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  • Helene et le chien d'aveugle

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    Chemin faisant (136)

    Les milliardaires sont parfois d'utilité publique: c'est assez rare mais pas exclu, ainsi que l'a prouvé Helene née Müller, fille de capitaine d'industrie allemand, épousée toute jeune par le fringant Anton Kröller, lequel reprit l'affaire à multimillions de son beau-père non sans participer, dans la foulée de  son originale moitié, et avec l'aide d'un conseiller esthétique avisé du nom de H.P. Bremmer, à l'élaboration d'une collection artistique phénoménale riche de 11.500 pièces où l'avant-garde de la peinture du XXe siècle voisine avec celle de la sculpture jusqu'au tournant du millénaire illustré par les Christo et autres plasticiens du Land art.

    12472355_10209167181003481_1269322140076456316_n.jpgSur plusieurs générations, la bonne œuvre d'Helene s'est déployée selon le vœu initial de celle-ci, consistant à témoigner de l'évolution de la création artistique du "réalisme" à l'"idéalisme", ou pour mieux dire: de la représentation figurative plus ou moins vériste de la fin du XIXe siècle aux multiples mouvements progressivement déconstructeurs de l'impressionnisme, du fauvisme et du pointillisme, du cubisme et du futurisme, du minimalisme et du conceptualisme et tutti quanti.

    Or pendant et après le directorat de la belle Helene et de ses garçons, la collection s'est fait le reflet très sélectif des étapes successives de la création d'abord européenne et ensuite mondiale, autour du noyau central des plus beaux Van Gogh dont le premier fut payé 14 florins par la jeune Helene, soit la valeur de dix cafés...

    12592258_10209167184323564_1019828825454906552_n.jpg12321211_10209167179963455_5491242494021127318_n.jpgLes mains de l'aveugle. - Durant notre visite de la partie intérieure de cette collection unique in ze World - dont les vastes jardins et la forêt alentour accueillent d'autres merveilles à l'air libre -, nous avons assisté à la scène très émouvante de deux aveugles, accompagnés de quelques amis et d'un chien de douce laine bouclée, palpant longuement, les mains gantées et les gestes délicatement "à l'écoute",  une sculpture de bronze à la fois ondulante et anguleuse de Boccioni (Forme uniche della continuità dello spazio, 1913), pendant que le chien de laine regardait fixement la fesse droite du fameux Clementius d'Ossip Zadkine...

    12512404_10209167179043432_254104762603746026_n.jpgL'art dans les landes. - L'on parvient au musée Kröller -Muller en traversant des Landes tapissées de bruyère et entrecoupées de longues lignes de sable blond clair, où poussent les bouleaux à la manière russe et les pins à l'espagnole. Des bandes de vélocipédistes arpentent ces lieux sur de petites bicycles à freins torpédos. Autour des bâtiments de ligne très pure de la collection se répartissent les sculptures de tout genre, où telle femme agenouillée de Rodin voisine avec une grande composition signée Henry Moore sur une éminence semée de jonquilles, et plus loin se découvrent le Jardin d'émail de Dubuffet ou la Sculpture flottante de Marta Pan tournant lentement sur l'eau lustrale.

    Tant de perfection serait cependant artificielle sans mots à redire, mais je n'en aurai qu'un, visant la pratique consistant à mettre trop de toiles sous verre.

    Il va de soi qu'on ne touchera pas aux toiles comme le font les aveugles dûment gantés des sculptures, pourtant le verre sur tel paysage de Cézanne ou de Monet, sur tel Pissaro ou tel Corot, me semble un obstacle au regard.

    Mais bon: passons, et réjouissons-nous de trouver un catalogue en langue française, et la foison d'oeuvres significatives réunies par dame Helene, à commencer par cette quintessence de la forme pure que matérialise Le Commencement du monde de Brancusi...

     

  • Batavia

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    Chemin faisant (135)

    Loin de la France.- Le nom d'un piètre président nous fait un peu oublier la grandeur passée et le génie toujours actuel de la Hollande. Celui-ci ne cesse de se manifester dans un habitus absolument original, tant par son architecture que par la belle tenue de ses toilettes, au double sens des tournures vestimentaires (spécialement féminines et enfantines) et des lieux d'aisance dont la rutilante propreté ne laisse d'épater chez un peuple capable de folles imaginations dont témoigne l'art d'un Bosch ou d'un Van Gogh.

    12321384_10209164291651249_6888780685123736324_n.jpgUn génie tout autre.- Le substrat génial de la culture batave nous est apparu doublement hier, dans l'atelier souterrainement reconstitué de Maître Jheronymus et, en fin de journée, dans l'abyssal labyrinthe océanique du Burger's zoo d'Arnhem où vous déambulez au milieu des raies et des requins-marteaux, dans une féerie de petits poissons multicolores tournoyant autour de vous comme de mouvants oiseaux sous-marins à bigarrures de joyaux contrastant avec la sombre silhouette d'un galion englouti au nom effacé de Batavia. 

