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L'Octave en dessus

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Au secours pardon, le best de Beigbeder
Il y a des gens que Frédéric Beigbeder insupporte, et j’en ai été de loin en loin, à cause de Windows on the World, que je trouve un livre raté, et surtout pour les apparitions médiatiques du personnage, qui font oublier que le personnage est aussi un écrivain. Or celui-ci rebondit avec Au secours pardon, qui n’est certes pas un grand roman mais dans lequel, en dépit d’artifices narratifs censés multiplier les points de vue sans être vraiment convaincants, se déploie un souffle remarquable, que pimente un humour mordant. Surtout, c’est intéressant. Un soir chez Pivot, qui lui demandait pourquoi il s’intéressait à Balzac, Michel Butor lui répondit : parce que c’est intéressant. Balzac intéressait les lectrices de son époque (et quelques lecteurs aussi) parce qu’il leur expliquait comment ça se passait dans les sphères variables du plus ou moins beau monde, et c’est sans doute ce qui plaît aussi aux lectrices et aux quelques lecteurs de Beigdeber, outre qu’il les titille où et comme il faut: c’est qu'il dit des choses intéressantes sur le système que Peter Sloterdijk appelle le « désirisme sans frontières », qu’il décrit avec autant de clarté et de vivacité que de cynisme et de drôlerie.
Comme dans 99 francs, mais avec plus d’ampleur et d’épaisseur aussi, Beigdeber excelle ici dans le behaviourisme littéraire en décrivant, par le truchement de la confession dont il accable un pauvre pope moscovite, les menées d’un chasseur de top models au pays de (Ras)Poutine. Comme tous les enfants auxquels on n’a jamais rien refusé, dit-il lui-même, Octave est un éternel insatisfait, Werther de drugstore au ricanement qui « sonne vulnérable », mais il n’en a pas moins d’énergie sous ses apparences languides, et son observation est aussi affûtée que celle d’un certain Houellebecq, en plus tchatcheur et en plus aimable aussi, en plus rigolo. 
Plus qu’un roman, Au secours pardon est une sorte de discours très français d’inspiration, dont la verve satirique oscille sans cesse entre une dégoise désabusée d’humoriste médiatique, aussi vulgaire que le protagoniste de La possibilité d’une île, et des notations beaucoup plus raffinées, voire plus profondes, qui donnent sa densité et certain charme au livre.
« Pour décrire le System qui domine désormais la planète », déclare le crâne Octave au pope taiseux, « le maître mot ne devrait plus être « capitalisme » mais «ploutocratie désiriste ». Des siècles d’humanisme européen ont été réduits en bouillie par unje utopie collectiviste suivie d’une utopie commerciale. Si le désir, selon bossuet (un curé comme vous) est un mouvement alternatif qui ve de l’appétit az dégoût et du dégout à l’appétit, alors une société désiriste alternera toujours ces deux idéologies ; l’ « appétisme » et le « dégoûtisme ».
Octave lui-même est à la fois « appétiste » et « dégoûtiste », et ce n’est pas encore cette fois qu’il gagnera la membership card du paradis. Une fois encore, les ajouts « romanesques » par mails, extraits de blogs et autres dépositions de divers personnages, censés enrichir la dramaturgie du livre, me semblent autant de pièces rapportées, comme on le constate aussi dans les romans de Philippe Sollers, pas plus romancier précisément que Beigbeder. Peu importe à vrai dire : même un peu jetée parfois, la chose ressaisit bel et bien le ton d’une époque et d’une génération, regorgeant de bonnes phrases efficaces en diable.
Frédéric Beigbeder. Au secours pardon. Grasset, 316p.

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