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  • What's new Mister Rushdie ?

     

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    Salman le magnifique

    Brûlot illisible que Les versets sataniques de Salman Rushdie ? Non :roman baroque, fascinant ! Retour en 1989...

     

    Tout a été dit sur Les versets sataniques de Salman Rushdie, tout et n’importe quoi, s’agissant de gens qui n’en avaient pas lu la première ligne. 

     

    5fc2be0e-cd01-11e1-9950-d358ffddeef2-493x528.jpgDepuis le début de l’affaire Rushdie, une sale petite rumeur, dont il serait intéressant de débusquer l’origine, poursuivait sa basse besogne de sape : comme quoi Les versets sataniques étaient « un livre illisible » et de surcroît « à peuprès nul sur le plan littéraire ».

     

    Ne craignant pas le ridicule, les colporteurs de telles petites phrases empoisonnées présentaient Salman Rushdie comme un inconnu alors que Les enfants de minuit, son deuxième livre, obtint en 1981 le Booker Prize, plus importante distinction de la scène littéraire britannique, que La Honte fut consacré à Paris, en 1984, par le Prix du meilleur livre étranger, que l’écrivain est traduit dans le monde entier et que Les versets sataniques ont été salués, en Angleterre et aux Etats-Unis, comme son meilleur livre.

     

    Unknown.jpegLivre «illisible » que Les versets sataniques ? Pas plus que les romans de Garcia Marquez ou de Günter Grass, de Vargas Llosa ou de Nabokov ! Mais pour être honnête, reconnaissons qu’il n’est pas facile. Roman du choc des cultures et du melting-pot des langages, il est tissé de références et d’allusions dont toutes ne sont pas compréhensibles du premier coup, notamment en ce qui concerne les rêves mystiques d’un des deux protagonistes. En outre, l’invention verbale qui caractérise son écriture profuse, voire parfois touffue, ne passe pas toujours très heureusement dans notre langue analytique, et d’autant moins que la traduction accuse des  faiblesses. Enfin, le passage incessant du réalisme au fantastique ne peut que désorienter un lecteur formé au rationalisme occidental. Cela étant, moyennant un petit effort d’adaptation, le lecteur attentif aura tôt fait de reconnaître, dans ce roman picaresque mêlant poésie et satire, étude de moeurs et débat philosophico-religieux, fresque sociale et quête d’identité, une ouvred’envergure prenant place au premier rang de la création littéraire contemporaine.

    Les deux lignes de force du roman suivent les tribulations des deux protagonistes, tombés du ciel aux abords de Londres à la suite de l’explosion d’un Boeing revenant de Bombay et détourné par des terroristes.

     

    Le premier de ces deux personnages, Gibreel Farishta, est une vedette du cinéma« théologique » indien, spécialisé dans les rôles de dieux hindous, qui a perdu la foi à l’occasion d’une grave maladie et se trouve hanté par moult visions mystique à la suite de sa chute considérable. Et quant au second compère, Saladin Chamcha, c’est un « assimilé » qui a fait ses écoles en Angleterre avant d’y devenir acteur-bruiteur (il prête sa voix aux pubs télévisées) au risque de déplaire à son formidable paternel, riche marchand de bouse industrielle et fondu en superstition religieuse.

     

    Une fois brossés les portraits savoureux de ces deux personnages, dans les splendides cent premières pages, l’auteur fait ensuite alterner le récit des mésaventures de Saladin dans une Angleterre thatchérienne qu’il ne ménage pas plus que sa « chère et maudite Inde » natale, et les rêves délirants de Gibreel, lesquels nous transportent d’une ville imaginaire du désert à un pèlerinage à La Mecque…

     

    Quant au dernier chapitre du roman, il est consacré aux retrouvailles de Saladin (double partiel probable de l’auteur) et de son père. Sans donner dans la sentimentalité facile, Salman Rushdie exprime alors les sentiments contradictoires, voire déchirants, de celui qui est allé jeter ailleurs ses racines sans renier sa terre d’origine, avec un mélange singulier d’humour et d’émotion qui nous le rend très attachant.

     

    Rendre compte en quelques lignes des 585 pages de ce livre foisonnant est évidemment une gageure. Se lecture est une traversée parfois déroutante, mais captivante pour l’essentiel.

    Salman Rushdie, Les versets sataniques. Christian Bourgois, traduit de l’anglais par A. Nasier,alias (sic) F. Rabelais.