    12472298_10209164292531271_7751954681887082764_n.jpgL'on se rappelle alors la mythique épopée du plus grand bateau du monde fracassé sur les récifs des Antipodes au temps glorieux de la flotte néerlandaise, racontée par Simon Leys (alias Pierre Ryckmans) dans un très recommandable petit récit.

    En Europe mondiale. - on peut aimer la France, et plus encore notre langue, et se rappeler tranquillement cette évidence qui ne s'oublie qu'à Paris et dans l'Hexagone: qu'il est d'autres cultures et civilisations dans le monde que celles du nombril gaulois. Une librairie dédaléenne de Bois-le-duc se fera forte de vous le rappeler: que le Top Ten littéraire de ces lieux ne compte pas un nom d'auteur français, alors que les traductions du monde entier y prolifèrent...9573_10209164301051484_4113576977689578820_n.jpg12923118_10209164291331241_623683262708275067_n.jpg
    Or franchissant un immense pont sur le Rhin dont les eaux chimiquement enrichies en ont vu d'autres, vers Nimègue, l'on se sent plein de reconnaissance réitérée pour une Europe millénaire qui doute trop souvent d'elle-même au bénéfice immérité de médiocres politicards et des blêmes fonctionnaires de l'Union désunie...

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  • Boschmania

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    Chemin faisant (134)

    Folie collective. – La fantastique exposition consacrée ces jours à Bois-le-Duc (qui se prononce ‘s-Hertogenbosch en batave) à l’œuvre non moins extravagante de Jheronimus van Aken, plus connu sous son pseudo de Jérôme Bosch (à ne pas confondre avec l’inspecteur Bosch des thrillers californiens de Michael Connelly), déborde de toute part des murs du Het Noordbrabants Museum pour consommer une sorte de surexposition urbaine où toutes les boutiques, les restaus, les moindres bâtiments publics, les devantures de

    librairies ou de laiteries, toutes les les vitrines, les places et les moindres recoins ecclésiastiques déclinent le nom et les images de Bosch dont le mythique char de foin, symbolisant la concupiscence humaine (plus tu bouffes de foin plus tu alimenteras le feu de l’enfer, etc.), devient la métaphore dominante à nuance délectablement rabelaisienne.

    12321194_10209153146212620_3296018516390792163_n.jpgDe fait, ce délire collectif fondé sur la récupération chauvine et commerciale d’un génie local dont la ville natale ne possède pas une seule œuvre ( !) n’a rien de bassement opportuniste ou déplaisant, ni rien du kitsch touristique ordinaire bas de gamme (l’abominable prolifération des masques carnavalesques dans les vitrines de Venise), mais foisonne et buissonne avec le même brio cocasse et plein d’humour de la peinture de Bosch parfois limite « art brut », plus folle que les surréalistes (qui y ont puisé avant que les analystes freudiens ne s’y épuisent) et combien caractéristique de la bascule du Moyen Âge à la Renaissance – entre les visions d’un Dante et les raisons d’un Erasme.

    1002101-Jérôme_Bosch_la_Tentation_de_saint_Antoine.jpgBosch & Co. – La célébration de l’enfant du pays (mort en août 1516) par ses concitoyens a été l’occasion, avant son transfert prochain au Prado), de réunir le modeste fonds pictural de Jérôme Bosch (moins de 30 peintures authentifiées et une vingtaine de dessins) éparpillé aux quatre coins de notre ronde planète, bénéficiant d’une présentation aussi somptueuse que parfois difficile d’accès (les tableaux les plus célèbres attirent une foule compacte quasi impénétrable), et mis en valeur par une quantité de petit écrans vidéo détaillant chaque œuvre. Par ailleurs, un véritable branlebas de science pure et dure a réuni des spécialistes du monde entier à l’enseigne du BRCP (Bosch Reserch and Conservative Project) qui a fait le point sur moult mystères subsistant autour de pas mal d’œuvre attribuée à tort au Meister (ses plagiaires usaient volontiers de sa signature) entre autres constats inédits facilités par la réflectographie ou la dendrochronologie qui est comme chacun sait la technique permettant de dater le bois des panneaux peints de  Bosch (le nom de Bosch signifiant lui-même le bois) par l’analyse du support ligneux...

