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  • Mémoire vive (111)

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    Annie Dillard ce matin : « Admire ce monde qui jamais ne te boude – comme tu admirerais un adversaire, sans le quitter des yeux ni t’éloigner de lui ».
     
    À La Désirade, ce 1er août 2017. - Je repense à ces gens de la photo sépia de ma famille maternelle, en 1911, et me demande qui ils étaient et comment c'était de vivre avant la Grande Guerre.
    Lucerne, 1911.
     
    Qu'ont-ils donc contre la morale ? Je me le demande. Et pourquoi parler d’éthique avec un ton si moralisant ?
     
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    Zouc.
    Assez intrigué depuis hier soir par la lecture de Feu d'artifice, Histoires à voix haute, d'un certain Ernst Burren qui n'écrit qu'en dialecte soleurois. Tout de suite ça m'a rappelé Lucerne, la Stube de Lucerne, le Grossvater de Lucerne et les tantes, enfin tous mes souvenirs de Lucerne à travers les années.
    Le livre se donne en strophes de vers libres. Il y a là-dedans un ton helvète semblable à celui de mes nouvelles grinçantes du genre À côté de chez nous, à reprendre et développer en multiples variations mieux concertées sur les thèmes actuels de la famille helvète, du voisinage et des événements locaux mondiaux, entre Gay Pride et rallye des proprios de belles voitures, orgies de libertins et autres réunions de paroissiens - toute une Suisse en peinture faisant écho aux observations d'un Loetscher et d'une Zouc, d'un Bovard et d'un Emil, de Bichsel ou de Hohler, de Widmer ou de Moeri.
     
    °°°
    L’humour helvète typique, qu’on retrouve chez Emil ou chez Zouc, est descriptif, ou médiumnique, et non pas accusateur
     
    Ce lundi 7 août. Huit heures et demie du soir à ma nouvelle petite table à écrire de métal noir tressé imitant le bois, sur la terrasse, à coté du bain nordique chauffé à 38°. Moment de parfaite sérénité, juste une fine voile sur le lac bleuté, une vitre jetant un éclat de soleil au Bouveret, quelques clarines sur l’alpage voisin, et je prends ces notes dans le magnifique carnet au portulan Renaissance, made in Italy et acheté chez Barnes & Noble à San Diego pour 20 dollars.
     
    Ce mardi 8 août. Le magnifique cahier de San Diego était resté sur la petite table pendant la trombe de cette nuit, faute professionnelle grave mais finalement il n’en a presque pas souffert, je l’ai passé au foehn et seules quelques pages conservent des traces de coulures d’encre verte, donc je dis ouf car j’avais un mois de notes là-dedans et l’objet lui-même m’est précieux. C’est le second « accident » survenu à mes carnets, après la perte d’un épais volume safran contenant plus d’une année de mon journal et des aquarelles à foison, à la fin de la matinée du 11 septembre 2001, juste après ma visite à Marina Vlady où celle-ci m’avait parlé de sa Russie doublement disparue - un moment d’inattention au guichet du métro et vaines recherches ensuite, jour de catastrophe mondiale, etc.
     
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    Rahmy02.jpgTrès impressionné par le récit autobiographique de Philippe Rahmy, qui fait s’entremêler destinées personnelles et tragédies collectives. Lui-même est fils d’un paysan égyptien et d’une fille de médecin allemand juif et affilié au parti nazi, et son récit recoupe celui des tribulations d’un jeune juif polonais qui a assassiné à Paris un notable allemand (en 1938) pour informer le monde des persécutions que son peuple subissait, dont sa sœur l’avait précisément informé. L’auteur a la patte d’un écrivain d’exception, délicat et puissant à la fois, et la substance du récit travaille admirablement le thème des identités mêlées en conflit, comme s’y était employé Aleksandar Tisma dans L’école d’impiété.
     
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    Pourquoi parle-t-on, à propos de l’extase sexuelle, de petite mort ?
     
