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  • Chemin faisant (71)

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    Voyageurs du temps. - À la fin d'un des plus beaux romans épiques qui soient, intitulé Migrations et constituant le chef-d'oeuvre de l'écrivain serbe Milos Tsernianski, celui-ci conclut sur ces mots: "La mort n'existe pas. Les migrations existent". 

    Or je repensais à cette sentence en déambulant, cet après-midi à Colombres, dans le palais bleu abritant l'impressionnant musée de l'émigration des Asturiens, dit Archivo de Indianos, qui documente la saga des migrations économiques (dans le milieu du XIXe) ou plutôt politiques (dans les années 30 du XXe siècle, dès le début de la guerre civile) qui ont poussé les natifs des Asturies à chercher fortune à Cuba, en Argentine, au Mexique ou à Porto Rico, notamment.

    275566916.jpgLa formidable bâtisse qui abrite ces archives est un bel exemple de l'architecture indiana, construite par Inigo Noriega Laso en 1906. Le personnage lui-même, parti à 14 ans pour l'Amérique et qui joua un rôle important dans la révolution mexicaine tout en amassant une fortune colossale, est un bel exemple de ces aventuriers-bâtisseurs, ligués, en chaque terre d'exil, en communautés solidaires, et revenus au pays fortune faite.1499501872.jpg

    La Casona de Andrin, où nous créchons ces jours, fut elle-même construite à la fin du XIXe siècle par un militaire revenu d'Amérique du Sud, comme en témoignaient encore force malles et autres objets de voyage retrouvés dans ses greniers. 

    Nous saluons sa mémoire d'un pacifiste garde-à-vous...
      
    Admirable Altamira. - On a beau se trouver dans une grotte reproduite à l'identique dans les soubassements bétonnés d'un vaste musée ultra-moderne: la vision des peintures rupestres et autres graffiti retrouvés, à la fin du XIXe siècle, dans la grotte d'Altamira, ne laisse d'émouvoir par la grâce de ses représentations animales (plus quelques formes anthropomorphiques) datant de 30.000 à 10.000 ans. La datation de ces merveilles a suscité maintes polémiques, autant que l'interprétation de leur fonction et de leur signification, mais on en sait un peu plus au fil des recherches, et par exemple que les animaux peints ne sont pas forcément des animaux chassés...

    images.jpegPour ce qui me concerne, je n'ai envie que de me taire là-devant, tant je suis touché par ce qu'on peut dire la ressemblance humaine émanant de ces peintures, qui fait à mes yeux de l'Artiste inconnu, voyageant à travers les millénaires d'avant la Préhistoire, le frère occulte des peintres et poètes de tous les temps... 

    Altamira_Bison.jpgLa Création d'avant la Genèse. - Non sans malice j'ai demandé au jeune guide, francophone et visiblement averti de tous les aspects, artistiques mais aussi techniques de ce patrimoine et de sa préservation, ce qu'en disent les éventuels visiteurs créationnistes du lieu. Alors lui de sourire d'un air entendu, et de se dire indéniablement catholique mais assez humble pour rendre à la Connaissance de science sûre ce qu'on lui doit en l'occurrence, qui n'exclut ni respect devant les rites anciens ni reconnaissance fervente à cet art vraiment premier...     

  • Chemin faisant (70)

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    Les murs des migrants. - Les murs de la Casona de Andrin, qui ont des oreilles et une bouche, me racontent ce matin l'histoire qu'ils ont entendue hier soir. Je  profite d'en écrire un peu, faute de pouvoir sortir vu l'humeur de massacre, ces jours, du Nuberu. Les Asturiens, qui ont un peu de mémoire celte, n'en veulent pas autrement au Nuberu, maître des nuées, pour le temps qu'il leur fait ces jours, telle étant la saison guère plus propice aux Xanes, enjôleuses fées de bords de rivières (les Asturiens sont étymologiquement Gens de Rivières), et le Trasgu, équivalent mythologique de nos servants, ne peut rien non plus contre la fatalité pluvieuse. Demandez-lui d'ailleurs de la conjurer: vous ne l'aurez plus dans vos meubles, car le Trasgu va se cacher dès lors qu'on lui demande l'impossible.

