA TÊTE. Abonnez-vous. Et si vos ennemis le détestent, abonnez-les de force !)

  • La passion de lire

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    Sur Les jardins suspendus

    Par Olivier François, dans la revue Éléments.

    « Un auteur suisse ! » s’est exclamée cette longue bête germanopratine lorsque j’ai évoqué devant elle le dernier livre de Jean-Louis Kuffer, Les jardins suspendus, que viennent de publier les éditions Pierre-Guillaume de Roux. Kuffer ? Je la voyais presque tentée de me demander si cet helvète était persécuté dans son pays.
    Cet homme n’étant ni banquier ni chocolatier, comment pouvait-il vivre et travailler en Suisse ? La longue bête connaissait des romanciers slaves, africains et guatémaltèques, des poétesses féministes de Trinité-et-Tobago, des sociologues mongols transgenres, des écrivains exotiques et tropicaux – mais l’étaient-ils assez ? Elle regrettait parfois qu’ils ne portent pas l’étui pénien, le pagne et le turban – et même des littératures violemment rebelles qui affirmaient courageusement être des citoyens du monde.

    Mais un Suisse écrivain, un Suisse écrivant, cela relevait du bizarre et du douteux, défiait les règles du bon ton, frôlait le canular. Un écrivain suisse, c’était pour elle aussi incongru qu’un Africain sans rythme dans la peau ou qu’un gilet jaune qui ne soit pas alcoolique ou analphabète.

    La longue bête n’avait certes jamais entendu parler d’Amiel, de Charles Ferdinand Ramuz, de Charles-Albert Cingria, de Pierre Girard, de Maurice Chappaz, de Georges Haldas, de Nicolas Bouvier ou de Jacques Chessex, de Slobodan Despot ni même de Blaise Cendrars.
    Le corps et l’esprit ouverts au monde entier, elle se flattait d’ignorer tout de ce petit pays de lacs et de montagnes où les dictateurs placent leurs économies ». Sur sa table de nuit s’empilaient des livres de Zadie Smith et des essais de Geoffroy de Lagasnerie, et les flacons d’un parfum « aux senteurs de jungle et d’épices » se mêlaient à des bijoux africains et des cachets de sertraline.

    Il y a une vingtaine d’annés, le grand romancier mexicain Carlos Fuentes confiait justement à Jean-Louis Kuffer que « la France lui semblait, aujourd’hui, le pays le moins ouvert, le plus nombriliste, le plus provincial à certains égards ». Cela n’a pas beaucoup changé, nous semble-t-il. Surtout, et singulièrement, quand il se déclare cosmopolite et mondialisé, le Français intellectuel traîne derrière lui une odeur de moisi et de renfermé. Il pue toujours un peu le cadavre.

    Dimitri70001.JPGProche du regretté Dimitrijevic

    Les Jardins suspendus, fort volume qui rassemble 50 ans de chroniques et de conversations littéraires, nous offre au contraire un air vif et ragaillardissant, celui d’une intelligence aiguë et d’une passion vraie pour la littérature qui ne cède jamais aux intimidations de la mode ni aux mauvais envoûtements de l’érudition universitaire.

    Faut-il s’étonner que son auteur soit suisse ? Jean-Louis Kuffer – qui fut un proche du regretté Vladimir Dimitrijevic, avec qui il publia des entretiens, Personne déplacée, - n’aime pas les écrivains à la manière tristement platonique de la plupart des critiques littéraires. Jean-Louis Kuffer en jouit et s’en enchante comme les vrais amants de la chair des filles. La littérature n’est pas pour lui unematière à froids commentaires, caresses trop étudiées d’impuissants qui lorgnent vers les sciences humaines, y cherchant des prothèses pour remplacer leurs innombrables défaillances. Kuffer, lui, a gardé la vigueur de ses enthousiasmes adolescents.

