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  • Ceux qui se font du cinéma

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    Celui qui prétend vivre une vie dangereuse en dépit de son salaire de fonctionnaire de la culture cachetonnant à la télé / Celle qui est toujours en instance de casting / Ceux qui citent volontiers ce qu’ils ont dit la semaine dernière à France Culture / Celui qui affirme que le palace de Gstaad n’est plus ce qu’il était avant l’arrivée des Hallyday / Celle qui envoie son dernier recueil de vers à PPDA pour « au cas où » / Ceux qui ont été de tous les aftères des années 90 après quoi y a plus qu’à tirer l’échelle / Celui qui annonce le tsunami éditorial de son prochain roman à clefs / Celle qui se fait un brushing ébouriffé genre après le viol sauvage de la Bête / Ceux qui ne parlent qu’en termes de goût pluriel / Celui qui remarque que celui qui lit du Sade n’engage que lui / Celle qui affirme que Sade doit être jugé en fonction des séquelles du sadisme dans les cours de récré / Ceux qui te reprochent ton « rire inapproprié » et auxquels tu réponds par un regard qui signifie que tu leur pisses au cul mais ces gens-là ne savent plus lire dans les yeux des malappris de ton espèce et ça vaut mieux pour l’ambiance / Celui qui te demande comment tu te situes dans le champ littéraire et auquel tu réponds que tu y pionces volontiers les côtes en long / Celle qui optimise la valeur « soleil » de sa journée de battante / Ceux qui n’en ont qu’au sous-texte / Celui qui suinte de compassion dès que la caméra tourne / Celle qui ouvre un Espace Lecture où elle espère s’éclater avec de jeunes poètes attentifs à des muses d’un certain âge / Ceux qui ont les enfants en horreur surtout en piscine couverte / Celui qui montre son vilain membre à une écolière qui passe son chemin sans rien remarquer vu qu’elle est myope comme un ange / Celle qui croit que sa fille ira au ciel plus tard et qui aura en effet un tas d’amants charmants plus tard ou peut-être même avant / Ceux qui se préparent à fêter les 35 ans de la mort du chat de Céline qu’était pas antisémite au moins celui-là, enfin j’espère Bébert, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Une autre beauté

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    Lucian Freud est mort ce mercredi 20 juillet 2011, à l'âge de 88 ans. Retour sur sa dernière exposition à Beaubourg, en 2010.


    Dieu que la laideur est belle ! se dit-on en pénétrant dans L’Atelier de Lucian Freud, éclatante présentation de grands portraits d’une intense densité de présence, dont certains dérogent évidemment à l’idée conventionnelle qu’on se fait aujourd’hui encore d’une belle femme ou d’un bel homme dénudés. Un siècle et des poussières après L’origine du monde de Courbet, représentant un sexe féminin en gros plan et sans voile, certains des nus de Freud continuent de choquer d’aucuns, non tant pour la nudité de leurs sujets que pour la « laideur » présumée de ceux-ci et les poses abandonnées voire lascives que le peintre leur fait prendre. « La chair est là comme elle est avec ses moires violacées et ses vergetures », semble dire Lucian Freud en peignant l’énorme Benefits Supervisor endormie sur un divan à ramages, qui tend à accentuer l’aspect organique de son modèle.arts plastiques

    freud.large-interior.jpgUn film où Benefits apparaît au naturel la montre d’ailleurs en réelle beauté, avec une sorte aura. De la même façon, Freud se sert du performer Leigh Bowery en poussant son exhibitionnisme naturel à l’extrême, comme pour désamorcer, précisément, son obscénité. Dans une critique virulente (parue dans Le Monde du 11 mars 2010), le critique Philippe Dagen stigmatise ainsi un «peintre académique de l’obscène», alors qu’il nous semble au contraire que Freud échappe à la double convention du « bien peindre » et de la «provocation».
    arts plastiquesUn autre soupçon de « fabrication » plane sur « le peintre vivant le plus cher du monde », mais là encore il nous semble que c’est ne rien dire de ce que montre vraiment Lucian Freud: la beauté de ce qui est. Beauté paradoxale, insolite mais plus-que-réelle, d’un minable lavabo à deux robinets filant une eau claire. Beauté de foisonnants feuillages détaillés avec la minutie anachronique d’un Dürer peignant sa fameuse touffe d’herbe, ou d’un terrain vague vu de la fenêtre, avec son fatras d’objets abandonnés. Beauté souvent étrange, voire inquiétante, soulignée par des cadrages inhabituels, comme dans ce grand autoportrait à la Bacon, en contre-plongée monumentale écrasant les figures minuscules des deux petits-enfants du peintre.
    Freud13.jpgContre la beauté flatteuse d’un érotisme de pacotille, voici celle des corps rejetés mais vibrants encore de désir, des animaux toujours « évidents » et purs, des draps en désordre ou d’un plancher ingrat magnifiés par un rayon de lumière matinal.
    Cette beauté « pure » de l’être vivant, le petit-fils de Sigmund Freud la capte enfin magistralement dans ses autoportraits lancinants, tantôt en grand plantigrade nu brandissant ses pinceaux, tantôt en profil de saurien vaguement menaçant, avec son air de s’étonner à jamais de l’émouvante beauté de ce monde tel qu’il est, moche comme il est, abandonné comme il est mais qui nous demande de le regarder.
    Freud23.jpgPeinture lourde comme la chair des hommes, à laquelle l’usage du blanc de Krems ajoute ses pesants et discordants grumeaux, peinture d’après toutes les guerres et les révolutions du terrible XXe siècle, peinture d’après tous les débats sur la représentation et l’abstraction : telle est le peinture de Lucian Freud qui prête à la reine d'Angleterre couronnée une trogne un peu navrée mais si vraie - toute « laideur » devenant beauté chez lui parce que modulant une vérité…

