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  • Trois perles romandes

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    En marge des têtes de gondoles de rentrée, trois livres parus en Suisse romande (entre autres évidemment) me semblent mériter une attention particulière. Les deux premières notes ont paru dans les colonnes du Matin Dimanche de ce jour, sur une page consacrée à neuf perles "injustement oubliées" de la rentrée littéraire, avec les contributions de François Busnel, Delphine de Candolle, Pascal Vandenberghe et JLK.

    Grappilleur d’émotions


    Prodhom_image.jpgJean Prod’hom est un promeneur solitaire attaché à notre terre et à ses gens, un rêveur éveillé, un grappilleur d’émotions, un poète aux musiques douces et parfois graves, un roseau pensant (sur l’époque) et un chêne pensif (sur nos fins dernières).

    Un an après la parution (chez Autrepart) de Tessons, recueil d’éclats sauvés d’unparadis pas tout à fait perdu, ces Marges confirment l’évidence que « l’inouï est à notre porte ».

    Souvenirs d’une enfance lausannoise de sauvageon, flâneries dans l’arrière-pays vaudois ou au diable vert napolitain, vacillements (« je tremble de rien, je tremble de tout ») et riches heures (Boules à neige, À l’ombre du tilleul) constituent un kaléidoscope enrichi par le contrepoint d’images photographiques.

    Miracle actuel: ce trésor de sensibilité a été tiré d’un blog (lesmarges.net) par l’éditeur Claude Pahud, enfin éclairé par une fraternelle postface de François Bon.

    JeanProd’hom, Marges. Antipodes, 164p.

    litterature-rentree-romande-males-auteurs1.jpgTragédie grecque


    L’actualité dramatique des crises européennes et des migrations trouve, dans Le Mur grec de Nicolas Verdan, une projection romanesque exacerbée, sur fond de roman noir économico-politique très bien documenté, humainement prenant.

    Le protagoniste en est un flic sexagénaire, Agent Evangelos, dont les tribulations existentielles recoupent celles de sonpays en déglingue. Chargé d’une mission dont il découvrira finalement les tenantscrapuleux, liés à la corruption ambiante, Agent Evangelos vit à la fois unerédemption personnelle par la venue au monde, en cette nuit de décembre 2010,du premier enfant de sa fille.

    Dix ans après Le rendez-vous de Thessalonique, son premier livre, Nicolas Verdan retrouve sa source grecque (sa seconde patrie par sa mère) avec un roman âpre et bien construit, tissé de constats amers et de questions non résolues.

    Nourri par les reportages sur le terrain de Verdan le journaliste, Le Mur grec illustre le talent accompli d’un vrai romancier qui prend le lecteur « par la gueule »…

    Nicolas Verdan, Le Mur grec. Bernard Campiche éditeur, 252p.

    ob_cd401d_manifeste-4-pajak.jpgLe paquebot de Pajak


    Ecrivain et artiste d’un talent et d’une originalité reconnus bien au-delà de nos frontières (son dernier ouvrage a été consacré par le Prix Médicis étranger 2014), Frédéric Pajak poursuit sa démarche de chroniqueur-illustrateur hors norme dans le quatrième volume de son formidable Manifeste incertain, entremêlant journal « perso » et découverte de tel ou tel grand personnage.

    En l’occurrence, une ouverture assez fracassante sur la malbouffe précède l’embarquement de l’auteur, aux Canaries, sur le paquebot titanesque Magnifica, à destination de l’Argentine.

    Pour meubler l’ennui mortel signifié par la formule « la croisière s’amuse », Pajak lit crânement L’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobineau, en lequel il découvre un auteur bien plus passionnant qu’on ne le croit, déjà célébré par Nicolas Bouvier.

    Au demeurant, le récit de Pajak déborde de vie et de détails par le verbe (de plus en plus élégant dans sa simplicité ) et le trait d’encre, jusqu’à l’irrésistible évocation de la pension libertaire dans laquelle, ado, il a appris à désobéir aux éducateurs foutraques…

    Frédéric Pajak. Manifeste incertain IV. Noir sur Blanc, 221p.

  • L'amour par coeur

     

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    Que l’amour courtois n’exclut pas la vérité selon la chair.

