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  • Le regard d’une contemplative

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    En mémoire de Floristella Stephani
    C’est avec mélancolie, ce mardi soir 26 juin, que j’ai retrouvé les tableaux de Floristella après que, sur mon répondeur, j’eus relevé avec retard le message de sa nièce Ilona, m’annonçant sa mort récente, tout en douceur me précisait-on. Il y avait bien des années que nous ne nous étions plus vus ni écrit, et pourtant la peinture de Floristella reste aussi présente, autour de nous, que celle de Thierry Vernet son compagnon.Flora010.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C’est une vision magique des animaux du jardin des plantes, que l’art du glacis de cette restauratrice de toiles anciennes a parés d’une sorte d’aura de matière transparente. Flora02.JPGOu c’est le grand chat Moustapha dont elle nous a fait cadeau pour notre mariage. C’est un corbeau qu’elle a peint pour notre fille J. un peu jalouse que notre fille S. eut reçu un chat aquarellé par Thierry d’un seul trait de pinceau. FLORA09.jpgC’est aussi, qui garde notre sommeil, ce Christ solitaire au Golgotha sous un ciel de sang. Ce sont deux baigneuses proustiennes sur la plage de Trouville, évoquant une miniature de Manet. C’est ce soleil d’hiver sur les sables d’Ostende.

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    Enfin c’est ce champ de coquelicots d’une grâce infinie dont j’ai fait la couverture de mon dernier livre. A cela s’ajoutant le souvenir de toutes les toiles découvertes à travers les années, de cette artiste pourtant lente et rare, qui mettait des mois à fixer sa vision, à l’opposé des fulgurances de son compagnon.
    Floristella peignait hors de l'actualité passagère et des modes, mais on pourrait dire que sa peinture, comme celle des maîtres flamands, s’inscrit au cœur du temps dont elle saisissait un instant d’éternité dans la figuration la plus humble de ce qu'elle contemplait. De la même façon, du vivant de Thierry Vernet, tous les instants passés avec elle relevaient d’une forme de présence intemporelle, simple et joyeuse. Lui et elle disparus, ils restent vivants, par leurs oeuvres et dans nos coeurs reconnaissants.Flora08.JPG

    Les tableaux de Floristalla Stephani ont été reproduits, ici, par les soins de Philip Seelen.

    Un choix des oeuvres de Thierry Vernet et de Floristella Stephani est toujours visible à la Maison des Arts de Chexbres (Suisse, Vaud), aux bons soins de Barbara et Richard Aeschlimann. Flora03.JPG

     

  • Le livre des livres

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    Entretien avec Mikhaïl Chichkine. Zurich, le 31 août 2007.


    Avec Le cheveu de Vénus, écrit entre Zurich et Rome, fêté en Russie et traduit en Chine après avoir été déclaré « meilleur livre de l’année », Mikhaïl Chichkine signe un grand roman marqué au sceau du génie poétique.