     

    Paris. Centre Pompidou. Musée national d’art moderne. « Lucian Freud. L’Atelier », 2010.

     

  • Le siècle des Gallimard

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    Gaston, dit « le roi lire », a jeté en 1911 les bases de la maison d’édition littéraire la plus cotée au monde.

    Le nom de Gallimard relève aujourd’hui du mythe. Plus que la marque d’une maison d’édition au renom mondial, il incarne l’emblème par excellence de LA littérature, avec son aura sans pareille. Publier chez Gallimard fait toujours figure de «rêve» pour un auteur, tant en France qu’à l’étranger. Or ce nom mythique a une histoire, truffée de péripéties réelles et de multiples légendes.

    Il y a ainsi un roman des «gallimardeux», comme les raillait l’insortable Céline, qui recoupe la chronique du XXe siècle. Du côté dynastie familiale, on trouve une saga de demi-dieux bourgeois bien peignés et cravatés, à l’image du fondateur, prénom Gaston, qui rêvait plutôt de ne rien faire en son indolente jeunesse. Fils de rentier collectionneur de tableaux, Gaston n’avait pas, de son propre aveu, la vocation d’un éditeur. Les mondanités brillantes, les femmes, les voitures rapides avaient la préférence du dandy. Jusqu’au moment où, en 1911, quelques écrivains fondateurs de la Nouvelle Revue Française (N.R.F.), André Gide en tête, virent en lui le possible gérant, fortuné et disponible, d’un «comptoir d’édition». Destinée à relayer la revue en publiant une pièce de théâtre, L’Otage, d’un certain Paul Claudel, ladite maison ne portera le nom de Gallimard qu’en 1919, lorsque Gaston s’affirmera «contre» Gide en fondant alors  sa première librairie. Des péripéties houleuses marqueront cette transition, largement documentée par Pierre Assouline dans la bio référentielle qu’il a consacrée au fondateur.

    Génie imprévu

    Ainsi que le rappelle en outre Philippe Sollers dans ses Mémoires (Un vrai roman, Plon, 2007), le paradoxe de la maison Gallimard tient au fait que ses fondateurs aient été des écrivains, auxquels un «dilettante» opposa bientôt son sens des réalités et son génie inattendu. «Je ne suis pas un commerçant comme un autre, j’ai passé un pacte avec l’esprit», dira plus tard Gaston, qui a su s’entourer de gens hautement compétents tout en pratiquant lui-même l’art  acrobatique de la conciliation en «dompteur de fauves», selon l’expression de Daniel Pennac...

    De toute évidence, une direction laissée à des auteurs eût coulé en peu de temps les éditions de la NRF. La première gaffe de ces hommes de lettres, dont Gide se repentira, fut de «louper» Un amour de Swann de Marcel Proust en 1914. Gaston le rattrapera en publiant  A l’ombre des jeunes filles en fleurs, qui vaudra à Gallimard le Prix Goncourt 1919. Il corrigera par la suite d’autres «erreurs» de son Comité de lecture, notamment en accueillant Joseph Kessel ou Georges Simenon, jugés trop peu «littéraires» mais dont le succès populaire permettra à Gallimard de publier des auteurs plus «difficiles». De la même façon, un malentendu est à l’origine du premier «clash» avec Céline, qui publiera Voyage au bout de la nuit chez Denoël.