    Léa n’en parle guère à Théo, comme si la chose allait de soi, mais ce qu’elle constate est que le solfège résiste. La musique tient bon, Cécile a de vraies raisons de s’indigner mondialement et Chloé de prodiguer partout ses soins de spy-doctor, chacune sans se départir, la première, de sa  pétulance positive et la seconde de son  cran en zone dangereuse, donc tout n’est pas perdu. Comme le disait aussi l’émouvant Christopher qui savait de quoi il parlait : il suffit de tenir la note.

    D’un autre point de vue, s’il est vrai que Théo n’a aucune espèce de notion en matière de fonctionnalité marchande, le moins qu’on puisse dire est qu’il aura assuré dans sa partie, sans sacrifier jamais aux effets, comme Léa dans sa façon d’apprêter la crème soubise ou sa persévérance à développer tous les registres de l’harmonium, l’éducation des greluches ou  l’accueil clandestin de clandestins quand celui-ci lui a paru justifié.

    Précisions utiles : À maints égards, Léa et ses filles incarnaient alors des variantes représentatives du type de la femme moderne libre et responsable. En sa qualité de fille d’hôtelier, Léa maîtrisait tous les aspects d’une organisation pratique accordée à un indéniable art de vivre, tout en assumant la gestion de l’œuvre de Théo  entre deux concerts d’harmonium ; Cécile s’était rendue utile puis indispensable auprès de nombreuses associations attachées au soutien ou à la survie de peuples divers  et de diverses espèces animales menacées, et Chloé travaillait sur le terrain à la réparation des corps et de leurs membres polytraumatisés avec des compétences d’acquisition palliant son excessive sensibilité – toutes qualités  relancées par les liens plus ou moins étroits que le trio entretenait avec Jonas, parrain de Cécile, le Monsieur belge dont les connaissances tous azimuts avaient aidé l’une ou l’autre à tel ou tel moment, ou encore Rachel et la Maréchale qu’une naturelle complicité rapprochait aussi, on verra comment.

    On pourrait dire enfin qu’à côté de la femme résolument terre à terre, il y a de la fée et du médium en Léa, qui voit bel et bien, à l’instant, Théo rassembler ses affaires en considérant son travail accompli durant la matinée, s’en féliciter d’abord puis y revenir plusieurs fois après une station à la fenêtre de l’Isba, retourner au portrait et se désoler d’y trouver tant de pendables insuffisances  et en soupirer, puis en rire comme il a appris à rire, enfant, de tout ce que la guerre lui a inculqué avant l’âge;, et s’il fumait encore il en grillerait une, au lieu de quoi il rajoutevite fait une nuance de bleu vert dans les yeux pers de cette Léa qu’elle-mêmeattend de découvir sans impatience aucune ; et plus tard elle le voitenfourcher son side-car après avoir coiffé son casque d’aviateur de la GrandeGuerre trouvé dans les greniers de la Bella Tola, et le voici descendant parles zigzags de la route d’en haut, le voilà fonçant sur les cornichessurplombant le Haut Lac, et maintenant c’est elle qui se jette un dernierregard au miroir avant de se pointer, clope au bec, sur le perron de pierre dela Datcha,  enfin on ne sait trop commentarranger la fin de ce chapitre mais ce qui est probable est qu’on entendra dela musique aux fenêtres ouvertes de leur demeure dont le plafond bleu dela  chambre des vieux amants semblebouger doucement sous l’effet de la lumière filtrant entre les feuillesreverdies du grand érable protecteur qu’il y a là.

    La musique peut venir à ce moment-là.

    Tout à l’heure Léa, les yeux mi-clos sur sa clope,entendra le bruit des pas de Théo dans l’allée, et c’est une musique detoujours qui lui revient. La vision de Théo se fond ainsi dans l’écoute de Léa.

    Ce qu’onpourrait dire un silence originel garde en mémoire ce bruit de pas dans laforêt, ou parfois dans les couloirs de bois de la Bella Tola, ou dans elle nesait plus quel jardin ou encore, à l’opposé de toute musique selon son cœur, derrière cette porte là-bas qui n’aurait jamais dû s’ouvrir sur les pas  de l’effroi.         

    L’harmonium n’est pas pour Léa l’instrument d’une fuite ni moins encore l’accompagnement pompé de cantiques supposés stimuler l’élévation de chacune et chacun les yeux au ciel, mais une machine à retrouver l’harmonie que seul aura jamais égalé le premier  souffle d’un enfant.

