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Contre la soumission

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Notes de l'isba (24)

Du viol voilé .- Le terme d'abus, à la fois précis et vague, désigne aujourd'hui toute une série d'actes à caractère également sexuel mais de gravité très variable quoique également punissables, de l'attouchement au viol qualifié. Des gestes, qu'on dit aujourd'hui "inappropriés", relèvent ainsi de la justice en nos sociétés dites évoluées, qui faisaient partie naguère du comportement "normal" du dominant, le plus souvent masculin. Alors la liberté du dominant ne s'arrêtait pas à la frontière de celle du dominé, comme les nouvelles lois l'y obligent, mais elle s'imposait selon son désir et son plaisir. Cette soumission de force est encore en vigueur un peu partout dans le monde et ce n'est pas demain, ni par les seules lois, qu'on y changera vraiment quelque chose si le désir de liberté ne se fait pas plus dominant. On voudrait croire que ce soit un beau progrès que les dominés soient aujourd'hui mieux protégés par des lois condamnant les "gestes inappropriés", entre autres manifestations de la force, mais la défense de la liberté n'est-elle qu'une affaire de lois formelles et de contrainte extérieure ?

C'est l'une des questions fondamentales que pose La Folie de Dieu, remarquable essai de Peter Sloterdijk qui aborde tous les aspects religieux et sociaux, psychologiques et familiaux du monothéisme sous ses trois formes principales (judaïsme, christianisme et islam) et leurs dérivés universalistes, tel le communisme et antérieurement ce qu'on pourrait dire l'Eglise de l'homme, issue des Lumières et reproduisant les modèles hiérarchiques verticaux et la référence à l'Unique, comme on le voit chez Rousseau. Dans la foulée, et jusqu'à ses avatars les plus triviaux, telle la publicité et sa "persuasion clandestine", la logique de la soumission et le viol voilé de notre liberté reste toujours en question.

De l'agenouillement. - Dans son approche des rites de maintien en forme des croyants (genre fitness physico-spirituel), Sloterdijk rappelle que le musulman pratiquant, à raison de dix-neuf inclinaisons et deux prosternations répétées cinq fois par jour, accomplit vingt-cinq inclinaisons et dix prosternations quotidiennes soit, par année lunaire, 29090 inclinaisons et 3540 prosternations, avec les récitations d'accompagnement. Et le philosophe de rappeler que seuls les ordres monacaux, au Moyen Age, exigeaient de tels exercices des seuls moines aux heures canoniales, sept fois par jour.

Or, y a-t-il de quoi s'extasier d'admiration ou de quoi se moquer ? Sauf à se moquer aussi des rites collectifs plus ou moins massivement grégaires des sectes multiples et des groupes sociaux adonnés à l'adoration du ballon de cuir ou du puck, de la performance tous azimuts ou de la compétition élevée au rang de culte, gardons-nous de juger. Cependant cet exemple de la prière collective obligatoire pratiquée par les musulmans, et la question que pose ce zélotisme qui intègre de force la soumission à l'Unique dans le quotidien, ne peut manquer de nous faire réfléchir sans offenser pour autant les fidèles. Pour ma part en tout cas, moi qui ai toujours été viscéralement rétif au drill militaire ou à toute forme de biribi, je m'interroge.

Et comme je comprends mieux, maintenant, la révolte enragée de mon ami l'écrivain tunisien Rafik Ben Salah devant les agenouillés encombrant la rue de Marseille, l'année dernière à Tunis où nous nous trouvions ensemble, avant la victoire qu'il redoutait du parti Ennadah...

Rafik.jpgDu terrorisme sacré - Rafik s'est fait menacer de mort pour avoir attaqué, dans nombre de ses romans et de ses nouvelles, la triple domination du père, de l'imam et de l'Unique. Or je vois, mieux aujourd'hui, à la lumière aussi d'un abus survenu dans notre propre famille, réglé en justice et conduisant le prédateur en prison, en quoi la domination du mec, pour parler vulgairement, participe de cette soumission volontaire au Dominant absolu justifiant, explicitement ou inconsciemment, guerres et mains au cul. Lorsque l'acteur noir Forest Whitaker, pour se féliciter publiquement à la réception de son Oscar, déclare qu'il remercie Dieu d'avoir toujours cru en lui, il ne fait en somme, ainsi que le souligne Sloterdijk, que proclamer tout haut ce que son narcissisme dicte tout bas au mec dominant. Quant à moi, je veux croire que le Christ fout la pagaille dans ce délire vertical, même si l'Eglise lui colle une épée à son corps défendant et le trahit en instaurant l'ordre super-dominant du Grand Inquisiteur. Le Christ ne me demande pas de me soumettre, sauf à mon désir de liberté, qui ne va pas sans l'amour porté à la liberté de l'autre.

Peter Sloterdijk. La Folie de Dieu. Pluriel 187p

Commentaires

  • Réflexions de haute tenue. Merci.
    Et meilleurs vœux pour cette année 2013, à toi et ceux qui te sont chers

  • Merci camarade, et passez vous aussi, toi et les tiens, d'heureuses fêtes au bord de la taïga. Amitiés et vive la vie bonne !

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