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Vive, la rentrée ?

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(Dialogue schizo)
 
 
À propos de l’emballement médiatique fauteur de nivellement, focalisant l’attention de la meute sur un seul titre donné « gagnant » d’avance : Qui a tué Heidi de Marc Voltenauer. De l’étiolement clientéliste des rubriques culturelles en général et littéraires en particulier. Que la rentrée c’est tous les jours et partout pour un lecteur attentif…
 
Moi l’autre : - Alors, cette rentrée littéraire romande, exaltante ?
 
Moi l’un : - Et comment ! J’en tombe à la renverse ! La vache !
Moi l’autre : - Tu n’a rien contre Heidi, rassure-moi ?
 
voltenauer_sp_qui_a_tue_heidi.jpgMoi l’un : - Pas du tout ! Ni moins encore contre Marc Voltenauer, qui fait son job comme pas deux. Tu as lu comme moi le manuscrit de Qui a tué Heidi ?, notre compère JLK y a passé des heures et y est allé de ses gentils conseils, interdisant notamment à l’auteur de s’extasier une fois de plus sur le lever du soleil sur les Dents du Midi ou les derniers feux du couchant sur le miroir d’Argentine. Donc pas de souci pour Heidi: la mouture définitive a été révisée pilpoil, c’est du joli boulot artisanal de storyteller, ça roule ma poule et ça va sûrement cartonner à l’avenant.
 
Moi l’autre : - Pourtant je sens comme une gêne dans ton enthousiasme. Tu ne vas pas quand même pas freiner à la montée ou pis : cracher dans la soupe ?
 
Moi l’un : - Je te vois venir avec ta soupe ! Eh bien oui, si le fait d’exercer son sens critique revient à cracher dans le potage insipide que représente aujourd’hui l’opinion dominante et le conformisme consumériste, alors je vais vomir. Et pour freiner à la montée, c’est exactement ce que je reproche depuis des années aux belles âmes du milieu littéraire romand qui se méfient de tout ce qui bouge. Ce qui me gêne n’est pas le succès d’un livre, mais le fait qu’on ne s’intéresse, notamment dans les médias et les réseaux sociaux qu’au succès et pas au livre. Le succès est un sous-produit. Je ne dis pas que, pour qu’un écrivain, le succès soit forcément un mal, mais je pense que la recherche du succès constitue un réel danger.
 
Moi l’autre : - Un exemple à l’appui ?
 
Dicker13.jpgMoi l’un : - Le Livre des Baltimore de Joël Dicker en est, à mes yeux, l’illustration parfaite. Après la surprise réelle de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, qui avait un dynamisme interne remarquable, une construction intéressante et des personnages attachants, Le Livre des Baltimore m’a paru aussi plat qu’un resucée de série télé, genre Revenge – d’ailleurs il se passe aux Hamptons. Réellement, j’ai eu l’impression que Dicker courait après son propre succès en alignant les poncifs. Il faisait « du Dicker » à bon marché.
 
Moi l’autre : - N’est-ce pas le propre des auteurs de best-sellers ?
 
Moi l’un : - Pas forcément. Un Philip Roth, auquel Dicker rend d’ailleurs un hommage indirect sympathique avec la mère juive de son premier protagoniste, a obtenu un succès phénoménal avec Portnoy et son complexe, mais jamais ensuite il n’a fait ce qu’on attendait de lui.
 
Moi l’autre : - Et Simenon avec Maigret ? Et Connelly avec Harry Bosch ?
 
Moi l’un : - C’est autre chose. Simenon, d’ailleurs, a toujours fait une nette différence entre ses enquêtes de Maigret et ses « romans de l’homme » ou « romans durs », comme il les appelait. Mais il n’y a pas de flatterie ni de niaiserie chez Simenon. Et les enquêtes de Bosch sur les multiples cercles de l’enfer de Los Angeles ne se ressemblent pas plus que les milieux investis par Maigret. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a cent fois plus de substance humaine dans la série  l’écoute, sur Baltimore, que dans le feuilleton délavé de Dicker.
 
Moi l’autre : - Et la rentrée littéraire romande dans tout ça ?
 
Moi l’un : - Qui peut en préjuger ? Qui peut juger de la rentrée littéraire française sauf en s’extasiant devant le nouveau Nothomb sans l’avoir lu ?
 
Moi l’autre : - Tu penses que le phénomène de la rentrée n’est qu’une baudruche médiatique, comme l’avait écrit Etienne Barilier il y a quelques années ?
 
