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  • Ceux qui s'attroupent

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    Celui qui se presse de rejoindre la manif des anti sans savoir de quoi ils le sont / Celle qui a le Hell's Angel dans la peau / Ceux qui se sentent plus forts en uniformes et armés à leurs frais comme c possible en démocratie où tu abats qui tu veux quand il est pas démocratiste genre taliban ou terrorisque basané / Celui qui s'est rallié à la Cause par goût des effets / Celle qui a recousu la cagoule de Jim qui est de ceux qui déchirent dans le Klan / Ceux qui lèvent le bras comme les SS dans le film diffusé ce soir à la télé ou les sous-titres expliquaient Aïe l'Hitler / Celui qui à l'apéro des anciens du camping affirme que l'Adolf a pas fini le boulot / Celle qui remarque qu'avec la moustache le Turc Erdogan aurait l'air du Führer /Ceux qui pensent que la voie est libre pour que le peuple montre qu'il en a / Celui qui propose une croisière à l'île de Guam pour voir ça de plus près / Celle qui ne sait pas où est la Corée du Nord où Facebook est paraît-il mal vu / Ceux qui ont confiance que Dieu va aider le Président à raser les Jaunes et compagnie y compris la Chine qui fabrique du faux Coca sans licence / Celui qui relit Walden dans sa cabane suspendue dans les arbres / Celle qui répète à qui veut l'entendre que l'attroupement est le propre des mâles Alpha genre son fils Kevin dit La Batte Folle / Ceux qu'on appelle les nouveaux lemmings / Celui qui fonce dans la foule avec la Mercedes 800 qui s'en sort sans une tache de sang sur les calandres vu que c'est juste un fantasme / Celle qui tirerait bien dans le tas si son badge ne lui avait pas été retiré pour violences à l'interrogatoire / Ceux qui ont le nombre pour eux et les tweets d'encouragement du Président qui a toujours su gérer / Celui qui fredonne Quand on est con on est con de Georges Brassens en défilant tout seul dans le bois de son cœur ou y a une petite fleur qui les emmerde tous tant qu'ils sont bande de cortèges / Ceux qui fondent l'association mondiale des solistes jurant de ne se réunir que dans les déserts arborés et à l'improviste, etc.
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  • Dans ce bar à tapas

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    En mémoire de mon père

     

    Je nous revois marcher
    par le sentier pierreux
    serpentant entre les rochers
    des hauteurs d’Aigua Blava,
    nous retrouvant là tous deux
    comme vingt plus tôt
    en altitude,
    quand tu marchais devant…

     

    À présent tu peinais
    dans ma jeune foulée,
    impatient de me faire attendre,
    mais tu ne disais rien,
    selon ton habitude.
    Le soir venu nous allions
    volontiers à notre bar à tapas,
    d’où la mer scintillait.

     

    C’est là que nous nous sommes parlés,
    deux ans avant ta mort
    un peu comme des amis,
    quelques fois…


    (12 avril 1989)

  • Retournement au père

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    Par delà les eaux sombres et le monument idéalisé, Metin Arditi part à la rencontre d’un père par trop adulé, que ses défauts révélés rendent plus vrai. Livre limpide et dense que Mon père sur mes épaules, où chacun se retrouvera...


    Une paix à trop bon compte…
    Je ne sais plus qui disait que la qualité d'une personne pouvait s'évaluer à la façon dont elle parle de ceux qui lui ont donné le jour, mais c'est à cela que j'ai pensé dès les premières pages du nouveau livre, aussi dense qu'elliptique, lucide et sensible à la fois, que Metin Arditi a consacré aux rapports qu'il a entretenus avec ses père et mère, marqués par les intermittences de onze ans d'internat et parfois problématiques du fait de la très forte personnalité du père.
    Vingt ans après la mort de celui-ci, le fils constate que, malgré sa conviction un peu convenue d'avoir eu un père formidable, bien des souvenirs cuisants lui restent de leurs relations altérées par une non-reconnaissance douloureuse.
    Plus grave, dans un registre ne relevant pas de la sensibilité personnelle ou de l'affectivité : le désaccord profond opposant le père , socialiste en sa jeunesse et se réclamant de la gauche en dépit de sa réussite sociale, mais défendant en fin de vie la politique israélienne contre les Palestiniens, et le fils considérant celle-ci comme la négation même des principes d'humanité.

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    Le retournement au mort
    Si le récit de Metin Arditi aborde des questions fondamentales, c'est à touches fines qu'il se développe en s'inspirant initialement d'un très beau rituel malgache. À l'enseigne de la « famadihana », cette tradition dite aussi du « retournement aux morts » et toujours pratiquée sur les hauts plateaux de Madagascar, consiste à exhumer les morts des années après leur décès, à en laver les os et à les parer d'habits neufs au cours de journées festives réunissant les familles et leurs proches, d'invoquer la bénédiction des défunts et de les ramener en terre en proclamant leur sagesse d'Anciens.
    Ainsi l'écrivain entreprend-il à son tour d'exhumer ses souvenirs et de les nettoyer comme des os parfois malpropres ( de vrais petits « salopards » de souvenirs…) au cours d'un processus amorcé dans le train de Zurich qui le conduira jusqu'aux Grisons pour son travail de "retournement".