    C’est un extraordinaire concert de voix que le troisième roman de Mikhaïl Chickkine, après La Prise d’Ismail (Fayard, 2004) qui lui valut déjà le Booker Prize russe. Amorcé à Zurich dans un bureau d’accueil pour requérants d’asile où le protagoniste (comme l’auteur d’ailleurs) fait office de traducteur, un jeu vertigineux de questions-réponses plonge le lecteur dans la mêlée du monde et des siècles, de Tchétchénie en Grèce antique, via la Russie blanche d’une cantatrice centenaire et Rome où mènent tous les récits. Déjà connu du lecteur francophone pour sa mémorable virée Dans les pas de Byron et Tolstoï (Paru chez Noir sur Blanc et lauréat du Prix du meilleur livre étranger 2005), et pour son captivant panorama de La Suisse russe (Fayard, 2006), Mikhaïl Chichkine incarne la nouvelle littérature russe dans ce qu’elle de moins frelaté. C’est sur une terrasse d’Oerlikon que nous l’avons rencontré à la veille de son départ pour les Etats-Unis, où il va passer quatre mois.
    - Quelle sorte d’enfant avez-vous été ?
    - On ne me l’a jamais posée en interview, mais c’est une bonne question. Je crois que tous les écrivains ont la même enfance, plus solitaire que les autres, passée à jouer avec les livres. Ils lisent, et ensuite, n’ayant plus de livres avec lesquels jouer, ils en écrivent. Mes parents étaient séparés. Ma mère, prof de littérature et directrice de l’école que je fréquentais, n’avait pas de temps à me consacrer. Mais les livres étaient là, dont mon frère, de six ans mon aîné, était lui aussi fou. Lorsque j’avais douze ans, c’est lui qui m’ révélé les auteurs interdits. Des grands écrivains comme Pasternak ou Mandelstam étaient alors proscrits ou introuvables, sauf en versions épurées. Lorsqu’il s’est agi de dissidents à la Sakharov ou Soljenitsyne, mon frère est entré en conflit avec ma mère, que sa fonction obligeait à être du parti, lequel symbolisait pour nous la société du mensonge. Je me suis bientôt rallié à mon frère, qui s’est retrouvé en prison à cause de ses idées. Quant à l’écriture, j’y ai accédé de manière presque inconsciente, puisque j’ai composé mon premier roman à neuf ans. Il faisait une page. Ma mère, d’abord ravie, a changé de visage lorsqu’elle a lu ce que j’avais écrit, me recommandant aussitôt de parler plutôt de choses que je comprenais. Le thème de mon roman était la séparation… Depuis lors, je n’écris hélas qu’à propos de choses que je ne comprends pas. (Rires)
    - Pourquoi avez-vous choisi d’étudier l’allemand ?
    - Je ne l’ai pas choisi : j’aurais préféré l’anglais. Mais au lycée, c’étaient les meilleurs qu’on choisissait dans la section anglophone, et les autres étaient bons pour l’allemand. Je n’étais pas mauvais élève, mais ma mère m’y a poussé pour faire taire les autres parents qui voyaient en moi une graine de dissident. Quoi qu’il en soit, cela m’a permis de découvrir Max Frisch, qui m’a fasciné en tant que premier représentant de la littérature occidentale. Ensuite j’ai lu en allemand Rilke et Hermann Hesse, entre autres granfds auteurs.
    - D’entre ceux-ci, lesquels ont le plus compté pour vous ?
    - Comme adolescent, je ne pouvais lire que les classiques russes ou les auteurs soviétiques conventionnels, qui écrivaient une langue morte. Par ailleurs, certaines parties des œuvres de Boulgakov, de Babel ou de Platonov étaient accessibles. A seize ans. J’ai découvert un livre russe qui m’a estomaqué par son travail sur la langue : L’école des idiots de Sacha Sokolov, célébré par Nabokov. Des classiques aux modernes, ensuite je crois avoir tout lu de ce qui importe dans la littérature russe. Celle-ci m’apparaît comme un grand arbre. Les racines plongent dans la Bible et les textes sacrés. Le tronc est constitué par la littérature du XIXe siècle, et du tronc se jettent des branches et des rameaux dont nous sommes les petites feuilles vivantes et vibrantes… Au XXe siècle, il y a le rameau d’un génie sans descendance : Platonov. Une autre branche va de Tchékhov à Bounine, Nabokov et Sokolov, et c’est là au bout que pousse mon propre millimètre de feuillage…
    - Votre livre est saturé de traces de contes, de légendes, de mythes et d’histoires de toute sorte. Cela remonte-t-il à votre enfance ?

    - Pas vraiment, car les contes russes que nous lisions n’avaient plus rien de la source populaire, tout aplatis qu’ils étaient par les écrivains soviétiques. C’est plutôt comme adulte que je me suis intéressé à la source folklorique, notamment avec les contes réunis par Afanassiev. Cela étant, c’est à toutes les sources que je m’abreuve dans Le cheveu de Vénus, que j’ai conçu comme une sorte de « livre des livres ». J’ai voulu concilier, en outre, les deux traditions russe et occidentale. Dans la tradition, qui est celle du « petit homme » à la Gogol, l’auteur aime son personnage, comme un Dieu aimant ses créatures. Cette chaleur caractérise à mes yeux la littérature russe. A la littérature occidentale, j’ai emprunté l’art et les techniques complexes du roman contemporain.

    - Entre Dostoïevski le « nocturne » et l’apollinien Tolstöi, comment vous situez-vous ?

    - Dostoïevski est pour moi le plus « vital », mais littérairement Tolstöi est beaucoup plus important pour moi. Ceci dit, je refuse de choisir entre les deux. La prose de Dostoïevski est très mauvaise, que le français améliore peut-être ? (rires). Dès que j’ouvre un livre de Tolstoï, en revanche, je ne puis m’arrêter…

    - Qu’avez-vous ressenti après avoir achevé Le cheveu de Vénus ?

    - C’est mon troisième roman. Pour chacun d’eux, il m’a fallu six ou sept ans de travail, après quoi je me suis senti chaque fois dévasté, au milieu d’un monde en ruines, famille comprise. Après mon premier roman, j’ai pensé que j’avais tout dit. Puis le temps a passé, occupé à la rédaction d’un essai « de transition ».

