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Marc Trillard au long cours



Marc Trillard n’a pas eu besoin de battage médiatique ni de scandale pour s’imposer, en quelques années, comme l’un des nouveaux romanciers français les plus vigoureux. Dès le magnifique Eldorado 51 (Prix Interallié 1994), nous plongeant dans la vie épique et tragique à la fois d’une famille d’émigrés en Argentine, la puissance du conteur, apte à saisir des situations symboliques sous les dehors de drames impliquant de très beaux personnages, et la force d’expression du romancier travaillant la langue au corps, se manifestaient à l’écart des estrades et des modes. Sans se répéter, et en alternant romans et récits de voyages très chargés de substance personnelle, l’écrivain toulousain s’est acquis un public fidèle qui devrait s’élargir encore avec Campagne dernière, touchant à des aspects cruciaux de l’histoire coloniale française, des relations nord-sud et, plus généralement, de nos choix de vie.

- Marc Trillard, quels sont les déclencheurs de ce nouveau roman ?

- Il y a d’abord une question qui me préoccupe depuis des années, peut-être accentuée par l’engagement de mon père dans le corps expéditionnaire en Indochine, et ensuite par mon intérêt pour la francophonie: comment se fait-il qu’un pays, au XXIe siècle, continue d’imposer son modèle de société, son drapeau et sa langue à des terres situées à des milliers de kilomètres de là ? Cela me paraît anachronique, aberrant, mais c’est ainsi, et la plupart des indigènes n’ont même pas envie de se séparer de cette maison-mère. A ce projet nettement politique, mais sans aucune solution proposée, s’est articulé le désir ardent d’écrire un livre voluptueux. Il y a dans ce roman une exaltation des sens, à tous égards, et jusque dans son lyrisme, qui découle surtout de mon contact avec Cuba.

- L’îlot imaginaire de votre roman se situe pourtant loin des Caraïbes...

- Il y a du climat de la vieille Havane dans la fictive Possession, mais mon île se situe en effet au large de l’Angola, et c’est un condensé de la nature et de l’organisation sociale, du climat ou des cultures de La Réunion, de Mayotte ou des Dom-Tom. J’en ai établi la carte avec une grande minutie, afin de rester crédible, et je n’ai cessé de mêler les éléments réels et les inventions en tâchant de fondre le tout dans un tableau vraisemblable. Cela va jusque dans le triturage de la langue, dont celle des «îliens» m’offrait sa matière bouillonnante.

- Deux grands personnages, à la fois complices et ennemis, dominent le roman. Comment vous sont-ils apparus ?

- Tous mes personnages ont une base d’observation réelle, mais parfois composite. Victor Levantin, mon «médecin des os» jouisseur et proche des indigènes, qui a trouvé dans l’île sa terre d’élection, est déjà présent dans mes livres antérieurs: c’est un peu mon propre emblème. Mais une autre part de moi se retrouve probablement dans le nouveau préfet Sébastien Hass, qui prétend imposer son pouvoir de civilisé. Un préfet de La Réunion, que j’ai rencontré et qui se disait un «feu rouge» en fonction, m’a fourni une partie du modèle, ainsi qu’un personnage très impressionnant entrevu à la télévision, du genre serpent hypnotiseur...

- Vous situez vous dans une filiation ? On pense parfois, en vous lisant, à Céline, à Conrad ou à Michael Ondaatje...


- Au lieu de filiation, je préfère parler plus modestement d’influences. Oui c’est vrai que Céline compte pour moi, et je suis passionné par le roman politique, dans le genre de ceux de Graham Greene. Je suis en train de lire, en outre, le dernier roman de J.M. Coetzee, Disgrâce, qui m’intéresse beaucoup.

- Pensez-vous que le romancier ait un rôle politique ?

- La dimension politique de Campagne dernière est strictement limitée à ses pages, ne débouchant sur aucune prise de position. Non: je pense que le romancier doit s’engager plus physiquement s’il a une position à faire valoir. C’est ainsi que j’ai pris publiquement parti sur la question algérienne et lors des dernières municipales à Toulouse.

- Avez-vous un nouveau roman en chantier ?

- Je viens de passer deux mois sur l’île d’Haïti, où je me suis consacré à enquêter sur l’interaction de la religion et de la politique, autour des sectes qui prolifèrent littéralement dans ce pays.


- D’une façon générale, savez-vous où vous allez quand vous vous lancez dans un roman ? Et comment travaillez-vous ?


- J’ai besoin, en effet, de savoir où je vais. Et j’y vais, même si la fin de mes romans reste ouverte. Quant au travail, il commence avant l’écriture elle-même, par une période d’absorption et de maturation. Je ne commence jamais un livre avant d’être convaincu de pouvoir le mener à son terme. Ensuite, eh bien, il n’y a plus qu’à écrire, ce que je fais simplement à la main...


(A propos de Campagne dernière, paru aux éditions Phébus)

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