    Léa connaît le solfège sur le bout de chaque doigt, mais il y a longtemps qu’elle ne regarde plus les notes, comme Jonas retient tout par cœur à n’entendre les mots qu’une fois. De même Léa mémorise-t-elle les couleurs de la musique comme Théo entend pour ainsi dire la distribution des tons et des valeurs, sans jamais s’en laisser imposer par aucune des conventions privées ou publiques que Maître Waldau lui a appris tacitement à ignorer, au dam des cagots du clan Mestral.         

    Pas plus que la musique selon Léa n’est soumission aux édits du clan, elle ne s’est jamais associée à la moutonnière procession des concerts et festivals ni à aucune forme de célébration. Quant à l’harmonium de l’antédiluvienne chapelle anglicane de la Bella Tola dont un vieil accordeur de la plaine lui a transmis divers secrets d’entretien, Léa se l'est bonnement réapproprié pour son seul usage et le dernier auditeur fervent que fut Maître Waldau, avant la transplantation de l’objet à la Datcha où sa fonction quotidienne reste de faire pièce, tout tranquillement, à ce qu'elle qualifie de simulacre musical omniprésent alternant romances melliflues et trépidations.         

    La musique usinée est désormais partout, songe ainsi Léa en déployant, assise sur l’escalier de pierre, ses volutes bleutées; le simulacre de la musique submerge tout de sa flatteuse  inanité, dégoulinant des façades extérieures de la ville-monde et des parois intérieures de ses ascenseurs ou de ses lieux d’aisance aux suaves parfums de synthèse, et c’est tout ce que tous deux, unis contre la mort, vomissent et combattent par amour, se dit encore Léa en entendant le bruit des pas de Théo sur l’allée, et voici qu’une comptine chantée et rechantée, lui venant de Laure aux heures heureuses  de son enfance, remonte à ses lèvres avant que les lèvres de Théo ne s’y posent. 
    (Extrait d'un roman en chantier)

     

    Peinture: Pieter Defesche.

     

  • Ceux que ça dérange

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    Celui qui ne veut pas de migrants sur sa pelouse dont la copie de la Vénus de Milo mérite des égards / Celle qui se renseigne sur le prix des barbelés et la hauteur possible d’un mirador au coin de son jardin privatif en banlieue sensible aux courants d’air / Ceux qui écrivent au Vatican pour lui demander de prendre ses responsabilités / Celui qui ne voit pas pourquoi les milliards du Denier du Culte ne peuvent être réinvestis dans l’aide aux réfugiés même mahométans / Celle qui estime (au pif) que rien que sur la place Saint-Pierre de Rome on pourrait installer un camp géant sous la double protection de Notre Seigneur et des gardes suisses / Ceux qui avec l’écologiste suisse Franz Weber (ami de Brigitte Bardot) prônent la réquisition des résidences secondaires alpines (voire préalpines) au bénéfice de familles sans abri ce prochain hiver / Celui qui répond à ceux qui prétendent qu’il n’y a aucun appel à la violence dans le Coran : mais alors y a quoi ? / Celle qui demande pourquoi il y a tant d’étrangers dans d’autres pays et si peu à Urnäsch dont le Conseil communal ne compte aucun Noir à ce qu'on sache / Ceux qui n’ont rien contre les homos kosovars ou antillais s’ils font ça entre eux / Celui que ça dérangerait de faire un peu de place à ses frères musulmans dans son royaume hachémite alors que le Prophète a dit : ta maison est la leur sans penser il est vrai au cours du baril / Ceux qui ont vu des migrants avec des sacs griffés avant de lancer la rumeur qu’ils étaient volés à des femmes de cadres de chez Nestlé / Celui qui est toujours allé à contre-courant ce qui se complique en cas d'exode / Celle qui se réfugie chez sa mère au motif que son mec a encore fait le mur / Ceux qui sont doublement inquiets du fait que la barque soit pleine et que les glaciers se retirent / Celui qui comme Paul Auster (écrivain juif connu) estime qu’il est temps de déplacer Israël au Wisconsin dont le Hamas ignore où c’est / Celle qui ne peut souscrire à une religion qui n’entretienne point la bonne humeur à l’instar de la fondue moitié-moitié / Ceux que le bruit du monde ne distrait point du chant du monde, etc.