    - Pourquoi vous êtes vous installé en Suisse ?

    - C’est à Moscou que j’ai rencontré ma première femme, traductrice originaire de Zurich, et nous y sommes venus pour lui simplifier la vie, avec notre enfant. J’ai donc écrit mes quatre livres les plus importants en Suisse, où je réside depuis 1995.

    - Quelle impression vous font les Suisses ?

    - Au commencement, je voyais en effet des Suisses, puis je n’ai plus vu que des êtres humains. C’est en général comme ça que ça se passe quand on séjourne dans un autre pays que le sien, nicht wahr ?

    - Dans quelle mesure le protagoniste du roman, traducteur du russe dans un bureau d’accueil de requérants d’asile zurichois, est-il Mikhaïl Chichkine ?

    - Comme le plus souvent dans un roman, c’est à la fois la même personne et un tout autre personnage…

    - Quel a été le « sentiment » déclencheur du roman ?

    - Le premier sentiment découlait de l’insatisfaction dans laquelle m’avait laissé La prise d’Ismail, mon roman précédent. Le thème principal du roman était la conquête de la vie. Le père, dans ce roman, dit au fils qu’on doit prendre la vie comme une place forte. La conquête se faisait à la fois à travers l’enfantement et les mots. Lorsque je suis venu en Suisse, se sentiment d’une vie à conquérir m’a quitté. A l’image de la « place forte » s’est substituée celles du temps et de la mort. C’est là contre que j’avais à combattre désormais. Le cheveu de Vénus est une lutte contre la mort par les mots, mais les mots eux-mêmes doivent être revivifiés. Et pour cela il n’y a que l’amour. En exergue, en complément d’une citation de Baruch, j’ai conclu sur une sentence de mon cru: « Car le Verbe a créé le monde et par le Verbe nous ressusciterons ». Dans ce livre se déversent toutes les cultures et se mêlent les voix de gens qui ont vécu en de multiples lieux et à de multiples époques.

    - La femme joue un rôle très important dans votre roman. Le personnage de l’institutrice est-il inspiré par votre mère ?

    - En partie. Plus largement, il incarne le sentiment maternel « à la russe », car les institutrices soviétiques remplaçaient la mère et marquaient les enfants par leur façon de « dire le monde ». C’est une incarnation de la patrie. La « matrie » russe (rires)… L’autre personnage du roman, Bella Dimitrievna, la chanteuse de romances qui a traversé tout le XXe siècle, a une source personnelle Peu avant sa mort, ma mère m’a en effet remis son journal. Alors qu’elle était étudiante, elle l’a tenu à l’époque la plus noire du stalinisme. Or elle ne disait rien des arrestations, des procès ou des camps. Cela m’a choqué et c’est ça qui m’a donné l’idée de développer ce journal d’une femme qui ne pense qu’à être aimée. J’ai voulu montrer que le silence de cette femme sur l’époque n’était pas de l’égoïsme mais une forme de combat vital contre les ténèbres. En outre, ce personnage répond à mon besoin de toujours de savoir ce qu’est une femme. Un romancier peut facilement s’identifier à un personnage masculin, mais une frontière le sépare de la femme, et j’ai voulu franchir cette frontière en rédigeant le journal de Bella. Lorsque j’étais en Suisse, j’ai pensé que je devais faire quelque chose avec ces archives familiales de ma mère, confiées à mon frère dont la maison de campagne a été détruite pas le feu. Cela m’a choqué et donné l’impulsion de composer ce journal d’une femme opposant son besoin d’amour à l’horreur du monde. Un autre modèle du personnage est une chanteuse célèbre, amie de mon père, qui a bel et bien vécu cent ans : Ysabella Yourieva, qu’on a redécouvert à l’époque de la perestroïka. Elle n’a rien raconté de sa vie, et je ne savais rien de Rostov, mais j’ai rencontré un vieil émigré à Lausanne qui avait beaucoup écrit sur cette époque. C’est de là que je sais tant de choses sur les lycées de jeunes filles de Rostov (rires).
    - Un autre grand thème du roman est la trace de l’homme subsistant par l’écriture…
    - Oui, songez à ces générations qui se sont succédées depuis l’Antiquité, dont rien ne reste, sauf quelques écrits. Mon personnage lit l’Anabase de Xénophon, et tout à coup, dans le flux du roman, les noms de héros grecs se confondent avec ceux des habitants massacrés d’un village tchétchène. C’est ainsi que se perpétue la mémoire de l’humanité…
    - Que désignez-vous exactement par l’expression Mlyvo ?
    - On trouve ce terme dans les livres traitant de mythologies sibériennes, qui désigne un « autre monde ». J’en ai un peu varié le sens, dans l’optique d’un monde parallèle, souterrain ou double, sans l’expliquer clairement. Mais les Russs eux-mêmes ne comprennent pas cette notion de Mlyvo. Or je pense que tout ne doit pas forcément être expliqué. Mon traducteur préféré, qui est chinois et sait le russe mieux que moi, m’a dit après avoir lu le roman qu’il l’avait lu et n’y avait rien compris. En fait, je n’écris pas de la prose mais de la poésie. Lorsque je parle la langue de Bella, c’est une chose à laquelle je me tiens, mais dès que je me laisse aller à ma langue, alors j’écris vraiment sans comprendre. Selon les manuels de russe, je dois mal écrire, mais toute poésie est fausse selon les manuels…
    Mikhaïl Chichkine. Le Cheveu de Vénus. Traduit du russe (admirablement) par Laure Troubetzkoy. Fayard, 444p.