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    Qu’il évoque Lucien Rebatet, Dominique de Roux, Fiodor Dostoïevski, Anton Tchekhov, Thomas Wolfe, Vladimir Volkoff, Flannery O’Connor, Georges Haldas ou Marcel Jouhandeau, des écrivains célébrés ou plus injustement méconnus, Kuffer se rient toujours au cœur vibrant des styles et des œuvres. Pour Jean-Louis Kuffer, le verbe s’est fait chair, non pas montagne de papier : « Je sais que lorsque le Livre affirme, par la voix de Jean l’évangéliste poète, que le Verbe s’est fait chair, je l’entends bien ainsi moi aussi : que le mot se caresse et se mange, et que toute phrase vivante se dévore, du mot cannibale au mot hostie on a parcouru tout le chemin d’humanité comme en substituant à la pyramide des crânes de Tamerlan celle de gros blocs taillés au ciseau fin des tombeaux égyptiens. »

    « Toute bonne littérature est une critique de la vie », écrivait énigmatiquement John Cowper Powys ; la vie contemporaine étant, selon Theodor Adorno, une vie mutilée – mutilée par les bureaucraties et par l’extension du domaine de l’économie.

    Cette critique est plus que jamais urgente, vitale, nécessaire. Le livre de Jean-Louis Kuffer, parce qu’il donne envie de lire et de relire, est, aussi, une arme de combat.

    Jean-Louis Kuffer. Les Jardins suspendus. Pierre-Guillaume de Roux, 416p.

    (Ce texte a paru dans le No 176 de la revue Eléments, février-mars 2019)

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  • Haldas et l'Islam

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    En 1990, après la parution de son Intermède marocain, j’avais rencontré l’écrivain genevois septuagénaire dont les propos trouvent aujourd’hui une nouvelle résonance…

     

    Où en sommes-nous de nos rapports avec ceux que nos ancêtres appelaient les «infidèles»? L'antiracisme qu'affichent nos discours est-il réellement vécu? Comprenons-nous vraiment nos frères humains du monde arabo-islamique, ou ne faisons-nous que nous rassurer en célébrant leur «différence»? Et d'abord, connaissons-nous les tenants historiques, culturels et religieux de cet abîme qui nous sépare à l'évidence?

    À ces questions, Georges Haldas nous confronte par de multiples exemples vécus, dans son Intermède marocain, chronique de voyage évoquant deux séjours au Maroc. Sans tricher, Haldas fait état de son allégresse à la découverte, mais aussi de ses réticences, voire de ses coups de gueule. 

    En plein Genève, à deux pas de l'Arve torrentueuse, il est un petit établissement algérien tenu par un monsieur très digne, Saïd de son nom, où Georges Haldas se retrouve tous les matins, dès l'aube, pour y écrire jusqu'à midi. C'est là que nous l'avons rencontré.

     

    A quoi votre intérêt pour le monde arabo-islamique tient-il?

    D'abord au fait que nos racines y plongent. Ensuite, il y a longtemps que je suis préoccupé par ce paradoxe douloureux: que le berceau des trois religions monothéistes soit aujourd'hui l'arène du meurtre, avec la tragédie qui oppose Israël aux Palestiniens et la mosaïque sanglante du Liban. Et puis il en va de notre avenir, par rapport à la formidable poussée du monde musulman.

    — Pourquoi parlez-vous si peu, dans ce livre, de l'aspect politique des relations Occident-islam? Crainte de prendre position?

    Je raconte un premier contact avec le monde arabo-islamique, comme pourrait le vivre n'importe quel quidam. J'ai fait table rase de tout ce que je savais par mes rencontres et mes lectures, pour être plus perméable au décor, aux êtres et aux choses. Je n'ai pasvoulu faire une enquête socio-politique. Quand on fait une enquête, on a souvent une arrière-pensée: l'hypothèse qu'on veut vérifier. Mais la réalité est toujours plus riche, plus complexe que ce qu'on pense: Tenez, il m'aurait été facile de faire un baroud démagogique sur la perfidie de Hassan, et tutti quanti. Ou parler de l'intégrisme islamique: dire que c'est, à mes yeux, le nazisme de l'islam! Applaudissements assurés! Et l'au- rai-je expliqué pour autant? D'ailleurs est-ce tout l'islam? Voyons! Bref: plus qu'assener des convictions, je voulais dire mes réactions brutes, spontanées, et poser des questions. Je crois que ce sont les questions qui retient les hommes, plus que les réponses. En outre, le seul moyen d'entrer en vraie relation c'est d'affirmer d'abord ses différences. Voilà pourquoi je n'ai pas camouflé mes réactions parfois violentes.