     

     

  • Les merveilleux nuages

     

    Panopticon138.jpg… Moi tu vois j’ai pas connu ni mère ni père, j’ai jamais eu d’amis, mais pas un, on m’a dit que je venais de là-bas mais j’ai pas ça de souvenir, donc je peux même pas dire que j’ai un pays, et comment je me trouve ici, je sais pas, si je trouve beau, je sais pas, je sais pas trop ce qui est beau ou pas beau, j’ai pas appris, mais ce que je sais, tout ce que je sais, mec, et ça je le sais: c’est que je kiffe les nuages, les nuages qui passent, là-bas, les merveilleux nuages…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui ne se laissent pas abattre

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    Celui qui se force à regarder l’insoutenable vidéo de 3 minutes 18 secondes durant laquelle un jeune homme maintenu à terre et menotté supplie ses invisibles bourreaux de l'épargner, d’une déchirante voix d’enfant en pleurs, jusqu’à l’interminable dernière minute où la main d’un de ces monstres sous-humains plonge un couteau dans sa gorge et détache sa pauvre tête de son pauvre corps au milieu des acclamations et des ricanements de ces sous-bestiaux nous infligeant la honte d’être de la même espèce / Celle que les fonctionnaires royaux saoudiens (en affaires avec les fonctionnaires fédéraux et autres  magnats sans états d'âme de notre pays) flagellent et décapitent sur la voie publique au nom du Dieu de miséricorde dont le prophète juste et bon a recommandé (par sourates, avant les hadiths additifs) de montrer la plus grande sévérité envers la créature féminine trop souvent insoumise et frivole / Ceux qui jouent au foot avec une tête d’enfant qui ne croyait en rien ce fils de copte / Celui qui lit attentivement La guerre n’a pas un visage de femme  dont l’auteure a une bonne tête / Celle qui prétend que Daech marque le retour de notre espèce au MoyenÂge en oubliant les bâtisseurs de cathédrales et le bleu Giotto pas vraiment style califat / Ceux qui échangeraient volontiers Donald Trump contre l’autre taré financier de l’Etat islamique et que ces deux-là se présentent à des élections libres enfin quoi / Celui qui aime bien la fermeté nuancée d’Alain Finkielkraut dans La seule exactitude / Celle qu’on appelle la hyène des médias comme cela s’explique dès qu’elle l’ouvre et la ramène / Ceux qui s’en remettent au Conseil des Arbres / Celui qui n’est riche que de ses yeux tranquilles / Celle qui a toujours redouté la méchanceté des prétendus vertueux – et relisez La Bigote de Jules Renard si vous n’êtes pas convaincus / Ceux qui en veulent toujours peluche / Celui qui trouve stupide et vulgaire la croyance de ceux selon lesquels les vierges qui les attendent de l’autre côté les préféreront aux jolis touristes agnostiques en chemises Lacoste / Celle qui enrage de n’être pas sifflée dans la rue et en conclut que tous ces étrangers et autres migrants ne sont que voleurs et pédés / Ceux qui ont toujours considéré le pouvoir religieux comme une obscénité  contre nature / Celui qui a conclu depuis longtemps que les oripeaux idéologiques des religions de masse ne cachaient que le vide des âmes / Celle qui attend des musulmans de France qu’il produisent leur Rabelais / Ceux qui savent que l’abbé Rabelais est l’un des poètes chrétiens les plus appréciés du Seigneur comme Il le leur a confirmé tout à l’heure par SMS / Celui qui préfère l’empathie grondeuse mais démocrate de Paul le converti (faut toujours que les convertis en rajoutent, c’est humain) à l’élitisme éthéré de Jean l’évangéliste / Celle qui estime que la religion (ou ce qu’on appelle comme ça pour aller vite) est une chose trop sérieuse (étant entendu que l’amour et le goût pour tout ce qui est bel et bon en ce monde épatant sont choses des plus sérieuses) pour être abandonnée à des prélats de tous bords avec ou sans dessous chics / Ceux qui se retrouvent en l’Abbaye de Thélème où tel aime telle (ou tel) de même que telles et tels se sentent immortels de leur vivant en attendant le doux sommeil, etc.