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    En regardant la photo de famille prise par notre père en 1961, à Sankt Niklaus, à l’occasion des noces d’or de nos grands-parents maternels, je suis frappé par l’aspect de ceux-ci, qui avaient alors à peu près notre âge actuel, et qui ont l’air si vieux, si corsetés, si ratatinés, si tout petits et tout noirs que c’est à n’y pas croire : de vrais vieux vieillards ! Et nous aujourd’hui, en jeans et avec nos longs tifs (mes longs tifs en tout cas), en chemises bariolées (enjoy California !) et roulant baskets…
     
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    Pas un jour sans que je n’injurie le mauvais Dimitri, alors que ma tendresse de cesse de croître à l’égard du bon Dimitri, et bien plus encore envers mon père que je n’ai jamais eu aucune raison, au demeurant, d’insulter.
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    bankerot.jpgCe qu’il faudrait aux « purs littéraires », c’est de voir plus de séries de qualité, comme ce Bankrot danois que je viens de découvrir en avalant ses huit épisodes d’une traite et dont l’humour me ravit. C’est du noir frotté de tendresse et, du point de vue de la narration, des dialogues et de l’interprétation, de la très belle ouvrage pleine d’humanité et de notes intéressantes sur la filiation en milieu déstructuré…
     
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    À partir d’un certain moment les résolutions se délitent, sous l’effet de la dispersion. Mon excessive ouverture de focale au même moment. Qui trop embrasse, etc
    Ce lundi 14 août. - Esquissé hier le portrait au crayon de Lady S. Pas encore ça, de loin pas. Donc il faut exercer le dessin, jusqu’à la juste expression. Exercer la bouche, les yeux, l’oreille, le volume, etc. L’exercice, en matière de dessin ou de peinture, est d’ailleurs une excellente base qui intéresse aussi l’exercice stylistique en matière littéraire, etc.
     
    Regarder
     
    Je ne regarde pas assez.
    Trop de leurres nous distraient
    à tout instant du seul présent.
    L'écran mondial t'éloigne
    de cela simplement qui est.
    Nous ne voyons plus rien
    de ce qui est là simplement,
    dans la clairière du bar
    ou de la gare à l'heure de meute;
    où que ce soit, partout:
    la présence d'un seul regard
    dans l'émeute affolée
    révèle les objets.
    Ne te détourne pas.
    Sois juste là présent,
    ici et maintenant,
    à regarder tout ça...
     
     
    Adelboden, ce mardi 15 août. - Salutation littéraire que j’exècre : « Avec ma main amie », etc.
     
    °°°
    Nous avons rejoint cet après-midi J. et G. au Cambrian d’Adelboden, dont j’ai découvert le paysage typisch romantique, quoique trop bâti de trop jolis chalets. L’hôtel nickel, au personnel jeune et sympa, genre **** à SPA, juste un peu trop bien à mon goût, trop lisse et trop froid, pas assez de peintures aux murs - mais je n’en dis rien vu que nous sommes invités…
     
    J. très imposante avec son enfant bien présent quoique encore flottant dans son océan intime, et le père attentif et tendre, dont je prends les railleries avec le stoïcisme des Anciens. Le soir nous ne nous attardons pas à une première terrasse de restau dont la carte mêle le local et l’asiatique, mais l’italien où nous allons ensuite n’est pas mieux avec ses mauvais vins et ses tagliatelles plus qu’al dente : al caoutchouc.
     
    °°°
    Je relève ceci dans Walden : «Durant maintes années j’ai été inspecteur autoproclamé des tempêtes de neige et des orages de pluie, et j’ai fait scrupuleusement mon devoir ; arpenteur, sinon de grand-routes, du moins des sentiers forestiers et des chemins de traverse, veillant à ce qu’ils restent praticables et qu’en toute saison il y ait des ponts qu’on pût traverser, partout où les pas de l’homme ont prouvé leur utilité ». Or cela, vraiment, me parle.
     
    Adelboden, ce mercredi 16 août. – Après le breakfast-type du 4 étoiles, la petite bande et ses chiens se sont hissés au sommet du mont Tschenten surplombant Adelboden, pour y faire quelques pas et admirer l’admirable paysage. Puis la parturiente un peu lasse et son Irish servant se sont retirés dans leurs appartements tandis que nous allions admirer l’admirable cascade du fond de la vallée, avant de nous faire transporter au sommet des pistes de la coupe du monde par le moyen d’un interminable système de téléphérique qui a quelque peu angoissé notre Snoopy. Ensuite, le repas du soir n’a pas été plus remarquable qu’hier, dans un restau dont le vin au moins était convenable (un Plant-Robert de 1983) alors que les raviolis aux champignons étaient à peine mangeables. Décidément, nos chers Alémaniques ne sont pas doués en la matière…
    Le Niesen. 
     
