En lisant Tom est mort
Marie Darrieussecq est-elle une usurpatrice littéraire, et son dernier livre, Tom est mort, relève-t-il de l’exploitation opportuniste d’un thème « porteur » ?
Telles sont les questions que d’aucuns se seront posées en réaction à la polémique qui a marqué la parution du dernier livre de la romancière, violemment attaquée par Camille Laurens. Celle-ci, on le sait, a perdu un enfant, ainsi qu’elle en a témoigné dans le mémorable récit intitulé Philippe, un livre d’ailleurs fort apprécié par Marie Darrieussecq. Or ce que Camille Laurens n’a pas supporté, c’est que celle-ci ose traiter le même thème sans avoir vécu la chose. Et de l’accuser de piratage et d’usurpation : "Le cul sur ma chaise ou vautrée dans mon lit de douleur"…
On sait aussi que l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens a répondu à Camille Laurens dans une prise de position virulente en défense claire et nette de Marie Darrieussecq, et qu’il a décidé de ne plus publier la plaignante intempestive. Mais que penser de tout cela ? Un seul moyen n’est-ce pas : lire Tom est mort.
Tom est mort est-il un gadget éditorial ou est-ce un livre sérieux ? Je dois avouer que je l’ai abordé avec un brin de scepticisme, un peu las des romans jouant sur les sentiments forcément compassionnels, notamment en ce qui concerne la perte d’un enfant. La littérature universelle est pleine d’enfants morts, mais il n’y a que peu de temps que le thème est devenu comme une fin en soi, à l’image des romans-cancer ou des romans-sida de quelques saisons. J’ai tremblé deux ou trois fois pour mes enfants, et j’ai vécu de près la longue agonie de la petite fille d’un ami, j’ai lu avec émotion les premiers livres de Philippe Forest, puis j’ai eu le sentiment pénible que cet écrivain ressassait son thème, comme l’illustre justement son dernier roman, mais alors Marie a-t-elle péché ?
J’avoue ne pas bien connaître l’œuvre de Marie Darrieussecq. Truismes ne m’a pas fasciné à l’époque, et je crois bien n’avoir lu ensuite que Naissance des fantômes, qui me laisse un souvenir plus intense, Bref séjour chez les vivants et Zoo l’an dernier, où il y a du très bon et du passable, mais bref. Car avec Tom est mort, sans plus penser à la polémique, j’ai marché presque tout de suite. Pas tout à fait tout de suite, car le départ se fait un peu à tâtons, et pourtant aussitôt m’a frappé la justesse du ton et l’étonnante dérive de la narratrice à travers le temps, jusqu’au moment où le récit trouve ses objets et s’agence dans une sorte de phénoménologie spontanée de la mémoire. Et le livre se fait alors, avec ses angles vifs et ses points de fuite, sans une fausse note.
Rien dans Tom est mort ne sent le déjà-vu ou le copié-collé, même si le récit nous en rappelle d’autres, et d’autres aussi que nous nous sommes faits à nous-même. Car Tom est mort parle du fantôme à la fois absent et omniprésent du petit garçon qui ne veut pas mourir dans la conscience à vif de sa mère, tant du moins que celle-ci ne l’aura pas couché par écrit, si l’on ose dire, pour devenir une fiction ouverte à tous.
Tom est mort est une fiction que Marie Darrieussecq nous offre à vivre et à méditer. Il y est question non seulement d’un enfant mort mais de tout ce qui meurt tous les jours dans notre vie, et donc de tout ce qui vit. Il est question de grands manques d’amour et de petites négligences connes. Ici et là, telle ou telle phrase m’a semblé un peu trop bien filée, je me suis dit « littérature », mais c’est ça aussi qui fait la pâte et la patte de l’écriture de Darrieussecq, et d’ailleurs aussi de Camille Laurens : c’est le goût des mots, la lumière ou l’opacité des mots, l’essai de dire l’indicible avec des mots et tout ce qui se lit entre les mots et les lignes. Pas une once de pathos là-dedans mais tous les sentiments alternés dans le chaos et la musique des jours et des mots.
Bref, Tom est mort est un livre sérieux, à la fois dur et doux, mélancolique et pacificateur, un beau livre en vérité, autant d’ailleurs que Philippe. Au ciel, celui-ci a d'ailleurs très gentiment accueilli celui-là. Hélas Camille Laurens n'a pas l'air au courant...
Marie Darrieussecq. Tom est mort. P.O.L. 247p.
Commentaires
Je ne suis pas d'accord avec vous JLK.
En effet, 2 femmes chez le même éditeur, qui se connaissent trés bien. l'une a vécu un drame la perte d'un enfant et a écris chez ce même éditeur "Philippe" le racontant.
Plusieurs années aprés, son amie, qui n'a jamais caché son attrait pour son livre, utilise le même théme et crée un ressenti trés fort chez son amie qui manifestement n'a pas clos son deuil.
On peut comprendre ce sentiment d'effraction sentimentale. Sutout sous le coup de la surprise.
Je le comprends et je comprend le cri du coeur de Laurens, qui aurait peut être aimée que sa collégue et amie lui en parle avant.
Voilà, ceci dit pour le plagiat c'est un faux procés. Nous tous savons qu'il n'est pas besoin d'avoir vécu une situation pour écrire dessus.
Néammoins de la subtilité et de la pudeur, peut à mon sens être aussi demandé à un auteur, surtout si elle travaille chez le même éditeur que vous. Cela manque trés clairement d'élégance, et pour moi Marie Darrieussecq sacrifie une amitié pour un livre.
C'est cela que je n'apprécie pas.
Si le pathos ne s'exprime pas dans les livres, assurément il s'exprime dans les relations laurens-darrieussecq.
Affaires de femmes amies. Attention.
Pour le livre ne l'ayant pas lu, je fais confiance à votre jugement.
J'ai pensé comme vous avant de lire le roman de Marie Darrieussecq. A présent j'estime que l'inélégance est essentiellement du côté de Camille Laurens, tout en comprenant la blessure de celle-ci...
J'ai lu hier le texte de Camille Laurens sur le site de Editions Léo Scheer(http://www.leoscheer.com/Texte_C-Laurens_RL32.pdf ) il y a une vérité dans le déroulement des faits, un accent de sincérité qui impressionnent un peu et effectivement la mise en parallèle de certaines phrases est troublante... Rien n'est déplacé, hystérique dans ces lignes. Drôle de querelle, un peu triste.. et quelque part absurde.. Salomon n'a eu qu'à trancher sur l'attribution de l'enfant qui restait vivant, ici c'est le mort qu'on se dispute...
Triste en effet, surtout que ça devienne le thème d'une leçon de pureté largement étalée. C'est ça qui me gêne, même s'il y a eu indélicatesse d'autre part. Or on sait ce que sont les écrivains souvent: des vampires, et tantôt qui en ont l'air, mais tantôt aussi avec des airs de chattemites. Pour ma part, j'ai toujours préféré les livres à leurs auteurs, à quelques rares exceptions près...