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  • Les sorcières et le démon

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    Chemin faisant (140)

    Un gynocide chrétien. - Les murs de l'ancien Hospice de saint Jean, à Bruges, accueillent ces jours une exposition aux images aussi convulsives que les tableaux d'un Jérôme Bosch, évoquant les multiples scènes de torture et autres exécutions par le fer et le feu de milliers de sorcières convaincues par les séides de la sainte Église de relations coupables avec Satan.

    En tant que Vaudois passant par là, nous devrions baisser le nez puisqu'un chiffre monstrueux apparaît sur un panneau lumineux au début de l'exposition annonçant 9000 procès en sorcellerie et 5000 morts pour le seul pays de Vaud entre 1440 et 1480 !!!

    Or on sait que, si l'Inquisition catholique ET protestante, en Suisse, fut dix fois plus sévère en Suisse, entre le XVe et le XVIIe siècle, qu'en France, et fit cent fois plus de victimes qu'en Italie, les chiffres exacts diffèrent pour le moins du panneau belge. De fait, ce n'est pas au seul pays de Vaud mais dans l'ensemble de la Suisse qu'on a dénombré, sur trois siècles, plus de 3000 exécutions, le plus souvent par le feu. Pas de quoi être fier, les Suisses, mais faudrait pas pousser non plus, les Belges...

    heksen5.jpgOn ne s'étonnera pas, là-dessus, que plus de 60 % des accusés aient été des femmes, et la majorité des "sorciers" de pauvres bougres mal vus de leurs voisins. Les touristes processionnant à Bruges sont moins bien informés de tout ça que ceux qui se pointèrent au château de Chillon, haut lieu de détention et de torture en ce rude passé, où se tint en 2012 une exposition documentant plus sérieusement (!) les "sabbats de sorcières"...

    12983455_10209205485961081_3005369413005911505_o.jpgLe talent du Diable. - Pablo Picasso eût-il mérité d'être brûlé vif s'il avait sévi cinq cents ans plus tôt ? Sûrement ! De fait, vouer un don artistique aussi bonnement divin à des sujets tels que la femme non voilée ou le taureau, la colombe pacifiste ou le péché de chair ne peut être qu'inspiré par le diable. Fort heureusement, peu de visiteurs s'égarent dans l'exposition couplant ici 300 dessins et gravures du génial Pablo et trois salles dédiées à son compère Juan Miro. Cependant, hérétiques que nous sommes, c'est bien là que nous avons choisi de prendre notre pied, plus qu'au musée du chocolat ou de la bière. Une fois de plus, en tout cas, la créativité stupéfiante de Picasso émerveille !

    L'abbé Brel et le Polonais. - Sur la terrasse d'une brasserie du Markt, un serveur d'origine polonaise mais né en Belgique et établi à Knokke-le Zoute, nous dit tout le bien qu'il pense de Jacques Brel, qui a eu bien raison selon lui de brocarder les cul-bénits flamands, et tout le mal des Polonais de la dernière émigration, plombiers & Co, qui visitent désormais Bruges en touristes parvenus.

    Or en dépit de vagues menaces terroristes, des troupeaux de touristes n'en finissent pas en effet, sur les itinéraires fléchés et supposés obligatoires - que nous évitons pour notre part - de faire ressembler la "Venise du nord" à la Sérénissime en ce que celle-ci a de pire: les foules hagardes et les boutiques de toc, les prix surfaits et certaine muflerie entachant la vénérable splendeur du lieu aux recoins d'un charme persistant...

  • Humaines entreprises

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    Chemin faisant (139)

    Digues et colonies. - "Dominer pour servir" fut la devise d'un gouverneur du Congo Belge nommé Pierre Ryckmans, oncle d'un sinologue passionné de littérature marine au même nom de Ryckmans Pierre, plus connu sous son pseudo littéraire de Simon Leys. Patriote et catho fervent, Pierre Ryckmans (l'oncle) fut à la fois un colonial exemplaire sincèrement attaché à l'Afrique et aux Africains, mais son service ne passait pas moins par une domination dont son neveu découvrit sur place, au début des années 60, la réalité combien injuste et parfois scandaleuse.
    Unknown-4.jpegC'est en roulant entre digues et barrages, hier en Zélande, que je nous lisais, dans la remarquable bio consacrée à Simon Leys par Philippe Paquet, le récit des diverses vies des oncles de Ryckmans-Leys, plus entreprenants et originaux les uns que les autres, sans excepter un père lui aussi passé par l'Afrique avant son retour en Belgique.

