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Dans la peau des autres


Rencontre de Pascale Kramer


Le nom de Pascale Kramer s'impose progressivement au nombre des romanciers de langue française les plus singuliers, et l'accueil favorable de la critique parisienne dont a bénéficié son cinquième roman, Retour d'Uruguay, n'a rien du phénomène artificiel. De fait, le moins qu'on puisse dire est que ce roman n'est pas du genre accrocheur, pas plus d'ailleurs que Les vivants, son précédent et aussi remarquable ouvrage. Avec une empathie rare et sans effets de style, Pascale Kramer parvient à saisir et traduire, dans une langue claire et simple, toute la complexité des relations entre des individus souvent peu portés à verbaliser ce qu'ils ressentent. Un mélange d'acuité dans le regard et de tendresse sensuelle la font apparaître comme une pure romancière d'instinct, dont les observations sur la société contemporaine se traduisent par le désarroi significatif de ses personnages.

Etablie à Paris depuis des années, Pascale Kramer n'en renie pas pour autant sa patrie d'origine, dont le climat physique est d'ailleurs très perceptible dans son dernier roman.

— Pascale Kramer, comment naissent vos romans ?

— Tous mes romans sont construits autour d'un thème, quelque chose de fort que je crois avoir compris des relations humaines. A partir de là, je construis une situation, qu'incarnent peu à peu des personnages. C'est un processus assez long, qui se passe de mots pendant des mois. Une fois que l'histoire est devenue aussi vraie que si je l'avais vécue, il n'y a plus qu'à la raconter.

— Plus précisément en l'occurrence, comment la substance de Retour d'Uruguay a-t-elle cristallisé ?

— Le hasard ou le destin (je ne sais jamais lequel des deux) m'a portée vers des gens d'un autre monde, que j'ai aimés, sans rien aimer pour autant de leurs valeurs. Avec Retour d'Uruguay, j'ai voulu faire partager cela, mon intérêt pour des êtres pas nécessairement aimables. Cela met beaucoup de gens mal à l'aise, pourtant je persiste à penser qu'on s'enrichit plus à chercher à comprendre qu'à condamner.

— Comment vous situez-vous par rapport à la littérature contemporaine, romande ou française ?

— A vrai dire, je ne me « situe » pas. Je ne veux pas dire par là que je me sente « à part », simplement je ne raisonne pas en ces termes. Je lis, beaucoup, uniquement de la littérature contemporaine, pas nécessairement française, même loin de là. Mais je lis en amateur, pas en écrivain, ni en analyste, puisque je n'ai pas étudié la littérature. Si j'ai de grandes grandes admirations littéraires, mes références sont dans la vie. Mon livre idéal serait un livre qui restituerait la force des drames tels que n'importe lequel d'entre nous peut en vivre. On me parle souvent de mon style, de mon utilisation du discours indirect, de l'absence de dialogue. Tout ça est né un peu malgré moi, du souci obsessionnel de rendre très exactement la vérité des situations et des personnages.

— Vous sentez-vous Suisse ?

— Je fais plus que me sentir Suisse, je SUIS Suisse, aussi indéniablement que je suis une femme. Vivre en France et obtenir la nationalité française n'a pas fait de moi quelqu'un d'autre. Cela m'a plutôt permis de mesurer à quel point on n'échappe pas à ce qu'on est.

— L'usage de la langue française a-t-il pour vous une signification particulière ?

— Non, il se trouve que c'est ma langue, c'est tout. Toute autre aurait parfaitement pu faire l'affaire.

— Qu'est-ce pour vous qu'un roman ?

— Je ne pourrais pas imaginer d'autres formes que le roman, puisque c'est la forme qui imite le mieux la vie, et que c'est la vie qui m'intéresse. Le roman à ceci de merveilleux qu'il nous permet d'entrer dans d'autres peaux. Il peut faire ressentir des choses insaisissables, parce qu'il ne fait pas nécessairement recours à la pensée, plus à l'intuition. Il laisse surtout une très grande part à l'interprétation.


Sentiments purs en eau trouble

Il est certains livres qui vous laissent, en mémoire, une marque unique, et tel est ce Retour d'Uruguay de Pascale Kramer, qui a cela de particulier qu'il nous touche et nous trouble sans qu'il ne s'y passe grandchose, ni que ses personnages soient particulièrement remarquables. On y resonge un peu comme à un souvenir acide et tendre d'adolescence, aux postures à la fois péremptoires et ondoyantes de l'enfance, à la naissante sensualité zigzaguant entre les âges, au besoin de reconnaissance qu'un jeune homme peut éprouver de la part d'un homme fait, enfin à ces sentiments-sensations qui fondent les corps individuels dans celui de la famille ou du clan.

Pour Adrien, qui approche de la vingtaine et que rasent un peu ses parents par trop conventionnels, l'arrivée de Raphaël, le quinqua fringant et ambigu, de retour de Montevideo et flanqué de sa petite tribu — dont la piquante Nina au prénom rimant plus tard avec celui de Lolita —, représente un appel d'air dans lequel il a tôt fait de s'engouffrer, s'installant bientôt dans une chambre de leur immeuble et les revoyant de loin en loin. Or les jours passent et des liens se tissent et s'entremêlent, sans que le garçon n'en établisse de bien solide avec le personnage à la fois libre et violent de Raphaël, dont il se retient de juger le trouble, voire l'abjection, malgré le déni des autres: Claire, son amie qui voit en Raphaël un « facho » vulgaire, ou Fabienne, sa fille qui le craint et le vomit pour ce qu'il fait subir à sa femme Béatrice, elle-même étrangement soumise.

Dans un climat d'intimité presque animale, où s'opposent une sorte d'innocence frisant la perversité et des ombres plus lourdement inquiétantes, Pascale Kramer observe le jeu des relations entre enfants, adolescents et grandes personnes plus ou moins déliquescentes, dans une traversée à valeur initiatique qui, d'un malentendu à l'autre, débouche sur une dernière révélation ressaisissant le protagoniste. Comme si la vie, l'enfance de la vie lui restait une source pure où se retremper ...

Pascale Kramer. Retour d'Uruguay. Mercure de France. 158 pp.

Un nouveau roman de Pascale Kramer est à paraître à la rentrée au Mercure de France

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