     

    Salman le maudit

    Sur un malentendu d’époque.

     

    À quoi tient la condamnation à mort de Salman Rushdie ? À lire Les versets sataniques, dont le titre n’est d’ailleurs guère représentatif de l’ensemble du livre, nous n’y aurons vu qu’une qu’une charge lancée contre les aspects dégradés d’une religion et ses faux prophètes, la superstition la plus primaire et ses manifestations aberrantes.

     

    Rushdie blasphémateur ? Sans doute s’en prend-il aux dieux imposteurs et à tel Imam en exil obsédé par la pureté, qui spécule sur la haine de son peuple à l’encontre d’un pouvoir abusif. Mais ce n’est là qu’un aspect des Versets sataniques, qui en appellent explicitement à plus de lucidité et de générosité.

     

    Or, avez-vous lu Sade, conchiant le christianisme ? Avez-vous lu Voltaire en son Dictionnaire philosophique ? À côté de ceux-là, Rushdie fait figure de galopin !

     

    L’évidence, c’est qu’on voudrait faire taire ce fils maudit, trop intelligent pour se tenir à carreau, trop instruit et brillant, trop ouvert à la complexité du monde et à la ressemblance humaine.

     

    On ne supporte pas que Rushdie attaque, en moraliste libre penseur, l’obscurantisme intégriste autant que la décadence occidentale. On n’admet pas que la littérature dame le pion aux catéchismes, quels qu’ils soit, ou aux prises de positions étroitement politiques.

     

    Voici donc l’homme à abattre : le défenseur des minorités qui prêche la tolérance et lacompréhension entre les hommes et leurs cultures. En un mot : le traître. En deux mots : notre ami.

     

    Fanatiques et crétins

    Sur la réception du livre en sa traduction française.

    Il y a deux façons de liquider un écrivain mal-pensant. Soit par l’élimination physique, soit en attaquant son œuvre par dénigrement systématique. 

    De l’inquisition catholique aux tyranneaux d’Amérique latine, en passant par les censures communistes, la première méthode autant que la seconde ont fait leurs preuves.

    En réclamant la tête de Salman Rushdie, feu l’ayatollah Khomeiny ne faisait qu’appliquer, une fois de plus, sa logique meurtrière d’inspiration divine. Bien entendu, les bonnes pâtes que nous sommes ont de la peine à se faire à cette rigueur intégriste,mais enfin on peut comprendre la Raison supérieure de l’Imam, tout en la combattant.

    Si la condamnation à mort de Salman Rushdie relève du fanatisme, la campagne de calomnie visant la qualité des Versets sataniques n’a pu se développer qu’avec l’appui d’une forme de crétinisme typiquement occidental. Je l’ai pas vu, je l’ai pas vu, mais je sais de quoi je parle !

    Ainsi, de Libération à nos journaux, certains ignorantins ont-ils véhiculé la bourde selon laquelle Salman Rushdie n’était qu’un obscur inconnu (pour eux évidemment) dont l’œuvre ne valait pas tripette. Et leur abjecte conclusion : sa condamnation à mort ? Sacrée publicité ! Quel coup de pot !

    Mais passons sur ces démonstrations d’imbécillité méprisante évidemment teintée de racisme (aurait-on traité ainsi un Günter Grass, un Michel Tournier ou un Garcia Marquez, dont l’auteur des Enfants de minuit est au moins l’égal ?), et jugeons plutôt sur pièce :c’est la seule façon de rendre justice à un homme menacé et à son fabuleux roman.

     

    Nota bene : Ces textes ont paru dans La Tribune-Le Matin, quotidien romand, en date du 25 juillet 1989. L’édito intitulé Fanatiqueset crétins répondait directement à une chronique de mon voisin de bureau, un certain Edgar Schneider en fin de course dans notre journal après sa carrière d’échotier mondain. Dans un carnet du 20 juillet, j’avais écrit :« Cet imbécile d’Edgar Schneider ose parler ce matin du « talent littéraire nul » de Salman Rushdie, sans avoir jamais ouvert le moindre de ses livres. Plus encore : il insinue que Rushdie aurait sciemment cherché à faire parler ainsi de lui par seul appât de la publicité et du gain. Tout ça qui me répugne plus encore que la fatwa…

     

  • Le verbe en verve

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    Chemin faisant (128)

    Génie des noms. – Proust a évoqué mieux que personne la magie et la musique des noms de France noble ou populaire, et Paris en a été de tout temps, et en reste aujourd’hui, un prodigieux creuset.