    Barrage-plan-Delta-aux-Pays-Bas_0.jpgDominer la nature et servir l'homme: c'est la variante lisible dans le très impressionnant système de digues, de barrages, d'écluses, de ponts immenses et de tunnels, qui marque la lutte séculaire des Hollandais contre les eaux - la dernière inondation catastrophique remontant à 1953, qui frappa nos imaginations enfantines...

    Questions d'identité. - La bio de Simon Leys m'a été offerte par mon ami franco-allemand Florian R., qui nous parlait l'autre soir à La Désirade, où il nous rendit visite avec son compère vulcanologue Thomas B., de sa difficulté à définir son appartenance à un lieu défini après avoir passé une partie de son enfance en Normandie et fait ses écoles en Savoie puis à Lyon.

    Or recevant à l'instant,sur mon i-Phone, des messages de nos filles se trouvant respectivement en Californie et à Phuket, je ne m'étonne pas plus de cet état d'âme un peu flottant que du désarroi du protagoniste du roman Allegra de Philippe Rahmy, que nous lisons en alternance entre moulins et polders, lequel personnage, au prénom d'Abel, se débat entre des parents algériens, une jeune compagne anglaise et un employeur iranien - tel étant le monde où dominations et servitudes s'embrouillent...

    images.jpegUne boussole affolée.- L'i-Phone de Lady L. est pourvu d'une boussole, à laquelle nous avons demandé de nous indiquer le Nord, hier sur la place du Markt de Bruges, tandis que nous nous régalions de carpaccio et de raviolis peu flamingants, mais Tintin pour obtenir l'indication magnétique !
    Est-ce à dire que tous nos repères soient perdus comme le serinent d'aucuns ? Foutaises ! Les terrasses à moitié désertes, hier soir à Bruges, ont-elles à voir avec les récents attentats de Bruxelles, et la boussole de Lady L cherche-t-elle le Nord du côté de La Mecque ou de Panama ? Nous n'en savons rien et n'en avons cure ce matin, protégés par autant de digues de sens commun que de barrages d'humour, tout fringants à l'idée de découvrir la Venise du nord dont l'un des vénérables palais, à la façade ornée des blasons de la haute aristocratie marchande de jadis, abrite désormais un McDo...

  • Au top style Trump

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    Chemin faisant (138)

    Chez les battants. - À cette nouvelle étape de notre virée batave, l'hôtel Van der Valk Exclusief choisi par Lady L. sur Booking.com dispose d'une piscine en son 14e et dernier étage donnant sur une rocade d'autoroute et les lointaines superstructures industrielles de Rotterdam, et jouxtant la piscine d'eau salée (je n'invente rien: je décris) se trouvent une cabine de sauna et un espace fitness doté d'engins dernier cri.
    Or nous y pointant à 16h, nous faisons le constat: pas un chat dans la piscine, ni dans la cabine de sauna, pas plus que sur les rutilantes machines permettant aux battants de se maintenir à la top forme. Conclusion: les battants sont au taf après le déjeuner d'affaires dont nous les avons vu sortir quand nous sommes entrés dans la tour rouge brique tous chaussés (je ne fais que décrire sans rien inventer) de pompes extrêmement longue et pointues, le plus souvent lustrées et parfois ornées de motifs fantaisie - à Bois-le-Duc on en voyait avec des détails empruntés à l'imagerie de Jérôme Bosch - tel étant l'un des derniers signes distinctifs des battants...

    Le battant battu. - Le protagoniste du dernier livre de Philippe Rahmy, dont je nous ai fait hier la lecture sur l'autoroute reliant Enschede (lieu d'origine de Booking.com, soit dit en passant) et Doodrecht, est un jeune battant déchu, originaire d'Algérie mais sans rien d'un Salalouf, fils de boucher installé à Londres où il vient de perdre son job de trader et souffre doublement de la déprime agressive de sa jeune femme Lizzie et des menées sadiques de son boss Firouz.