    12932850_10209153145932613_3489021813679034881_n.jpg12472610_10209153144052566_7370172820919501391_n.jpgL'habitus batave. – Si vous passez par ‘s-Hertogenbosch, qui se situe comme chacun sait entre le quartier rouge d’Amsterdam et l’Abbaye de Thélème, vous trouverez partout les emblèmes moraux de la Quête très-chrétienne de Bosch (aussi préoccupé que Dante parle salut d’un peu tout le monde, dont il illustre la tortueuse voix d'accès par son espèce de BD magnifique) et l’imagerie profuse et joyeuse qui en découle, mais aussi lecœur d’une ville à l’architecture aussi élégante que ses boutiques de fringues et ses terrasses de restaus et autres cafés bruns plus accueillants les uns queles autres, dans un style et un ton qui respire large comme aux airs des anciens empires, avec quelque chose de romain et de germanique mais aussi d’espagnol et de latino – nous nous sommes ainsi régalés hier soir de tapas arrosés de bière brune.

    Si le Jardin des délices du Prado n’a pu faire le voyage, sauf en vidéo ou par les milliers de repros disponibles partout (mais pas un catalogue en langue française, soit dit en passant, et pan dans la cohésion européenne…), les délices de la bonne vie n’en sont pas moins réunis dans le grand bourg brabançon rendant grâces à son Artiste qui, rappelons-le, n’avait rien d’un malfrat ni d’un mendigot mais se trouvait prophète parmi les siens, bourgeois et chrétien, juste un peu dingo sur les bords comme tout vrai catho protestant du plat pays plus ou moins cousin d’Eulenspiengel le malicieux…

  • Le savoir de Kertesz

    Kertesz9.JPG"L'homme qui a créé Auschwitz se clonera sans états d'âme", écrivait l'écrivain hongrois qui vient de disparaître...

    L'écrivain juif hongrois Imre Kertesz, Prix Nobel de littérature 2002, note ceci dans le journal qu'il a tenu entre 1951 et 1995: « La mythologie moderne commence par une constatation éminemment négative: Dieu a créé le monde, l'homme a créé Auschwitz. »

    En 1995, en visite à Jérusalem, près du mur des Lamentations, Kertesz éprouve soudain « le sentiment d'une grande fracture » et il ajoute: « Le souvenir presque palpable, vivant, d'une tragédie mythique — depuis longtemps galvaudée dans d'autres régions du monde — emplit l'air doré. Avec la mort du Christ, une terrible fracture est apparue dans l'édifice éthique qu'est — si l'on peut dire — le pilier de l'histoire spirituelle de l'homme. Qu'est cette fracture ? Les pères ont condamné l'enfant à mort. Cela, personne ne s'en est jamais remis. »

    Imre Kertesz ne s'est jamais remis, non plus, d'avoir vu son enfance crucifiée entre Auschwitz et Buchenwald. « Je sais que la souffrance de mon savoir ne me quittera jamais », écrit-il en constatant aujourd'hui que « l'Afrique entière est un Auschwitz » avant de nous interpeller: « Avez-vous remarqué que dans ce siècle tout est devenu plus vrai plus véritablement soi-même ? Le soldat est devenu un tueur professionnel ; la politique, du banditisme ; le capital, une usine à détruire les hommes équipée de fours crématoires ; la loi, la règle d'un jeu de dupes ; l'antisémitisme, Auschwitz ; le sentiment national, le génocide. Notre époque est celle de la vérité, c'est indubitable. Et bien que par habitude on continue à mentir, tout le monde y voit clair ; si l'on s'écrie: Amour, alors tous savent que l'heure du crime a sonné, et si c'est: loi, c'est celle du vol, du pillage. »

    Se fondant sur la négativité absolue et le caractère « impensable » de l'extermination nazie, le philosophe allemand Theodor Adorno affirmait qu' « écrire un poème après Auschwitz est barbare » et même que « toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, est un tas d'ordures ». En même temps, cependant, Adorno reconnaissait qu'il était essentiel de « penser et agir en sorte qu'Auschwitz ne se répète pas ». Or ce n'est pas le silence, fût-il le signe du plus haut respect, mais la parole de l'enfant crucifié, dans le bouleversant Etre sans destin d'Imre Kertesz, qui nous transmet cette souffrance d'un savoir, et le savoir de l'origine de cette souffrance qui continue tous les jours de crucifier les « enfants » de la planète.