    J’ai quitté ce matin la rue de la Grande Chaumière pour me retrouver à la Butte-aux-Cailles en remontant la rue des Cinq Diamants. Je ne sais ce qui m’a amené un jour dans ce quartier un peu décentré du XIIIe arrondissement cher à l'ami Pierre Gripari : peut-être ce seul nom détourné, sur l’enseigne d’un café récent, en Butte-aux-piafs, ou peut-être le désir de voir à quoi ressemblait la place Paul Verlaine, au milieu de laquelle un puits de l’eau la plus pure, tirée de plus de six cents mètres de profondeur, filtrée par les sables et réchauffée par les entrailles de la terre mère, désaltère et garantit, aujourd'hui encore, longue vie aux gens du quartier ?

    IMG_1898.jpgVannes de Gavroche. – Depuis les premiers graffitis rabelaisiens adornant les trop sorbonnicoles ou sorbonnagres murs du temple dela scholastique, relancés de générations en générations depuis Alcofribas Nasier jusque sur les barricades de la Commune et du Quartier latin en mai 68 où l’on crut bon de réaffirmer que « les murs ont la parole », le Gavroche parisien n’a cessé de réinventer l’art de la vanne ou du horion, du lazzi ou de la pique signifiant pis que pendre, et c’est avec certain ravissement que j’ai vérifié ces jours, dans ces quartiers point trop touchés par l’aplatissement et l’avachissement du luxe ou de la fonctionnalité bétonnée, entre le Montrouge de Robert Doisneau et le Ménilmontant de Carné et Prévert, moult inscriptions murales réjouissantes et autres saillies verbales ou graphiques.

    IMG_1907.jpgGouaille des murs. - Loin de moi l’intention de me la jouer Jack Lang en donnant trop de galon bourgeois à l’art du tag, qui n’en demande pas tant, mais le fait est que les murs parlent, et pas que dans les quartiers dits pittoresques; et j’ai gardé comme une relique la petite photo que m’a envoyée un jour mon ami Thierry Vernet, d’une inscription en grandes lettres sur un mur des hauts de Belleville : LES MURS DE BABYLONE NE NOUS FONT PLUS BANDER ; surtout m’a épaté, pour en revenir à la Butte-aux-Cailles, la foison de peintures punkoïdes d’une fantaisie brute qui se retrouve désormais un peu partout, de l’Italie de Ceronetti au Bronx de Basquiat, mais avec ce ton Titi propre à Paname...

    IMG_1896.jpgIMG_1906.jpgIMG_1899.jpg

     

    Images: JLK

  • Ceux qui font révérence à la vie

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    Celui qui se convertit tous les matins / Celle qui attire la lumière / Ceux qui méditent jusque dans les encombrements du Centre des Affaires / Celui qui active ses glandes salivaires en songeant à l'avenir de son fils adoptif Zébulon / Celle qui pense en termes de cycles / Ceux qui en ont assez de s’abaisser / Celui qui ressent à fleur de peau les ondes néfastes diffusées par les voyageurs de l'autobus de ceinture No 33 / Celle qui se met dans la peau des autres / Ceux qui ont des problèmes de peau / Celui qui vit Cézanne comme une polyphonie silencieuse / Celle qui va découvrir Naples / Ceux qui se sont enfin rencontrés / Celui qui gère son angoisse (dit-il) / Celle qui cherche toujours un petit coin de ciel bleu / Ceux qui ne se remettent pas d’une séparation / Celui qui égrène son chapelet devant le Temple du Sexe / Celle qui pense être libérée à mort / Ceux qui font régner le froid dans les assemblées paroissiales et les clubs de bridge / Celui qui ne sort jamais sans son carnet de notes / Celle qui appelle Paul Eluard : grain d’elle / Ceux qui se positionnent au niveau du groupe / Celui qui ne signe jamais ses tableaux / Celle qui aime les vieillards pensifs / Ceux qui se retiennent de moucher les idiots / Celui qui sent l’indulgence le gagner dès 5h. du matin / Celle qui chante toute seule / Ceux qui économisent pour leurs petits-enfants / Celui qui se sent prêt à LA rencontre de sa vie / Celle qui savait que Jean-Marcel la suivrait au bout du monde / Ceux qui errent entre les tombes / Celui qui pense sérieusement que la vie est un gag / Celle qui va de musée en musée / Ceux qui voient partout 12747975_10208756673381047_7998716030541632661_o.jpgl’Ennemi, etc.10371727_10208744563758314_5107644379540374706_n.jpg12747529_10208756672141016_7687205135699972988_o.jpg

