UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui jouent avec les mots

    10247403_10203809373061631_3454033572124762205_n.jpg

     

    Celui qui chasse le calembourdon / Celle qui s’engage dans un double sens unique /  Ceux qui évitent Babel sur le chemin de l’oued/ Celui qui serre ses gloses dans son glossaire/ Celle qui retourne les mots comme des gants et les enfile comme des mains / Ceux qui vont de lapsus en collapsus par les raccourcis / Celui qui affirme que tout est langage et reste baba vu que l’écho ne répond pas / Celle qui comparant  le vieil instituteur à un morpion se montre juste sale langue puant des pieds / Ceux qui abhorrent les jeux de mots attentant à leur dignité de surveillants de dortoirs / Celui qui découvre que chasteté n’est pas vis en contrôlant son outillage /      Celle qui ne trouve point de lettré à sa hauteur qu’elle puisse vraiment interlocuter / Ceux qui forgent des mots de 140 lettres à balancer sur Twitter / Celui qui se dit quidam alors qu’il est juste Personne aux yeux du Cyclope / Celle qui fait révérence à quiconque lui montre son Q / Ceux qui abhorrent les jeux de mots au motif qu’ils  sont protestants de centre gauche / Celui dont la langue tantôt fourche et tantôt se frite / Celle qui réserve ses bons mots aux milieux de phrase  / Ceux qui slurpent le whiskey de Finnegans Wake dont la clé de la fiole n’a pas de serrure / Celui qui dit que si ce qui ne peut se dire doit être tu faut s'en remettre au tutu / Ceux qui passent de laconisme en loquacité sans dire autre chose / Celui qui conclut au malentendu pour un simple malécouté / Celle qui a le mot camion sur la langue et la remorque va suivre comme on verra / Ceux qui évoquent le blanc du verbe au lieu de regarder la neige tomber / Celui qui fait langue de velours à la forte en gueule / Celle qui presse le temps de rester à goûter / Ceux qui stressent à temps complet / Celui qui prend au mot la belle Belge bègue pas bégueule / Celle qui nous fait encore une grossesse verbeuse / Ceux qui laissent parler Michel Houellebecq ou plus exactement ceux qui parlent de Michel Houellebecq ou plutôt ceux qui ont entendu parler ceux qui parlent de Michel Houellebecq par ouï-dire, etc   

     

  • Eros mélancolique

    359560582.jpg

    À propos de Walter, nouveau roman d’Helene Sturm paru chez Joëlle Losfeld, délectable de style et de malicieuse songerie.

     

    La mélancolie n’épargne pas les enfants prodiges, on pourrait même dire : au contraire. Le fait d’écrire sa première tragédie en alexandrins, ou sa première symphonie, entre trois et cinq ans, loin d’exclure les états d’âme, tend plutôt à les exacerber. Les dons exceptionnels vont de pair, assez naturellement et au gré des vanités familiales, avec le sentiment d’être unique, mais aussi d’être seul par voie de conséquence - et même vachement dans certains cas.

    Walter n’a rien, pour autant, d’un Werther suicidaire avant l’heure, qui attend d’ailleurs l’âge assez avancé de treize ans pour se lancer dans sa première pièce. Avant cela, il n’aura guère écrit que quelques rédactions « pour lesquelles son professeur a regretté qu’on ne puisse pas dépasser une note de 20 sur 20 d’au moins trois ou quatre points, tant ses considérations imagées sur les dimanches pluvieux, la marchande de sable et son bagage à roulettes, la pisseuse de Picasso, le Petit et le Grand Albert, le rut des libellules et le défilé des chenilles processionnaires le 14 juillet sont drôles et surprenantes ».

     

    En rêveur organisé (il est tendancieux de prétendre qu’un rêveur ne sait pas mener sa barque, même s’il compte sur ses gardes du corps pour veiller sur ses pinces à vélo), Walter commence par lire tout ce que la bibliothèque municipale compte de pièces de théâtre (y compris LesThesmophories d’Aristophane), puis il cherche un titre en mordillant sa pointe Bic, tâtonne et finalement le trouve en se faisant admonester par une vieille pitéonne qu’il a failli renverser (« Souvent les vieilles dames sont invisibles. Souvent, elles marchent plus lentement que leur ombre. Il a l’impression de la traverser comme un nuage ») et qui lui lance cette injonction à la Zévaco (il a lu tout Zévaco) et « c’est cette phrase, sa cape er son épée, qu’il choisit finalement : « Passez votre chemin, godelureau ! ». Cela pour le titre.