    Chassé du paradis
    De son enfance plutôt choyée jusqu'au tournant de sa septième année, Metin Arditi fait un tableau aux couleurs et aux parfums orientaux, entre une gouvernante autrichienne très catholique, la brave Mamimika qui n'enseignera le Notre-Père qu'avec l'assentiment de Monsieur, lequel le lui accorde en trouvant la prière « très bien », à l’étonnement de son rejeton qui vit alors son premier « bonheur d'admirer »… où l'on voit par ailleurs que le syncrétisme culturel et religieux du Turchetto est de bonne source.
    Au cœur de cette enfance lumineuse pour l'essentiel, malgré l'ombre d'un deuil familial jamais exorcisé (la mort de la fille aînée avant ses deux ans), l'image d'un champ de coquelicots et du fiston juché sur les épaules de son héros fait alors figure de symbole édénique.


    « Loin des bras »
    La déchirure sera cependant vécue comme une chute, au sens biblique, avec l'exil en terre vaudoise, à Paudex, en internat pour gosses de riches, dès sept ans et pas question de Skype quotidien: on est en 1952 et le père l'a ordonné en allemand : Kopf hoch!
    Mais puni de quoi par Dieu-le-Père ? De rien puisque c'est « pour son bien ». Et d’ailleurs les fils à papa ont-ils le droit de se plaindre ? Hélas le cœur et les âmes sensibles (voir ce pourri-gâté de Marcel Proust ) ne sont pas à l'abri de l'angoisse affective, même avec des parents aimants comme ceux de Metin.
    Au demeurant, celui-ci avoue qu'ils ne leur manquent pas tant que ça, quitte à leur faire fête quand ils se pointent. Cependant un grave accident et un séjour à l'hôpital provoqueront la venue en catastrophe du père qui n'aura de cesse de voir son fils, hier en morceaux et dûment rafistolé, « faire ses selles » après ne s'être soucié pendant des années que de ses notes scolaires, au point de scandaliser la petite amie du garçon - une certaine Géraldine Chaplin...


    Reconnaissance tardive
    Ce qui pèse au souvenir du fils n'est pas de pas avoir été aimé de son père, mais d'avoir attendu le moindre signe d'estime jusqu'au tournant de la cinquantaine, alors que tous ses efforts et sa brillante carrière ne visaient qu'à lui plaire. Or, par delà le ressentiment, la réserve orgueilleuse, plus ou moins narcissique ou jalouse du père est expliquée, sinon justifiée, par la propre trajectoire de ce personnage d'exception, issu de milieu très modeste, devenu l'un des chefs des jeunes socialistes autrichiens avant de diriger une florissante affaire d'importation en ne cessant de sillonner l'Europe et d'en imposer à tous par son intelligence et sa sagesse pragmatique.


    Le héros et son ombre
    N'empêche: le grand homme en puissance (ses proches l'auront comparé à un Ben Gourion) avait ses failles, non exempt de mesquinerie égocentrique ou d'autoritarisme borné. Très intéressant, le portrait de juif de gauche (qu'un Jean Ziegler estimait fort) recommandant à son fils de respecter les Allemands et clamant sa vénération du travail, mais infoutu de reconnaître les mérites de son fils (une vague grimace quand celui-ci lui annonce sa nomination de prof à l'EPFL après de brillantes études et autant de succès dans les affaires, incarne en somme le self made man typique d'une génération de fondateurs aussi jaloux que méritants. Du moins le fils le défendra-t-il toujours devant les autres, quitte à lui « nettoyer les os » avant une déclaration d'amour finale.

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    L’amour plus fort, etc.
    C'est en effet un livre d'amour que Mon père sur mes épaules, qui ne dégage en rien l'espèce d'effroi compulsif de l'emblématique Lettre au père de Kafka, mais une tendresse nourrie de tous les détails de la vie, que module une langue limpide et vibrante. Metin Arditi n'a certes pas le génie visionnaire ni les abrupts névrotiques de Kafka, mais l'honnête homme qu'il incarne nous parle bel et bien en écrivain, et son retournement personnel implique le lecteur à chaque page quand bien même son vécu serait tout différent.
    La devise d'un Georges Simenon était « comprendre , ne pas juger », mais la Lettre à ma mère du grand romancier multiplie bel et bien ce qu'on pourrait dire des jugements, et parfois vifs voire terribles, qui ont pourtant la vertu de « laver les os » et de retourner au mort pour mieux le comprendre. De la même façon, Metin Arditi taxe-t-il son père de lâcheté après qu'un notable israélien eut mouché son fils indigné par la politique d'occupation et de colonisation de l'Etat de principe. Or le jugement personnel importe bien moins, en l'occurrence, que la remise en cause d'une politique inhumaine défendue par un groupe de gens trahissant leurs idéaux de jeunesse. Plus que jugement, voici le constat nuancé, prélude à la paix des braves : « Un homme d’une immense sagesse. Grand stratège. Mais aussi faible. Habile et manipulateur »…

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    Quant à la part de l'écrivain, voire du romancier elle tient à la façon subtile, souvent nuancée d'humour, de laisser flotter un certain mystère autour de certains faits (les pleurs paternels au téléphone, un soir, sans raison apparente) ou de ne pas moraliser ou conclure à trop bon compte.
    Son père lui ayant recommandé - comme à un tout jeune homme alors qu'il a passé la cinquantaine ! - de se montrer « droit, intègre et surtout humble », l’auteur a la malice de se questionner sur sa propre humilité, avant de conclure par une fable qui en dit long sur le quant à soi mâle, frisant le cynisme, des pères dominateurs, à la fois bâtisseurs et écrabouilleurs sur les bords, dont on peut sourire post mortem en évitant possiblement de les subir de leur vivant.
    Au mythe freudien de la pulsion de meurtre du père par le fils, l'on pourrait alors opposer la réalité du patriarche s'inquiétant « à mort » de voir son fils le remplacer bientôt, et ainsi de suite, et va ! comme disent les conteurs orientaux.


    Metin Arditi. Mon père sur mes épaules. Grasset, 167 p.