    Resterait la technologie de pointe. J'en ai parlé aux proprios de la Casona de Andrin, dont chaque chambre est pourvue d'une douche réglable par système électronique haut de gamme distribuant la pluie fine, le crachin, l'arrosage latéral style buse ou le jet tournoyant. Reste à inventer le réglage des célestes pompes...

    Don Ramon de La Fuente n'a pas cette prétention. En homme d'expérience, il se sera contenté, sa vie durant, de travailler, beaucoup, et de diriger, dans les pays où il a migré avec sa moitié, des chantiers de plus en plus importants. Issu de terre et de tribu pauvres, il était ouvrier spécialisé quand il a débarqué, avant sa trentaine, dans cette Suisse des années 60  qu'on appelait alors de la "surchauffe". Marié dix ans plus tard, et bientôt père de deux secundi, il acquit assez de savoir pour endosser de croissantes responsabilités, notamment sur les autoroutes en construction, au titre équivalent d'ingénieur diplômé "sur le tas". Vingt ans plus tard on le retrouvait au Venezuela avec les siens, propulsé à la hauteur des tours futuristes dont il dirigeait les travaux. Puis ce fut avec les Catalans de la Costa Brava qu'il tâcha de s'entendre, lui l'Asturien pur et dur engagé dans les nouvelles constructions de Palafrugell, avant de regagner la terre mère et de s'y établir, entre océan et pics farouches, pour fonder cette Casona de Andrin aux parfaits agencements de maison d'hôtes et dont l'âme irradie dans la pleine complicité de dona de la Fuente muy ejemplar y imprescendible - mi hermana grande...  

     

    Chemins47.jpgChambres d'hôtes. - Dans le genre Bed and Breakfast, la Casona de Andrin accueille chaque année des gens de toute sorte, dont les voix murmurent encore de chambre en chambre. Les chambres de la vie communiquent à tout moment, pour la énième fois j'écoute Paco Ibanez moduler sa Triste historia, à l'instant même où j'entrouvre ce livre d'un certain J.L. Rodriguez Garcia, dédicacé à ceux de la Casona comme esta historia triste, intitulé Al final de la noche et dont je ne comprends que deux mots sur trois de la présentation, notant qu'à la fin de cette nuit romanesque, "en la soledad y en la extension amenazadora de la noche, acaso pueda aun brillar una luz, que anuncie el comienzo de un dia hermoso"...

    Or la hermana grande nous racontait, hier, le dernier séjour de l'écrivain à La Casona, l'été passé, accompagné de son épouse et de son jeune fils de seize ans commençant de ruer dans les brancards. Pas très original même pour un prof de philo, mais ainsi va la vie qui bifurque et se complique, ou devient plus sereine et limpide au contraire, de chambre en chambre et le temps passant...

    Munro17.jpgSegretos abiertos.- Ou ce serait l'histoire de Doree, devenue femme de chambre après l'affreux événement survenu dans sa vie, et qui va revoir, dans son asile psychiatrique, ce "terrible accident de la nature" que représente à ses yeux celui que les autres tiennent plus précisément pour un fou monstrueux, qui a étranglé leurs trois enfants et prétend les rencontrer, désormais, dans une autre dimension. Dimensions est le titre de la première nouvelle du dernier recueil traduit d'Alice Munro, Trop de bonheur, que je lisais hier dans un coin de La Casona tandis que mi hermana grande, à qui je venais de l'offrir, le lisait elle aussi dans un autre coin, tout à côté de ma bonne amie qui lisait, elle, la version originale de Dear Life, dernier livre de cette nouvelliste bonnement géniale à mes yeux, révélée par le plus beau Nobel de littérature de ces dernières années. Comparée, à tort je trouve, à Tchékhov, voire à Carver, Alice Munro est à vrai dire incomparable, ayant saisi de la vie ce qu'on pourrait dire l'insaisissable, l'impondérable, l'imprévisible horreur et la non moins effarante merveille - la vertigineuse relativité et la vérité sans fard captée à fleur de sensibilité, au fil de storiesréinventant à chaque fois une nouvelle façon de raconter...       

  • Chemin faisant (68)

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    Marre du clan. - L'esprit de clan m'a toujours rebuté,  mais la chaleur de la famille est autre chose, et j'aime assez le terme de tribu pour désigner ce qu'est aujourd'hui la famille qui se décompose et se recompose de façon apparemment désordonnée, non sans obéir peut-être à un autre ordre sous-jaçent, parfois meilleur qu'il n'était. Rien n'est à exclure. Le "familles je vous hais!" d'André Gide est typiquement une formule bourgeoise, aujourd'hui dépassée. On n'en est plus là. La tribu familiale est sûrement à réinventer.    