    Images: JLK

  • Déchéance et rédemption

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    Chemin faisant (127)

    Le clodo et la fille merveilleuse. - Comment ce pauvre type en est-il arrivé là ? me demandais-je hier soir, sur le quai du métro à la station Montparnasse-Bienvenüe, en observant un vieux béquillard en pauvre camisole trouée et le bas du corps dissimulé par une espèce de méchant pardessus, sous lequel j’entrevis bientôt des fesses nues tandis que se répandait une immonde odeur d’aigre pissat dont le filet s’étendait au pied du personnage.

    Mais quelle histoire était donc la sienne ? me dis-je à l’instant en pensant au protagoniste de la Fable d’amour d’Antonio Moresco,vieil homme perdu, autre « déchet humain » en guenilles et à la rue, qui ne se rappelle même plus ce qu’il a été avant sa déchéance : armateur ou champion automobile, savant ou grand écrivain ?

    Georges Simenon, qui les connaissait bien, affirmait que nombre de clochards, notamment à Paris, se retrouvent à la rue par choix et parfois plus que par nécessité. J’y resongeai ces jours en croisant plusieurs fois le regard éperdu d’un tout jeune SDF à quelques pas de la brasserie La Coupole, auquel j’ai filé la pièce sans penser un instant, pour autant, qu’il était là par choix. Une chose est en effet de se trouver au bout du rouleau après une vie plus ou moins ratée, et tout autre chose d’être down and out à vingt ans et des poussières…

    12517031_10153393462053105_495534322_o.jpgCe qui est sûr, c’est que le béquillard compissé de Montparnasse-Bienvenuë, hier soir, n’attirait que des regards dégoûtés ou réprobateurs, tandis qu’un ange a été envoyé au désespéré de Fable d’amour, sous l’aspect d’une « fille merveilleuse » qui l’aborde un jour et l’enjoint de la suivre, l’emmène dans son petit chez elle et s’affaire longuement, après l’avoir aidé à se dépouiller de ses hardes puantes, à le laver et le rincer, gratter ses croûtes et traquer ses poux et autres morpions, tout ça au fil d’une scène d’une saisissante pureté – mais ou frères et sœurs CELA existe...

    Panopticon.jpgLe voile et le sabre. – Ce qui est moins sûr, à mes yeux en tout cas, c’est que le Dieu des islamistes radicaux existe.
    Du moins est-ce ce que j’aurai pensé, une fois de plus, en assistant hier à la projection du film Salafistes, rue Monsieur-le-Prince où vécut un certain Blaise Pascal, n’y entendant parler que d’un potentat céleste ordonnant surveillance et punition, dénonciation du moindre péché des autres (les pécheurs sont toujours les autres, surtout quand ils sont de nature intrinsèquement impure, tels les femmes ou les homos) et châtiment sévère mais juste : la main du voleur tranchée pour son bien, les femmes fouettées ou lapidées en public, les homos précipités du haut des murs et pour tous autres mécréants aux yeux de ce Dieu-là (ou plutôt à ceux de ses prétendus fidèles), pour leur bien aussi cela va sans dire : le sabre ou la balle dans la nuque.

    Or on l’aura remarqué dans la foulée : pas une femme dans Salafistes, saufquelques-unes aussitôt sommées de se voiler, ou cette unique maligne Malienne sûrement sorcière - mais que deviendrait en ces lieux la « fille merveilleuse » du vieil Antonio ?

    La voix de Maliga . – La vieille Maliga, du fond de sa cambrousse camerounaise, pourrait peut-être répondre à cette question vu qu’elle a gardé, sous son cuir tanné par les années et les épreuves, son coeur de « fille merveilleuse ».

