UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Le regard de la chouette

    448e6cf038f58a85b6cb88195078edaa.jpg
    Un sentiment étrange, mêlé de curiosité froide et de satisfaction esthétique, non exempte de cynisme, se dégage de ce roman qui rappelle, par son climat et plus encore par le regard que jette l’auteur sur ces drôles d’animaux que sont nos semblables et leurs cultures variées, le climat et le regard des nouvelles les plus incisives de Paul Bowles. Nul hasard en cela, puisque Rodrigo Rey Rosa (né à Ciudad de Guatemala en 1958) fut disciple et ami du grand écrivain de Tanger, qui l’accueillit dans ses ateliers d’écriture et traduisit plusieurs de ses romans en anglais.
    Autant dire que l’élève est plus qu’un épigone : un maître à son tour, jouant ici sur la « rencontre » de deux jeunes types - un berger fruste et un quidam colombien en rupture de conformité – qui ne se verront pas mais que réunit l’attrait, pour des raisons opposées, d’un oiseau capturé. Entre nature sauvage et civilisation faisandée, Maroc de l’arrière-pays aux superstitions encore vivaces et Tanger aux voyageurs « borderline », le roman met en rapport révélateur (comme dans les nouvelles mémorables du Scorpion de Bowles) deux mondes en train de se perdre dans un jeu de mimétisme et de fuite en avant. L’auteur ne « juge » pas pour autant, comme s’il avait lui-même arraché les yeux de la chouette pour « voir la nuit »...
    Rodrigo Rey Rosa La rive africaine, traduit de l’espagnol (Guatemala) par Claude Nathalie Thomas. Gallimard, coll. Du monde entier, 176p.

  • E la nave torna…

    8a221d5849bb27e98e386688865faf49.jpge1873333ca881d7bca959f46799359c9.jpg

    Fellini en grande traversée

    C’est une légende incarnée que Federico Fellini en sa féerie freudo-clownesque, c’est la rouerie géniale et l’art artisan dans toutes les manifestations de son cinéma, c’est le cas de dire, qui touchait à la vie vivante autant qu’à sa transmutation multiforme, jetant mille éclats sur fond de vieille tendresse humaine et de malice populaire, de vitalité bondissante et de mélancolie. A-t-on d’ailleurs envie que la légende perde de son merveilleux ou de sa cocasserie au nom de la vérité des faits ? Un premier test est à faire avec la naissance du Maestro, qu’un journaliste fit naître dans un train, en voiture de première classe, une nuit de janvier 1920, tout près de Rimini. Or Fellini se garde de démentir. Se non è vero… Mais voici que nous apprenons la vérité: que les cheminots de la côte romagnole étaient alors en grève et que nul train ne put servir de salle d’accouchement roulante cette nuit-là…
    1a848727e8fe2c9337b119da5c07b32d.jpgTullio Kezich serait-il du genre rabat-joie sourcilleux, impatient de « rétablir la vérité » à propos d’un affabulateur notoire, ou la biographie qu’il nous livre après trente ans d’amitié avec Fellini participera-t-elle de la « vérité poétique » de celui-ci. Tutti e due, l’un et l’autre et dans l’allégresse, la vigueur documentaire et la pénétration sensible, la connaissance enfin des multiples coins et recoins de l’Italie de la dernière moitié du XXe siècle, des multiples coins et recoins du cinéma de cette même période- du néoréalisme cher à Rossellini (premier maître vénéré) aux années de plomb et aux années télé, des multiples coins et recoins de Cinecittà, des multiples coins et recoins de la vie toujours en mouvement du Maestro, aussi charmeur que bourreau de travail.
    bc5973dcdcfc9569bc3a933dcbda5a4d.jpgAvant de se sentir assez vite « burattino tra burattini », marionnette de la joyeux bande du Maestro, Tullio était un jeune critique arrogant sur les bords, comme on l’est à vingt ans, lorsqu’il rencontra Federico sur la terrasse de l’Hôtel des Bains de Venise, en septembre 1952, le jour de la présentation du savoureux Courrier du cœur, plus connu sous le titre de Cheik blanc, avec l’irrésistible Sordi dans le rôle d’un bourreau de tendrons de roman-photo. Et d’emblée il est alors question de la fraîcheur de l’accueil de la critique en ces années de guérilla idéologique dont on n’a plus la moindre idée aujourd’hui, qui se déchaîna bien plus violemment ensuite à propos de La Strada et de La Dolce vita.
    J’allais reprendre le roman de Bob Dylan par François Bon, injustement laissé de côté depuis quelque temps, lorsque cet autre roman d’une vie et d’une œuvre (l’une et l’autre entremêlées intimement à tout instant, car le travail artistique était la substance même de la vie de Fellini) m’est tombé dans les mains pour y rester scotché, avec ses histoires pleines des nôtres, entre Giulietta et la Gradisca, la mère et les compères vitelloni…
    Critique lui-même et dessinateur, scénariste et écrivain  puis réalisateur, considérant la fabrications d'un film comme l’équipée d’un capitaine entraînant un équipage décidé à marcher en sens contraire… poète en mouvement incessant et formidablement attentif au moindre détail de ses réalisations (autant que son ami Pasolini, dont il freina la moindre les débuts, ou que Visconti dont on découvre ici les détails de la brouille et de la réconciliation), qui était essentiellement Fellini en tant qu’artiste? Un pittore ! Un peintre, répondait-il lui-même. Un peintre de notre temps aussi peu réaliste qu’abstrait, un peintre sur bulles de celluloïd qui eût aimé « fixer » un seul tableau, mais quoi, fermons les yeux tout en lisant : le tableau demeure…
    Tullio b1b02536657f77430e9ec60f7cbfe93b.jpgKezich. Fellini. Gallimard, Biographies, 412p