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  • Chemin faisant (78)

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    Ah, os dias felizes . - Cela fait un vieux bien de découvrir une belle grande ville, où l'on se dit tout de suite qu'on pourrait habiter. Je me le suis dit cent fois à Paris où je n'ai habité que de temps en temps, et à Berlin aussi, à Rome, à New York ou à Berlin, à Lisbonne mais pas du tout à Vienne dont les gens et Thomas Bernhard m'ont dégoûté, non plus qu'à Stockholm mais ce serait à réévaluer quarante ans plus tard, alors qu'à Porto je reviendrai comme nous reviendrons à Lisbonne ou à Madrid rien que pour le Prado ou le Rastro...

    360.jpgUne apparition. - Ce qu'il y  d'immédiatement splendide à Porto c'est que la ville, contrairement à Tokyo où l'on est toujours dedans et jamais avec assez de recul même au 60e étage d'une tour de Ginza, apparaît aussitôt et sous de multiples points de vue. Le fait qu'elle soit montueuse facilite évidemment les choses, comme à Rome ou à San Francisco, et les hautes rives du Douro, d'où l'on découvre l'ensemble de la ville ancienne,  nous réservent des vues d'ensemble incomparables...

     

     

    362.jpg374.jpg364.jpgRevenir, c'est relire. - Je ne sais plus qui disait: "Dis-moi ce que tu relis et je te dirai qui tu es" ? Ce qui est sûr est qu'on pourrait dire la même choses des villes grandes ou moins grandes (je pense à Sienne et à Séville) dans lesquelles on revient pour les relire, et déjà je sais, même en ne faisant que passer à Porto, que nous y reviendrons comme nous reviendrons à Lisbonne. Nous n'avons passé que quelques heures à Porto mais son ton, la tranquille amabilité de ses gens, le sourire immédiat de ses gens - dont les Espagnols sont plus avares-, la beauté des jeunes gens dans tel bar ou tel café agréablement enfumé, le mélange de baroque un peu sud-américain de ses églises et le côté napolitain parfois de ses façades où sèche le linge, la bigarrure populeuse de ses rues passantes et l'aspect bordéliquement organisé de sa circulation, les ponts immenses et l'empilement enchevêtré des façades au graphisme évoquant un peu Vieira de Silva, en un mot l'habitus de Porto - tout cela nous a donné l'envie de revenir bientôt et de relire Porto...        

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  • La mémoire d'un journaliste

    VALLOTTON_Jacques_C_www.veroniquebotteron.com--672x359.jpgÀ popos de Jusqu’au bout des apparences, autofiction de Jacques Vallotton évoquant, au tournant de la retraite quarante ans d’activités.

    Le métier de journaliste, si tant est que ce soit un métier – ce qui se discute selon les cas -, est aujourd’hui l’objet de critiques, parfois excessives ou infondées, autant que de louanges non moins complaisantes, voire outrées.

    Ce flottement  de l’opinion correspond au caractère composite de l’activité journalistique ou plus exactement : médiatique, qui oscille entre l’observation sérieuse et la jactance, le commentaire politique avisé et l’opinon manipulée, le reportage sur le terrain et le scoop comme fin en soi, l’enquête documentée et la recherche du scandale, l’info et l’intox.

    Assez significativement, les journalistes dont les noms « restent » furent à la fois des écrivains, tels Albert Londres ou George Orwell, Ernest Hemingway ou Joseph Kessel, Georges Simenon ou Vassili Grossman, Dino Buzzati ou Tom Wolfe.

    Plus récemment, en France, un Jean-Claude Guillebaud ou un Jean Hatzfeld se sont fait connaître par leurs livres autant que par leur travail de grands reporters, de même qu’un Niklaus Meienberg, en Suisse, a combiné l’investigation et la polémique engagée avec une patte d’écrivain, alors que son confrère Martin Suter passait du journalisme économique au roman. Mais le meilleur du journalisme relève-t-.il forcément de la littérature ? Je ne le crois pas, au contraire : rares furent les écrivains majeurs qu’on puisse dire les meilleurs journalistes.

    C’est que le journalisme s’inscrit dans une autre temporalité que celle de l’écriture personnelle, et à un autre niveau de langage. Le journaliste use, au fil de l’actualité instantanée, du langage de tous, dont il espère être compris dans l’immédiat, alors que l’écrivain travaille le langage au corps, dans un temps intime souvent hors du temps, sans penser forcément au lecteur.

    Jacques Vallotton, journaliste de longue expérience bien connu du public romand pour son travail dans la presse écrite autant qu’à la radio et à la télévision, vient de publier un récit  très personnel constituant le premier bilan de quarante ans d’activités journalistiques, sous la forme d’une autofiction. S’il se défend d’avoir fait œuvre littéraire, l’auteur de Jusqu’au bout des apparences n’en a pas moins eu recours à un artifice de narration en troisième personne, relevant de la mise à distance et d’une forme de fiction. Le temps du récit est celui d’un parcours nocturne en voiture entre les studios de la Maison de la radio, à Lausanne, que le journaliste quitte après son dernier flash, et les hauteurss valaisanness de Saint-Luc, où il va rejoindre la compagne de sa vie, prénom Gerda.  Tout au long de ce trajet, le double de l’auteur, désormais retraité, égrène moult souvenirs, colères et passions, au fil d’un soliloque souvent suscité par les lieux éclairés par les phares de sa Mégane noire. Le monologue touche parfois au comique, plus ou moins volontaire, quand le chauffeur se prend à témoin, pousse un cri de rage ou frappe son volant pour mieux marquer un mouvement d’humeur. Le ton est au défoulement, parfois à l’invective, car le journaliste, souvent tenu à la réserve par les conventions du service public, peut enfin dire tout haut ce qu’il a si souvent pensé tout bas sans se lâcher, à quelques exceptions près – tel ce « dégueulasse ! » lâché un jour au micro de la sage radio romande, comme un cri du cœur…

    Critique et autocritique

    Le livre de Jacques Vallotton est intéressant à de multiples égards, découlant à la fois de la personnalité de l’auteur, de sa riche expérience, de son sens critique aiguisé et de son aptitude à l’autocritique à la fois personnelle et collective. Les journalistes, souvent prompts à juger autrui, sont plus lents à reconnaître leurs propres travers ou à juger les dérives parfois détestables du monde médiatique, sous prétexte de ne pas « cracher dans la soupe ». 