    Quel a été votre impression dominante?

    Haldas.jpg — La distance qui nous sépare. A la fois physique et psychique. Et dans l'avion déjà, ce steward marocain toisant un brave touriste vaudois qui l'apostrophait en arabe: un gouffre. Mais comment l'expliquer? En remontant aux sources. Il m'a toujours semblé qu'il y avait une plus grande distance entre le croyant musulman et Allah qu'entre un juif et Yahvé, ou que dans le rapport liant le chrétien au Christ. Moncef Marzouki, dans Arabes, si vous parliez, un livre plein d'auto-ironie, de cœur et de courage, dit que l'islam est une civilisation du non-dit. La relation d'Allah et du croyant est plus proche de la relation maître-serviteur que de la relation père-fils qui domine chez les juifs et les chrétiens. Ce non-dialogue avec Allah, remplacé par une obéissance inconditionnelle, fait qu'il y a un non-dialogue avec soi-même. Donc peu d'autocritique. Peu d'aveux personnels. Difficultés entre l'homme et la femme. Difficulté au niveau du dialogue démocratique. Tout se tient!

     Le ressentiment que vous avez souvent senti vous-même, de la part des musulmans, ne découle donc pas que du colonialisme?

    Sûr que non! Car il ne faut pas oublier un autre choc, bien plus ancien. Le fabuleux rayonnement du monde arabo-musulman s'est arrêté au XIIIe siècle. Cela a créé un traumatisme. Depuis très longtemps, les musulmans ont un double complexe. Complexe d'infériorité, parce qu'ils regardent l'Occident comme le foyer du progrès et de la prospérité. Et en même temps mépris de l'Occidental pour toutes ses perversions. Vous le ressentez encore dans le. regard des gens, d'ailleurs tissé de mille nuances contradictoires. Une certaine jalousie. De la curiosité. Le rejet. La crainte. Ou le désir de mieux connaître. Un élan de chaleur. Et puis il y a tant de reT gards différents, jusqu'au non-regard des femmes, qui débouche sur un autre abîme encore...

     Haldas4.JPGEst-ce à dire que toute relation soit faussée?

    Pas toujours. Avec celui que j'appelle Ali, une relation de confiance s'est établie. Ce garçon, en rupture avec son milieu, est venu spontanément vers moi et m'a fait la confession de sa vie perdue. Il m'a dit le Maroc sans espoir, où la jeunesse n'a pas d'avenir. A cause du marasme économique, de l'arbitraire du pouvoir, de la corruption. Il y avait quelque chose en lui de vaincu et de transparent. Il disait qu'il y a un Dieu pour tous: énormité pour un musulman! La famille ne buvait pas de vin; il est allé m'en acheter lui-même et en a bu avec moi! C'était l'homme du malheur, du dénuement. Et c'est le seul qui s'est confessé.

    Autre impression marquante? 

    Le rapport avec le temps. Dès le premier jour aussi, avec l'épisode des passeports (ah, les emmerdeurs!), j'ai constaté ce fait qui détermine toute une vision du monde. Chez les juifs, le temps est conditionné par l'attente d'un messie. Pour les chrétiens, le temps est ponctué par l'avant et l'après. Chez les musulmans, l'heure du jugement arrivera quand elle arrivera: seul Allah la connaît. Par conséquent, il n'y a pas une durée continue, mais chaque moment est tangent avec l'éternité. Conséquence terrestre: si vous demandez à un musulman à quelle heure part l'autobus, il dira que ça dépend de Dieu, s'il le veut bien! Quelle leçon pour nous, soit dit en passant. Du point de vue politique, la chose explique l'aspect sporadique des révoltes dans ces pays. Ce sont des explosions dans l'instant, sans suite durable.

