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Blowin' In The Wind

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De Bob Dylan à Robert McNamara

A La Désirade, ce samedi 29 décembre. – J’ai commencé la journée d’hier par une longue balade dans la foulée de Bob Dylan, tel que le raconte François Bon, et nous avons fini la soirée entre amis à regarder The Fog of War, où Robert McNamara, l’un des Masters of War que stigmatisait Dylan au début des années 60, parle longuement, face à la caméra, de sa trajectoire et de ses dilemmes de patriote américain qui aura vécu les bombardements incendiaires de Tokyo (100.000 morts en une nuit) et la terrifiante épreuve de la crise cubaine, avant la guerre au Vietnam dont la fuite en avant  le désolidarisa finalement de Lyndon Johnson alors qu'il en fut longtemps l'apologiste froid.
Ce que j’aime beaucoup, dans la chronique biographique très serrée de François Bon, c’est qu’elle déconstruit la réalité d’une légende sans sacrifier l’aura de celle-ci. Comme un Blaise Cendrars, Robert Allen Zimmermann a senti très tôt que sa mythologie personnelle ne prendrait corps qu’au prix d’une image composée qui ferait de lui un personnage de roman (entre Dickens qu’il adorait, Mark Twain et Woodie Guthrie dont le récit de vie lui fut un choc), sans pour autant qu’il y ait là le début d’un marketing au sens actuel. Or cette légende de l’orphelin à casquette sur l’œil, mal sapé, mal lavé et dormant volontiers chez ses amis, « oubliant » sa fidèle parenté avant de lui imposer son pseudonyme, ne serait qu’un petit folklore sans l’omnivore obsession du folkeux revisitant ce fonds musical et poétique pour devenir une véritable mémoire vivante de l'Amérique d’en bas.
cec0c388c9eafabe41c0d8365017408a.jpgFrançois Bon connaît la musique, à tous les sens de l’expression, et comme on ne la lui fait pas, c’est avec autant de connaissance éprouvée du sujet (lui aussi est une mémoire ambulante, et sa pratique personnelle d’écrivain et de musicien y ajoute encore) que d’instinct « romanesque » des situations vraies (réelles ou recomposées) qu’il retisse sa chronique en rectifiant souvent les versions par trop enjolivées ou gâtées par la rancœur des uns et des autres. Ce qui est sûr, c’est que sa bio permet au lecteur attentif de se faire une image précise, jusque dans les flous de cette vie parfois flottante (la vie végétative de l’artiste comptant à cet égard autant que l’herbe à fumer), d’un personnage à la fois convaincu de sa vocation singulière, faisant miel de tout ce qu’il grappille au passage (on l’accusera plus d’une fois d’appropriation par jalousie) et ne cessant d’écouter les autres, d’admirer et d’aimer (à commencer par Woodie Guthrie), d’imiter et de réadapter (ses premières compositions mythiques revisitant d’anciens thèmes oubliés), de partager la passion de ses partenaires professionnels ou affectifs (il découvre Rimbaud avec Suze) et de cristalliser peu à peu son propre récit de l’Amérique, dont l’histoire le rejoint soudain à la veille de sa rencontre avec Joan Baez, juste après l’éclosion de ses premiers titres mythiques, de Blowin’ In the Wind à Don’t think twice, it’s Allright.
J’écoutais No Direction Home en lisant François Bon, regroupant dans le film de Scorsese des enregistrements au son fréquent de fond de cave ou de salles d’époque, et c’était toute une époque de nos adolescences qui me revenait avec des échos de notre premier tourne-disques (mon père débarquant triomphalement un soir avec l'objet en question et Day O d’Harry Belafonte, d’ailleurs présent en ces pages) et de nos émissions de radio préférées; et ce fut le soir, après le énième passage d’I was young when I left home et de Masters of War, lorsque, avec nos amis, nous avons préféré, à la baveuse Star’Ac dédiée au jeune Gregory angélisé-victimisé, le film d’Errol Morris (Oscar 2004 du meilleur documentaire) constitué par le récit rétrospectif d’un demi-siècle de danse sur le volcan nucléaire, par l’ancien Secrétaire de la Défense de Kennedy puis de Johnson, Robert McNamara.
Un des maîtres du monde dit libre qui vous dit, comme ça, que ce qu’il a fait lui vaudrait la qualification de criminel de guerre si sa nation avait été vaincue, n’est pas banal, mais ce n’est ni dans le plaidoyer pro domo ni par l’autocritique que le récit de McNamara saisit et passionne: c’est par la mise en évidence, très documentée, d’une montée aux extrêmes marquée par quelques épisodes affolants (François Bon rappelle le climat de la crise cubaine vécu par Bob Dylan et les Américains, comme nous l’avons éprouvé nous-mêmes de loin) dont nous ne sommes pas sortis, même si nos enfants continuent à chanter au coin du feu, en attendant que les temps changent :

On mettrait les fusils et les tanks au fond de la mer
Ils sont les erreurs de l’histoire ancienne…


f6b18dc3a8a5444355b248674eeebd86.jpgFrançois Bon. Bob Dylan. Fayard, 485p.
530b00731e85069d054f606e35bc4966.jpgErrol Morris. Brume de guerre (The Fog of War). DVD Gaumont.

