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Sollers à Stampa


Conversation de Moi l’un et moi l’autre (1)

Stampa, ce dimanche 22 janvier, 10h. du matin. - La liberté du roman permet d’être partout à la fois et dans le même instant, et cela fait un des grands attraits d’Une vie divine qui m’apparaît ce matin, entre les hauts feuillets écartés de roche gris sabre surmontant le village de Stampa, lieu de naissance des Giacometti, comme un grand livre de conversation et de déambulation. Tout à l’heure j’étais, mille mètres plus haut, au-dessus du col de la Maloja dont les 22 virages en épingles à cheveux ménagent l’échappée au nord du val Bregaglia (dit aussi Bergell par les germanophones), au Val Fex où ont marché et conversé Nietzsche et Thomas Mann, Kurt Tucholsky (il a signé dans le registre de l’Hôtel Fex en dessus de Jouve et de Starobinski) et Alban Berg, ce val Fex qu’on n’atteint en hiver qu’en traîneau et qui est le lieu par excellence où lire Nietzsche et cette Vie divine.
Nous nous demandions en nous chamaillant un peu, la veille sur un banc des rives du lac Silvaplana, le Professeur Alcovère (oui, le philologue bien connu de Montpellier) et moi, s’il fallait vraiment considérer Une vie divine comme un roman, lui étant plutôt pour et moi plutôt contre avant qu’une superbe créature emmitouflée de zibeline, genre Alina R. au défilé de mode des neiges, ne passe et ne nous fasse la boucler de béate béance adorative, comme au passage de la Gradisca dans les rues embrumées de Rimini, à l'époque de l'Amarcord de Fellini. 
Or ce matin, dans le Grotto Alberto de Stampa où je me remets de la cuite d’hier soir à la grappa, la conversation reprend entre moi l’un, le moraliste vieille école du genre terrien tripal sujet à la mélancolie, et moi l’autre, l’Ariel des cimes et des îles bienheureuses qui sait que l’antidote de la moraline n’est pas la défonce mais la liberté, à propos d’ Une vie divine dont moi l’un prétend que c’est un livre sans corps diluant le tout un peu dans le n’importe quoi, et moi l’autre qui y voit de plus en plus un essai de mimétique nietzschéenne se la jouant roman en beauté…

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