    De la bonne jalousie. - Hier nous est arrivé un SMS-fleuve de mon neveu Nicky, fils de notre frère aîné défunt, éducateur quadra au Service de Protection de la Jeunesse, affirmant que notre périple le rend fou jaloux et qu'il nous en félicite en même temps. Il se demande alors s'il lui faut assassiner son beau-père pour acquérir plus tôt sa liberté, puis se rappelle ses deux chenapans à charge, pour quelques années encore. Or j'aime son impatience envieuse. C'est elle qui les portera, lui et sa moitié bonne, à partir à l'aventure qu'ils imagineront demain à leur façon, par exemple sur les canaux de France qui les font rêver. 

    Mélange d'époque. - Vue de la Casona de Andrin, qu'on pourrait dire l'extension espagnole de notre tribu familiale à l'enseigne de laquelle le coureur de marathon new yorkais voisine avec le disciple de chamane bolivien, l'entrelacs de nos relations plus ou moins étroites est à la fois significatif et intéressant, reflet du mode actuel. Une certaine chaleur pondère les liens nouveaux, peu compatibles avec les anciennes normes. Nous nous en félicitons, ma bonne amie et moi. Les maisons, les enfants, les souvenirs communs, les projets en cours fondent de nouvelles relations possibles. Le dernier deal est celui-ci: que ma nièce Federica perde quelque kilos, à condition que don Ramon condescende enfin à écrire ses mémoires, qui seront celles des migrants asturiens passés par la Suisse et l'Amérique. Tout cela qui ne devrait pas apparaître, en principe, sur la Toile et moins encore sur Facebook. Mais qui se soucie, aujourd'hui, de principes ?   

    Image: René Myrha

  • Chemin faisant (76)

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    Apprendre (aprender). - Les gens qui vous enjoignent de "profiter", s'imaginant peut-être que voyager signifie "se les rouler", se mettent décidément le doigt dans l'oeil. D'abord parce que cette hideuse notion de "profit" est exactement ce que nous fuyons. Ensuite du fait que mettre à profit (tant il est vrai qu'il y a profit et profit) une virée prolongée exige un effort de chaque jour qu'on peut dire un vrai travail, gage de vrai plaisir. Le vrai bonheur n'est pas de consommer mais de se laisser consumer par la flamme de la vie, productrice de chaleur et de lumière. Cela suppose un apprentissage approprié à l'évidence que des lieux et des gens où l'on va on ne sait à peu près rien, et le désir d'en savoir un peu plus aboutit au plaisir de la chose nommée, pour ainsi dire vécue, ingérée et digérée comme un bon fruit ou comme le Haricot Bien Gras de Molière... 

     

    005.jpgChemins41.jpgVoilà du sublime...  - Hier par exemple, dimanche de pluie, aurons-nous fait quarante bornes, sous la conduite de don Ramon de La Fuente, jusqu'au Molin de Mingo, haut-lieu de la cuisine terrienne des Asturies qu'on atteint par des chemins bordés de précipices, dans la montagne aux loups et aux ours, franchissant  enfin le torrent aux saumons et débouchant sur un méplat entouré de farouches monts boisés aux brumes vaguement chinoises;  et c'est là, loin de tout, que nous aurons découvert cette auberge à peu près pleine d'Asturiens connaisseurs, pour y goûter d'abord le meilleur fromage du monde, selon les gens du cru (et du cuit), au nom de gamonedo et sous sa forme apprêtée en Crema de queso.

    Or pas un instant l'on aura eu l'impression de profiter en savourant cette incomparable merveille évoquant la suavité d'un fruit presque liquide, à consistance un peu melliflue et goût se cherchant dans l'aigre-doux à tendres résonances, entre le fluide vif du cabri et l'humide du veau de lait.

    Chemins43.JPGSavoir vivre. - Je me rappelle à l'instant que c'est Georges Haldas, dans sa fameuse Légende des repas, qui a souligné le lien verbal entre saveur et sapience, qui en appelle à une vraie connaissance, appariée à ce qu'on appelle le goût et à l'éducation qu'il suppose. Or la notion de goût (vocable polysémique) est liée en espagnol à la notion de préférence et même d'amour, qui procèdent également d'un apprentissage, fût-il informel ou même sauvage - disons sur le tas.