     

    Ensuite le décor, les personnages, la première scène et les suivantes, qui se composent au fil des jours et plus volontiers « sur la pente du sommeil ». Tout ça plein de surprises fantaisistes et de trouvailles, entre le terrier d’Alice et un bazar aux accessoires poétiques ou dramaturgiques rappelant  tantôt Marcel Aymé, Pérec, Roussel, Larbaud et quelques autres pas forcément connus de Madame Bistre sa prof de français qui en pince pour lui et lui répètera par oral ou écrit : « écrivez,Walter », tandis que sa mère lui serine « Tu sais, Walter… » avant de conclure non moins mécaniquement « mais ce que j’en dis… »,de quoi rendre dingo un moins patient que lui. Ah, les profs de lettres poilues sous les bras, ah les mères qui ressemblent à Ava Gardner et raffolent de Belle du Seigneur...

     

    Chacun trouvera, dans le projet de pièce de Walter, ce qu’offre l’auberge espagnole ordinaire, didascalies comprises, mais ce qui compte ici n’est pas tant le contenu de la chose que le processus de son élaboration, où la malice de l’auteure fait merveille. C’est que Walter est à la fois un poète possible et un garçon bientôt rattrapé par son corps, ses boutons et sa pilosité nouvelle d'en haut et d'en bas. La quinzaine passée, de dramaturge il devient moraliste à aphorismes, dont le premier sera « À l’amour impossible nul n’est tenu ». Ses gardes du corps et néanmmoins amis dévoués Josselin et Ferréol, qu’un tendre amour apparie, ont peut-être inspiré le deuxième (« Deux crétins ensemble ne valent pas mieux qu’un imbécille solitaire »), mais la question de l’orthographe du mot imbécile, avec une ou deux ailes, reste pendante. Puis surviendra Sacha, qui n’est pas un garçon mais une fille, presque une femme avant l’heure, et d’autres aphorisme compléteront ses (futures) œuvres complètes, tels : « Dans le giron d’une vierge, n’importe quel garçon a l’air d’avoir été descendu d’une croix », ou encore : « Eros est un sale gosse capricieux ». Or c’est auprès de Samantha, moin bêcheuse que Sacha et nettement plus expérimentée, que Walter fera ses vrais débuts dans la vie qui se vit et s’écrit à la fois comme ça se prononce, sans trop savoir ce qu’il a envie de faire de son existence hors de la rêverie.

    Plus tard il y aura des baisers et le bac, les vacances à jamais incomparables d’après le bac  avec Samantha et les garçons collés l’un à l’autre comme des caramels, la mer aux Saintes et le camping, avant la suite de la vie qui les séparera, c’est sûr.

     

    Tout ce temps d’un lustre juvénile (et c’est le charme intense de ce livre restituant merveilleusement les temps de l’adolescence et de la prime jeunesse), la mélancolie n’aura cessé d’accompagner Walter en douceur, sans lui gâter sa santé. À la fin des vacances il en est là : « Walter rêvasse assis derrière dans la voiture, la tête de Samatha endormie sur son épaule, ce qu’il trouve très désagréable parce qu’il fait très chaud. Il aimerait que les garçons arrêtent de parler. Il aimerait beaucoup être tout seul. Il aimerait aussi pouvoir sortir de sa poche son carnet et son stylo. Il aimerait encore qu’il pleuve. Il aimerait plus que tout être dans un cinéma vide avec de belles images rien que pour lui. Il aimerait mieux encore être ailleurs. Il se demande s’il préfère une histoire de cul avec l’amour dedans, ou une histoire d’amour où il y a du cul. Il s’effraie de tout ce qui tue le désir, il voit bien que ça va très vite, que ça résiste moins bien au temps qu’un tout petit coquelicot sous une averse. Il n’a même pas l’endurance d’un tout petit coquelicot, il ne se redresse plus. Il se sait incapable de transformer le plomb des jours en feuille d’or que le moindre souffle fait vivre, la peau de chameau en peau de chamois, la perte blanche en filet de nacre, le gousset sali en enluminure, le rire cétin en rouge-gorge. S’il avait le courage de ses désirs, il dirait : posez-moi à la prochaine gare,je vais vers le nord, j’ai rendez-vous avec une gare qui va vers la mer ».

     

    Tout ça pour dire que c’est comme ça qu’Helene Sturm écrit, et que c’est l’essentiel. Dans la foulée, Walter s’est encore essayé, après le théâtre et les aphorismes, au genre épistolaire. C’est une autre voie du naturel littéraire, avec sa façon de transformer le plomb en feuille d’or-  mine de rien - , qui fait la qualité rare de ce roman de l’apprentissage au sens léger du terme. On est ici dans la pure ligne de Pfff…, premier roman dont c’est ici le préambule chronologique, à l’époque du premier Nutella et des Craven A, en cet âge dit bête qui est souvent moin con que l’âge adulte - mais là encore Walter nous balance un aphorisme pour la route : « Les préjugés sont souvent des boulets pour l’esprit ». Oh la la, ce que c’est bien dit. Surtout que c’est porté par un style d’une radieuse fluidité, n’était la mélancolie, dont l’érotisme est aussi englobant que nature… 

     

    Helen Sturm. Walter. Joëlle Losfeld, 158p.