    « Les situations modernes riment toujours un peu avec Auschwitz », écrit encore Imre Kertesz, « Auschwitz ressort toujours un peu des situations modernes. » Et nous nous rappelons alors que c'est le Gouvernement hongrois légitime qui a livré l'enfant aux nazis, avant que son livre ne soit, une première fois, refusé par les fonctionnaires socialistes. Nous nous rappelons que c'est dans les camps soviétiques, ainsi que le raconte Vassili Grossman dans Vie et destin, que le sinistre Eichmann puisa d'utiles enseignements à son entreprise d'extermination. Nous nous rappelons que la technique d'Auschwitz fut appliquée, à l'état encore artisanal, à l'extermination des Arméniens par les Turcs et à celle de leur propre peuple par Staline et Pol Pot. A la question de savoir ce qui distingue le fascisme du communisme, Kertesz répond que « le communisme est une utopie, le fascisme une pratique — le parti et le pouvoir sont ce qui les réunit et font du communisme une pratique fasciste ». Mais au-delà de cette distinction « historique », la « pratique » continue de s'appliquer aujourd'hui sous nos yeux de multiples façons.

    « L'esprit du temps, c'est la fin du monde », écrit encore Kertesz, et voici le dernier enfant crucifié: le clone créé de main d'homme. Comme on le multipliera, on l'exterminera sans états d'âme. Pourtant l'espoir luit dans la conscience désespérée: « Etre marqué est ma maladie, affirme enfin Imre Kertesz, mais c'est aussi l'aiguillon de ma vitalité. »

    Imre Kertesz: Un autre. Chronique d'une métamorphose. Actes Sud, 1999.
    Etre sans destin. Actes Sud, 1999.

    Portrait photographique d'Imre Kertesz: Horst Tappe.

  • Voyager dans le temps

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    7652_10209141107151651_3996705140843628094_n.jpgChemin faisant (133)

    Transits du Christ. - Devant le Christ en croix de Grünewald figurant sur le retable d'Issenheim, vous restez évidemment saisi et silencieux - saisi par la profonde beauté de cette scène supposément hideuse de la crucifixion de la bonté incarnée, et silencieux de respect compassionnel en vous rappelant les milliers de malheureux recueillis par les frères antonins que la vision du Seigneur souffrant et des deux petites femmes agenouillées à ses pieds (Marie la mère et Marie-Madeleine notre sœur pécheresse) aidait à supporter leurs nodules douloureux et leurs purulentes pustules. 

    Comme le Christ gisant du jeune Holbein à Bâle, le crucifié de Grünewald (nom incertain, comme celui d'Homère, d'un artisan peintre génial qui était aussi savonnier à ses heures) est d'un réalisme halluciné dont la fiction dépasse la réalité de l'humanité douloureuse de tous les temps, sans rien du dolorisme sentimental des figurations soft. La souffrance du Christ de Grünewald est le plus hard moment à vivre les yeux ouverts, mais ce n'est qu'un moment de la sainte story, comme Lampedusa ou Palmyre (ou Grozny où le jardin public des enfants récemment massacrés au Pakistan) ne sont que des moments de la crucifixion mondiale. 

    A2697.jpgEnsuite la visite continue, comme on dit, vous rebranchez votre guide audio, vous passez de l'autre côté du retable et là le cadavre terrible s'est transformé et transfiguré en un athlète doré qui s'envole dans la nuée orangée et c'est l'alleluia du Paradis de Dante où les démons grimaçants n'ont pas plus accès que les Salaloufs de Daech...


    Transit jazzy. - Notre Honda Jazz blanche a la dégaine d'une souris d'ordinateur. Lady L. en assure la conduite, pendant que je nous fait diverses lectures, avec l'aide d'une autre copilote électronique parlant comme d'un nuage. Miracle tout humain de la technique, mais c'est Notre Lady seule qui d'un coup de volant évitera le motard kamikaze qui vient de jaillir d'entre deux poids lourds. 

    12920418_10209141108591687_1991617419102906615_n.jpgOr je lis, au même instant et pêle-mêle en alternance, un papier du Monde où il est question du dernier livre de Gérard Chaliand déplorant le nouvel art occidental de perdre la guerre (la faute aux politiques tellement moins conséquents que les militaires de carrière et les poètes), un exposé historique du temps de Grünewald suivant celui de Dante et recoupant celui de Jérôme Bosch sur fond d'empire romain-germanique et de chrétienté soudain secouée par la Réforme, un chapitre revigorant d'un Bob Morane trouvé dans une bouquinerie de Colmar, un reportage sur le recyclage des déchets péchés en Méditerranée aux fins de tissages de haute couture, quelques pages de divers livres supportant plus ou moins la lecture orale et le début très scotchant (sur e-book) du dernier opus d'Emmanuel Carrère évoquant une tentative de matricide assez bouleversante - et la Moselle apparaissait en contrebas des monts boisés, et la Jazz survolait Verviers tandis que la copilote donnait ses ordres de sa voix d'hôtesse de l'air: à 300 mètres vous avez un précipice que vous tournez par la droite et ensuite vous allez dans le mur si vous ne m'obéissez pas...