    Portrait de Mikhaïl Chichkine: Yvonne Böhler

  • Le Cheveu de Vénus

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    Le Cheveu de Vénus, lecture annotée

    - Cela commence par cette phrase : « Darius et Parysatis avaient deux fils. L’aîné s’appelait Artaxerxès et le cadet Cyrus. »
    - Puis cela bifurque aussitôt dans un centre de tri de requérants d’asile, à Zurich, où le narrateur est interprète – drogman.
    - Un premier requérant se pointe.
    - Qui dit avoir seize ans et avoir été violé.
    - Le drogman lit l’Anabase de Xénophon..
    - Apparaît Peter Fischer, dit « le maître des destinées »
    - Puis c’est un autre requérant. Qui a tout perdu dans le feu et sous les balles des Tchétchènes.
    - On lui demande pourquoi il est là.
    - Peter est passionné de pêche.
    - Le drogman écrit à un certain Nabuchodonosaure.
    - On présume que c’est un enfant qu’il appelle l’empereur.
    - Le drogman décrit son propre empire, « au nord des Hellènes ».
    - Evoque son travail au bureau des réfugiés du ministère de la Défense du Paradis.
    - Evoque ensuite la personnalité de Peter, qui ne croit aucun témoignage.
    - Evoque un Daphnis réfugié.
    - Qui raconte sa vie terrible.
    - Mais qu’on a déjà pisté dans son parcours d’affabulateur.
    - Avant Peter, Sabine était la responsable du bureau. Qui avait plutôt tendance à croire tous les requérants.
    - Un requérant raconte son parcours du Kazakhstan, où il s’est opposé à un trafic avant de se trouver menacé de mort. D’o ?u sa fuite.
    - Celui qui a contracté le sida au cours d’une perfusion.
    - Celui qui raconte l’histoire de Dracula.
    - Le prince qui, pour sauver ses sujets de la misère, les fait brûler vifs.
    - Nouvelle lettre à Nabucho. Le drogman lui raconte comment il ramène chez lui toute la misère du monde.
    - Plutôt que de discerner la vérité, il se borne à repérer le mensonge.
    - Comme il arrondit ses fins de mois à la police, il retrouve souvent ses « clients » admis au poste.
    - « Oui, biens sûr, les gens ne sont pas ce qu’ils disent, mais leurs histoires, leurs histoires elle sont vraies ».
    - On sent sa lassitude et son désarroi.
    - Il retrouve le récit de Cyrus pour se détendre.
    - La narration est d’une remarquable densité poétique et humoristique, du côté de Nabokov.
    - Le drogman, le matin, se réveille en nage : il a rêvé de Galpetra, sa prof de lycée Galina Petrovna.
    - Se rappelle une excursion à Ostankino.
    - Sa terreur enfantine à ce souvenir de la dame.
    - Dont lui dit alors qu’elle, la vieille fille revêche, était enceinte.
    - Visitent le Musées d’art des serfs.
    - Evoque son studio dans un immeuble plein de vieux.
    - Il loge au rez, où des objets tombent du ciel.
    - Se pointe chez une vieille et malodorante Frau Eggli, pour lui rendre un paquet de bulletins de vote. Elle le rembarre.
    - La femme du drogman est partie avec un autre et vit avec son fils, dont on conclut que c’est Nabuchodonosaure.
    - Suit une question en forme de réponse, de 13 pages, qui décrit la trajectoire du garde du corps d’un journaliste de la télévision dont la voiture a explosé avec lui et son amie.
    - Le journaliste avait mis la main sur une mallette contenant « le mal ».
    - Les soupçons se portent sur le garde du corps.
    - Qui se fait un devoir d’enquêter lui-même et de récupérer la mallette.
    - Le drogman devient le « romancier » de cette story policière.
    - C’est lui raconte en « vous ».
    - Les histoires abracadabrantes s’imbriquent les unes dans les autres, avec celle de l’ex-femme consultant une voyante et d’une chasse à l’homme finissant dans une thurne semblable à celle de la logeuse de Crime et châtiment…
    - Dans la foulée apparaît M. Vent de Chesterton et les Sadducéens, le Roudin de Tourgueniev et les derniers flashes de l’actualité.
    - De l’importance de la comptine et de la tradition russe du « skaz ».
