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  • Ceux qui ont des vers dans le pied

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    Celui qui affirme que la poésie de Michel Houellebecq est à la fois peu de chose et trop de choses / Celle qui lit: "Tendre animal aux seins troublants / Que je tiens au creux de mes paumes / Je ferme les yeux: ton corps blanc / est la limite du royaume", et se dit: Michel tu m'empaumes ! / Ceux qui lisent à la page 60 de Configuration du dernier rivage le quatrain: "Lorsqu'il faudra quitter le monde / Fais que ce soit en ta présence / Fais que mes ultimes secondes / Je te regarde avec confiance " et en concluent que ce Michel Houellebecq en somme est le tout bon type / Celui qui situe les poèmes de Michel Houellebecq quelque part entre Paul Géraldy et Minou Drouet / Celle qui écrit dans un journal branché que la poésie de Michel Houellebecq est un dépassement de l'affirmé et un pari sur le simple / Ceux qui militent pour le transfert des cendres des cigarettes de Michel Houellebcq au Panthéon / Celui qui voit en Houellebecq le La Fontaine des vidures d'éviers / Celle qui ne se lasse point d'observer la jobardise des buzzeurs qui de toute façon de la poésie n'ont rien à siphonner / Ceux qui trouvent entre Balbec et Houellebecq une possibilité de rime riche à creuser / Celui qui pressent l'émergence d'une nouvelle poésie ouverte à la France d'en bas et même aux immigrés si ça se trouve / Celle qui rappelle à ses élèves qu'il n'y a qu'un Baudelaire par génération et qu'une Arielle Dombasle par BHL / Ceux qui kiffent le côté "vers dans le fruit" et caleçon flottant de la poésie de Michel Houellebecq / Celui qui croit savoir que Frédédic Beigbeder aurait "quelques vers sous le coude" / Celle qui prétend que ce pourri l'a plagiée dans son recueil Mon amour je viens primé par l'Académie de Lutèce et environs / Ceux qui se prennent les pieds dans leurs vers aux lacets mal noués / Celui qui offrira le nouveau recueil de Michel Houellebecq à son beauf pour embêter sa soeur licenciée en lettres auteure d'une thèse sur de les apories du désir chez Louise Labbé / Celle qui est bouleversifié par ces deux vers de Configuration du dernier virage qui résume tout ce que l'homme (et la femme) a pensé dès ses débuts en continuant d'espérer: " Au fond j'ai toujours su / Que j'atteindrais l'amour" / Ceux qui pensent comme Michel Houellebeca que l'amour c'est super même quand on roule au plomb, etc.

  • Vies et destins

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    Notes sur le flanc dans les couloirs de L'Hôtel-Dieu. À propos de Sixto Rodriguez, de Josef Czapski et de Dimitri.




    À Partir de quel moment, de quel événement, de quel signe une vie devient-elle destin ? Telle est la question que j'ai commencé de me poser tout à l'heure, allongé sur un chariot du service des urgences de l'Hôtel-Dieu de Paris (rien de grave en dehors d'une saignée subite genre Zambèze veineux qui a transformé ce matin ma chambre d'hôtel du Louisiane en virtuel lieu de crime), au milieu d'anonymes autrement amochés et plus ou moins gémissants...

    Rodriguez01.jpgOr je me l'étais déjà demandé, hier, après avoir assisté à la projection, à l'ancien cinéma Bonaparte devenu Saint-Germain, de ce film splendide et très émouvant de Malik Bendjelloul consacré à la destinée bien singulière du chanteur de rock latino Sixto Rodriguez, puis aux destins de mes amis Josef Czapski et Vladimir Dimitrijevic.

    Quoi de commun entre un chanteur américain oublié et ressuscité, un peintre polonais rescapé du massacre de Katyn et un grand passeur de littérature ?

    Ceci peut-être: une certaine façon de marcher un peu au-dessus de la terre, ou peut-être un style particulier dans la manière d'envisager la mise en ordre d'un hangar ou d'une chambre encombrée, ou simplement la façon d'être là en dégageant une espèce d'aura.

