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Ibsen à l'extincteur

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Le version des Revenants présentée à Vidy par Thomas Ostermeier déçoit, en dépit d'un beau travail théâtral.

Les revenants, de l'auteur dramatique norvégien Henri Ibsen (1828-1906) fut une des pièces les plus violemment controversées de la fin du XIXe siècle. Le scandale qu'elle provoqua valut à l'auteur les pires injures, mais aussi de véhémentes manifestations de soutien de la part de toute une jeunesse qui s'y reconnaissait. C'est que cette machine théâtrale de guerre s'en prenait de front à l'hypocrisie d'une société plombée par l'esprit bourgeois et le puritanisme le plus étriqué.

Plus précisément, la pièce ouvre brutalement le placard aux secrets. Propriétaire d'un beau domaine perdu dans un trou de province, la veuve Alving a toujours tout fait pour cacher les frasques sexuelles de son notable de mari. Après que celui-ci l'a trompée dans sa propre maison, engrossant Johanne la bonne de l'époque, l'épouse prend le pouvoir sur le domaine auquel elle adjoint un asile de bienfaisance, qu'on inaugure précisément. Pour la circonstance, son fils Osvald, qui a vécu sa vie d'artiste à l'étranger, revient au bercail avant d'annoncer à sa mère qu'il est là aussi pour se reposer d'une terrible maladie dégénérative "héritée". Charmé par Regine, la jeune servante de sa mère, Osvald entrevoit une autre vie possible. Mais il ignore que Regine est la fille de l'ancienne bonne: secret de famille. Que Madame Alving jette d'abord à la face du pasteur Manders, conservateur des bonnes moeurs et plus encore des apparences, après que le Tartuffe clérical lui a rappelé ses "fautes" d'épouse insoumise et de mère laxiste !
Le titre de la pièce évoque les fantômes de son passé que Madame Alving croit entendre, symbolisant le retour, sur les fils, des péchés refoulés des pères. Or à tout ce noir social et moral s'oppose la réalité ténue et têtue de la joie de vivre et d'un soleil physique et mythique finalement évoqué par Osvald alors qu'il meurt, extasié, d'une dose létale de morphine.

F35B8557.jpgÀ relire aujourd'hui la pièce, d'Ibsen, on constate toujours sa force critique dévastatrice, qui pourrait s'appliquer aux faux semblants actuels. Or Thomas Ostermeier peine à transposer le puritanisme d'une époque à l'autre. Dans la pièce, le pasteur Manders est évidemment un ecclésiastique norvégien de 1882, mais le même type existe aussi de nos jours, suave et pleutre, moralisant et vicelard. On le sent très fort dans le personnage du pasteur de Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman, comme chez nombre de romanciers américains contemporains. Mais quoi de commun entre le Manders d'Ibsen et le clergyman fade, lisse, creux et criseux campé par François Loriquet ? Ne chargeons pas le comédien, qui "fait le job", tandis que toute l'attention d'Ostermeier se porte sur la seule relation, oedipienne jusqu'à l'hystérie, liant Madame Alving (Valérie Dréville, remarquable au demeurant) et son fils paumé-cassé Osvald (Eric Caravaca, excellent lui aussi). Dans une optique freudienne réductrice, sur fond de débâcle sociale et psychologique, les deux personnages semblent jouer une pièce à part. Alors qu'Ibsen se défendait d'avoir écrit une pièce nihiliste, c'est bien une dévastation complète qu'illustre en crescendo la mise en scène d'Ostermeier.

Et tout ça pour dire quoi ? Rien qui relance vraiment la critique fondamentale d'Ibsen en termes actuels intelligibles. Avec sa maestria de metteur en scène éprouvé, à grand renfort de plateaux tournants et de projections vidéo, sans oublier un extincteur symbolisant la révolte désespérée d'Osvald, Thomas Ostermeier semble plus soucieux ici d'accomplir une performance scénique "panique", dans l'esprit du temps, que d'empoigner une pièce qui pourrait nous rappeler que les faux-semblants, l'hypocrisie, la religiosité rapace, le mépris des femmes et des artistes, le désarroi des jeunes gens et le culte de l'argent n'en finissent pas de "revenir"...
Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu'au 29 mars.

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