    En redescendant de l’Oberland jusqu’à nos régions lémaniques, je nous ai lu deux nouvelles de John Cheever évoquant le même personnage de femme au prénom d’Andy, qui tient une espèce de pension et redoute l’arrivée du printemps, synonyme pour elle de vieillissement car, au détour des ses 45 ans, elle sent qu’elle a laissé filer la vie et que ça ne va pas s’arranger avec la nouvelle saison. Or il se dégage, des deux nouvelles, une espèce de mélancolie non sentimentale, de douleur diffuse et d’acuité sensible qui me touchent particulièrement ces jours ; en fait c’est exactement ce que j’avais besoin de lire pour relancer ma rêverie narrative à partir de ce que je dirais une vraie matière musicale.
     
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    Ne pas s'asseoir à la table des moqueurs, moins encore à celle des flatteurs.
     
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    Ramuz : « Laissez venir l'immensité des choses ».
     
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    Donner plus, sans attendre de retour. Sus à la chiennerie - je me le rappelle depuis 55 ans et peut-être plus...
     
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    Certaines personnes sans expérience ne sont pas prêtes à entendre certaines choses : voilà ce que je dois me rappeler. La question du degree est essentielle, et plus que jamais aujourd’hui où tout s’indifférencie. Beaucoup de « nos jeunes » se renfrognent à l’idée même que cette distribution hiérarchique puisse être évoquée. Petits pions qui se voient Rois avant d’avoir affronté la Reine sans passer par les sauts du Cavalier et les bilans d’expérience du haut de la Tour...
     
    °°°
    Tendres objets
    Nos livres font bon ménage.
    Je me rappelle que tes petits objets
    m'ont accueilli sans grimacer:
    sans jamais ricaner
    à travers les années.
    Quand tu te maquillais,
    ce n'était pas que pour les autres.
    La Nature se fait belle
    ce jour d’été indien.
    Bientôt nous roulerons vers la mer.
    Après toi je ne vois pas d'autre horizon.
    L'aire des Hirondelles est notre étape depuis des années.
    Bientôt il y aura plein d'enfants entre nous,
    dans le jardin marin.
    (La Désirade, ce 18 août 2017)
     
     
    °°°
     
    Repris ce matin la lecture de La Forêt du mal de mon vieil ami Gérard Joulié. Quelle pénétration chez ce lecteur d’exception, quelle finesse et quelle profondeur. Ma première lecture avait buté sur son manichéisme pascalien, mais il faut passer là-dessus et ce qu’il dit du regard d’enfant de Proust et de sa déception, mais aussi de la rédemption par l’art et la littérature, est d’une rare justesse.
     
    °°°
     
    Repas solitaire au café de la Tour de Lutry. Bon plat du jour avec assez de pain pour les moineaux.
     
    J’ai repris hier la lecture de De la curiosité d’Alberto Manguel, dont la ligne de fond est marquée par la lecture de la Commedia. Voilà du sérieux. J’ai d’ailleurs repris une fois de plus, dûment corrigée et augmentée ici et là, la publication de ma lecture de Dante sur me sblogs, que je vais poursuivre à raison d’au moins une séquence quotidienne, en reprenant la suite d’où j’en étais arrivé, au 16e Canto du Purgatoire, jusqu’au Paradis dont je suis curieux de découvrir ce que j’en pense et en ressens aujourd’hui. De fait, et c’est l’une des leçons de Mandelstam, il ne suffit pas de penser : il faut ressentir la poésie de Dante et si possible sur sa peau et dans ses os.
     
    Ce mercredi 23 août.- Pas bien dormi cette nuit. Réveillé à 4h. Troublé par l'imbécilité grégaire de la meute. Mais il ne faut pas se laisser déstabiliser. Réagir et voilà tout. Aujourd'hui: chronique sur Vialatte & Co pour BPLT. Montrer comment Vialatte s'oppose à la fois au nazisme et à la crétinisation du Client. Montrer comment Kamel Daoud nous incite à mieux voir notre abjection en montrant celle de la société islamiste. Montrer comment Jean-François Duval distille la pensée non alignée. Invectiver ne suffit pas: il faut donner envie de penser par soi seul.
     