    - Or relançant le récit du garde du corps, le drogman remonte au passé de celui-ci soldat en Afghanistan.
    - La génération des « gars de plomb ».
    - Le requérant raconte « son » premier mort, un garçon de 12 ans qui avait déjà tué 9 Russes.
    - Raconte ensuite sa reconversion en milicien.
    - Histoire de Lena. Histoire du paternel, son boss.
    - Raconte combien « là-bas », dans le camp où il a croupi, la parole, les mots ont compté pour lui.
    - La comptine comme fil conducteur de la vie même.
    - Histoire des petits nègres.
    - Raconte comment on a voulu faire de lui un mouchard.
    - Et comment il a refusé ; comment il en a été puni. Mais ce récit horrible, c’est le drogman qui le donne à sa place.
    - Raconte ses deux tentatives de suicide (73-75)
    - Au retour du camp, il aimerait offrir un voyage en Egypte à sa mère. Qui refuse.
    - Evoque « sa Tania ».
    - La femme de sa vie. Qui a déjà un môme d’un autre, suite à un viol.
    - C’est le drogman encore qui raconte le calvaire de Tania.
    - Evoque le deuxième enfant de Tania, mort dans son ventre.
    - Et la vie qui continue.
    - Le drogman revient à Cyrus.
    - Puis évoque sa vie de jeune écrivain, prof auquel on propose une biographie d’une chanteuse célèbre.
    - Il touche un pactole : 300 dollars. Mais la vieille meurt. Et la maison d’édition capote.
    - Puis c’est une vieille dame qui parle.
    - Fille de médecin au début du XXe siècle.
    - Raconte son enfance dans la Russie proche, là encore, de celle de Nabokov.
    - Rumeurs de révolution et premiers pogroms.
    - Très belles pages.
    - Puis on en revient au monde actuel.
    - Introduction du thème du Mlyvo, le « monde d’en bas » qu’on présume un monde parallèle, probablement des morts ou des ombres immortelles, dans la mythologie sibérienne (cf. Le Rameau d’or de Frazer).
    - On retrouve le personnage de Daphnis, actualisé.
    - Le drogman : « Nous devons aller de l’autre côté du temps ».
    - Histoire (sordide) de Tatiana et du directeur adjoint. (120).
    - Le drogman revient à Cyrus. Sur le cham de bataille.
    - Et son interlocuteur poursuit avec le récit de Daphnis, employé dans une boucherie industrielle.
    - Histoire de Lycenion la femme-chèvre.
    - Thème récurrent des Orotches et des Toungouses.
    - Maintenant Chloé est coiffeuse.
    - Mais quand Daphnis rejoint enfin Chloé, elle est déjà « en mains ».
    - Les récits se ramifient à n’en plus finir, parfois au risque de perdre le lecteur. Mais la narration est magistralement tenue, et l’on comprend qu’on comprendra plus tard ce qui nous échappe…
    - A la profusion de la vie s’oppose la mise en ordre du récit, sous ses multiples formes.
    - L’histoire de Daphnis et Chloé recyclée nous a emmenés très loin dans l’hier-aujourd’hui, alors que la mort de Cyrus nous ramène au jadis-actuel de l’écrit.
    - Le drogman raconte la mort de Cyrus et la punition de Mithridate.
    - Puis reprend le récit de l’adolescente lumineuse de Rostov.
    - Histoire de la lettre d’amour de la vilaine surveillante. Histoires de lycée. Souvenirs lumineux.
    - Le prof de dessin et la prof de français très aimée.
    - Amours de jeunes filles. (140)
    - Elles en pincent pour l’aviateur Kouznetsov.
    - Son frère Sacha se moque de leurs amours de jouvencelles.
    - On idolâtre la chanteuse d’opérette Anastasia Vialtseva.
    - Une tante évoque la communauté du Monte Verità, à Locarno.
    - On lit le journal de Marie Bashkirtseff.
    - Tante Olia décrie le puritanisme chrétien.
    - La petite est fascinée par cette extravagante fauteuse d’idées nouvelles. (p.150)
    - Nouvelle lettre à Nabucho.
    - Lui parle de Galpetra.
    - Que personne n’aimait.
    - Une admiratrice de Janusz Korczak.
    - Qui peste quand on lui déclare qu’il était Juif.
    - Le drogman écrit de Rome.
    - Loge à l’Institut suisse de la Via Ludovisi.
    - Se rappelle son premier séjour avec Iseult.