Commentaires

  • je me reconnais dans cette approche - la difficulté, dans ce genre de bouquin, c'est qu'on doit complètement s'abandonner à celui qu'on décrit, laisser ça s'inscrire dans notre dos, sans intention - alors tant mieux si c'est reçu - chez moi, avec le 1er tourne-disque telefunken, il y avait un Dario Moreno, un Fernand Raynaud et la Symphonie Fantastique de Berlioz, jamais compris pourquoi et comment l'assemblage - je suppose que vous aviez lu ses "Chroniques " ? pensées amicales pour la nouvelle année virtuelle...

  • Nous arrivons à l'instant de ville où nous avons enfin vu I'm not there. Je ne l'aurais jamais autant apprécié (en partie en tout cas) sans avoir lu votre livre. Il me semble qu'on y retrouve, avec en sus quelques chansons magnifiques et bien placées, l'esprit du barde populaire dont vous parlez, et c'est d'autant plus émouvant d'en voir diverses facettes, entre le merveilleux enfant "Woodie" et le Bobby de Kate. Il y a là une liberté, une richesse de notations ou d'invention narrative et une poésie réelles. L'année prochaine je vais me mettre en quête des Chroniques dont ce que vous citez est impressionnant. Merci et bonne année réelle à vous.

  • Je me souviens d'avoir bondi il y a quelques mois en réaction à votre texte au sujet de "Dylanesque", dithyrambe qui portait aux nues Ferry aux dépens de Dylan que vous égratigniez gentiment. Qu'on puisse seulement les comparer c'est ce qui m'avait choquée .La "vestale du temple" vous a vu depuis vous laisser doucement gagner par le virus ...;)

    J'ai apprécié ce Blowin' in the wind du 29.12. Je l'ai lu le jour-même et y suis revenue plusieurs fois depuis. Malgré tous les commentaires que sa richesse suscite, bizarrement j'en ai toujours terminé la lecture avec cette seule interrogation: quid d'I'm not there? , me demandant si vous zappiez ce bijou de film délibérément (agacé par ramdam médiatique concentré sur la performance de Kate Blanchett?) ou en pensiez tant de mal... Je suis rassurée, vous devriez nous en parler sous peu. Enfin j'espère.
    Je vous souhaite une très belle et riche année 2008.

  • Bonne vie à vous sous ce nouveau millésime. Quant à Dylan & Co, je ne me souviens pas de l'avoir égratigné au profit de Bryan Ferry, ou alors c'est un malentendu. J'avais bien aimé ce tribute to du dandy, mais il va de soi que Dylan est d'une autre envergure, qui fait en outre partie de notre jeunesse éternelle; et je n'ai pas, à ce propos, le sentiment qu'un virus tardif m'ait atteint puisque ça remonte à la nuit de mes temps, ou l'idolâtrie tient une place mineure au demeurant. Le grand mérite de François Bon est d'en avoir rafraîchi l'histoire sans donner dans le "culte". Quant au film, je n'en ai pas parlé faute de l'avoir vu - ce qui ne me démangeait pas vraiment. Je le trouve attachant et très habilement construit, même si la figure de l'ange déjanté me semble un peu trop envahissante. Mais le reste fait contrepoint, et la poésie est au rendez-vous.

  • Oui après relecture, je crois devoir faire mea culpa.. voire mea maxima culpa. Je me suis un peu égarée au sujet de vos coups de griffes dans l'article "Dylanesque", et surtout dans mes extrapolations un peu déplacées quant à votre goût récent pour Dylan! merci de m'en excuser.
    La bio de Dylan par François Bon me paraît incontournable tant pour un néophyte que pour un fan chevronné, hum.. je ne l'ai pas encore commencée..Bizarrement, je suis si persuadée de trouver un plaisir jubilatoire à cette lecture que j'en recule toujours le moment ! !Je suis plus sceptique quant au tout-récent "Dylan par Dylan, interviews 1962-2004"aux éditions Bartillat... auquel tout de même je n'ai pu résister.
    Quant au film il est si personnel qu'il atteint l'universel, il ne peut-être que discuté tant dans sa forme que dans son fond. J'ai eu l'impression de plonger dans le rêve d'un autre, s'immiscant dans son cerveau ..et de le suivre étonnée, piquée, charmée et parfois interrogative dans sa rêverie hallucinée. C'est une oeuvre très forte et extraordinairement originale et osée dans notre époque si.. formatée!

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