    Cette Maliga-là, qui ponctue ses discours de « voiiiilààà ! » comme personne, je l’ai d’abord rencontrée dans un manuscrit que m’avais fait lire mon piaffant poulain littéraire connu sous le nom de Max Lobe - alias Maxouille dans les bas-quartiers et autres mauvais lieux de la cité de Calvin, ou pour moi Maxou l’Bantou -, et voici que sa voix me revient, au détour des rues de Paris, ou sur l’esplanade des Tuileries où ses frères ou cousins vendent des petites Tours Eiffel et autres colifichets, par ces Confidences qui mêlent vie bonne et colère, douleur profonde et chansons, pleurs et zumba…

    La voix de Maliga, c’est la voix de l’humanité dépouillée des trop beaux atours de la rhétorique et des masques jetés sur les faits avérés, des mensonges des idéologues et des histoires arrangées au nom des Grandes Idées non incarnées et autres dieux manipulés par les pouvoirs divers.

    Citant L’énigme du retour de Danny Laferrière, Max le Bantou fait sienne cette observation qu’à mon tour je fait mienne en errant dans mes souvenirs parisiens d'une cinquantaine d'années, avant de regagner le bord de ciel où m’attend ma bonne amie Lady L : « On naît quelque part, si ça se trouve, on va faire un tour dans le monde, voir du pays comme ondit, y rester des années parfois, mais, à la fin, on revient au point de départ »…

    Antonio Moresco. Fable d'amour. Traduit de l'Italie par Laurent Lombard. Verdier, 124p.
    Max Lobe. Confidences. Zoé, avec une lettre d’Alain Mabanckou en postface, 284p. ,2016

    Images: Philip Seelen et JLK

  • Retour à Montparnasse

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    Chemin faisant (126)

    D’un rêve l’autre. – Rien n’aura été noté de ce premier séjour, mais ce doit être autour de Pâques 1961 que, pour la première fois, j’ai découvert Paris avec mes parents et un oncle sémillant, réalisant un début de rêve bohème dans la foulée de ces adultes à la fois timides (surtout mon père), inquiets de la dépense (ma mère en particulier) et plus ou moins décidés à s’en payer une tranche (mon oncle y poussant) à telle ou telle table ou dans quelque caveau de chansonniers – seul l’oncle se risquant à évoquer le Moulin Rouge, sans trop insister. Or je pensais déjà, quant à moi, à un tout autre Paris.
    Des fenêtres de la seconde classe du train, le spectacle de la France de l’époque m’avait impressionné par ses derniers vestiges de destruction de la guerre, et la chambre qu’avait réservée mon père à Suresnes n’était guère du genre romantique, réalisant le genre de la thurne pour commis-voyageurs à la Simenon, aux fenêtres donnant sur un canal malodorant et dont ma mère avait relevé la propreté douteuse, en tout cas sous les lits...

    Utrillo_Lapin agile-sous-la-neige.jpgUtrillo, poète des vieux murs.- Cependant le Paris dont je rêvais alors tirait bel et bien son charme de ces aspects décatis qu’avait évoqués « mon » peintre préféré d’alors, ce Maurice Utrillo dont les toiles chantaient les murs lépreux ou noircis, les humbles ruelles ou les rampes poussiéreuses ou verglacées des hauts de la Butte que sommait la coupole vaguement hindoue du Sacré-Cœur.
    Tel était aussi bien le vrai Paris à mes yeux :le Paris de Verlaine et du Lapin agile, de Cendrars à Montparnasse et des rapins de la Grand Chaumière dont ma première veste en velours côtelé marquait mon désir encore discret de leur ressembler…

    6db1c17a077a60a32e2853c3bd2eca74.jpgMon Paris rêvé s’était nourri, en outre, entre douze et treize ans, des milliers de vers de Baudelaire et Verlaine, Rimbe aux semelles de vent, Jammes avec deux m et Laforgue, Apollinaire et autres Torugo, que j’avais mémorisés le Diable sait pourquoi et qui me revenaient à travers Brassens et Léo Ferré dont mes chers parents s’effarouchaient de la verdeur mal peignée - enfin quoi l’Artiste à mes yeux se devait de crever la dalle et se répétait, à l ’instar du Rodolphe de La Bohème,« Dans ma soupente /on a la gueule en pente »…

    Villa des artistes. – Un siècle plus tard le cliché du Montparnasse bohème peut sembler aussi éculé que celui de Montmartre, mais je n’en démords pas quant à mon rêve, et je me réjouis de retrouver ce soir, rue de la Grande chaumière, dans les couloirs de l’hôtel aux motifs recyclant tous les grands noms de l’art et de la poésie, de Magritte à Nicolas de Staël en passant par Man Ray et Modigliani, Miller et Fitzgerald, ma carrée anthracite au plafond stellaire annonçant la couleur sur la porte avec cette citation de René Magritte : « Rien n’est confus sauf l’esprit »…