    - Belle évocation de la « Rome des corps ».
    - On devine qu’il lit Plutarque.
    - Les papillons de nuit romains.
    - De la cruauté respective des Romains et des Daces.
    - Le drogman se rappelle Tristan.
    - Le premier compagnon d’Iseult, mort accidentellement.
    - Il a lu le journal intime d’Iseult, qui s’adresse à Tristan…
    - La jalousie le gagne.
    - A Rome où tout est copie d’antique, il se sent copie.
    - Va s’efforcer d’arracher Iseult à Tristan. En vain.
    - Voudrait lui révéler du neuf sur Rome.
    - Mais elle a mal aux pieds.
    - Sur quoi l’on revient à Rostov, en 1914,
    - La jeune fille est en quête du « véritable amour ».
    - Se reproche d’être vilaine, et d’avoir de vilaines mains.
    - Mais elle fond dès qu’un garçon la remarque.
    - Elle en pince pour Genia.
    - Qui l’embrasse.
    - Ses parents ne se parlent plus.
    - Elle s’identifie à Marie Bashkirtsev.
    - Le temps se déploie.
    - Le drogman reprend son récit.
    - Il continue de violer le secret d’Iseult.
    - Nouvelle lettre à Nabucho.
    - « Ce gens de lettre met du temps, surtout si on ne l’envoie pas »…
    - Iseult fête chaque année la mort de Tristan avec des amis.
    - Lors de l’invitation, un type provoque le drogman.
    - Lui demande ce que ça fait d’être Russe au lieu d’être Tchétchène ou Suisse.
    - Le drogman parle d’une vidéo tchétchène qu’il ne peut pas montrer.
    - Le type le presse de la montrer. Et les autres aussi.
    - Il la montre. Iseult quitte la pièce. Et les autres la suivent, sauf le type.
    - La vidéo est une suite de scènes atroces, dont les Russes sont les victimes.
    - Après le départ des invités Iseult lui dit : « Je te hais »…
    - Reprise du journal de la jeune fille.
    - Qui n’est plus amoureuse de Genia, mais d’Alexeï.
    - Puis d’Aliocha. Qui l’entraine dans une troupe de théâtre.
    - Elle rêve plutôt d’être cantatrice.
    - Mais elle accepte de jouer.
    - En septembre 1915, ils montent le Revizor de Gogol.
    - Travaillent avec Kostrov, qui a travaillé au Théâtre d’Art.
    - Dit sa mère qu’elle veut devenir actrice.
    - Sa mère l’humilie en invoquant son physique.
    - Novembre 1915, Aliocha va partir au front.
    - Le portable du drogman sonne au milieu d’une phrase de la lycéenne…
    - C’est un Herr Baumann qui l’appelle depuis Zurich.
    - Qui requiert ses services d’interprète.
    - Pour annoncer à un jeune Russe que son frère est mort.
    - Le drogman traduit.
    - Et le type dit : merci, comme si de rien n’était. Rend bien l’insensibilité du fonctionnaire suisse typique…
    - La fin de la phrase de la lycéenne vient alors.
    - On comprend que c’est le drogman qui en écrit la story.
    - La veille du départ d’Aliocha, la jeune fille s’offre à lui.
    - Mais « ça » ne marche pas.
    - Elle est tout angoissée.
    - Aliocha lui raconte le front et lui dit son amour.
    - La guerre « pas si terrible » (p.212)
    - Le journal alterne les lettres d’Aliocha (récits de guerre) et les notes de la jeune fille.
    - Reprise des interrogatoires.
    - Un récit qui pastiche la légende de saint Macaire.
    - La parole « biblique » répond au formalisme helvétique.
    - Le requérant évoque l’armée en Tchétchénie.
    - Le bleu confronté aux durs à cuire, dirigés par Le Gris.
    - La création du monde selon le Gris (p.228-229)
    - De l’univers contenu dans un crachat.
    - Entre Question et Réponse, les rôles varient.
    - Ce qui reste de chaque témoignage : cela qui compte.
    - Que l’homme est fait d’aussi peu de fer que 5 petits clous.
    - Suite des souvenirs d’Anatoli le soldat.
    - Comment le Gris a été tué.
    - Question interroge Réponse sur ses crimes de guerre.
    - Question prétexte le fait que le pardon ne se fera pas sans parole.
    - Réponse raconte la fuite du déserteur.
    - Son récit recoupe celui d’Enoch.
    - Comment Dieu a fait le monde pour être aimé.
