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Le quotidien sacralisé

 

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Sur l'édition préoriginale de La Symphonie du Loup, de Marius Daniel Popescu

L’une de mes plus grandes joies, en tant que lecteur de métier, a toujours été d’assister à l’éclosion d’une œuvre nouvelle. Dans un monde qu’Armand Robin disait celui de la « fausse parole », où la dévaluation et la prostitution du langage atteignent aujourd’hui des proportions universelles, l’émergence d’une voix réellement singulière, modulée en style sans pareil, me touche toujours autant que la redécouverte de tel ou tel grand livre. C'est dire que je ne cherche pas la nouveauté pour elle-même, à l’imitation de tant de jobards se pâmant devant le dernier gadget au goût du jour, mais l’expression, imprévisible à tout coup, d’une perception renouvelée des choses et des mots.
J’aurai vécu un tel choc à la découverte des livres de Thomas Bernhard, puis à celle d’Antonio Lobo Antunes, et plus récemment dans l’amorce d’un livre soudain jailli comme d’une source, sous la plume de Marius Daniel Popescu, poète et prosateur d’origine roumaine (né à Craiova en 1963 et vivant à Lausanne depuis 1990) qui ne savait pas, il y a dix ans de ça, un mot de français. Or c’est à la cristallisation d’une langue-geste originale, d’un style à la fois limpide et percutant, et d’un art de la narration jouant sur l’expression orale et l’alternance de multiples strates vocales, qu’on assiste ici. Plus encore, c’est à la transmutation d’un regard, à la fois candide et grave, et à l’affirmation, tendre et violente, d’une pensée incarnée que nous confronte l’écrivain.
A propos des quatre premiers recueils de Marius Daniel Popescu parus en Roumanie, les auteurs d’une anthologie de la poésie roumaine des années 80 et 90 écrivaient que « l’idéal de cette poésie transparente est de révéler la métaphysique des faits de chaque jour ». Ce qui frappe en effet, chez Popescu, tient à sa façon de « sacraliser » la plus humble réalité sans la désincarner pour autant, avec les mots les plus usuels. Les mots sont pour lui les signes rituels d’une sorte de baptême où chaque chose serait requalifiée au plus simple et au plus juste, dans une lumière épurée.
Humainement parlant, peu d’individus que j’aie rencontré m’auront jamais donné l’impression de se payer moins de grands mot que Marius Daniel Popescu. Littérairement parlant, peu d’auteurs des nouvelles générations me semblent capables de dire autant que lui avec si peu d’effets de rhétorique. Par son mélange de limpidité et de véhémence, de porosité extrême à la vie de tous les jours et de pulsations rythmique et mélodiques marquant chaque phrase, Popescu m’apparaît, dans la centaine de pages inédites que je connais de lui, comme un capteur d’émotion et un enlumineur de réalité dont il faut attendre beaucoup.

Ce texte accompagnait la publication, sous le titre Les couleurs de l’hirondelle, des premières pages inédites de La Symphonie du Loup à venir, publiées dans le numéro 43-44 du Passe-Muraille, en décembre 1999.

Photo JLK

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