    C'est ainsi que l'appétit du voyage vous vient en goûtant aux choses et aux mots des pays que vous traversez, constituant la base d'une constant enseignement non pédant. Le goûter se dit, au pays de Cervantes, la merienda, et le banal WELCOME de McDo se traduit, à La Casona de Andrin où nous voici revenus ce soir, par Les deseamos una feliz estancia...    

  • Chemin faisant (67)

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    Fierté basque. - On ne fait pas assez attention, en passant, à ce que disent les maisons des pays. J'y pense ce matin dans la belle demeure de la Dona Hermana Grande de La Fuente et de son hidalgo Don Ramon, aux Asturies, qu'on pourrait dire l'Oeuvre d'un couple et la réalisation d'un rêve. En traversant le pays basque, déjà, cette observation m'est venue à l'esprit: que nous ne voyons pas assez les maisons.

    Or les maisons du pays basque, le rouge ardent et le blanc pur des maisons basques, les colombages et les toits des maisons basques affirment une sorte d'assurance grave et de fierté qu'on retrouve des fermes aux demeures patriciennes. Venant de Suisse, où les maisons montrent des visages si contrastés selon les cantons , et après avoir traversé la France, où la pierre et le bois, les toits et les fenêtres, la gamme des gris et des blancs, du Morvan en Anjou, se distribuent de tout autre façon encore d'est en ouest et du nord au sud, ce qu'il y a de nordique et d'un peu farouche, dans ces hautes terres du sud-ouest à pierriers et palmiers, m'a paru se traduire par cette espèce d'orgueil assumé des maisons basques.           

    001.jpgLa Casona de Andrin. - Aux Asturies, c'est encore une autre histoire que racontent les maisons, des granges aux palais, ou plus exactement: des tas d'histoires où les migrations d'un peuple pauvre relèvent de l'épopée personnelle et collective, des allers aux Amériques aux retours plus ou moins fortunés. Dans le silence d'avant l'aube, ce matin à La Casona, l'envie d'entendre ces histoires m'est soudain venue: autant celle de La Casona, qui fut antérieurement la maison de la tribu Noriega, transformée ensuite et pourvue de tous les conforts imaginables, dans le meilleur goût, que les histoires des maisons serrées dans ce repli des contreforts des Pics d'Europe, entre pacages et falaises, sentiers côtiers et déferlantes océanes.

    018.jpgLes mots de la maison. - La culture terrienne, l'architecture sans architecte et les arts populaires ont encore beaucoup de choses à nous raconter, autant que les maisons et ce que déclinent les moindres objets de leur agencement : voilà ce que je me disais en apprenant par coeur, ce matin, une nouvelle phrase de tout débutant, en langue espagnole, prié de manipuler le levier de la chasse d'eau avec ménagement: Por favor apretar suavemente la palanca...  

    À vrai dire je me sens tout humble devant ce suavemente, tout impressionné, bien inculte en ces matières qui sont, pourtant, le matériau même de la culture et de la civilisation, plus que tant de clabaudages d'idées et de distinguos abstraits. Ainsi donc vais-je m'efforcer, désormais, de prêter plus d'attention à ce que racontent les maisons...      001.jpg 

     

  • Chemin faisant (66)

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    De l'Authentique. - "Si vous cherchez de l'Authentique, ne manquez pas de passer à  L'Herbe", nous avait lancé le Polonais de l'hôtel du Port, à Cap-Ferret, et son compère de zinc avait renchéri: "À main droite, vous aurez la Villa algérienne, et de l'autre côté vous trouverez les cabanes. Là c'est du vrai..." Et de fait, le lendemain matin, nous nous sommes pointés à L'Herbe, pour découvrir d'abord la chapelle mauresque d'un ancien domaine de fameuse mémoire locale, et, sur une mince bande de rivage surmonté par des résidences plus rutilantes les unes que les autres, tout un labyrinthe de petites maisons de bois multicolores en front de mer, jouxtant une zone de travail où s'activaient de jeunes ostréiculteurs des deux sexes. Et là, entre les cabanons plus ou moins habités, je suis tombé sur un vieux pêcheur à figure boucanée - un "vrai de vrai" à ce qu'il m'a semblé sans que j'aie à lui demander son brevet d'authenticité -, qui m'a dit sa satisfaction d'échapper quelque temps à la folie estivale et celle, surtout. de voir se manifester la relève du métier...