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    Transit temporel.
    - J'aime assez le "roman" de Philippe Sollers intitulé Voyageurs du temps, mais le récent Mouvement me semble surfer sur tout et n'importe quoi (la Bible sur un ton de connaisseur aussi assuré que des manies de Hegel ou de la poésie de Mao traduite par ses soins, ben voyons, de l'accélérateur de particules de Geneva-City ou de Roberto Saviano méritant selon lui le Nobel de littérature...) au point que tant de bluff 
    - sans parler de la désinvolture avec laquelle il se dédouane de sa jobardise maoïste passée - finit par dégoûter après le voyage immobile de l'homme divin cloué nous rejoignant par le miracle avéré de l'Art...

     

  • Un autre voyage

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    Diversion. - L'idée de repartir nous est venue à l'annonce de la grande expo consacrée à Jérôme Bosch dans sa ville natale de Bois-le-Duc, mais ce n'était qu'un prétexte: l'idée était plutôt de bouger, ou plus exactement: de se bouger, de faire diversion, de faire pièce à la morosité (?) de cette fin d'hiver, de ne pas nous encroûter (??), enfin bref l'envie nous avait repris de faire un tour comme en novembre (!) 2013 , sans autre raison, nous étions partis sur les routes de France et d'Espagne, jusqu'au finis terrae portugais de Cabo je ne sais plus quoi (!!) et retour par l'Andalousie et la Provence au fil de 7000 bornes (!!!) mémorables - je le dis parce que c'est vrai alors que je ne me rappelais rien, mais nib de nib, de notre première escale à Colmar avec les enfants il y a vingt ans de ça...

    12376297_10209121397298917_4429028376880192254_n.jpgProfiter de quoi ? - Cette année -là, déjà, les gens nous avaient recommandé de profiter, et déjà cela m'avait horripilé, comme de nous voir souhaiter de bonnes vacances. De fait et je le dis comme je le ressens: nous ne sommes plus à l'âge des vacances (notion que j'abhorre d'ailleurs) et l'idée de profiter me gâte le plaisir d'être simplement et de vivre le mieux possible malgré la conscience lancinante de l'atrocité de la vie subie par tant de gens et nos corps qui se déglinguent.

    Le mieux possible ainsi, en ne faisant que passer à Colmar, c'était d'apprécier une Flammekueche au Munster arrosée de bière printanière et de ne voir que la beauté séculaire des colombages en fermant les yeux sur le kitsch touristique qui sévit de la petite Venise du coin à tous les hauts lieux du mauvais goût mondial actuel du moyennariat confit en miévrerie insultant toute vraie joie (Mozart chantant à l'orée de la mort) et toute beauté même terrible - le Christ de Grünewald aux épines...

    102fea9fb0a231f5daabb67ce6112332.jpgLe pied léger.- Voyager léger n'est pas nier le poids du monde: c'est le reconnaître comme une part du chant du monde. Ainsi nous ai-je fait d'abord, sur la route, lecture du plein de journaux que j'avais fait, du Monde (révérence ultime à Jim Harrison) à L'Hebdo (trois Suisses sur cinq croient à la réincarnation) en passant par Détective (le monstre décapite sa belle-sœur fleuriste) et L'Obs (comment stopper Trump ?) par manière d'exorcisme et pour mieux voir ensuite, aujourd'hui et demain, tel le petit agneau noir pascal de Colmar, cela simplement qui est...

