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Deux écrivains magnifiés

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Jorge Luis Borges et Gerhard Meier à l’écran

Les amateurs de cinéma ouverts à la littérature (ou vice-versa) ont été gâtés, à Soleure, avec la projection conjointe de deux films remarquables qui rendent hommage à des écrivains que rien ne rapproche, sinon le même amour de leur art : le grand Jorge Luis Borges et Gerhard Meier, que Peter Handke dit justement ici l’un des auteurs alémaniques les plus importants du XXe siècle.
Dans le film intitulé Monsieur Borges and I, la jeune réalisatrice américaine Jasmin Gordon, établie en Suisse, aborde l’univers de Borges par la bande en laissant la parole à un homme tout à fait singulier, borgésien d’aspect (une sorte d’axololtl à lunettes) et qui n’est autre que Jean-Pierre Bernès, le complice, ami et commentateur du grand écrivain, ayant établi l’édition de La Pléiade, entre autres travaux de défense et d'illustration.
Il n’est pas question, dans ce petit film de 22 minutes, de l’œuvre de Borges ni de beaucoup d’aspects de sa vie, si ce n’est de ses rapports (rares) avec les femmes, la domination de sa mère (sur laquelle il a fini par s’exprimer), le rôle de la dernière « personne » qui l’a épousé très tardivement avant de prendre en main la succession de la façon controversée qu’on sait (Bernès a l’élégance de ne pas s’appesantir là-dessus mais ses expressions en disent long), la cécité et l'amplitude de sa postérité, qu’il évaluait à douze pages environ, souhaitant plutôt l’oubli complet en fin de compte…
medium_Borges2.jpgCes derniers propos rapportés par Jean-Pierre Bernès se modulent devant une dune de sable immense descendant vers l’océan, dont la vision épurée contraste avec les images de l’enterrement en grande pompe à la cathédrale Saint-Pierre de Genève, où tout un monde se pressait pour être vu. En autre contraste, l’image de la pierre tombale de l’écrivain, toute simple, évoquant une stèle de barde nordique, fait écho à ce monde hors du monde de la mémoire du poète que Jean-Pierre Bernès hante comme un familier du Labyrinthe, et que le film de Jasmin Gordon revisite avec talent.


medium_Meier.jpgTout autre, évidemment, est le climat, le ton et la tournure de Das Wolkenschattenboot de Friedrich Kappeler, qu’on pourrait traduire par le bateau d’ombre-nuage… et qui restitue magnifiquement la double présence littéraire et humaine de Gerhard Meier, puisque l’écrivain y apparaît à diverses périodes de sa vie, à commencer par la plus mélancolique, après la mort de son épouse, dont le requiem poétique se module dans Ob die Granatbäume blühen, paru chez Suhamp en 2005.
Gerhard Meier est encore peu connu en France, malgré les diverses traduction de ses livres parus chez Zoé. La mode française est actuellement à la redécouverte de Robert Walser. Comme d’ordinaire (on l’a vu sous la plume de Pierre Assouline, qui va jusqu’à prétendre que Walser est moins connu en Suisse qu’en France, ce qui fait pour le moins sourire…), les Français accoutument de s’extasier devant tel auteur « étranger » avant de l’oublier pour décider ensuite que tel autre est le seul à considérer. On a vu ainsi Peter Handke célébré les yeux au ciel, puis ce fut Thomas Bernhard, et maintenant il n’y en a que pour Walser. Tant mieux n’est-ce pas, mais préparons à présent le terrain d'une pâmoison prochaine en invitant nos chers voisins à découvrir Gerhard Meier.
L’ennui, s’agissant du film de Friedrich Kappeler c’est qu’il n’est même pas sous-titré, et que Gerhard Meier s’exprime ici en dialecte alémanique. Ainsi perd-on beaucoup de la substance savoureuse de la conversation pleine d’humour et de cocasserie de cet homme, et de sa compagne, qu’on voit chez eux dans leur grande vieille maison de famille paysanne de Niederbipp, au pied du Jura, puis dans le jardin édénique de l’hôtel Salis à Soglio, devant la maison de Nietzsche à Sils-Maria ou dans celle de Tolstoï à Iasnaïa Poliana.
Ainsi que le dit Peter Handke dans un éloge spontané, le génie de Gerhard Meier tient au souffle de sa phrase et à l’espèce de vis sans fin de ses développements, revenant et revenant sur ses thèmes en variations qui montent peu à peu vers l’espace et l’universel. C’est exactement de la même façon que procède Friedrich Kappeler dans son beau film généreux et lyrique, aussi sensible que Meier à la beauté du monde qu’attentif à nos tribulations exitentielles. Reste à espérer une version sous-titrée, et qu’on découvre Gerhard Meier, si proche de Robert Walser et comme celu-ci telleent personnel et incomparable...

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