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  • La religion d'en rire

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde, novembre 2022)
     
    À La Désirade, ce mercredi 9 novembre. - Dans un rêve de cette nuit la Sarrasine me suggérait de convier mes père et mère à nous rejoindre sur le toit du théâtre afin d’en fumer une dernière, et j’étais triplement gêné. D’abord parce que le vent des montagnes, en ces nuits d’hiver, est d’une rigueur menaçant les sujets à risques, selon l’expression rebattue durant la récente pandémie, ensuite du fait de la disparition de mes père et mère il y a respectivement vingt ans (ma mère que Gemma n’osait pas dénigrer en ma présence) et plus de quarante ans pour mon père (qu’elle affectionnait au contraire), enfin pour la façon de me parler durement avant d’éclater de rire bruyamment, me rappeleant soudain (j’allais émerger du sommeil) que ma vieille amie tabagique et adonnée depuis peu aux opiacés reposait elle aussi sous une pierre, à quelqes pas de celle de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, dans le cimetière de Grinzing, bourg vigneron proche de la capitale où nous avions sifflé ensemble des verres de Gewurztraminer et de Nebelspalter, je ne sais plus en quelle année.
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    VIS COMICA. - Le nom de Gemma m’est revenu en rêve après que j’eus visionné, la veille et l’avant-veille, les 16 épisodes de la série coréenne intitulée You are beautiful dont la protagniste, une jeune orpheline prénommée elle aussi Gemma, décidée à vouer sa vie à Dieu, abandonne quelque temps son voile de novice pour intégrer, à la place de son frère jumeau et donc déguisée en garçon comme dans les comédies de Shakespeare, un groupe de pop extrêmement en vogue auquel elle ajoute sa voix positivement angélique et son minois d’androgyne propre à déclencher l’hystérie des adolescentes de Séoul et environs.
    Or, passant d’un épisode à l’autre, je m’étonnais une fois de plus de l’intérêt que je porte à ces produits de la culture coréenne, imaginant qu’un Georges Haldas ou qu’un Philippe Jaccottet me surprennent soudain à cette occupation sûrement frivole à leurs yeux, voire débile ; mais je me rassure en me disant que notre amie la Professorella, ma chère Annemarie J., en retraite de la faculté des lettres de Pise, est elle aussi accro aux séries asiates comme elle me le confirme volontiers sur Whatsapp…
    Combien nous avons ri avec Gemma, même quand tout coinçait entre nous – ou peut-être surtout à ces moments- là quand nous étions proches de nous égorger (moi) ou de nous poignarder (elle), et quel plaisir j’ai eu aussi à la voir se poiler avec Lady L., en tout cas une fois. Spinoza estime que la tristesse est un réel péché. Je lui donne raison avec la conviction connexe que le rabbi Ieshouah, lui aussi, riait parfois comme un dieu, quoiqu'en disent les bonnets de nuits de la théologie.
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    RETOUR AU GOOD WILL. – Passant à La Désirade pour y récupérer mon exemplaire du Purgatoire traduit et commenté par François Mégroz, ainsi que le dernier recueil de poèmes de Quentin, j’ai retrouvé, à la lettre S de ma bibliothèque française riche de 3333 volumes, un exemplaire du Poète tragique de ce fou de Suarès auquel je suis revenu ces jours avec son formidable essai sur Molière, qu’il place précisément à la hauteur du barde en les distinguant nettement pourtant, selon le critère avéré ou non de la féerie.
    Et reprenant maintenant la lecture du Shakespeare de Suarès, voici que je tombe sur des pages entières consacrées à Racine, et c’est une mise en rapport de plus et non moins révélatrice, qui me rappelle celles d’un Cowper Powys dans ses grands moments de traversée critique: Racine pour mieux cerner Shakespeare longtemps mal compris des Français - et Suarès de conchier Voltaire l’envieux et même de remettre en place l’enthousiaste Victor Hugo se la jouant outrageusement l’égal du génie «celte», avant que son fils ne s’attelle aux premières traductions à peu près recevables.
    Sur quoi les pages inouïes de ce Poète tragique, que j’avais lues une première fois bien trop distraitement, il y a plus de quarante ans de ça, alors que je n’avais encore abordé sérieusement ni Proust ni Shakespeare, m’ont donné envie de reprendre la publication de mes notes sur celui que j’appelle, plus volontiers que le Big Will, le Good Will…