Moi l’un : - Disons que la façon de plus en plus superficielle de parler du « phénomène rentrée » donne entièrement raison à Barilier aujourd’hui, bien plus qu’au moment où il a réagi. La qualité essentielle qui fait que Voltenauer apparaisse en pleine page avec sa vache en piles, c’est qu’il a « fait » 30.000 exemplaires avec son dragon. Okay. Mais a-t-on jamais vu une Anne Cuneo boostée de la même façon au motif qu’elle avait vendu tel ou tel de ses romans a plus de 100.000 exemplaires ? Et quand on présentait les rentrées littéraires d’ il y a vingt ou trente ans, bien plus substantielles d’ailleurs qu’aujourd’hui, le critère « vendeur » était-il déterminant ? Pas que je sache. En Suisse romande, la littérature du cru était d’ailleurs snobée par les médias, à quelques exceptions près, autant que le cinéma suisse avant la vague montante de Locarno.
 
Moi l’autre : - Tu es en train de dire que quelque chose a changé ?
 
Moi l’un : - Bien vu docteur Watson ! Mais ne va pas croire que j’encense le bon vieux temps ni ne partage le point de vue de l’ami Claude Frochaux qui pense que tout est fini et que de dragon en vache on mène le public aux eaux basses de l’insignifiance. Pas si simple ! Faire l’impasse sur tout ce qui vit en focalisant l’attention du public sur ce qui cartonne relève évidemment de la logique paresseuse, et ça remplit vite une page avec photo géantes et gros chiffres à l’appui, mais ça c’est la mort de la culture, et Marc Voltenauer n’y est pour rien même si son marketing risque de lui faire perdre la boule à lui aussi – on verra. Mais ce qui a changé est plus profond, et peut-être que ça prépare un rebond à plus ou moins brève échéance. Peut-être que la goinfrerie quantitative va susciter des réactions qui nous ramèneront au désir de Qualité ?
 
Moi l’autre : - Tu en vois des signes ?
 
Moi l’un : - Je cherche des enfants.
 
Moi l’autre : - Tu es devenu pédophile ?
 
Moi l’un : - Je cherche des enfants de plus de 25 ans, comme Proust à 35 ans et Robert Walser à 45 ans, ou comme Annie Dillard à l’âge de JLK…
 
Moi l’autre : - Et la rentrée littéraire romande n’est pas un jardin d’enfants ?
 
Moi l’un : - Si, justement, un peu, même si les médias n’y voient rien. Et d’ailleurs il y a un môme jouant au Lego chez le petit Marc, mais on ne va pas en rajouter à son propos. Mes enfants sont ailleurs…
 
Moi l’autre : - Alors accouche…
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Moi l’un : - L’enfant le plus indéniable que j’ai rencontré, ces derniers temps, se nomme Philippe Rahmy et il a l’étoffe d’un écrivain comme il n’y en a pas douze en Suisse et en France. Son dernier récit très personnel, Monarques, a été présenté très décemment par le journal Le Temps, alors qu’il subissait ailleurs l’effet Voltenauer. Et puis il y a ma sale gamine préférée : Corine Desarzens, avec Le soutien-gorge noir qui vaut autant par son écriture que par sa densité émotionnelle. Et le sixième Manifeste incertain de Pajak est d’une enfance profonde, et parfois déchirante, qui a le mérite de se décliner en toute limpidité et sans pathos. Enfin il y a le très singulier benjamin de ces âmes pures couturées de cicatrices, en la personne d’Adrien Gygax, qui signe un premier roman dont aucun de nos médias n’a soufflé mot jusque-là et que j’estime une vraie découverte. Cela s’intitule Aux noces de nos petites vertus et c’est d’une grande finesse de sentiments sauvages et mélancoliques à la fois, dans une espèce de roman voyageur où il est question d’amour et d’amitié dans une configuration affective et sensuelle profondément originale.
 
Moi l’autre : - Oui, tu as raison : j’ai lu moi aussi ces quatre livres et je les ai aimés comme toi. D’ailleurs notre ami JLK pense la même chose…
 
Moi l’un : - Alors là ça fait plaisir. Pour une fois que nous sommes d’accord !
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Moi l’autre : - Et ce n’est qu’un début, vu qu’on va maintenant parler du nouveau Nothomb. T’as aimé ?
 
Moi l’un : - Je ne l’ai pas lu mais j’ai raffolé, ouais !
 
Moi l’autre : - Moi aussi, n’est-ce pas que c’est super ?
 
Moi l’un : - C’est hyper-sympa. La vache !
 
 
 

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