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Mon Goncourt 2012

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Une lecture du Bonheur des Belges de Patrick Roegiers (1)

Le Prix Goncourt 2012 sera belge ou ne sera pas. Je le fanfaronne tranquillement en lisant Le Bonheur des Belges de Patrick Roegiers, à paraître le 5 septembre prochain chez Grasset. Je ne suis pas seul à penser que le Prix Goncourt gagnera fort à se voir attribué à ce livre : Patrick Roegiers le pense aussi tant il est lui-même fanfaron. J’ai connu Patrick au Salon du Livre de Balma en 2005, et tout de suite ce grand diable m’a exaspéré par sa fanfaronnade avant de me devenir sympathique autour d’une table de bistrot où nous avait emmenés Daniel de Roulet, sur quoi je découvris un écrivain hors norme. Cette évidence m’est apparue à la lecture rétrospective d’Hémisphère nord  (paru en 1995 et gratifié du Goncourt belge que représente le Prix Rossel) puis se confirma avec Le cousin de Fragonard et La nuit du monde, autant que dans Le Mal du pays, autobiographie de la Belgique où le romancier a puisé ses personnages et ses décors afin de brosser cette fresque carnavalesque à la fois rutilante et réjouissante, revigorante et ravigotante, bonnement ravissante au sens du ravissement des Sabines par les Sabins.

Le Bonheur des Belges fait naturellement pendant au Chagrin des Belges du vormidabel Hugo Claus ; et naturellement, quoique prisant fort le maître flamand, je préfère son compère bruxellois qui se prend illico par la main de Victor Hugo pour grimper avec celui-ci (en train d’achever ses Misérables) sur la butte de mémoire de Waterloo au pied de laquelle il est écrit : « L’accès de l’escalier est interdit avec des frites ».      

Patrick Roegiers (prononcez Roudgirs) est un écrivain hugolien quand il évoque l’auteur immense de L’Homme qui rit et de La Légende des siècles, napoléonien quand il décrit de près le « petit tondu », et plus encore rabelaisien (Alcofribas étant un auteur potentiellement belge de par son universalitude) par son mélange d’érudition joyeuse et son amour de notre langue qu’il trousse avec une vigueur inégalée ces jours de météo littéraire maussade en France française.

Le Bonheur des Belges raconte l’histoire d’un crâne petit garçon qui commence, en rêve, par se débarrasser de sa mère dévorante, laquelle lui apparaît sous les traits de la Yolande Moreau du film Quand la mère monte. C’est un bon début pour se lancer dans la vie rêvée et la selva oscura de la mémoire belge dont le premier Virgile sera donc Torugo.

Patrick Roegiers sait tout des aventures de Torugo en Belgique, évoquées sur un ton vif et frondeur qui fait la première qualité du Bonheur des Belges, façon « ligne claire». Virtuose avéré des longues phrases, Patrick Roegiers raccourcit celles-ci pour être plus et mieux lu, les dégage autour des oreilles afin de les rendre plus musicales et les fait onduler et crépiter et se déployer en évocations saisissantes, notamment dans la reconstitution de la bataille de Waterloo qui introduit une autre composante essentielle du roman : savoir sa façon de baiser le Temps. On sait depuis Lucrèce, Spinoza et Proust que tous les temps sont dans la nature, surtout en ce pays fictif par excellence qu’est la Belgique. On découvre en outre que tous les temps sont permis au pays de Thyl Ulenspiegel.

Le premier morceau d’anthologie du Bonheur des Belges (cf. L’Anthologie des oeuvres de Patrick Roedgiers, à paraître en 2047 pour le centenaire de l’auteur) est repérable entre les pages 36 et 38 du roman, traitant de la dualité fratricide de la famille belge où l’Histoire européenne vit parfois un Franz et un Frans s’entrebaïonetter avec des élans de ferveur meurtriers pour le compte de belligérants qui n’usèrent pas autrement des mercenaires suisses.

Je cite à la volée : « Les Belges ont peu de fierté naturelle. Ce sont de fieffés saccageurs. (…) Voici le cas de deux frères devenus adversaire par caprice de l’Empereur. Ils ont tous deux l’âge d’aller à la guerre. L’un s’appelle Frans et l’autre Franz. Ils ont le même âge, un air de famille et un accent semblable, mais parlent des langues différentes, ce qui les a fait s’enrôler dans des camps opposés, mais ils auraient pu échanger leurs place et revêtir l’uniforme de l’ennemi. (…) L’un a un cœur de diamant, l'autre de pierre. Aucun des deux n’est à même d’assurer seul son rôle (…) L’un ne s’adresse à personne, l’autre fait appel à tout le monde. Chacun baragouine sa propre langue, mais ils ne s’entendent que si les deux se parlent ensemble. L’un est de partout, l’autre de nulle part. L’un est jaloux, l’autre envieux. L’un est élancé, l’autre trapu ».

Ainsi de suite et ceci encore : « L’un aux côtés de l’Empereur est sergent, l’autre aux côtés des Alliés est simple caporal.

-          Toi ici ?, dit Frans.

-          Toi aussi ?, dit Franz.

-          Tu es plus qu’un frère pour moi.

-          Tu es mon alter ego.

-          Et toi, tu es moi-même.

Et la belle paire de s’embrocher : « On retrouve les deux frères dans les bras l’un de l’autre, enlacés dans une commune agonie, unis dans un baiser de haine à quoi les achemine leur distincte trajectoire. Waterlooser ! »

     Le deuxième morceau de choix du Bonheur des Belges suit entre les pages 43 et 66, relatif à l’évocation de la bataille de Waterloo et au portrait de Napoléon vue de tout près par le jeune narrateur. Il faudrait tout citer. Mais on m’appelle à table ! La suite suivra…

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