  • Ceux qui vont voir ailleurs

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    Celui qui ne sait pas pourquoi il repart faire le tour de sa chambre / Celle qui au seul nom de Bosch s'est décidée à faire un saut à Bois-le-Duc vu que c'est moi loin que L.A. point de chute de son cher inspecteur / Ceux qui avaient envie de revoir le retable d'Issenheim / Celui qui s’éloigne de l’autre côté des quais où l’attend le silence du lac / Celle qui dans le train de nuit relit Bartleby le scribe / Ceux qui renoncent (disent-ils) à s’exposer / Celui qui se croyant incompris en fait une pose un peu ridicule à la longue / Celle qui (dit-elle) a un jardin secret dans un autre pays / Ceux qui fuient la rumeur qu’ils alimentent malgré eux / Celui qui a élu domicile sur une colonne de stylite et qui peste de ne plus retrouver l’échelle pour en descendre nom de bleu / Celle qui va fêter à Vesoul la parution du 25e livre d’Adélie Bouton /Ceux qui célèbrent les morts de 33 ans y compris celle du Christ même si la date n’est pas sûre sûre / Celui qui est mort comme le Christ à 33 ans mais dans un fauteuil de dentiste suite au geste inapproprié de l’opérant / Celle qui va voir ailleurs si son boyfriend y est / Ceux qu’un accès de pudeur tardif fait renoncer à toute forme de divulgation de leurs secrets de famille sur Facebook / Celui qui croit s’amuser de tout et va en prendre plein la gueule vous verrez d’ailleurs c’est bien fait pour lui / Celle qui va refaire sa vie à Bombay après un lifting loupé / Ceux qui fêtent le centenaire du siècle écoulé depuis 1912 où vinrent au monde divers bambins doués épargnés par 14-18 mais pas par 39-45 / Celui qui pense que toute commémoration fait sens puisqu’elle fait date y compris celle des 4 premiers mois de son chien Snoopy ce matin dimanche au ciel agréablement bleu / Celle qui reste attentive à la courbe de popularité posthume de Dalida / Ceux qui font de la futilité une valeur à enseigner à leurs enfants conçus dans la légèreté / Celui qui se demande ce matin cequ’est devenu le romancier canadien Réjan Ducharme tellement discret à l’époque / Celle qui vomit sur le Quai Ouest les imbécillités qu’elle a été contrainte d’avaler au cocktail des auteurs de haïkus des Cantons de l’Est / Ceux qui restent à l’écoute disent-ils sur France-Culure qu’on reçoit hélas mal dans cette partie du Sahel / Celui qui se réjouit de faire un saut au Katanga pour voir un peu autrechose que des gendelettres gavés d’eux-mêmes / Celle qui a entendu parler de Big Brother par sa sœur adepte du jeu des fléchettes / Ceux qui ont entendu dire que Céline Dion aurait écrit un bouquin titulé L’Orage au bout de la nuit,etc.      

    Image: le Bouddha protecteur de La Désirade tel que les termites chinoises l'ont embelli à travers les siècles...

  • Le monde à livre ouvert

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    Une rencontre avec Nicolas Bouvier, en 1992.

     

    A l'ère du tourisme de masse et de l'exotisme débitant ses clichés, le voyage reste pour beaucoup un art à réapprendre. Or tout le parcours de Nicolas Bouvier s'inscrit dans cette perspective anti-exotique du voyage considéré comme une patiente lecture du monde, tant à travers l'espace que dans le temps, par le double jeu de l'empathie et de la mémoire.  

    Parti, à vingt ans et des poussières (et vingt ans avant les hippies), sur la route encore déserte de l'Orient, l'écrivain genevois en a tiré un premier ouvrage maintes fois réédité, intitulé «L'usage du monde» (La Découverte,1985), qui constitue à la fois la chronique limpide et savoureuse d'un routard avant la lettre, et un traité non sentencieux du savoir-voyager.

    Dans la même perspective, les «Chroniques japonaises» (Editions 24 Heures, 1990), cristallisant les observations d'un long séjour dans l'archipel nippon, et le «Journal d'Aran et d'autres lieux» (Editions 24 Heures, 1990), qui nous balade d'une Irlande fantomatique aux monts de Corée et aux brouillards chinois, poursuivent ce décryptage du monde où alternent portraits et évocations, notations cocasses ou digressions savantes. Quant au «Poisson-scorpion» (Editions 24 Heures, 1990), sans doute le plus beau livre que Nicolas Bouvier ait publié à ce jour — et qui lui valut lePrix Schiller et le Prix des critiques — c'est d'un «bad trip» qu'il rend compte au fil d'une prose admirable, tantôt restituant les chatoiements du monde avec lyrisme, et tantôt nous plongeant dans les sortilèges occultes de l'île de Ceylan.

    Plus récemment, Nicolas Bouvier a consacré ses efforts conjugués d'iconographe et d'érudit à une présentation tout à fait épatante de l'art populaire suisse (Ars Helvetica, vol. IX). 

    Enfin, au sommet de la tour de treize étages flanquant le vieux quartier de Carouge et où, ces jours, il s'affaire à l'archivage de trente ans de documents photographiques, l'écrivain évoque un projet d'écriture qui lui tient à cœur après tant de départs et de retours — quelque seize ans passés sous d'autres latitudes. Il s'agirait, pour lui, dans l'esprit qui inspirait un Jean Malaurie à l'approche des Esquimaux Inuit, de revisiter la Genève disparue de ses jeunes années...

    —   On dit que le voyage aiguise le regard. Or comment la Suisse vous apparaît-elle, à vous qui vous en êtes souvent éloigné? Et qu'éprouvez-vous lorsque vous y revenez?