    007.jpgQuant à l'Authentique évoqué par le Polonais, comment ne pas voir, en de tels lieux littéralement colonisés par l'industrie touristique, qu'il tient, sinon du folklore genre réserve d'Indiens, d'une réalité bien précaire, qu'on se réjouit évidemment de voir survivre mais qu'on respectera d'autant mieux qu'on n'en fera pas un objet de culte...

     

    Dans l'esprit H.Q.E. - Je sais de quoi je parle, assis que je suis sur une espèce d'étroit tabouret de bois, à la fois brut et reverni comme une antiquité rurale, qui a dû servir en quelque ferme avant d'être recyclé dans le mobilier du Domaine de Bassilour où nous sommes descendus hier soir, accueillis par un affable jeune Suédois.

    020.jpgMa bonne amie cherchait un hôtel acceptant les chiens, pas trop cher et ouvert en cette saison. Faute de mieux, on a passé sur le "pas trop cher" pour deux nuits à un tarif tout de même modeste selon les critères helvètes: niveau trois étoiles, 120 euros la nuit + petit dèje. Ma bonne amie y ayant trouvé le confort qu'elle désirait pour se reposer de 1500 bornes de conduite, depuis une semaine, et la vieille ferme basque, absolument au-then-tique, ne manquant pas de charme, je n'allais pas faire le protestant gâte-sauce malgré le peu de goût que j'ai pour le luxe rustique. Mais quel objet d'observation pourtant ! Pour un peu, j'ajouterai un chapitre à La Carte et le territoire de Michel Houellebecq, rubrique La Ferme garantie H.Q.E. (Haute Qualité Environnementale), avec installation géothermique, isolation de toiture au chanvre, poubelle en osier dans les chambres pour tri des déchets recyclables, système automatique d'arrêt de l'électricité quand vous sortez, gel de douche biodégradable et parking non goudronné. Le dalaï-lama est invoqué au début de la présentation du Domaine de Bassilour marqué au sceau de l'éco-label européen. On imagine, en prenant son petit dèje à 11 euros,  ce que fut cette grande ferme basque jouxtant un vrai château comme il y en a un peu partout en France. Un extraordinaire objet, suspendu au mur de la salle commune aux immenses piliers de pierre, pourrait trouver sa place dans un musée d'art contemporain: superbe ensemble de planches ondulées aux mille pierres serties, évoquant des lames. Le jeune Suédois y voit un outil de traitement des peaux de moutons. Possible. Où est l'authentique explication ? Dans notre chambre admirablement rustique aux poutres apparentes et baignoire à sabots garantis vieille France que les au-then-tiques paysans de Bidarte n'ont pas dû connaître, le chien Snoopy, sous son baldaquin éco-label, médite...

     

    011.jpgPassent les grues cendrées. - Nous avons pensé d'abord, à l'arrêt dans les Landes, que c'étaient des outardes. Des oies sauvages. Les yeux au ciel, les entendant cacarder de loin (les oies cacardent, affirme le dictionnaire), puis déployant leurs formations géométriques en V ou en Y à systèmes variables, nous avons pensé à des bernaches. Bernique: c'étaient, dixit Wikipédia, probablement des grues cendrées. Mais pour l'Authentique, on prendra langue avec des connaisseurs...

    Ce qu'attendant nous sommes remontés dans l'arrière-pays sur le conseil d'un ami grand voyageur et féru d'îles lointaines, Basque de souche et qui voulait que nous connussions (déclinaison verbale du verbe connaître  sans équivalent en basque hivernal) les hauts de la Soule, la vallée du Saison, le village d'Aussurucq, la prodigieuse forêt des Arbailles, le dolmen caché, les chevaux sauvages et l'aigle circonspect. Et la sublime architecture sans architectes de Saint Jean-Pied-de-Port !