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    Revenir tous les jours à Michaux (dans Passages) et à Reverdy. Mes toniques imperturbables. De quoi rebondir à tout coup et plus c'est haut plus c'est beau sans qu’il soit question de placebo.
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    La chronique, charme de paix, arme de guerre
     
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    Dillard.jpgLa lecture d’Une enfance américaine me sidère. La façon d’Annie Dillard de parler de la topologie de sa ville natale, de la fugue de son père sur les fleuves, de terrible spectre du mal qui surgit dans sa chambre d'enfant ou du sac de peau dans lequel sont fourrés les adultes, est renversante. Je vais donc me concentrer plus sérieusement sur cette seule lecture, de A jusqu'à Z. À côté de Dante et d'Alberto Manguel lisant Dante, je suis bon pour quelques mois. Quelques notes pertinentes sur mon petit quartet de rentrée et sur Dave Eggers, après quoi: musique. Le regard d'Annie D. sur la peau de sa mère est profond. Tout est profond dans le regard d'Annie D. Annie D. est au plus profond ce que je ressens comme étant LA poésie. Enfin je sens que lire plus attentivement Annie D. va me faire mieux voir, aussi, ma bonne amie.
     
    Ce samedi 26 août. J’ai achevé ce matin mon petit manifeste destiné à La Cinquième saison, où j’évoque la nouvelle donne de la littérature romande, depuis le début du siècle, avec un grain de sel poivré. Je ne sais si ce sera du goût de tout le monde, mais je crois avoir dit exactement ce que je pense sans m’occuper des bienséances de la paroisse littéraire, de ses révérends compassés et de ses abbesses en jupons gris. Quoi qu’il en soit, je me fiche complètement de ce qu’on en dira, comme je m’en suis toujours foutu depuis le début de mon activité critique, il y aura de ça cinquante ans dans 24 mois et des poussières…
     
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    Dans un opuscule qui vient de paraître à l’enseigne d’art & fiction, Stéphane Zaech me fait découvrir le peintre américain Alex Katz dont j’ignorais tout, qui me fait d’abord penser à Matisse et David Hockney, parfois aussi à Vallotton, avec quelque chose d’apparemment lisse et plat qui se révèle, à mieux regarder, beaucoup plus subtil et profond que cela n’en a l’air, comme touché par la grâce. Or Stéphane en parle en peintre, et je me dis à ce propos que, souvent, les peintres sont le meilleurs critiques de peinture, comme les poètes le sont de la poésie – ce que je disais l’autre jour à un ami en poussant un peu le bouchon, lui faisant valoir que les écrivains sont parfois leurs meilleurs commentateurs, etc.
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    Ce jeudi 31 août. - Je trouve ce matin, dans l’Entretien sur Dante de Mandelstam, l’écho, précis et profond, à ce que je cherche en poésie « non poétique », qui rejoint aussi ce que dit Proust de la littérature inattendue et non descriptive modulée plus ou moins à notre insu avec le tout venant de nos impresions et sentiments, souffrances ravalées et transmutées, là encore plus ou moins à notre corps défendant, par le travail conjoint de notre mémoire et de notre imagination.
     
    Ne pas savoir nager
     
    La chose est dure à dire:
    le poète ne dira vrai
    que s'il est rude à cuire
    et s'il se tient au frais.
    Traverser le fleuve chinois
    sans s'accrocher aux jonques,
    à l'écoute des conques,
    relève du seul exploit.
    Or tel est le poème
    que nulle page ordinaire
    résolvant le problème
    n'a jamais su refaire.
    Le poème ne se refait pas !
    Allez le répéter,
    mais ne le faites pas:
    nulle cigale n'a de clef.
     
    (Ce que Mandelstam dit de Dante,
    Proust l’a dit et redit.)
     
    (A La Désirade, ce 31 août 2017).

  • Oiseaux de jeunesse

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    Quand Anne Wiazemsky racontait « son » Godard… En attendat de voir, pas plus tard que ce soir, Le Redoutable...

    Anne Wiazemsky était, à dix-neuf ans, une crâne jeune fille déjà bien en selle et plus très rangée quand elle mit le grappin sur Jean-Luc Godard, qui n’attendait à vrai dire que ça.