    12916163_10209183593933794_2009422055035378436_o.jpgL'implacable récit d'Allegra - évoquant notamment la terrifiante mort d'un grand cerf lors d'une chasse initiatique, et l'abattage d'une jument hors d'usage - à scandé notre voyage jusqu'à l'apparition des moulins "de mémoire " de Kinderdijk, après que ma bonne amie m'eut prié de cesser cette trop éprouvante lecture.
    Pour ma part cependant, guère fasciné par les pompes et autres piscines des battants, je me suis dit: voilà du sérieux, merci Rahmy. De fait, c'est ainsi, frontalement, et sans donner dans le moralisme tendancieux, qu'il faut parler de la réalité contemporaine où un trader peut virer SDF plus vite qu'on ne le croirait.

    12916311_10209189563643033_7525886259759839777_o.jpgL'ordure menace. - il est 3h du mat' et je pallie l'insomnie (la bisque et le crabe douteux d'hier soir) en égrenant ces notes soudain interrompues par une alerte de l'association Avaaz qui me demande de signer une pétition contre Donald Trump l'ordurier contempteur des femmes (bimbos ou fat pigs), des Mexicains (violeurs) et autres métèques fils de bouchers sûrement djihadistes. Or le geste à beau être dérisoire: je signe.
    12961144_10209189565883089_1433220553529763930_o.jpgCe soir nous serons à Bruges dont la prison de haute sécurité abrite quelques Salaloufs endiablés, mais de Bruges nous ne verrons que la vieille beauté.
    Les ordures menacent, mais notre amour est plus fort que la mort et notre coeur plus imprenable que les fortunes planquées au Panama par les mêmes salopards de partout. Par les baies de la piscine au bord du ciel, en début de soirée, un arc-en-ciel intégral nous a été offert en Bonus. Thanks God and Trump be damned !

  • Ripley à Enschede

    12901466_10209183814859317_6669029358130306533_o.jpgChemin faisant (137)

    Notre ami W. - C'est un peu en mémoire de sa dernière compagne M., antérieurement épouse du photographe d'art A., oncle de Lady L., que nous avons fait escale chez l'ami W. dont la ressemblance saisissante avec l'acteur John Malkovitch m'a frappé dès notre première rencontre à Amsterdam où il vivait alors avec M., décédée il y a deux ans de ça. 

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    Or le manque de lumière de leur appartement d'Amsterdam a incité W., informaticien à la retraite et très porté sur le jardinage, à faire l'acquisition de cette maison en banlieue très classe moyenne, pourvue de grandes fenêtres et d'un jardin-patio ni trop chiche ni trop vaste, dont les racine de trois grands bouleaux en sa bordure compliquent un peu les vacations jardinières.


    images-1.jpegW. se trouve cependant heureux dans cet environnement conjuguant nature et confort, avec le bonus d'une bonne bibliothèque, d'une collection de disques éclectique (ABBA, Bach, les Bee Gees, Beethoven, Brel, etc.) et l'héritage des tableaux de M. qui fut liée à tout un milieu artiste de pointe des années 50-60. Une belle aquarelle de Pieter Defesche témoigne de ce passé de la meilleure bohème que notre bien regrettée K., mère de Lady L. fréquenta elle aussi en son âge de jeune fille en fleur...

    Unknown-1.jpegUnknown-2.jpegEntre virtuel et plus-que-réel. - John Malkovitch a composé un baron de Charlus assez improbable dans le film de Raoul Ruiz tiré de la Recheche du temps perdu, mais notre ami W. n'a vraiment rien d'un vieil aristocrate aimant se faire fouetter par de jeunes cochers. En revanche il me rappelle assez le mémorable Tom Ripley campé par le même Malkovitch dans Ripley's game, l'une des adaptations passables des romans de Patricia Highsmith au cinéma. 

    Unknown.jpegOr l'idée, hier dimanche, de nous balader en compagnie du plus atypiquement discret des assassins, dans la foule un peu barbare du marché d'Enschede, nous a divertis et plus encore en partageant avec lui le Menu Zorba d'un restau grec, arrosé de vin liquoreux de Samos après l'ouzo de bienvenue; et le récit d'un voyage de l'ami W. en Pologne, avec sa compagne M., à bord de leur camping-car bleu, n'a laissé de nous faire imaginer quelque montage criminel intéressant autour d'un trafic de tableaux du genre qui a enrichi l'inquiétant Tom Ripley. Sur quoi nous sommes rentrés tranquillement dans la banlieue pavillonnaire d'Enschede où le meurtre le plus fréquent se commet à la télé...