    —   Divers séjours dans des universités américaines m'ont donné l'occasion, ces dernières années, de recentrer ma vision. Ma pluslongue absence n'a guère duré que sept mois, mais cela a suffi à me délivrer des poncifs que les intellos suisses alignent à propos de ce pays. Chaque fois que j'y reviens, je le trouve plus exotique. Je n'y vois pas du tout le pays casse-pieds qu'on prétend. C'est vrai qu'il y a des clans, des clubs et des cliques. Que j'évite. Mais j'y trouve aussi, concentrés sur un territoire infime, une profusion de gens intéressants. Bien sûr il y a les scandales fameux, mais cela ne m'a pas paru une mauvaise chose que l'image d'une Helvétie virginale et virtuiste en prenne un coup. Enfin, lorsque je reviens en Suisse,je suis frappé par la beauté de la campagne... et l'horrible français qu'on yparle! 

    —   Cela étant, vous avez bel et bien éprouvé, à vingt ans, le besoin de partir...

    —   En fait je suis parti dès l'âge de quinze ans! Il est vrai que ce n'étaient alors que de petites virées, mais, notez que la longueur du voyage ne fait rien à l'affaire: une pointe poussée en Bourgogne peut être aussi pittoresque qu'un périple en Mongolie. La curiosité a toujoursété plus forte, chez moi, que le besoin de fuir, même si, à l'époque de mes études, je tenais à échapper à une certaine convention carriériste de rigueur dans le milieu de bourgeoisie traditionnelle dont je suis issu. Au demeurant, je n'ai pas eu besoin de fuguer. Mon père, qui était un homme hypercultivé, mais que sa profession de bibliothécaire empêchait de beaucoup bouger,s'intéressait à mes découvertes et me pressait de les lui raconter. J'ai commencé à voyager vraiment dans l'Italie d'après guerre aux ruines encore fumantes. Puis ce fut la Laponie finnoise et le Sahara. Mais le premier grand choc, c'a été la découverte de la fabuleuse musique des Balkans, où je suis retourné plusieurs fois avant le grand départ pour l'Orient. La passion pour cette musique «sauvage», que nous allions écouter dans des auberges pleines d'odeurs d'oignon ou dans les mariages au coin des haies d'aubépines, représentait d'ailleurs un sésame dans la Yougoslavie de l'époque, qui restait soumise à un régime policier très sévère. 

    —    Votre départ pour l'Orient, en 1953,marquait-il une rupture avec l'Occident? 

    —    Absolument pas. Ella Maillart, lectrice du «Déclin de l'Occident», a fui l'Europe comme une civilisation déchue, mais je ne le ressentais pas du tout comme ça. Etudiant en histoire, j'admettais certes mal l'européocentrisme qui sévissait encore. Cela me gênait de n'entendre parler des civilisations lointaines que selon la logique du missionnaire ou du colon, et d'autant que j'ai toujours pensé qu'il y avait une continuité naturelle, dans le temps et l'espace, d'Asie en Europe et jusqu'en Californie. Ainsi, après un séjour de quatre ans au Japon, lorsque je me suis retrouvé en Corée, j'ai senti tout de suite que, de là, je pouvais rentrer à pied chez moi... 

    — Qu'est-ce qui vous a retenu si longtemps au Japon? 

    — J'y suis arrivé après un séjour à Ceylan où j'avais été très malade et très malheureux. Après la touffeur malsaine d'un incubateur,j'ai débarqué dans l'exquise fraîcheur d'octobre, en une période où les Japonais reprenaient confiance en eux. J'ai été très sensible au raffinement d'une culture tout à fait originale, et j'ai eu la chance d'explorer un Japon rural infiniment attachant, qui a probablement disparu à l'heure qu'il est. Enfin, je me sens proche du bouddhisme japonais, dont la vision du monde me paraît profondément réjouissante. 

    — Vous évoquez à plusieurs reprises, dans vos livres, un «monde complet», dont vous retrouvez ici et là des reflets, comme d'une sorte de paradis perdu. Pourriez-vous en dire plus? 

    — Il y a un beau mot, d'Eluard je crois, qui dit qu'il existe certainement un autre monde, mais qui se trouve dans celui-ci. C'est d'ailleurs cela qui me pousse à voyager. Dans tout ce qui compose un instant de vie, je pense qu'il y a des harmoniques, ou une héraldique, à déchiffrer, une lecture à deux niveaux. Je suis convaincu qu'en réalité le monde est tout le temps polyphonique, mais que notre lecture reste monodique par déficience mentale ou carence spirituelle, parce que nous sommes inscrits dans un temps linéaire, avec des projets, des échéances, des traites à payer. Parfois, cependant — et le voyage peut favoriser ces états —il nous arrive d'avoir des illuminations. Tout à coup il nous semble entendre toutes les voix de la partition. Ce sont des cadeaux que ces moments-là, qui enlèvent soudain à la mort ce qu'elle a d'inquiétant ou de révoltant, pour la restituer dans la polyphonie du monde. 

