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Symphonie de la mémoire


Lecture et rencontre d'Alexandre Voisard


La femme de sa vie, ses proches et ses amis l'appellent Coco, et c'est vrai que c'en est un drôle, loustic dès son adolescence et chenapan à couteaux, jeune pillard des siens et saute-frontières du temps de guerre risquant sa peau à des jeux très dangereux, que cet Alex sacripant dont la chronique jurassienne accoutume de parler en termes désormais légendaires, célébrant le poète national de l'indépendance qui le vit lire ses poèmes devant de vastes foules.
On le savait pourtant: Alexandre Voisard n'a rien du Monument classé. Mais à lire Le mot Musique ou l'enfance
d'un poète
, voici la vie même qui ressuscite, de toute une tribu d'A joie. Et c'est en ces terres, entre Porrentruy et Belfort, dans la ferme de Courtelevant où son épouse passa sa propre enfance, que le poète évoque son besoin de se livrer.

« Il y a très longtemps que je pensais à cette autobiographie, pour rendre plus explicites les événements fondateurs à travers lesquels j'ai passé », explique Alexandre Voisard. « Mon parcours a toujours fait jaser, On avait conscience que j'avais eu un destin singulier, et j'ai souvent eu la sensation d'être incompris. Or le problème était d'extraire, de toute une profuse matière, ce qui est réellement porteur de sens. Il y avait donc un grand travail de décantation à faire. La mort du père, en 1998, a été une première injonction à l'écriture, mais il m'a fallu des années pour trouver le ton juste et la bonne distance. »

Si l'ouverture du livre est consacrée à la mort du père, puis à l'évocation des figures hautes en couleur de ses aïeux Voisard et Jolidon, Le mot Musique est également un chant à la nature, nommée par le père comme l'E ternel au jardin originel, et une façon pour l'écrivain de sentir ses racines.

« Mon enracinement dans ce pays remonte à ma première perception du monde, dans une enfance de sauvageon marquée par la conscience immédiate d'une solidarité entre les êtres et les choses. De tout temps, j'ai tenté de conformer un paysage intérieur, qui s' est constitué en moi, au paysage réel. Il y a là comme une espèce de mystique d'appartenance. J'ai toujours eu le sentiment d'avoir de la boue de mon pays sous mes talons. Ce pays c'est l'A joie, ou plus précisément le flanc de la montagne, qui descend vers la plaine et les rivières. C'est du flanc de la montagne que tout part: le rêve, le regard et le corps. »

Outre la nature, célébrée avec quel lyrisme et quelle sensualité, la musique, intensément vécue par le père, et réinvestie par le fils dans le chant de la poésie, est un motif omniprésent des Mémoires d'A lexandre Voisard. Autre thème essentiel de ce récit: la relation avec les autres et l'amitié. Hommage fervent à ses parents (même si son père et lui ont campé longtemps sur des positions opposées, l'auteur montrant par ailleurs autant de verve ironique à l'égard des siens qu' envers lui-même), Le mot Musique accorde une grande place à l'amitié et à ce que Voisard appelle plaisamment « l'université buissonnière des cafés ».

« C'est cet ami que j'appelle Loiseau », précise encore l'écrivain, « qui m'a le premier donné cette leçon, selon laquelle il me fallait être homme avant d'être poète. Durant mon adolescence, ma singularité n'a cessé de s' imposer de manière intempestive, puis j'ai appris à accepter le sort commun et concilier ma singularité et les exigences de la vie sociale. Par la suite, la prise de conscience de l'identité jurassienne a été déterminante dans ma relation avec la communauté. Dès la publication de la fondatrice Anthologie jurassienne, le patrimoine de notre littérature a été révélé, qui nous inscrivait dans un ensemble. Ensuite, le peuple jurassien nous a pris à témoins, nous autres écrivains, de sorte que nous ne pouvions nous dérober. Mais c'est une autre histoire …»

De fait, Le mot Musique ou l'enfance d'un poète, livre des fondations, n'aborde pas la saga de l'indépendance jurassienne telle que l'a vécue Alexandre Voisard. Le propos de ce livre est à la fois plus intime et plus universel. Symphonie de la mémoire, il inscrit l'enfance émerveillée et la folle jeunesse d'un poète dans une lumière d'éternelle matinée.


Le chant de vivre

La poésie romande est trop souvent corsetée, cultivée en serre par des lettreux exsangues. Avec Alexandre Voisard, c'est une autre chanson, nourrie de bonne sève et reliant l'individu au cosmos. La musique du monde et celle des mots sont liées dès l'origine dans le récit de son enfance. D'avoir entendu parler du « cœur de la terre » fait creuser l'enfant et découvrir un fruit étrange, avec le sentiment sacré d'avoir violé quelque secret. Puis de la première sève jaillissant de son corps lui vient la sensation d'une appartenance plénière (une page d'anthologie sur la divine surprise du sexe) que les sous-entendus d'un curé ne terniront jamais, alors que la conscience inextinguible d'un crime commis lui viendra du massacre d'un pauvre crapaud.

Scènes primitives ici fixées par de fortes images où tous se retrouveront. Scènes ensuite d'un théâtre d'enfance et d'adolescence où la pauvreté contraignant une grand-mère à voler son bois, l'incurie d'une mère menant seule sa barque pendant que le père « couvre la frontière », les frasques du jeune sauvage livré pour punition au redressement d'une famille paysanne puis aux internats alémaniques, s' intègrent dans le tableau foisonnant et savoureux de tout un pays.

Un ton en dessous, l'intermède genevois qui voit le jeune rebelle s' égarer quelque temps dans un début de carrière théâtrale débouche sur le retour de l'enfant prodigue, retrouvant sa place en intendant-cuistot de la tribu et jetant, avec moult bons compères, de nouvelles bases à sa future carrière de poète.

Alexandre Voisard, Le mot Musique ou l'enfance d'un poète, Bernard Campiche, 279 pp.

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