    - Le déserteur va-t-il devenir un nouveau Jonas.
    - Niet : on est déjà tous dans la baleine.
    - Mais Réponse raconte encore Ninive.
    - Puis on retrouve la lycéenne de Rostov.
    - Un mois après la mort d’Aliocha.
    - On apprend qu’elle s’appelle Bella.
    - C’est donc la Bella Dimitrievna dont le drogman était censé écrire la bio : tout se remet en place.
    - Elle est félicite par un vieil acteur moscovite célèbre de passage.
    - Il lui donne ce qu’Aliocha n’a pas su.
    - Elle s’en veut et s’en félicite.
    - La chronique de Xénophon recoupe celle des Tchétchènes.
    - Déploie la liste des victimes du massacre de Khaïbak.
    - Le journal de Bella reprend en 1919.
    - Elle joue pour le service de propagande des Blancs.
    - Se mêle au milieu théâtral et littéraire.
    - Son ami Pavel fait des reportages photo sur la guerre civile.
    - Pavel est très amoureux mais elle ne l’est pas.
    - Horreurs de la guerre civile.
    - Août 1919. Belle retrouve son père.
    - Se rappelle la mort de son frère Sacha.
    - Le malentendu avec Pavel persiste.
    - Son père affirme que la Russie est juste bonne pour être une colonie de l’Allemagne, et que les Russes s’entre-égorgeront entre eux.
    - Elle assiste à la pendaison d’un jeune Rouge.
    - Retour au drogman.
    - Qui lit des vies de saints…
    - Se trouve en vacances avec Iseult et son fils à Massa Lubrense, du côté de Capri.
    - Se sont donné une dernière chance.
    - Et décident de se quitter.
    - Le drogman erre la nuit en se demandant comment les gens font pour vivre ensemble.
    - Bella reprend son journal en 1924.
    - Ecrit pour un certain Serioja.
    - Se trouve à Pétersbourg.
    - L’année 24 est supposée être l’année de Vénus.
    - Cette année-là, les journaux russes ne parlent que de vols et de meurtres… (p.300)
    - Se demande ce qu’elle fait sur scène.
    - Elle aime rendre les gens heureux « pour un soir ».
    - Craint pour sa voix. Son médecin lui prescrit le silence.
    - Souffre d’être séparée de Sérioja.
    - Adulée et seule.
    - Raconte comment on sort des « années terribles ».
    - Evoque les pieds des mendiants dans la rue. Une femme sensible et malheureuse.
    - Dont le journal n’est plus daté.
    - Son administrateur Iossip Epstein la demande en mariage.
    - JAMAIS lui répond-elle par écrit.
    - Elle se rappelle les pantoufles de la femme de Sérioja.
    - Comme un reproche muet à l’Artiste…
    - L’histoire de Bella recoupe celle du drogman, par contraste.
    - Car Sérioja reste avec sa femme à cause de son fils.
    - Alors que le drogman quitte la sienne malgré son fils.
    - On retrouve le drogman dans une prison, avec une avocate.
    - Celle-ci rêve de traverser la Sibérie.
    - Le type de l’oie blanche suisse.
    - Le détenu la provoque.
    - La traduction ajoute du sel à la scène (p.320-323)
    - Le détenu se montre grossier : dit qu’il n’aspire qu’à baiser l’avocate.
    - Laquelle appelle le gardien.
    - Après la sortie de la prison, il essaie de la rassurer.
    - Sur quoi le jeu entre Question et Réponse reprend.
    - Un homme et une femme.
    - Elle raconte les amants de sa mère.
    - Affreuse histoire de la petite Sacha (327).
    - Histoire du pull qu’on enfile à l’envers pour revenir à de bonnes dispositions.
    - Question rappelle l’épisode des noyaux de cerises qu’ils ont craché ensemble à lafigure du soldat de plâtre. Episode « mémorable » d’une liaison.
    - Réponse évoque l’effroi que lui inspirait son corps avant qu’elle ne rencontre Question.
    - Question évoque le jeune père langeant son petit garçon sur un piano.
    - Réponse évoque le « poids des âme » et ce qui fait la substance « dernière » de la vie, pollen ou « Dieu ».
    - Comme un dialogue entre Animus et Anima sur l’amour.
    - Réponse : « Nous aussi, nous ne sommes que l’ombre de quelqu’un que nous ne pouvons ni voir, ni entendre, ni concevoir. Notre corps n’est que l’ombre de notre autre vraie existence, tiens, touche mon genou ¨ »
