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  • Ce qu'il y a dans les pianos

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    Quand la nuit dort au fond des bois,
    ou des bars, ça dépend,
    on entend les voix des enfants
    qui murmurent là-bas,
    oubliés à travers les années -
    et remonter le temps
    se fait alors comme en détours,
    jusqu’aux lueurs du jour...
     
    Le secret des pianos fermés
    ne préoccupe pas
    les hommes de loi bornés
    ni les champions de la gestion
    ni les mégères des ministères
    trop pressés pour s’intéresser
    à cet humble mystère
    des chambres livrées au silence
    des sonates passées...
     
    Quand tu retrouveras le temps
    de t’arrêter la-bas
    où reposent les instruments,
    tu renaîtras sans le savoir
    dans ces après-midi de pluie
    où souriant tu t’ennuyais
    faute de rien vouloir
    d’autre, immobile et mutique
    à l’écoute de tes musiques...

  • Une fée qui valse avec les mots

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    Où le maestro Sergio Belluz, baritone drammatico et fabuliste polygraphomane, se fait le chantre spontané de La Fée Valse de JLK...
    Dans les quelques cent-trente pièces facétieuses et virtuoses de ce recueil savoureux qu’est La Fée Valse, c’est tout l’humour, toute la fantaisie, et toute l’oreille de Jean-Louis Kuffer qui s’en donnent à cœur joie – un livre que l’OULIPO de Raymond Queneau aurait immédiatement revendiqué comme une suite d’Exercices de style amoureux, tout comme il aurait réclamé à hauts cris la publication urgente et salutaire des fameux Ceux qui – « Celui qui se débat dans l’absence de débat / Celle qui mène le débat dans son jacuzzi où elle a réuni divers pipoles / Ceux qui font débat d’un peu tout mais plus volontiers de rien / Celui qui ne trouve plus à parler qu’à son Rottweiler Jean-Paul / Celle qui estime qu’un entretien vaut mieux que deux tu l’auras... » – que l’auteur dispense de manière irresponsable sur des réseaux sociaux complaisants, sans mesurer les risques de mourir de rire (l’Office fédéral des assurances sociales s’inquiète).
    Une des pièces, Kaleidoscope, explique bien l’esthétique du livre : « Quand j’étais môme je voyais le monde comme ça : j’avais cassé le vitrail de la chapelle avec ma fronde et j’ai ramassé et recollé les morceaux comme ça, tout à fait comme ça, j’te dis, et c’est comme ça, depuis ce temps-là, que je le vois, le monde ».
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    La Fée Valse, c’est d’abord un amusant portrait fellinien de nos grandeurs et de nos petitesses amoureuses, de nos fantasmes et de nos regrets, qui joue sur l’alternances des narrations, sur l’accumulation des pastiches, sur le jeu des registres de langue, sur les sonorités, sur les cocasseries des noms propres et sur les références autant littéraires que populaires : « C’était un spectacle que de voir le lieutenant von der Vogelweide bécoter le fusilier Wahnsinn. Je les ai surpris à la pause dans une clairière : on aurait dit deux lesbiches. J’ai trouvé ça pas possible et pourtant ça m’a remué quelque part » (Lesbos)
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    On y joue sur les mots, bien sûr : « Les femmes des villas des hauts de ville sont évidemment favorisées par rapport aux habitantes du centre, mais c’est surtout en zone de moyenne montagne que se dispensent le plus librement les bienfaits du ramonage» (Le Bouc)
    On y prépare aussi des chutes hilarantes par la transition brusque entre une tirade en forme de poncif qui termine par un particularisme terre-à-terre, comme dans En coulisses : « Je sais bien que les tableaux du sieur Degas ont quelque chose d’assez émoustillant, mais faut jamais oublier les odeurs de pied et la poussière en suspens qu’il y a là derrière, enfin je ne crois pas la trahir en précisant que Fernande n’aime faire ça que sous le drap et qu’en tant que pompier de l’Opéra j’ai ma dignité » ou comme dans ‘Travesti’ : « ‘Que le Seigneur me change en truie si ce ne sont point là des rejetons de Sodome !’ , s’était exclamée Mademoiselle du Pontet de Sous-Garde en se levant brusquement de sa chaise après le baiser à la Belle au bois dormant qu’avaient échangé sur scène le ravissant petit Renne et Vaillant Castor l’éphèbe au poil noir. »
    On s’amuse des conformismes et des jargons de certains milieux : « ...Après sa période Lichens et fibrilles, qui l’a propulsé au top du marché international, Bjorn Bjornsen a mené une longue réflexion, dans sa retraite de Samos, sur la ligne de fracture séparant la nature naturée de la nature naturante, et c’est durant cette ascèse de questionnement qu’est survenue l’Illumination dont procède la série radicale des Fragments d’ossuaire que nous présentons en exclusivité dans les jardins de la Fondation sponsorisé par la fameuse banque Lehman Brothers... » (Arte povera)
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    En passant, on récrit Proust façon XXIe siècle, comme dans Café littéraire – « C’est pas que les Verdurin soient pas à la coule : les Verdu c’est la vieille paire de la belle époque de Woodstock, leur juke-box contient encore du passable, style Jailhouse rock et autres Ruby Tuesday Amsterdam ou La mauvaise réputation, enfin tu vois quoi, mais tout ça est pourtant laminé sous l’effet des goûts du barman Charlus, fan de divas italiennes et de choeurs teutons. » – et on évoque Foucault – « Sa façon de feindre la domination sur les moins friqués de la grande banlieue, puis de renverser tout à coup le rapport et de trouver à chaque fois un nouveau symbole de soumission, nous a énormément amené au niveau des discussions de groupe, sans compter le pacson de ses royalties qu’il faisait verser par ses éditeurs à la cellule de solidarité. »
    Une suite d’hilarants jeux de rôles, superbement écrits, qu’on verrait bien joués sur scène, tant l’auteur sait capter et retranscrire en virtuose les sonorités du verbiage contemporain, avec ses mélancolies et ses ambiguïtés, aussi : « Le voyeur ne se reproche rien pour autant, il y a en lui trop de dépit, mais il se promet à l’instant que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit, comme ça, que de l’écouter lire la fait jouir » (Confusion)
    Vous êtes libre, ce soir ?
    Jean-Louis Kuffer. La Fée Valse. L'Aire, coll. Métaphores, Vevey, 2017.
    ©Ce texte a été copié/collé à sa source, à l'enseigne de Sergiobelluz.com. Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017)