    025.jpg031.jpgTout cela nous a émerveillés. Bordel que la France est belle! Et ils se plaignent. Avant-hier encore au zinc du bar jouxtant le Super-U d'Arès, le tenancier quadra Léon de Laval nous disait sa honte d'être Français: que les Français sont des feignants, que l'attentisme est la Formule de la France actuelle, que les forces vives de la nation sont taxées et pressurées. Et comme on les comprend tous tant qu'ils sont ! Mais aussi: ruades! Français, soyez plus fiers ! Assez de jérémiades ! À tant vous croire supérieurs aux autres vous avez oublié que vous n'êtes qu'une partie du monde. Demain, d'ailleurs, nous serons en Espagne...  053.jpg

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  • Chemin faisant (65)

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    Le sens du voyage. - Au fil des jours, en voyage, il nous arrive de passer par des moments de flottement, et c'est ainsi qu'hier, sans se l'expliquer, ma bonne amie s'est sentie comme désemparée, un peu perdue, sans repères, se demandant en somme ce que nous faisions là, plutôt qu'ailleurs, me le disant et sans me surprendre du tout vu que je me le demande à tout coup, moi aussi, et pas seulement en voyage: ce que je fiche là - à vrai dire je me le demande tous les matins sans en parler à quiconque, et puis la vie reprend son cours...  

    Et de fait il suffit d'en parler: le seul mouvement de recul consistant à se voir comme de l'extérieur, ou de partager son doute avec son compagnon de vie ou de voyage, et c'est reparti: tout se remet en place. Pas plus tard que cet après-midi, sur l'autoroute de Saintes à Bordeaux, j'ai d'ailleurs retrouvé la mention de cette double expérience, du doute et de son dépassement,  au tout début de L'Usage du monde dont je nous faisais la lecture à haute voix, lorsque Nicolas Bouvier, rejoignant  Thierry Vernet à Belgrade, en juillet 1954, pour se lancer dans le grand périple qu'ils sont censés vivre deux ans durant - l'écrivain voit son ami peintre hésiter, paniquant devant l'énormité du projet, prêt un instant à tout plaquer, et puis non: risquons le coup...

    006.jpgNotre projet à nous ne comporte aucun risque à vrai dire: nous avons choisi, simplement, de partir quelque temps à travers la France, l'Espagne et le Portugal, sans autre intention que de parcourir et découvrir des lieux encore inconnus, au gré de nos envies ou de nos intuitions. Or après cinq jours à peine il nous semble, déjà, avoir tiré le meilleur profit de ce début de périple, et les mots de Nicolas Bouvier sont  là pour nous conforter aussi bien: "Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait".

     

    Une dédicace. - Cet exemplaire de L'usage du monde que j'ai emmené, avec une vingtaine d'autres livres, nous a été dédicacés par Nicolas Bouvier en 1985, l'année de la naissance de notre deuxième fille. Notre ami Thierry est mort huit ans plus tard, en 1993, et Nicolas a quitté ce monde en 1998. Or l'un et l'autre nous restent étrangement proches, de par leur présence au monde, précisément, et des voyages dans le voyage que nous refaisons régulièrement avec eux, comme aujourd'hui les retrouvant en Bosnie, puis à Belgrade, alors que nous traversions les vignobles du Bordelais...

    Le rite consistant, pour ma bonne amie et moi, à lire des tas de textes ou de  livres entiers tandis que nous roulons - elle conduit et je lis à haute voix-, nous aura  valu maintes fois de voyager dans le voyage, si l'on peut dire, de façon incessamment roborative...

    003.jpgPalimpseste. -  Sur une seule journée, ainsi, se seront superposés aujourd'hui les "textes" les plus divers: de notre conversation matinale avec Rodolphe Perrin, jeune hôtelier de Coulon qui a vécu sept ans en Suisse romande  avec sa compagne et parle avec intelligence et ferveur de son métier; des jérémiades d'Alain Finkielkraut relayées sur une pleine page du Monde, où l'on voit une intelligence non incarnée nourrir une vision du monde racornie; du récit poétique de Claire Krähenbühl évoquant si finement le personnage d'une poétesse au prénom de Louise; de cette page de L'Usage du monde à laquelle je faisais allusion ou, ce soir, de la conversation du patron polonais de notre hôtel de Cap Ferret, du genre aventurier plutôt fortiche nous désignant les survivances de l'Authentique à découvrir dans le pays...

    Enfin nous nous sommes trouvés, ce soir, devant l'Océan roulant son magma par delà les dunes de sable très doux, et là que dire grands dieux - comment douter de quoi que ce soit devant CELA ?