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Une descente aux enfers

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En relisant Monsieur Ouine de Bernanos, dans la foulée de Guy Dupré

C’est une vraie folie, un vrai délire de poésie confuse qui souffle à travers Monsieur Ouine de Georges Bernanos, véritable plongée faulknérienne dans la terre pleine de jeunes morts et dans le trouble des corps et des âmes, dont le trou noir qui menace de tout avaler est ce désir froid d’une espèce de spectre vivant suave et gluant. Guy Dupré rappelle, dans un article pénétrant qui vient de reparaître en recueil, le lien secret courant entre le personnage du vieux pédéraste et celui de l’auteur de Corydon, et de fait il y a chez Ouine la même sensualité molle, la même afféterie rusée, la même délectation morose, la même envie de posséder la jeunesse qu’on retrouve dans le ton de Gide, plus encore chez l’homme (je pense à ses entretiens enregistrés) que chez l’écrivain.
La grandeur de Bernanos est d’inscrire son personnage dans une dramaturgie métaphysique qui fait retentir sa monstruosité dans sa double dimension minable et cosmique, et plus encore dans ce que révèlent ses relations, avec l’Enfant Steeny tout prêt à le suivre et/ou à l’écraser comme une blatte, avec les proies innocentes (sa propre innocence souillée criant vengeance, comme si souvent il en va des pédophiles initialement violés) autant qu’avec les gens qui l’entourent sans se douter qui il est ni voir ce qu’il défait sous ses airs de sainte nitouche.
Amiel parlait de la décréation que signifie l’amor sui, et c’est précisément cela qui agit à travers Monsieur Ouine, qui n’incarne pas que l’hésitation du oui-non mais l’affirmation du non sous couvert du oui. Guy Dupré remarque justement que Monsieur Ouine est le seul personnage qui n’a pas peur de la mort, du fait que la portée métaphysique de la mort lui est totalement étrangère, ou plus exactement : qu’il l’avale dans son trou noir.

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Guy Dupré souligne le caractère inspiré, plus qu’artiste, de ce très grand livre, et c’est pourtant un roman d’une poésie exacerbée que Monsieur Ouine, dont le critique parle ici à partir de l’édition des Carnets de Monsieur Ouine, creuset hallucinant de l’œuvre, où Bernanos tâtonne follement à la recherche de chaque mot et de chaque phrase, comme un somnambule dans un verger cueillant tantôt des bijoux et tantôt des cailloux ou des genoux ou des poux. On lit par exemple (folio 13) « de briller. La vanité. La vanité l’emporta sur. La van. La vanité d’un facile triomphe. La vanité triomph. l’emporta. Néanmoins la vanité. La vanité l’emporta. Une fois de plus pourtant, la vanité l’emporta sur la méfiance. Mais la vanité. Néanmoins la vanité », etc.

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Ouine est un démon dostoïevskien à la française, bien que le roman ne soit ni russe ni français. Ouine est du pays de l’enfance perdue, quelque part dans un cave belge où rôde l’ombre de Dutroux, ou dans une cabane du Far West pourri où pourrisent les reste de l’Enfant de Dieu de Cormac McCarthy.
« Ce n’était pas l’homosexualité qui intéressait Bernanos », note encore Guy Dupré, « mais le phénomène d’inversion ontologique fixant le sujet sur son propre sexe – c’est-à-dire sur sa propre essence d’être qui aime. Selon la belle expression populaire : Gide se préférait. Et l’homosexualité de Monsieur Ouine, symbole de l’amour du « moi » - dont Maître Eckhart affirme qu’il n’y a que lui qui brûle en enfer – est bien la curiosité sans amour telle que le vieux Corydon la notait, à la veille de sa mort, comme une particularité de sa nature : « Mon désir, fait en partie de curiosité, s’épuise très vite et même, le plus souvent, lorsque le plaisir est parfait, je me sens saoulé d’un seul coup ».
Enfin Guy Dupré de conclure avec quelle pénétration : « Il y aurait un troublant parallèle à établir entre certaines notations d'André Gide et la confession post mortem de Monsieur Ouine: "Il n'y a en moi ni bien ni mal, aucune contradiction, dit celui-ci, la justice ne saurait plus m'atteindre, tel est le véritable sens du mot perdu. Non pas absous ni condamné, oui, perdu, égaré, hors de toute vue, hors de cause... S'il n'y avait rien, je serais quelque chose, bonne ou mauvaise. C'est moi qui ne suis rien..."

Georges Bernanos. Monsieur Ouine. Plon, 1946. Carnets de Monsieur Ouine, rassemblés par Daniel Pezeril. Seuil, 1991.
Guy Dupré. Je dis nous. La Table ronde, 2007.

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