    Sauf pour les Palestiniens...

    Mais les Palestiniens se réclament du socialisme. Ils ont un projet qui est en rupture avec leur culture séculaire. Cela dit, ce n'est pas un hasard si les idéologies d'importation européenne ont finalement foiré dans les pays arabo-islamiques...

    Qu'espérez-vous pour l'avenir?

    Ce que.je souhaiterais, c'est que, par-delà ces énormes différences qu'il y a entre Occidentaux et Arabes, on trouve un modus vivendi qui permette aux différences de n'être pas meurtrières. Marzouki pense que la seule issue pour ces pays réside dans la démocratie, tout en affirmant qu'elle est aussi improbable que la floraison du jasmin sur un iceberg! Selon lui, la réaction des musulmans inspirés par l'Occident, socialisme compris, a été un désastre. Mais l'intégrisme, qui se réfère au «véritable islam», repose lui aussi sur un mythe funeste. En ce qui me concerne, je suis heureux que s'écroule, actuellement, le système de références antinomiques et réductrices qui réduit l'homme à un animal politique. Je suis content de voir voler en éclats certains des schémas auxquels j'ai moi-même souscrit. Non, la réalité n'est pas si simple: vous le voyez dans une goutte d'eau, et vous l'éprouvez à la première rencontre, qui contient en germe toutes les autres.

    Georges Haldas, Intermède marocain. Editions L'Age d'Homme, 1989.

     

     

  • Ceux qui se tiennent à carreau

     

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    Celui qui ne juge que sur pièce / Celle qui ne se croit pas obligée de se prononcer sur tout / Ceux qui constituent des dossiers qu’ils consultent de temps à autre sans se décider à les utiliser dans le procès qu’ils sont légitimés à intenter à la vie en général et à ses particuliers inscrits ou non au Parti multiple / Celui qui croit se sentir mieux après avoir affirmé sur Facebook que Michel-Ange était une pédale comme Charles Trenet et la plupart des coiffeurs et des animateurs de radio / Celle que les influenceurs essaient en vain d’influencer sans deviner qu’elle est à la fois sourde et affiliée à l’Église des Derniers Jours / Ceux qui ont à cœur de ne jamais avoir le dernier mot / Celui qui fixe insolemment les jeunes femmes décidées qui font usage de l’expression point barre traduite en allemand par l’expression punkt schluss et en québécois terminé bâton / Celle qui a remarqué que les jeunes cadres à souliers très pointus avaient la même façon de conclure qu’y a pas de souci quand elle leur soumettait un Problème / Ceux qui ont compris qu’avec les cours de littérature d’Eric-Emmanuel Schmitt ils seraient capable d’écrire des phrases qui leur permettraient de recouvrer l’estime de soi nécessaire à torcher un bouquin genre d’Ormesson ou Nothomb pour les meufs / Celui qui lance un logiciel permettant d’écrire des livres à la manière d’Eric-Emmanuel Schmitt en mieux / Celle qui achète un chapeau à sa fille Kelly qui pourrait très bien écrire des romans elle aussi d’après ce qu’elle a vu chez Ruquier et même sans coucher / Ceux qui scandalisent leur entourage en affirmant qu’ils n’iront jamais chez Ruquier même si on les paie / Celui qui se drape dans sa toge immaculée de moraliste à l’ancienne refusant absolument de poser sur Instagram / Celle qui se promet de tout dire au Festival du Rien / Ceux qui annoncent que finalement ils vont rester sur Facebook ou ils ont deux trois mille amis (et amies d’un certain âge) qui partagent leur ressenti au niveau du quotidien,etc.

    Image JLK, Down and out in San Diego.