    Relations complexes

    Le 30 juin 1961, deux jours avant sa mort, le même Céline écrit à Gaston pour  lui annoncer son prochain roman, Rigodon, en exigeant une rallonge financière sous la menace de louer un tracteur et de «défoncer la N.R.F.». Il faut d’ailleurs lire Les Lettres à la N.R.F, de Céline (Gallimard, 1991) pour évaluer la nature complexe, parfois tordue, théâtrale voire comique, des relations entre un auteur et un éditeur. Or dès 1919, avec Proust qui lui reprochait de négliger ses auteurs, Gaston Gallimard avait usé de la plus suave ironie pour rassurer le cher Marcel.

    Un aspect  non négligeable du génie de Gaston est aussi d’avoir pensé son catalogue dans le temps, en assurant sa descendance. Au «roman» de Gaston, flanqué de son frère Raymond, s’ajoutent ainsi ceux de Claude, son fils, et d’Antoine et Isabelle, entre autres héritiers. Pour la pérennité de la légende, notons enfin qu’un bout de la rue Sébastien-Bottin a reçu, en 2011, le nom de Gaston Gallimard. Enfin, un album joliment illustré nous fait visiter, à l’enseigne de 5, rue Sébastien-Bottin,les salons et les bureaux, les recoins et jusqu’aux caves du «saint des saints» parisien de la maison Gallimard…

    Gallimard2.jpgPierre Assouline, Gaston Gallimard. Folio.

    5, rue Sébastien-Bottin.Gallimard, 2011.

     

     

     
     

     

     

     

     

  • Entretien avec JLK

    Jean-Louis Kuffer ou l'écrivain prodigue. Ce matin sur le blog de Jean-Michel Olivier, écrivain de la comédie romande: http://jmolivier.blog.tdg.ch/

    Enfant9.JPGC'est l'un des plus beaux livres de ce début d'année. Un livre tout à la fois intime et ouvert sur le monde.  Un livre qui creuse au plus profond la terre du langage et emporte le lecteur, dès les premières lignes, dans un tourbillon d'images, de sensations et de musique. En même temps qu'un retour vers l'enfance, perdue, puis retrouvée, L'Enfant prodigue* retrace un chemin singulier, ressuscitant les chères ombres disparues (le père, la mère, le frère, les grands-parents mythiques) pour leur rendre, au centuple, ce qu'elles lui ont donné : la joie et la curiosité, le désir d'être libre et d'écrire. L'Enfant prodigue est un livre qui va compter non seulement dans l'œuvre de Jean-Louis Kuffer, écrivain, journaliste, peintre et blogueur, œuvre riche, déjà, et profondément personnelle. Mais également dans la littérature de ce pays qu'il ouvre sur le chant du monde.

    — Dans la parabole biblique, l'enfant prodigue est celui qui revient vers son père après l'avoir abandonné. A cette occasion, le père organise une grande fête et se réjouit : « L'enfant que voici était mort, dit-il, et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé. » Vers quel père, vers quelle patrie, votre enfant prodigue essaie-t-il de revenir ?
    — La parabole évangélique du Fils prodigue ne se borne pas, à mes yeux, à la leçon moralisante qu’on en  tire, du rejeton parti en ville faire les quatre cents coups et qui revient pour se soumettre au père. Ce qui m’y touche  est la joie du père à revoir son garçon, qu’on croyait perdu, et ce qui m’intéresse est la jalousie du frère, semblable à celle de Caïn. Comme ce dernier, le frère du fils prodigue ne comprend pas que son père traite mieux celui-ci que lui-même, qui a  continué d’aider son paternel en toute fidélité, alors que le père discerne ce que signifie le retour du fils «perdu». Cela étant, j’entends aussi le terme de « prodigue » dans un sens plus immédiatement généreux, désignant l’enfant qui donne beaucoup après avoir reçu beaucoup. C’est comme ça que j’ai vécu nos enfances, et je parle au nom de ma génération de l’immédiat après-guerre : comme un don prodigue qui appelle naturellement une reconnaissance. Si ce livre fait retour à une « patrie », je voudrais que cela soit conçu hors de toute référence conventionnelle, familiale ou nationale. Cependant je revendique bel et bien une filiation, qui relie le narrateur à l’amont autant qu’à l’aval. L’enfant prodigue est en effet ce que nous avons été, et ce que nous serons par le don régénérateur de nos enfants.