    L'aura de Rodriguez se pressent dans le timbre de sa voix et la substance émotionnelle de ses textes mais plus essentiellement dans ses moments de présence visible, compte non tenu de la mise en scène qu'on lui impose sans qu'il se dérobe, sa vérité étant ailleurs que dans le cirque du revival. Il y a un peu de kitsch romantique dans le conte de fée médiatique de ce chanteur de "protest songs" du début des années70, à peu près méconnu aux States pour ses deux premiers disques, rares merveilles pourtant entre Neil Young et Dylan, tombé dans l'oubli et retourné à son job d'ouvrier du bâtiment à Detroit pendant que ses disques, à l'autre bout du monde et à son insu complet, devenaient des emblème de la contestation en Afrique du Sud plombée par le puritanisme et le racisme de l'apartheid. Or ce qu'il y a peut-être de plus beau dans le film qui lui est consacré, plus encore que les concerts géants réellement émouvants marquant ses retrouvailles avec un public qui le croyait mort (le mythe de son suicide en scène avait fait florès), c'est l'éloge extraordinairement délicat que fait de lui un ouvrier parlant de lui, sur les chantiers autant que dans la vie, comme d'un artiste en toute chose.

    Czapski10.jpgAinsi était, d'une tout autre façon, Josef Czapski: artiste, écrivain, lecteur de poésie sous le plafond bas de sa mansarde de Maisons-Lafitte, vélocipédiste en grand manteau noir et béret, passant profond témoin de la Terre inhumaine, ainsi que s'intitule son livre le plus connu. Or j'imagine ce que ces murs, en l'Hôtel-Dieu, auraient à raconter de notre terre inhumaine, et me rappelle soudain ce que me disait un jour Czapski: que Simenon n'est pas du tout un Balzac belge mais un romancier russe !

    L'aura de Czapski: la mine un peu grave, pensive et triste, de son grand autoportrait en pied. Et sa voix haut perchée qui me revient aussi bien: "Mais savez-vous, mon cher, que j'ai été bien plus malheureux à vingt ans, lorsque j'étais amoureux, que dans les camps de concentration soviétiques !"

    Destin de Josef Czapski ? Deux moments pour le fixer: lorsque, ce matin-là à Cracovie, je lève le store de l'hôtel faisant face au Musée national et que je découvre, en grandes lettres, sur la façade grise, le nom du grand exilé, véritable conscience morale de l'intelligentsia polonaise et non moins grand oiseau dégingandé maniant ses pinceaux dans sa mansarde-atelier: CZAPSKI. Ou cet autre événement plus historique évidemment: la reconnaissance solennelle, par le pouvoir russe, du crime accompli contre 5000 officiers et étudiants polonais par les Soviets staliniens, longtemps attribué aux nazis.

    Vladimir Dimitrijevic voyait, dans les deux termes de vie et destin, une croix. C'est lui qui nous a révélé Vie et destin de Vassili Grossman, entre tant d'autres livres essentiels traduit du russe et de bien d'autres langues.

    Dimitri3.JPGOr ce que je revois de Dimitri à l'instant, sur une table bien mise par sa femme très douce et formidablement présente dans son apparente gracilité, Geneviève, mère d'Andonia, ce sont de pauvres services comme en usent les petits soldats en campagne, cuiller de fer et fourchette avec couteau combiné assortis, du genre qui se fixent l'un à l'autre. Etait-ce cultiver un mythe, alors que le jeune homme avait déserté l'Armée du peuple ? Un signe parmi tant d'autres de l'attachement des anges aux objets terrestres. L'inspecteur Columbo, c'est son pardessus; Czapski, son béret noir; Rodriguez son stetson et ses lunettes non moins noires...

    Destin de Dimitri: mystère ! Je ne veux pas voir que cette route fatale de ce jour-là du 23 juin 2010, ni que cet amas de ferraille. Qu'il soit mort si brutalement le jour d'une commémoration mystique de la mémoire serbe: je ne veux pas le savoir ! Rodriguez, Czapski, Dimitri, je les vois autour de moi dans la lumière de fin d'après-midi de ce jour de printemps qu'un crachin à la Simenon marque là-bas sur le macadam, devant l'hosto.

    L'Hôtel-Dieu: tu vises le nom, petit, gentil Lucas qui finit ta médecine, me scrute, me bassine de questions (buvez-vous ? fumez-vous? tuez-vous ?), me poses les fiches de l'électromachin et ne perds pas ton sourire à nous voir nous faire chier ensemble des heures...

