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Gripari caviardé

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J’ai censuré l’infréquentable...
La récente livraison de La Presse littéraire consacrée, hors série, aux Ecrivains infréquentables, comporte diverses lacunes déjà signalées dont la présence de Pierre Gripari n’est pas des moindres. Celui que nous appelions Gripotard, du nom d’un de ses personnages, n’était pas, en effet, qu’un jovial conteur pour les enfants, dont les Contes de la rue Broca, La sorcière de la rue Mouffetard ou Le prince Pipo et la princesse Popi ont enchanté nos mômes: c’était aussi un écrivain puissant et original, quoique assez inégal dans ses réussites romanesques, et, au naturel, une espèce de franciscain rigolard en sandales que ses idées politiques et religieuses, autant que sa dégaine de pauvre, avaient mis au ban de la société littéraire. Si les éditeurs en vue ne crachaient pas sur le succès de ses livres pour enfants, il a fallu un Dimitrijevic, à L’Age d’Homme, pour accueillir « tout » Gripari, et vraiment « tout », sans aucune réserve.
Pierre Gripari, après un séjour juvénile chez les staliniens, avait rejeté le communisme après avoir rejeté l’horrible démocratie bourgeoise, pour se retrouver dans une sorte de fascisme « platonique » qui empruntait à la défense mussolinienne de la classe moyenne et des artisans. Il y avait en lui du « révolutionnaire de droite », si cette expression peut avoir un sens, qui rejetait également toute foi religieuse. Une lecture sérieuse de la Bible, quoique très « fondamentaliste » à contresens, ou disons purement «rationaliste», lui faisait trouver dans l’Ancien Testament le germe du nazisme, qu’il rejetait également, et l’origine aussi, dans le Nouveau testament, de l’humanitarisme contemporain, qui lui était odieux.
Or désirant, au mitan des années 70, présenter son œuvre dans un hebdomadaire suisse romand, et trop fauché moi aussi à ce moment-là pour faire le voyage de Paris, je soumis par écrit un lot de questions à notre ami, qui leur répondit avec la minutie consciencieuse et la liberté de ton qui étaient siennes.
Je fus plutôt satisfait, sauf de deux expressions qui, décidément, coinceraient auprès de la rédaction de Construire, « hebdomadaire du capital à but social », dirigé alors par une femme admirable du nom de Charlotte Hug qui ne saurait, je le savais, admettre de telles formules, ne fût-ce que par respect de ses 600.000 lectrices et lecteurs de tendance massivement démo-chrétienne…
Mais quoi donc qui coinçait en l'occurrence? Cela que Pierre Gripari taxait le Dieu de l’Ancien Testament d’« ordure nazie » et son fils unique Iéshouah de «salope sentimentale», ce qui faisait beaucoup à la fois pour de braves gens.
Or je fis, à Gripari, la proposition de couper lui-même ces termes, sans remettre en cause le reste de ses propos, assez gratinés déjà. Mais rien n’y fit, et je coupai donc d’autorité. L’infréquentable me trouva faible : je lui répondis qu’il attigeait. L’entretien parut du moins, dont il me remercia. Comme nous n’étions riche ni l’un ni l’autre, je lui proposai de partager le pactole de 600 francs suisses que la chose me rapporta. Gripari l’accepta et m’en sut gré malgré ma censure. Pour ma part, je suis rétrospectivement content de lui avoir rendu ce service. S'il en avait connu les tristes péripéties, sa mort absurde l’aurait conforté dans l’idée que ce monde l’est absolument, autre point sur lequel nous divergions décidément, mais c’est une autre histoire…

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