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L’échappée belle


A propos du Secret de Brokeback Mountain et d’Un garçon près de la rivière
C’est une émouvante histoire d’amour que Le secret de Brokeback Mountain, une splendide évocation des grands espaces du Wyoming, mais également une étonnante galerie de portraits de gens ordinaires de l’Amérique profonde, pour lesquels l’homosexualité reste une tare qui justifie, hier au propre et désormais plutôt au figuré, le lynchange qu’évoquent d’ailleurs plusieurs scènes, dont la plus terrifiante a marqué le taiseux Ennis dès son enfance.
D’aucuns se rassurent en se disant que l’action de ce film se situe au début des années 60, mais il est probable, malgré les lauriers qu’il a glanés de Venise à Hollywood, que les situations qu’il décrit perdurent aujourd’hui encore dans la même Amérique et partout ailleurs. Les composantes du matriarcat à l’américaine, du puritanisme moral et de l’angoisse de manquer à la virilité, sont évidemment propres aux States, prenant un relief tout particulier dans l’ordinaire décor des westerns traversés de mecs « qui en ont », mais ce que vivent Jack et Ennis est imaginable un peu partout, et surtout si l’on admet que leur transgression des règles de la morale des familles, et plus encore de la virilité, se double du besoin d’échapper de temps à autre au poids du conformisme, de la mesquinerie et de la médiocrité en général. De fait, il est relativement peu question de sexe dans ce film qui n’est pas, non plus, une « défense » militante de l’homosexualité. Il se distingue en cela d’ Un garçon près de la rivière de Gore Vidal, roman (paru en 1948) qui lui ressemble pourtant par certains épisodes et par sa forme de sensualité, notamment dans la relation fusionnelle avec la nature. Tout autre était cependant le dénouement de cette histoire visant à acclimater l'image de l'homo dans la littérature américaine de l'immédiat après-guerre, qui racontait les retrouvailles de deux camarades de collège, bien des années après une seule nuit très chaude, dans une confrontation finissant très mal, l’un refusant, campé dans sa virilité, de prêter la moindre importance à une frasque d’adolescence, et l’autre le sodomisant alors par dépit amoureux, le viol devenant ici l'emblème d'une revanche du gay sur l'hétéro. 
La tendresse manque cependant à Gore Vidal, du genre grand seigneur stoïcien à la romaine, alors que  Le secret de Brokeback Mountain en est au contraire imprégné, qui ne se limite pas aux deux protagonistes, et qui se prolonge en sentiments déchirants. Des larmes de la femme accablée d’Ennis, traînant dans la dèche avec ses mômes, au regard final de la mère de Jack, qui accueille l’ami de son fils défunt, le film tire en outre sa densité et sa portée des multiples petites scènes, touchantes ou terribles, poétiques ou tragiques, qui le tissent. Le classer « western gay » relève dés lors de la réduction débile : c’est simplement un film plein d’amour.
Gore Vidal. Un garçon près de la rivière. Rivages poche.

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