    12916163_10209183593933794_2009422055035378436_o.jpgL'insoutenable dureté de l'être selon Philippe Rahmy.
    - Patricia Highsmith me dit un jour, dans sa petite maison de pierre d'Aurigeno, à l'écart du monde, que ce qui l'intéressait était essentiellement la réalité. Puis elle me confia qu'elle avait renoncé à la télé, craignant par trop d'y voir couler le sang. Rien de paradoxal en cela: c'est souvent par compulsion que les écrivains donnent dans le réalisme le plus noir, comme cela s'est vérifié ce jour même sur l'autoroute d'Utrecht tandis que je nous faisais la lecture du dernier livre de Philippe Rahmy, son premier roman, intitulé Allegra et tissé de la réalité la plus tendue, jusqu'à l'insoutenable, mais avec une force et une beauté expressives proportionnées à la douleur qui s'y exprime. 

    Ceux qui ont lu les récits précédents de Philippe Rahmy l'ont évidemment constaté: que cet écrivain marqué dans sa chair par la maladie (qu'on appelle maladie des os de verre) est de ceux, comme une Flannery O'Connor, qui auront tiré, de leur fragilité même, une force sans pareille. Dès les premières pages d'Allegra, les phrases claquent et cinglent, et c'est de la musique, au fil de la première fiction narrative de l'auteur, sur laquelle je reviendrai tant et plus. 

    Mais quel bien ça fait, dans l'immédiat, de se replonger dans ce qu'on peut dire la meilleure littérature, fût-ce sur une autoroute batave où soudain vous dépasse un inénarrable poids lourd à plaques tchèques et raison sociale marquée KAFKA TRANSPORT... 

  • Helene et le chien d'aveugle

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    Chemin faisant (136)

    Les milliardaires sont parfois d'utilité publique: c'est assez rare mais pas exclu, ainsi que l'a prouvé Helene née Müller, fille de capitaine d'industrie allemand, épousée toute jeune par le fringant Anton Kröller, lequel reprit l'affaire à multimillions de son beau-père non sans participer, dans la foulée de  son originale moitié, et avec l'aide d'un conseiller esthétique avisé du nom de H.P. Bremmer, à l'élaboration d'une collection artistique phénoménale riche de 11.500 pièces où l'avant-garde de la peinture du XXe siècle voisine avec celle de la sculpture jusqu'au tournant du millénaire illustré par les Christo et autres plasticiens du Land art.

    12472355_10209167181003481_1269322140076456316_n.jpgSur plusieurs générations, la bonne œuvre d'Helene s'est déployée selon le vœu initial de celle-ci, consistant à témoigner de l'évolution de la création artistique du "réalisme" à l'"idéalisme", ou pour mieux dire: de la représentation figurative plus ou moins vériste de la fin du XIXe siècle aux multiples mouvements progressivement déconstructeurs de l'impressionnisme, du fauvisme et du pointillisme, du cubisme et du futurisme, du minimalisme et du conceptualisme et tutti quanti.

    Or pendant et après le directorat de la belle Helene et de ses garçons, la collection s'est fait le reflet très sélectif des étapes successives de la création d'abord européenne et ensuite mondiale, autour du noyau central des plus beaux Van Gogh dont le premier fut payé 14 florins par la jeune Helene, soit la valeur de dix cafés...

    12592258_10209167184323564_1019828825454906552_n.jpg12321211_10209167179963455_5491242494021127318_n.jpgLes mains de l'aveugle. - Durant notre visite de la partie intérieure de cette collection unique in ze World - dont les vastes jardins et la forêt alentour accueillent d'autres merveilles à l'air libre -, nous avons assisté à la scène très émouvante de deux aveugles, accompagnés de quelques amis et d'un chien de douce laine bouclée, palpant longuement, les mains gantées et les gestes délicatement "à l'écoute",  une sculpture de bronze à la fois ondulante et anguleuse de Boccioni (Forme uniche della continuità dello spazio, 1913), pendant que le chien de laine regardait fixement la fesse droite du fameux Clementius d'Ossip Zadkine...