    À la veille d'une séance de rattrapage au bac, la petite-fille de François Mauriac avait certes déjà défié la morale de grand-papa une première fois avec un Monsieur plus âgé qu’elle, mais le véritable amour restait à découvrir. Or son apparition dans Au hasard Balthazar du grand Robert Bresson, très admiré de Godard et de Truffaut, n’était pas passée inaperçue de ces deux-là. Aussi, lorsqu’après avoir entrevu Godard sur le tournage du film, la lycéenne folle de Sartre et Beauvoir, qui avait beaucoup aimé Masculin Féminin, écrivit au cinéaste qu’elle l’aimait, celui-ci embraya-t-il de tous les cylindres de sa rutilante Alfa et s’en vint-il aussitôt soupirer sous ses fenêtres en Roméo de photo-roman…

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    Cela se passait en 1966, en ces années où les jeunes filles n’atteignaient la majorité qu’à vingt et un an. Or c’est le premier intérêt d’Une année studieuse que de rendre à la fois le charme et les rigueurs plus ou moins hypocrites de la morale sociale d’une époque. Une époque qui avait poussé François Mauriac à voir, en l’amorale Françoise Sagan, une déléguée spéciale de Satan sur terre.

    Cela étant Anne Wiazemsky, qui se coula vite dans les draps de Jean-Luc Godard, et avec un (premier) plaisir largement partagé, n’en était pas moins très respectueuse de l’avis de pépé François et de la fille de celui-ci, sa mère sourcilleuse.

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    Oscillant entre son prince charmeur mal fringué, mais plein d’attentions délicates, et les préventions de son clan familial, la jeune fille défendit sa liberté avec l’aide de son frère Pierre et du philosophe Francis Jeanson, auquel elle eut le culot de réclamer des leçons particulières lors d’un cocktail de Gallimard. Il faut préciser alors que la demoiselle était une amie d’enfance d’Antoine, le futur patron de la célèbre maison d’édition.

    Très snob et très parisien tout ça? Pas du tout: gentil et intéressant. Parce que Jean-Luc Godard y apparaît au naturel. Il est tout doux avec Anne et très autoritaire en tournage, véritable toutou quand il s’agit de demander la main de la «mineure» à Bon-papa Mauriac, et soudain violent, puant, lorsque des flics l’interceptent dans la rue et le prient de ramener ladite «mineure» à la maison…

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    Etudiante à Nanterre, Anne s’y fait draguer par un rouquin prénommé Dany, futur député européen comme chacun l’a deviné. À la veille de Mai 68, Godard apparaît aussi en jobard «maoïste», dont La Chinoise sera taxée de crétinerie par… les Chinois.

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    Anne Wiazemsky le raconte en souriant, comme elle sourit au souvenir de son mariage vaudois, sans lendemain même si le pasteur lance narquoisement au marié : « À le prochaine, M’sieur Godard ». Cela s'intitule roman mais ce récit, bien filé, sensible, lumineux, relève plutôt des mémoires d'une jeune fille jamais vraiment rangée, aussi bonne finalement à l'écrit qu'à son oral de géo  décroché au charme...

    Anne Wiazemsky, Une année studieuse. Gallimard, 272p.

  • Classe d'eau

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    Du bleu d’en haut il suffit de se laisser glisser le long des filins pour tomber juste au seuil de la classe d’eau, sur le promontoire dominant les fosses du Haut Lac, à la profondeur inspiratrice par temps clair autant que sous les neiges moites de décembre.


    Votre arrivée est attendue dans le silence de l’aube que trouble à peine le passage des ombles. Votre seul désir de participer à la classe d’eau vous tient lieu de Welcome. D’ici ne seront écartés que ceux qui dénigrent l’exercice de l’Aquarelle Insoluble, ricanants ou sceptiques ; nul esprit médiocre ne sera non plus admis dans l’orbe lumineux, ni les aigres ni les ladres, ni les mesquins, les chafouins, les sournois, les perfides, moins encore les faux derches.


    Ici s’acquiert l’art de l’Aquarelle Insoluble, auquel sera consacré ce premier cours d’été. L’étude de ce matin sera consacrée aux voltes d'eau de lumière blanche en transit submersible que vous exercerez en murmurant la ballade White in Night Satin à l’unisson des conques, seulement appliqués à vous laver le regard…

    Peinture: J.M.W Turner