  • Une folie allemande

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    À propos du Secret de Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder

    Rainer Werner Fassbinder n'était pas qu'un réalisateur d'une exceptionnelle fécondité: c'était aussi, et surtout, un médium visionnaire qui dépasse, à mes yeux, tout ce qu'en disent les cinéphiles et autres spécialistes de son époque. Ce diable d'ours hirsute avait raison de demander qu'on "lise" ses films comme des livres: c'était en effet une sorte de grand romancier de cinéma foutraque que RWF.
    Je l'ai ressenti une fois de plus,hier, en (re)découvrant Le secret de Veronika Voss (dont le titre allemand exact est La nostalgie de Veronika Voss), avant de reprendre la lecture du chapitre hallucinant des Frères Karamazov évoquant le dialogue du diabolique gentleman et d'un Ivan délirant, juste avant le suicide de Smerdiakov. Cette proximité de lecture m'a d'ailleurs fait penser que, bien plus que de Brecht auquel on l'apparente, Fassbinder est proche de cet autre médium génial, à vrai dire insurpassable dans la pénétration de la complexité humaine et des racines du mal social et individuel, qu'est Dostoïevski. En outre, ces deux auteurs traitent, dans les oeuvres en question, du thème de la folie, laquelle affole positivement leur écriture: au bord du délire contrôlé chez Ivan Karamazov, dans une sorte de vestibule mental pré-freudien, et par l'usage presque exacerbé de la lumière et de l'ombre dans le film de Fassbinder, en noir et blanc comme Effi Briest mais dans une tonalité plus brutale et glaciale pour ne pas dire une fois encore: folle.

    Fassbinder38.jpg Le Secret de Veronika Voss est le troisième élément de la Trilogie allemande de Fassbinder, dont la protagoniste est une ancienne diva du cinéma berlinois. Au mitan des années 1950, son mythe s'est terni, son scénariste de mari l'a quittée pour échapper à sa paranoïa de morphinomane, elle languit après un nouveau contrat mais reste assez séduisante pour taper dans l'oeil d'un solide chroniqueur sportif, aussi sain que sa petite amie et tombant pourtant sous le charme de la typique femme fatale. Lorsqu'il constate à quelle situation d'esclavage Veronika Voss est soumise par la neurologue Katz, qui trafique la morphine avec autant de machiavélisme qu'elle capte les fortunes, le brave Robert entreprend de l'arracher à la psy diabolique avec l'aide de son amie, saine jeune fille de la nouvelle Allemagne elle aussi, qui y laissera sa peau.
    Fassbinder34.jpgOr ce qui est le plus étonnant, dans ce semblant de mélo noir, c'est qu'il ne cesse de déroger à toute forme de réalisme linéaire, comme dans un cauchemar éveillé dans un dédale de verres de cages miroitants et de reflets. La mise en abyme du film dans l'histoire des films allemands est immédiate, dès le premier plan où Fassbinder lui-même apparaît dans le champ à côté de Veronika, mais le Labyrinthe aux illusions file la métaphore allemande bien au-delà des citations érudites, comme si la réalité elle-même était devenue produit de l'usine à rêves du nouvel Hospice occidental où non-dit, mensonge, amnésie et drogue contribuent à l'éblouissement nécessaire à la suite des Affaires.

    Fassbinder39.jpgLe miracle du cinéma de RWF, comme celui d'un Fellini dans une tout autre tonalité (mais le montage diachronique de ce film fait souvent penser à la narration apparemment chaotique d' Otto e mezzo) tient à l'équilibre subtilement dosé des éléments liés à la réalité historique (le nom de TREBLINKA tatoué sur le bras du vieux Juif, le ragot collant aux basques de Veronika seon lequel elle aurait couché avec Goebbels, etc.) et l'irréalité plus-que-réelle des personnages aux sentiments saisis dans toute leur complexité. Le job du spécialiste (Jean Douchet en l'occurrence, magistral en bonus) est de déconstruire la forme à la fois sophistiquée mais jamais précieuse de tout ça, tandis que pour ma part, je m'en tiens au déchiffrement du secret de tous ces personnages de roman , formidablement perçus et tenus ensemble par le Meister de Munich...