    12512404_10209167179043432_254104762603746026_n.jpgL'art dans les landes. - L'on parvient au musée Kröller -Muller en traversant des Landes tapissées de bruyère et entrecoupées de longues lignes de sable blond clair, où poussent les bouleaux à la manière russe et les pins à l'espagnole. Des bandes de vélocipédistes arpentent ces lieux sur de petites bicycles à freins torpédos. Autour des bâtiments de ligne très pure de la collection se répartissent les sculptures de tout genre, où telle femme agenouillée de Rodin voisine avec une grande composition signée Henry Moore sur une éminence semée de jonquilles, et plus loin se découvrent le Jardin d'émail de Dubuffet ou la Sculpture flottante de Marta Pan tournant lentement sur l'eau lustrale.

    Tant de perfection serait cependant artificielle sans mots à redire, mais je n'en aurai qu'un, visant la pratique consistant à mettre trop de toiles sous verre.

    Il va de soi qu'on ne touchera pas aux toiles comme le font les aveugles dûment gantés des sculptures, pourtant le verre sur tel paysage de Cézanne ou de Monet, sur tel Pissaro ou tel Corot, me semble un obstacle au regard.

    Mais bon: passons, et réjouissons-nous de trouver un catalogue en langue française, et la foison d'oeuvres significatives réunies par dame Helene, à commencer par cette quintessence de la forme pure que matérialise Le Commencement du monde de Brancusi...

     

  • Batavia

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    Chemin faisant (135)

    Loin de la France.- Le nom d'un piètre président nous fait un peu oublier la grandeur passée et le génie toujours actuel de la Hollande. Celui-ci ne cesse de se manifester dans un habitus absolument original, tant par son architecture que par la belle tenue de ses toilettes, au double sens des tournures vestimentaires (spécialement féminines et enfantines) et des lieux d'aisance dont la rutilante propreté ne laisse d'épater chez un peuple capable de folles imaginations dont témoigne l'art d'un Bosch ou d'un Van Gogh.

    12321384_10209164291651249_6888780685123736324_n.jpgUn génie tout autre.- Le substrat génial de la culture batave nous est apparu doublement hier, dans l'atelier souterrainement reconstitué de Maître Jheronymus et, en fin de journée, dans l'abyssal labyrinthe océanique du Burger's zoo d'Arnhem où vous déambulez au milieu des raies et des requins-marteaux, dans une féerie de petits poissons multicolores tournoyant autour de vous comme de mouvants oiseaux sous-marins à bigarrures de joyaux contrastant avec la sombre silhouette d'un galion englouti au nom effacé de Batavia. 

    12472298_10209164292531271_7751954681887082764_n.jpgL'on se rappelle alors la mythique épopée du plus grand bateau du monde fracassé sur les récifs des Antipodes au temps glorieux de la flotte néerlandaise, racontée par Simon Leys (alias Pierre Ryckmans) dans un très recommandable petit récit.

    En Europe mondiale. - on peut aimer la France, et plus encore notre langue, et se rappeler tranquillement cette évidence qui ne s'oublie qu'à Paris et dans l'Hexagone: qu'il est d'autres cultures et civilisations dans le monde que celles du nombril gaulois. Une librairie dédaléenne de Bois-le-duc se fera forte de vous le rappeler: que le Top Ten littéraire de ces lieux ne compte pas un nom d'auteur français, alors que les traductions du monde entier y prolifèrent...9573_10209164301051484_4113576977689578820_n.jpg12923118_10209164291331241_623683262708275067_n.jpg
    Or franchissant un immense pont sur le Rhin dont les eaux chimiquement enrichies en ont vu d'autres, vers Nimègue, l'on se sent plein de reconnaissance réitérée pour une Europe millénaire qui doute trop souvent d'elle-même au bénéfice immérité de médiocres politicards et des blêmes fonctionnaires de l'Union désunie...

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  • Boschmania

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    Chemin faisant (134)

    Folie collective. – La fantastique exposition consacrée ces jours à Bois-le-Duc (qui se prononce ‘s-Hertogenbosch en batave) à l’œuvre non moins extravagante de Jheronimus van Aken, plus connu sous son pseudo de Jérôme Bosch (à ne pas confondre avec l’inspecteur Bosch des thrillers californiens de Michael Connelly), déborde de toute part des murs du Het Noordbrabants Museum pour consommer une sorte de surexposition urbaine où toutes les boutiques, les restaus, les moindres bâtiments publics, les devantures de

    librairies ou de laiteries, toutes les les vitrines, les places et les moindres recoins ecclésiastiques déclinent le nom et les images de Bosch dont le mythique char de foin, symbolisant la concupiscence humaine (plus tu bouffes de foin plus tu alimenteras le feu de l’enfer, etc.), devient la métaphore dominante à nuance délectablement rabelaisienne.