    - « L’amour, c’est un mille-pattes spécial, grand comme Dieu, las comme un voyageur en quête d’un refuge et omniprésent comme le pollen».
    - La princesse-grenouille travaille au vivarium de l’université, au milieu des souris et des odeurs et des chiens.
    - « Et c’était cela la vraie beauté : l’odeur du foin qui piquait, les aboiements jusqu’au ciel, toi pour la première fois en moi et la douleur, le sang et la joie ».
    - Parfums entêtants d’un premier amour.
    - Scène du nombril masqué (p.330).
    - L’amour qui serait à la fois le premier et le dernier.
    - Du premier amour qui survit à travers les suivants.
    - L’homme qui se retrouve un instant dans la peau de son père.
    - La merveilleuse liberté de revenir sur les lieux où l’on a été heureux.
    - On revient à Bella en janvier 1926.
    - A Paris, avec Iossip. Où tout est palais, jusqu’aux grands magasins.
    - « Les vitrines de cravates sont de vrais jardins ».
    - Songe à son « petit pois ». La vie en elle.
    - Décrits les mondaines soviétiques de Paris.
    - L’Artiste et les potiches.
    - Compare la chanson française (Mistinguett, Maurice Chevalier, Joséphine Baker) et la romance russe si grave.
    - S’ennuie au Louvre. Rêve de Moscou.
    - Son « petit papa » lire penseur qui prie en cachette pour son enfant.
    - Se rappelle le temps de la révolution. Sinistre vision.
    - Le train de Noël 1919 au sapin de fortune.
    - L’imprésario qui l’adule pour la sauter.
    - On switche sur la Fuite en Egypte.
    - Et Samuel Morse l’inventeur de l’alphabet pour « nommer l’indicible »…
    - Dévie sur l’histoire de l’âne. Comment « les oreilles remuent l’âne »…
    - Délire lyrique contrôlé tout à fait magnifique (pp. 372-385)
    - Comme un rêve fou. Superbe traduction itou.
    - Quelque part entre Boulgakov et Lobo Antunes.
    - « L’homme sourit dans son sommeil ».
    - Puis on retrouve Bella.
    - Qui roule maintenant en Chrysler dorée comme les huiles du Gouvernement.
    - On devine qu’elle a perdu son enfant.
    - Rêve de son père.
    - Souffre toujours et encore malgré la gloire. « On ne peut jouir véritablement de la vie que si on a connu la souffrance ».
    - Quelque chose de balzacien dans le personnage. La femme-saga sentimentale et indestructible.
    - Se rappelle le visage de l’ado dans le wagon-prison tandis qu’elle faisait bombance.
    - Episode de Nicolas le mouillé.
    - Elle a voulu adopter un orphelin.
    - Enfin on retrouve Galpétra à Rome.
    - Comme dans un rêve.
    - Un autre type de femme. L’instite universelle version russe soviétique.
    - Le drogman se demande pourquoi les enfants la haïssaient tant alors qu’elle les aimait tant « au fond »,
    - Elle plaide pour qu’on aime malgré tout ce « monde filouté ».
    - « La vie est partout ».
    - Evoque la résurrection des choses.
    - Superbe détour par les fresques de Luca Signorelli dans le Dôme d’Orvieto, non loin des putes noires.
    - Magnifique pages lyriques et délirantes sur les bords (pp.418-421)
    - « Il faut aussi ressusciter le rire à l’usine de caoutchouc quand il fallait arrêter la chaîne »…
    - Le premier amour de la petite fille pour le chien de porcelaine.
    - De la magie et de son évanouissement.
    - L’ultime secret : de l’herbe drue.
    - Le cheveu de Vénus.
    - Le dieu de la vie.
    - Elle évoque le « temple des temples » de Rome.
    - On oscille entre Galpétra et Bella dans une grande rêverie-pensée-délire cosmologico-poétique.
    - L’herbe me rappelle celle qui repousse sur la tombe d’Oblomov.
    - Merveille finale de ce grand livre sans pareil aujourd’hui par sa richesse et sa profondeur, sa tendresse et sa mélancolie, sa traversée du Temps à tous les temps de l’humanité multiple, son intelligence et sa beauté.
     Mikaïl Chichkine. Le Cheveu de Vénus. Traduit du russe par Laure Troubetzkoy. Fayard, 444p.