  • Courage et choix

    Remarques sur le Journal de Gide

     

    par Ludwig Hohl

     

    (Traduit de l'allemand parAntonin Moeri)

     

    )

     

    D’aucuns ont trouvé qu’il était particulièrement difficile de parler de ce livre à cause de la diversité de ses formes; on pourrait certainement, et non moins légitimement, affirmer le contraire: la richesse, la variété de ses niveaux, la coexistence de lignes innombrables dans ce livre si peu hermétique nous permettent d’en parler très facilement... du moins de commencer. Chacun y trouve d’emblée quelque chose qui l’irrite ou lui convient, - il y a, dès le début et sans cesse, des entrées possibles. On n’est pas obligé, comme pour une oeuvre hermétique, d’étudier d’abord l’ensemble à fond pour parvenir ensuite au noyau secret et en parler à partir de là. Pas obligé? Tiens, et si ceux qui parlent de difficultés avaient raison; il faudrait traverser le fatras de

    détails pour rejoindre le centre caché et ce centre... serait introuvable. Ne le trouve-t-on pas? Pas au point de pouvoir le nommer; il faut d’abord le sentir. On ne peut assurément résumer les différentes lignes de force; la seule possibilité est de s’attacher à quelques détails ou de faire ressortir quelques lignes de cette multitude d’éléments. Mais: quelles lignes? Ou bien: on doit choisir celles qu’on veut montrer. (En effet, tout comme sur un plan où n’importe quelles lignes peuvent être tirées, un très grand nombre de possibilités s’offrent face à cette oeuvre constituée de milliers de détails n’ayant apparemment pas de liens entre eux). Voilà la grande question: quels détails seront en mesure d’approcher, pour en témoigner, ce centre obscur qu’on ne peut jamais nommer mais que nous devons sentir? Nous y parviendrons - - - - - - Il faut avoir du courage: le courage de choisir. - On devra effectivement sélectionner des détails, un petit nombre pour un très grand nombre, il n’y a pas d’autre solution: en fixant notre attention sur chaque détail, nous serions amené à écrire un livre aussi long: 1300 pages; pour quel résultat? Le courage de choisir.