     

  • Paris parfait

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    Chemin faisant (131)

    Déplacements. - Paris, pour moi, c’est partout ; et le Paris que j’aime est partout parfait.

    D’aucuns se sont lamentés à la disparition de la librairie La Hune,sur le boulevard Saint-Germain, après celle du Divan et d’autres fleurons germano-pratins, mais faut-il en conclure pour autant que Paris n’est « plus ça » ?

    Ce n’est pas du tout mon avis. Bien entendu, le Saint Germain-des-Prés mythique de Vian et Greco n’existe plus et ce n’est pas d’hier, mais le déplorer, ou dénigrer le Montparnasse actuel au prétexte qu’on n’y trouve plus de bouchons où rencontrer Modigliani et quelque femme fatale, ou Cendrars ou Zadkine, me semble aussi vain que regretter le temps des rues médiévales bien fienteuses de François Villon, ou les maisons spéciales où le baron Charlus se faisait fouetter par de jeunes Apaches.

    12771527_10208759619654702_4105183201832636022_o.jpgTout se déplace à vrai dire, et c’est ainsi que l’on a transité naguère du Marais aux bistrots de la rue de la Roquette, et si La Hune n’est plus je me réjouis d’avoir découvert ces jours l’épatante librairie de L’Atelier, sur les hauts de Belleville, dont le choix du tenancier me donne à penser que rien n’est perdu.

    12792105_10208819663115751_3124586929444449845_o.jpgL’on me dit par ailleurs que plus personne ne lit, ou que la daube commerciale a tout nivelé. Eh bien, passez donc à L’Atelier, entre cent autres librairies parisiennes, et voyez les gens lire dans le métro et un peu partout…

    Métro Gaîté. – J’ai commencé à découvrir Paris en 1974, lors d’un séjour prolongé à la rue de la Félicité, dans le quartier des Batignolles, dans une mansarde jouxtant celle d’un vieux couple de Russes tendrement chamailleurs (lui chauffeur de taxi rangé des voitures, et elle couturière à façon).

    12783516_10208819661835719_9180600184750248625_o.jpgJ’ai découvert Paris en prenant tous les jours le métro de la station Wagram à n’importe où, du cimetière des chiens d’Anières à Montrouge où j’ai rencontréRobert Doisneau, en passant par Versailles et Levallois ou le grand corps malade bien vivant de Saint-Denis et le Kremlin du Colonel-Fabien.

    12771656_10208819661315706_5314927275265355952_o.jpg12747402_10208819656635589_2251581313318248259_o.jpgOr me revoici à la rue de la Félicité et c’est le masque : rue barrée, plus un café (ah le souvenir de l’Algérien mal luné d’a côté !) ni aucune autre boutique à l’exception decette sinistre galerie d’art à la gloire du ciment ! Mais je me suis juré de ne pas en tirer de conclusion, donc passons : c’est d'ailleurs ailleurs que ça se passe.

    IMG_0350.jpgSur la ligne claire. – C’est dans la petite librairie de L’Atelier (métro Jourdain ou Pyrénées) que j’ai déniché ce minuscule exemplaire (8x11cm) des éditions Cent Pages Cosaques (sic) consacré à l’un des sommets de la littérature mondiale et environs, à savoir : le récit de la mort de la grand-mère du Narrateur, dans la Recherche du temps perdu, assorti d’une postface de Bernard Frank qui illustre à merveille le style délié, fluide et pur, de la ligne claire française courant de La Fontaine à Stendhal jusqu’à Chardonne, Morand et Léautaud, entre cent autres.

    J’ai (re) découvert cette ligne claire en m’imprégnant, à matinées faites, des milliers de pages du Journal littéraire de Paul Léautaud dont l’intégralité de l’édition du Mercure se trouvait dans la mansarde que m’avait louée mon ami Germain Clavien, et j’ai retrouvé cette même ligne claire dans le romans et les nouvelles de Marcel Aymé dont un autre ami écrivain, Pierre Gripari, m’avait dressé l’inventaire durant un parcours de métro nous conduisant des abords de la rue Broca, où il créchait, à la Butte-aux-Cailles où nous allions nous rafraîchir(c’était l’été) à la piscine de la place Paul Verlaine.

    Mais assez de Paris pour aujourd’hui, car il n’y pas de bon bec que Paris ni de seule ligne claire à la française dans la foison des écritures.

    Or demain, avec Lady L. cette fois, nous remonterons à ses sources bataves par Bois-le-Duc où nous nous replongerons dans le chaudron de Jérôme Bosch, puis ce sera le Bruges de Brel et de Breughel, et ensuite voile au sud sur la Bretagne et le marais poitevin, sans manquer Nantes et les otaries du zoo de la Flèche, stars de la télé dont nous nous impatientons de vérifier l’existence en 3D…