Chemin faisant (10)
En roue libre. – Six mois après la Révolution du jasmin flotte toujours, en Tunisie, un parfum de liberté retrouvée dont tout un chacun parle et débat dans une sorte de joyeuse confusion qui me rappelle un certain mois de mai frondeur ; et comme au Quartier latin d’alors on y croit ou on veut y croire, on ne peut pas croire que ce soit un leurre, et d’ailleurs on va voter pour ça, cependant ils sont beaucoup à hésiter encore - pourquoi voter alors que tout se manigance une fois de plus en coulisses ? Et ceux qui y croient ou veulent y croire vont le répétant tant et plus : que l’Avenir sera l’affaire de tous ou ne sera pas...
Plus jamais peur. – Et là, tout de suite, sur les murs de l’aéroport et par les avenues ensuite, aux panneaux des places et sur la haute façade de l’ancien siège du Parti, voici ce qui sidère et réjouit Rafik le Scribe de retour au pays : que le Portrait omniprésent du Président n’y est plus, que cela fait comme un vide – qu’on n’attendait que ça mais que c’est décidément à n’y pas croire tandis que les gens répètent à n’en plus finir, genre Méthode Coué, que jamais, en tout cas, jamais on ne reverra ça…
À La Goulette. – Et dès le premier soir à La Goulette c’est la bonne vie retrouvée, la cohue de la rue et la bousculade populeuse, le jovial chaos des gens et des conversations aux terrasses où l’on continue de ne parler que de ça : de ce qui nous arrive et en adviendra, et c’est un régal de mets et de mots malgré l’anxiété qu’on sent mêlée aux libations – à la tablée du Scribe son frère le Conseiller Hafedh se livre à la plus fine analyse d’où il ressort que tout reste à faire et que rien n’est acquis, confiance et méfiance iront de pair et la soirée s’éternise entre frères humains.
Commentaires
Merci de partager ces impressions de séjour en terre passionnante. Le privilège de suivre une plume aimée ! J'ai lu tes notes sur le Portugal, Lisbonne, mystère d'émotion que tu amènes en pleine lumière. N'oublie pas ceux qui sont cloués en Suisse - il y a pire sort...-. Pas étonnant que tu sois peintre, la lumière est la grande affaire de ta vie. A bientôt JPO
NB Je m'aperçois que je t'ai tutoyé, mouvement spontané.
Cher,
La lumière d'hier soir à Sidi Bou Saïd était indicible, et nous l'avons d'autant plus appréciée que les hordes de visages pâles n'y étaient pas, remplacés il est vrai par des Algériens frustrés et des Lybiens lustrés. Villon aussi tutoyait ses frères humains, donc tu ne m'offusques point, l'homme des Hauts...
PS. Il va de soi que les Lybiens lustrés ne sont pas des réfugiés mais des fils de nababs du pétrobusiness qui hantent les palaces à peu près vides...