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Le voyage en hiver de la Diva


En lisant Les carnets de Johanna Silber, de Jean-Michel Olivier

On ne saurait imaginer meilleure lecture que Les carnets de Johanna Silber en traversant, du sud au nord, les hauts gazons enneigés de ces régions mitteleuropéennes balisées à l’est par les lacs argentins de Sils-Maria chers à Nietzsche et au nord-ouest par le Café Odéon où Joyce venait griffonner ses obscénités à Nora.
Le privilège d’un personnage de roman tel que Johanna Silber, et l’agrément de sa fréquentation, snobisme mis à part, tiennent autant aux facilités d’accès à divers lieux plus ou moins mythiques - comme la couche du roi George VI (auquel Johanna cède après l’avoir baffé), la Fenice au temps de Toscanini, le Chelsea Hotel en 1940 ou le restaurant Cathy’s de Sunset Boulevard où elle rencontra Fritz (Lang) et David (Selznick), entre autres – qu’aux multiples rêveries découlant de la vie d’une diva folle de Schubert et fondue en musique comme sainte Thérèse en mystique amniotique.
D’ailleurs la métaphore est là page 112 : « La musique vient de là, peut-être : le souvenir d’un bonheur oublié, le doux balancement du corps dans le flux maternel – cet univers liquide et chaud où nous avons baigné hors du temps et de la mort. C’est le premier rivage et la douceur inexprimable du bord de mère. Toute la musique de Schubert est empreinte de cette nostalgie ».
Mais pas que la musique de Schubert, sans blague : à l’instant la voix mourante de Billie Holiday m’enveloppe de son nuage camé aux volutes d’Embraceable you, et du coup je me dis que Johanna la diva fut à peu près la contemporaine de Lady Day, et aussi peu capable que celle-ci de vivre une vie ordinaire.
Or c’est tout l’art de Jean-Michel Olivier, après Le voyage en hiver qui évoquait la destinée de Matthias Silber, le fils incestoïde de Johanna, dans l’Allemagne des années 50, que de reconstituer comme en creux, à fines touches légères, et sous sa plume elliptique puisqu’il s’agit de carnets, cette destinée d’ange à deux têtes (l’autre étant celle de son frère Théo) qui titubent comme deux albatros à travers les années dominée par l’horrible voix du Führer.
Le Voyage en hiver de Schubert constitue le fil vocal liant de ce nouveau livre à la fois plein de musique et d'images, qu’on lit en se rappelant celles d’un Daniel Schmid (surtout dans Heute nacht oder nie) ou la vision romantique du Château de Manderley du Rebecca de Selznick et Hitchcock, d’ailleurs cité en l'année 1940. "Jamais, hélas, jamais nous ne reviendrons à Manderley", pourrait chanter aussi Johanna Silber... 
Sans peser ni forcer sur le kitsch rétro, Jean-Michel Olivier donne, avec ces Cahiers de Johanna Silber, une suite à l'un de ses plus beaux romans, qui n’a rien d’une resucée, tout en lui ménageant une nouvelle profondeur.

Jean-Michel Olivier. Les carnets de Johanna Silber. L’Age d’Homme, 2005, 132p.
A lire aussi : Le voyage en hiver. L’Age d’Homme, 1994. Poche suisse.


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