    — Ce qui est beau, dans L'Enfant prodigue, c'est que vous recomposez l'enfance à partir des premiers mots, perdus et retrouvés, qui resurgissent de votre mémoire. On pense à Michel Leiris (dans La Règle du Jeu) ou à Nathalie Sarraute (dans Enfance). Quels auteurs et quels livres vous ont marqué dans  votre enfance ?

    images-2.jpeg— Pour ce qu’on appelle l’enfance, disons jusqu’à dix ans: aucun auteur. Mais des tas d’histoires, et l’une d’elles qui a ressurgi dans L’Enfant prodigue, avec les personnages du petit et du grand Ivan : Londubec et Poutillon, relue récemment. L’histoire de deux garçons, d’un onirisme assez incestueux, Bouvard et Pécuchet en version érotico-angélique...


    — On pense aussi à Proust en vous lisant, tant l'importance de la mémoire est grande. Tant les souvenirs de l'enfance semblent garder intactes toute leur lumière et leur musique…
    — Cela vient, je crois, avec l’âge et le temps. Ce que je retiens de Proust, que je pratique à n’en plus finir, c’est que la mémoire est incessamment recréatrice et que l’écriture dévoile et enrichit ce palimpseste à force d’attention flottante plus ou moins  délirante. Plus on va vers la tombe et plus le moindre détail se précise du passé recouvré. En ce sens, ce livre n’est aucunement un « album de souvenirs » mais un essai de dévoilement poétique continu.


    — Votre livre est composé de sept parties : on part du jardin enchanté de l'enfance pour arriver à l'enfant à venir. Comment le texte s'est-il écrit ? Aviez-vous dès le départ cette idée que le passé rejoint l'avenir ?

    — Les sept parties du livre correspondent aux heures canoniales, de la nuit à la nuit, et par les saisons et les années succesives. Plus prosaïquement, il est ponctué par chaque retour à la table, des aubes nocturnes du début, correspondant à la nuit des temps de l’enfance où se forment les premiers mots, à la lumière ultime de Pâques. Je n’ai pas suivi, cela va sans dire, un schéma si contraignant, mais je voyais bien cette « courbe » qui marque  la progression du livre.


    — Vous consacrez de très belles pages à la nature dans votre livre (promenades, escapades, découvertes). Quel rôle joue-t-elle encore dans votre vie ?

    — À vrai dire je baigne dans la nature, qui incarne à mes yeux la divinité de l’Univers. Je ne suis pas du tout panthéiste, ni même déiste à la Rousseau, mais la nature est mon institutrice absolue : j’y puise la beauté, la bonté de ceux que j’aime, la vérité de ce qu’on peut dire d’elle , le mystère de ce qu’on ne peut pas dire, enfin tout ça. Il va de soi que les grandes villes font partie de la nature, mais je suis ataviquement plus proche du sauvage tellurique, la montagne derrière et le lac devant, comme je vous écris...

    — Il me semble que L'Enfant prodigue reprend et prolonge certains thèmes que vous évoquiez déjà dans Le Pain de coucou** (1983). En particulier la figure étonnante de vos grands-parents…
    images-3.jpeg— Les aïeux, comme les oncles, sont intéressants par le fait qu’ils sont mieux « sculptés », dans la lumière du temps, que les parents : on les voit mieux, ce sont déjà des sortes de fées ou de héros, ils nous foutent aussi la paix. On voit cela très bien chez Proust, en comparant « Maman », dont la présence reste paralysante, voire tyrannique, et la grand-mère qui laisse le Narrateur évoluer plus librement. Dans Le Pain de coucou, les aïeux alémaniques étaient assez bien silhouettés, me semble-t-il, mais il a fallu trente ans de plus pour que le grand-père paternel devienne à son tour ce personnage du mentor adorable dans L’Enfant prodigue.

    — Un mot revient souvent dans le livre : la joie. Est-ce la joie des retrouvailles (avec l'enfance) ? La joie, comme dit la parabole, d'être vivant et de renaître (grâce au langage) ?
    — Non : rien de tout ça. La joie m’est consubstantielle. Je ne vis que les retrouvailles de chaque aube. Je n’ai jamais quitté l’enfance, sauf peut-être quand j’ai cru être marxiste, entre 1966 et 1968. Là, je me suis éteint quelque temps, vampirisé par le langage du démon mesquin de l’idéologie. Mais la vie est plus forte, la poésie est plus forte, et la joie…

    propos recueillis par Jean-Michel Olivier

    * Jean-Louis Kuffer, L'Enfant prodigue, éditions d'Autre Part-Le Passe-Muraille, 2011.


    ** Jean-Louis Kuffer, Le Pain de coucou, Poche Suisse, L'Âge d'Homme, 1983.

    Cet entretien a paru dans la dernière livraison de Scènes Magazine, avril 2011.