    En inscrivant ces deux mots - courage et choix - ne sommes-nous pas déjà, là, au centre du monde de Gide, ne donnons-nous pas un nom à quelque chose d’essentiel? Ces deux mots indiquent exactement le lieu où l’héroïsme rejoint la pureté des formes, - la création artistique. Ce serait à vérifier chez tout véritable créateur. Mais avec quelle immense clarté se révèle ce processus chez Gide, avec quelle justesse il sait parler dans son journal de chacun de ces deux éléments! - Après une lecture attentive, on trouve cette phrase radicale sur ce que signifie le fait de se mesurer à des comportements ordinaires: «Pour que j’admire celui qui risque sa vie, je voudrais d’abord être convaincu qu’il y tienne». De Napoléon, il cite cette magnifique remarque qui

    trahit un coup d’oeil infaillible: «Le vrai courage, c’est celui de trois heures du matin», et il l’explique: Napoléon voulait parler d’un courage d’où toute griserie, toute vanité, toute émulation seraient exclues; un courage sans témoins, sans complices; un courage à froid et à jeun. - Après ces exemples de lucidité, nous ne serons pas étonnés que Gide commence ainsi sa plus belle page sur le sujet: «Il n’est pas de vertus humaines que je prise autant ou aussi peu, suivant les cas, que le courage».

    Il s’agit là du courage habituel, du courage somme toute humain. Qu’a-t-il à voir avec la création artistique, comment en suis-je arrivé à lier ces deux éléments (et ce n’est surtout pas par hasard que je les relie, comme si la chose venait de m’apparaître comme une expérience cocasse, mais je continue à soutenir l’idée que ce point de rencontre a un sens, qu’il est l’une des plus importantes portes d’entrée dans l’Art)? L’autre terme: «choix» réalise la combinaison. - Car ce courage particulier qui consiste - dans l’univers des formes, des comparaisons - des personnages ou même des mots - à opter pour un choix limité, des plus limités, à prendre uneimage parmi tant d’autres et à les abandonner, ces autres images, à les faire passer au second plan (ce qui n’est jamais facile), à en prendre une seule, celle qui prétend être la plus à même de dominer intérieurement les autres, de les remplacer telle une pointe qui se dresse, seule, pour tenir tout le choc, - c’est ce courage-là qui permet d’atteindre les sommets de l’Art! Ce genre de courage - appliqué soit au plus petit détail de la création soit à un domaine plus vaste - consiste à viser l’altitude la plus haute, il est autrement plus important que ce qu’on nomme talent - car le talent, selon le témoignage de nombreux grands créateurs, est beaucoup moins déterminant, beaucoup plus répandu que ces deux qualités: patience et courage; ce sont les piliers qui

    soutiennent la grande réalisation spirituelle: courage et patience! - Pour éclairer ce point, pour dévoiler ce composé de courage et de choix, il y a un passage dans le Journal que je voudrais citer en entier; plus d’un lecteur n’en a peut-être pas tenu compte, comme s’il s’agissait d’une réflexion faite en passant, d’une remarque certes appropriée mais tout de même un peu accessoire, - alors que, en tout état de cause, je tiens ce passage pour un des plus décisifs de ce livre de 1300 pages; il m’apparut tout simplement comme un de ses centres cachés; non seulement pour sa justesse de vue mais pour son immense et incalculable portée: portée qu’on pourrait dire symbolique.

    (Gide prend ses distances avec Amiel, dont le style hésitant et tatillon lui est proprement insupportable. Puis il cite un passage d’Amiel, dans lequel celui-ci explique pour quelle raison il utilise à la suite plusieurs synonymes, il critique ce passage et conclut:)

    «La touche unique n’est pas forcément preuve d’intrépidité; elle peut résulter aussi bien d’un consentement au sacrifice. Tout choix implique un sacrifice; et l’on ne dessine pas bien sans choisir»20.

    Chaque choix implique un sacrifice; et l’on ne dessine pas bien sans choisir. - Alors, sans doute, on ne dessine pas! On ne fait que reprendre, on ne fait qu’imiter: on ne crée rien. Et il ne s’agit pas seulement de dessin, ici, mais de mise en forme dans un sens beaucoup plus large, oui, dans un sens universel: toute vraie vie, toute valeur réelle ne s’obtient que par un choix intrépide. Goethe, à qui on ne saurait reprocher le moindre goût pour l’équivoque, le dit: «Bien des hommes papillonnent dans les généralités / Mais le plus noble se voue à la chose en soi». Une lumière est ici jetée sur l’accord entre

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    20 Hohl cite en français ce passage du Journal, page 705 dans l’édition de la Pléiade.

    la probité de ce que Gide écrit et la probité de sa vie, un accord qui n’est pas fortuit...