    12321194_10209153146212620_3296018516390792163_n.jpgDe fait, ce délire collectif fondé sur la récupération chauvine et commerciale d’un génie local dont la ville natale ne possède pas une seule œuvre ( !) n’a rien de bassement opportuniste ou déplaisant, ni rien du kitsch touristique ordinaire bas de gamme (l’abominable prolifération des masques carnavalesques dans les vitrines de Venise), mais foisonne et buissonne avec le même brio cocasse et plein d’humour de la peinture de Bosch parfois limite « art brut », plus folle que les surréalistes (qui y ont puisé avant que les analystes freudiens ne s’y épuisent) et combien caractéristique de la bascule du Moyen Âge à la Renaissance – entre les visions d’un Dante et les raisons d’un Erasme.

    1002101-Jérôme_Bosch_la_Tentation_de_saint_Antoine.jpgBosch & Co. – La célébration de l’enfant du pays (mort en août 1516) par ses concitoyens a été l’occasion, avant son transfert prochain au Prado), de réunir le modeste fonds pictural de Jérôme Bosch (moins de 30 peintures authentifiées et une vingtaine de dessins) éparpillé aux quatre coins de notre ronde planète, bénéficiant d’une présentation aussi somptueuse que parfois difficile d’accès (les tableaux les plus célèbres attirent une foule compacte quasi impénétrable), et mis en valeur par une quantité de petit écrans vidéo détaillant chaque œuvre. Par ailleurs, un véritable branlebas de science pure et dure a réuni des spécialistes du monde entier à l’enseigne du BRCP (Bosch Reserch and Conservative Project) qui a fait le point sur moult mystères subsistant autour de pas mal d’œuvre attribuée à tort au Meister (ses plagiaires usaient volontiers de sa signature) entre autres constats inédits facilités par la réflectographie ou la dendrochronologie qui est comme chacun sait la technique permettant de dater le bois des panneaux peints de  Bosch (le nom de Bosch signifiant lui-même le bois) par l’analyse du support ligneux...

    12932850_10209153145932613_3489021813679034881_n.jpg12472610_10209153144052566_7370172820919501391_n.jpgL'habitus batave. – Si vous passez par ‘s-Hertogenbosch, qui se situe comme chacun sait entre le quartier rouge d’Amsterdam et l’Abbaye de Thélème, vous trouverez partout les emblèmes moraux de la Quête très-chrétienne de Bosch (aussi préoccupé que Dante parle salut d’un peu tout le monde, dont il illustre la tortueuse voix d'accès par son espèce de BD magnifique) et l’imagerie profuse et joyeuse qui en découle, mais aussi lecœur d’une ville à l’architecture aussi élégante que ses boutiques de fringues et ses terrasses de restaus et autres cafés bruns plus accueillants les uns queles autres, dans un style et un ton qui respire large comme aux airs des anciens empires, avec quelque chose de romain et de germanique mais aussi d’espagnol et de latino – nous nous sommes ainsi régalés hier soir de tapas arrosés de bière brune.

    Si le Jardin des délices du Prado n’a pu faire le voyage, sauf en vidéo ou par les milliers de repros disponibles partout (mais pas un catalogue en langue française, soit dit en passant, et pan dans la cohésion européenne…), les délices de la bonne vie n’en sont pas moins réunis dans le grand bourg brabançon rendant grâces à son Artiste qui, rappelons-le, n’avait rien d’un malfrat ni d’un mendigot mais se trouvait prophète parmi les siens, bourgeois et chrétien, juste un peu dingo sur les bords comme tout vrai catho protestant du plat pays plus ou moins cousin d’Eulenspiengel le malicieux…

  • Le savoir de Kertesz

    Kertesz9.JPG"L'homme qui a créé Auschwitz se clonera sans états d'âme", écrivait l'écrivain hongrois qui vient de disparaître...