    C’est pourtant l’esprit clair que nous aurons passé la soirée, avec mon compère le Savoyard, rencontré sur Facebook et avec lequel nous échangeons depuis de semaines par Messenger, à une table de cet autre mythe survivant que figure la Brasserie La Coupole où nous nous sommes retrouvés pour la première fois en 3 D avant de nous régaler de foie de veau au Banyuls arrosé de Brouilly, en parlant du New York de Céline et de tant de nos lectures (je lui ai fait découvrir Christoph Ransmayr et il m’a révélé Antonio Moresco) qui n’en finissent pas de revisiter les mythes millénaires et de le revivifier - de nous faire vivre les 5000 vies, ajoutées à la nôtre par les livres, qu'évoquait un certain Umberto Eco...

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  • Un autre Paris

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    Pour un plat de lentilles.- J'étais censé me montrer un peu social ce soir à Paris, n'était-ce qu'à participer une heure durant à une festivité littéraire en un Centre culturel officiel de l'espèce que j'exècre viscéralement depuis et pour toujours, et pourtant non: mes ailes n'ont pas voulu m'y porter, mes rotules rouillées ont gémi et mon âme s'est rebiffée, de sorte que je me suis fait porter pâle en termes évasifs pour mieux repartir de par les rues et les quais et les places et les jardins et les cours et les galeries, de librairie en librairie et d'une fontaine à l'autre, revenant à la rue de la Félicité de mes jeunes années ou les cafés algériens sont devenus chinois, traversant le parc Monceau plein d'enfants à gouvernantes stylées, redescendant vers la Seine puis la rue de Seine en suivant imaginairement en fin de journée la claudiquante silhouette de Paul Léautaud aux cabas remplis de pain sec et de tripes variées pour ses vingt chiens et ses trente chats, jusqu'à cette brasserie jouxtant le jardin du Luxembourg où j'ai fait station et me suis commandé un petit salé au lentilles qu'arroserait bien un pichet de Brouilly - je me rappelai le "haricot bien gras de Molière", et bien assis, loin de nos sociables gendelettres du Centre culturel fameux, je repris la lecture des Divertissements de Marcel Jouhandeau consacrés notamment au plus fraternel des grand écrivains de France non pédante, à savoir Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

    L'oeil du peintre. - Le même Jouhandeau note, à propos de La Bruyère, ceci qui m'a rappelé, en 1974, la découverte du peintre polonais Josef Czapski à la Galerie Lambert, et ce choc précisément décrit: "Quand on a visité une exposition de peinture et que le peintre, dont on vient d'admirer les toiles, a une grande personnalité disons une optique à lui, une vision des choses et des gens qui lui est propre, longtemps (c'est plus fort que soi) on en reste imbu, au point que tout ce qu'on voit se déforme, se conforme à la mode, disons, se modèle sur ce qu'il verrait à notre place".
    Or c'est, très exactement, ce que j'aurais ressenti après avoir vu cette première exposition du peintre polonais aux cadrages tellement inhabituels et aux couleurs si véhémentes nous révélant comme une nouvelle image de la réalité la plus ordinaire, à commencer par celle des rues et des quais de métro de Paris.

    Floristella7.jpgLe réel transfiguré.- Depuis lors nos regards se sont multipliés, puisque ma bonne amie partage ma passion pour Czapski et son ami Thierry Vernet: les toiles que nous possédons de ces deux-là nous font mieux voir par leurs regards et, chaque fois que nous sommes à Paris ou en Provence, en Italie ou dans nos régions lémaniques où tous deux ont passé, nous voyons des Czapski et des Vernet, sans compter les Stephani que nous a laissés la compagne de Thierry.
    Enfin voici que, revenant ce soir de la Brasserie du Luxembourg, je croise un passant solitaire à longue pèlerine rouge et lourde écharpe vert électrique dans le plus pur style Czapski, avant de découvrir une brumeuse enfilade de rues nocturnes dont l'ombre bleu sombre est comme mouchetée de flammes oranges, tout à fait dans la manière de Vernet - et je me promets dans la foulée de me pointer demain au Jardin des plantes, où je sais que m'attend une vision de Floristella...

    Peintures: Thierry Vernet, Josef Czapski, Floristella Stephani. Portrait de Paul Léautaud.