    Parmi d’autres échelles à trois niveaux qui me sont apparues dans le monde, j’ai découvert un jour celle-ci. Sur le premier niveau, le plus bas, j’ai discerné le plus grand nombre d’êtres humains, la masse des gens ordinaires; sans hésiter et dès le début, ils ont pris tel parti (même s’ils changent d’avis: ce qui arrive sans problème); leur appétit primitif et leur amour primitif les plongent sans autre dans l’agitation: une chose leur paraît ainsi et pas autrement; leurpoint de vue est le seul point de vue. On trouve au deuxième niveau les esprits plus subtils, ceux qui ont appris à voir; «halte!», dit un tel individu, «ce n’est pas simple»; il signale un autre aspect de l’affaire; il expose les motifs du parti adverse, il explique que, là aussi, il y a de la vie, des rapports de causalité, du bien-fondé: à lui les choses ne se présentent pas simplement mais dans leur diversité. Il patauge dans un grouillement et ne va jamais s’en sortir; il est incapable de prendre une décision (cette indécision a pourtant beaucoup plus de valeur que la détermination du premier niveau). Mais ce n’est pas tout. L’avocat s’est engagé pour une partie, le juge examine la diversité des opinions - or le juge le plus sage, le plus haut dans la hiérarchie, genre Salomon, après avoir envisagé tous les mobiles sans se laisser influencer par la moindre considération d’ordre matériel (rémunération, inclination personnelle), ce juge-là devra cependant prendre tel ou tel parti. Il y a un certain scrupule dans cette capacité à faire un choix; seul ce choix permet d’avancer (car envisager tous les aspects empêchera éternellement d’agir: rien ne se produira dans le monde, le monde s’arrêtera, oui: l’homme ne laissera subsister rien de réel). Cette faculté de choisir consiste donc à reconnaître la multiplicité des points de vue, à en détecter beaucoup; mais être capable de faire

    jaillir de cette diversité, au bon moment, ce qui est juste - même en s’opposant aux autres, à leur détriment et en toute responsabilité - , ce pouvoir diffuse un scrupule encore plus grand. Lorsque je développai cette pensée, lorsque j’envisageai la chose sous cet angle, je dus aussitôt songer à Gide, il surgit aussitôt dans mon esprit (malgré le fait que, à cette époque-là, je n’eusse plus rien lu de lui depuis des années). Une série de figures est à sa disposition; il n’est pas l’aveugle ne voyant pas la série et ne saisissant que la première venue parce qu’il pense que c’est la seule; il a examiné l’ensemble de loin, de près et de tous côtés: mais il sait également qu’un être humain ne peut avancer que sur unchemin et que seul ce cheminement a de la valeur. De manière apparemment naïve, spontanée - car on ne perçoit pas la douleur du choix, on ne la décèle pas dans l’acte même - il sortira de manière enfantine, voire divine, une des figures de la série. Voilà qui est le plus important. Ce qui se passe alors ne diffère pas de je ne sais quelle action ordinaire du premier niveau: mais le fait de choisir, ici, présentera tout autrement la temporalité, les conséquences. Il ne s’agit pas seulement d’une action; la réaction sommaire du premier niveau disparaît, tombe dans l’anonymat; or l’autre prise de décision dispensera par la suite une lumière qui brillera à travers les liens qu’elle aura établis dans le monde, elle donnera lieu à une surprenante conclusion, prouvant ainsi qu’elle devait prendre appui sur un grand savoir, et elle s’apparentera à ce visage que Karl Kraus évoque dans ses vers énigmatiques, visage «renvoyant une lumière qui ne l’éclaire jamais / Livré à un monde qu’il fait naître par enchantement».

    (1943-1947)

  • À peine un souffle sur l'eau bleue

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    A la Maison bleue, ce mercredi 14 juin. – 74 ans aujourd’hui, et qu’est-ce à dire : le masque et la déprime ?
    Tout le contraire : frais et léger comme l’aube de ce jour de juin aux doigts de rose. Cinquante fois plus présent et clairvoyant qu’à la vingtaine, moins égaré dans mon esseulement qu’à la trentaine, plus décidé et délié qu’à la quarantaine, plus obstiné et détaché qu’à la cinquantaine, plus indulgent et plus amusé qu'à la soixantaine, et chaque jour plus reconnaissant d’avoir passé par tous ces âges et ces avatars, chaque jour mieux fait à l’idée que tout passe…
    Reconnaissance alors à cela simplement qui est ce matin: le sourire d’L. ces jours toute fragile qui me dit qu’elle m’aime et le mien qui lui répond pareil au même, la présence de nos deux infantes et de leurs chevaliers servants, l'impatience de vivre de nos virevoltants chenapans - l'émouvance de nos vivants aimés et de nos chers défuntés...
    A peine un souffle sur l’eau bleue et ce fut, ce sera notre vie...