    L'écrivain juif hongrois Imre Kertesz, Prix Nobel de littérature 2002, note ceci dans le journal qu'il a tenu entre 1951 et 1995: « La mythologie moderne commence par une constatation éminemment négative: Dieu a créé le monde, l'homme a créé Auschwitz. »

    En 1995, en visite à Jérusalem, près du mur des Lamentations, Kertesz éprouve soudain « le sentiment d'une grande fracture » et il ajoute: « Le souvenir presque palpable, vivant, d'une tragédie mythique — depuis longtemps galvaudée dans d'autres régions du monde — emplit l'air doré. Avec la mort du Christ, une terrible fracture est apparue dans l'édifice éthique qu'est — si l'on peut dire — le pilier de l'histoire spirituelle de l'homme. Qu'est cette fracture ? Les pères ont condamné l'enfant à mort. Cela, personne ne s'en est jamais remis. »

    Imre Kertesz ne s'est jamais remis, non plus, d'avoir vu son enfance crucifiée entre Auschwitz et Buchenwald. « Je sais que la souffrance de mon savoir ne me quittera jamais », écrit-il en constatant aujourd'hui que « l'Afrique entière est un Auschwitz » avant de nous interpeller: « Avez-vous remarqué que dans ce siècle tout est devenu plus vrai plus véritablement soi-même ? Le soldat est devenu un tueur professionnel ; la politique, du banditisme ; le capital, une usine à détruire les hommes équipée de fours crématoires ; la loi, la règle d'un jeu de dupes ; l'antisémitisme, Auschwitz ; le sentiment national, le génocide. Notre époque est celle de la vérité, c'est indubitable. Et bien que par habitude on continue à mentir, tout le monde y voit clair ; si l'on s'écrie: Amour, alors tous savent que l'heure du crime a sonné, et si c'est: loi, c'est celle du vol, du pillage. »

    Se fondant sur la négativité absolue et le caractère « impensable » de l'extermination nazie, le philosophe allemand Theodor Adorno affirmait qu' « écrire un poème après Auschwitz est barbare » et même que « toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, est un tas d'ordures ». En même temps, cependant, Adorno reconnaissait qu'il était essentiel de « penser et agir en sorte qu'Auschwitz ne se répète pas ». Or ce n'est pas le silence, fût-il le signe du plus haut respect, mais la parole de l'enfant crucifié, dans le bouleversant Etre sans destin d'Imre Kertesz, qui nous transmet cette souffrance d'un savoir, et le savoir de l'origine de cette souffrance qui continue tous les jours de crucifier les « enfants » de la planète.

    « Les situations modernes riment toujours un peu avec Auschwitz », écrit encore Imre Kertesz, « Auschwitz ressort toujours un peu des situations modernes. » Et nous nous rappelons alors que c'est le Gouvernement hongrois légitime qui a livré l'enfant aux nazis, avant que son livre ne soit, une première fois, refusé par les fonctionnaires socialistes. Nous nous rappelons que c'est dans les camps soviétiques, ainsi que le raconte Vassili Grossman dans Vie et destin, que le sinistre Eichmann puisa d'utiles enseignements à son entreprise d'extermination. Nous nous rappelons que la technique d'Auschwitz fut appliquée, à l'état encore artisanal, à l'extermination des Arméniens par les Turcs et à celle de leur propre peuple par Staline et Pol Pot. A la question de savoir ce qui distingue le fascisme du communisme, Kertesz répond que « le communisme est une utopie, le fascisme une pratique — le parti et le pouvoir sont ce qui les réunit et font du communisme une pratique fasciste ». Mais au-delà de cette distinction « historique », la « pratique » continue de s'appliquer aujourd'hui sous nos yeux de multiples façons.

    « L'esprit du temps, c'est la fin du monde », écrit encore Kertesz, et voici le dernier enfant crucifié: le clone créé de main d'homme. Comme on le multipliera, on l'exterminera sans états d'âme. Pourtant l'espoir luit dans la conscience désespérée: « Etre marqué est ma maladie, affirme enfin Imre Kertesz, mais c'est aussi l'aiguillon de ma vitalité. »

    Imre Kertesz: Un autre. Chronique d'une métamorphose. Actes Sud, 1999.
    Etre sans destin. Actes Sud, 1999.

    Portrait photographique d'Imre Kertesz: Horst Tappe.