    Or Jacques Vallotton, de la génération des soixante-huitards (il est né en 1942), et le cœur accroché à gauche, n’a rien pour autant d’un idéologue psychorigide, tenant plutôt du  pragmatique conséquent, attaché au concret mais reconnaissant à la fois la complexité des choses. Grand sportif en sa jeunesse, passionné de voile et d’alpinisme, ce Vaudois de souche a quelque chose de profondément suisse dans son attachement à la démocratie réelle et son approche nuancées des faits et des gens, guère intimidé par le bluff médiatique ou politique. En deux pages cinglantes, il dit haut et fort pourquoi il déteste Christoph Blocher, tricheur et menteur à ses yeux. En revanche, c’est avec beaucoup de scrupules qu’il évoque, par le détail, les qualités et les défauts d’un autre politicien aux réelles dimensions d’homme d’Etat, qu’il nomme Desadrets par politesse mais en qui le lecteur de nos contrées identifiera naturellement Jean Pascal Delamuraz.

    Tout au long de son périple autoroutier, le protagoniste de Jusqu’au bout des apparences ne cessera d’ailleurs de revenir aux circonstances plus ou moins connues de l’« affaire » privée, marquée par un adultère et le suicide d’un notable, qui faillit provoquer la chute publique de l’ancien Président de la Confédération.  Or ce motif narratif récurrent cristallise à la fois la réserve personnelle du journaliste à l’égard d’un homme qu’il a connu sur le lac (Desadrets partageant sa passion de navigateur) et dans les allées du pouvoir - où l’éloquence brillamment rouée du personnage faisait merveille -, mais aussi  le brouillage entretenu par le « grand parti de l’époque » aux multiples réseaux d’influence, y compris dans les médias. Or ce que que remarque Jacques Vallotton, c’est qu’une telle omertà serait bien plus difficile à maîtriser aujourd’hui que naguère, dans le contexte de concurrence et de chasse au scoop qui caractérise désormais les médias.  Et d’ajouter, à la décharge du grand bonhomme, que sa « faute » de Don Juan ne justifiait sûrement pas qu’on l’abatte. Du moins sent-on que cette affaire n’aura cessé de « travailler » la conscience du journaliste, qui n’a jamais eu l’occasion de pousser l’enquête au-delà des apparences.

    À propos du même homme politique, alors syndic de Lausanne, Jacques Vallotton rapporte un autre épisode, lié à la couverture, assurée par la radio, des manifestations de contestataires en notre bonne ville, jugée partiale par le magistrat. Et le patron de la radio de relayer cette pression caractérisée.   

    Le récit de Jacques Vallotton est aussi intéressant, à cet égard, par les hésitations qu’il module par rapport aux faits. Travaillant sur le présent immédiat et, souvent, dans la précipitation, le journaliste, et plus encore aujourd’hui que naguère, est souvent piégé par l’urgence et se prononce parfois sans pouvoir vérifier ses sources, participant peu ou prou à la désinformation dans les nouveaux réseaux d’information où l’info se fait parasiter par l’intox. En ces temps nouveaux de mondialisation et de soumission aux lois du rendement, la concurrence fait mâle rage et touche également, au scandale de son serviteur soucieux d’éthique, les rédactions du service public.  

    images-7.jpegDu détail à l’ensemble

    Dans l’habitacle de sa Renault fonçant dans la nuit vaudoise puis valaisanne, le jeune retraité pourrait être dit, encore, de la vieille école. Pas trace chez lui de cynisme ou de consentement. Syndicaliste il fut et le reste de cœur et d’esprit.  Si sa compagne milite explicitement dans un parti de gauche, lui-même ne cesse de « lire » le paysage façonné par les hommes, souvent au bénéfice des propriétaires ou des notables. Le tracé de l’autoroute, l’emplacement de ses aires de stationnement, telle urbanisation chaotique, tel chemin public riverain sacrifié à la jouissance lacustre de quelques privilégiés, nourissent ses observations de citoyen soucieux d’écologie.

    Si la franc-maçonnerie du « grand parti » n’est plus tout à fait ce qu’elle était, les clans survivent et particulièrement en Valais.

    Passionné d’Histoire, Jacques Vallotton « lit » aussi le paysage humain qu’il traverse en fonction du temps passé. Les séquelles d’une féroce bataille, en 1844, au pont de Vernayaz, se font encore sentir aujourd’hui entre conservateurs et « radicaux », et le journal local aura relancé ces vieilles haines en taxant le grand poète Maurice Chappaz de « cancer du Valais ». À Vevey déjà,  l’auteur avait rafraîchi la mémoire du lecteur en évoquant un Vichy-sur-Léman personnifié par un Jean Jardin, collabo de haute volée et d’influence persistante, au lieuh même où un Gustave Courbet se réfugia et prit ses bains de nocturne nudiste…

    Ne lésinant pas sur la démystification des gloires locales, Javques Vallotton rappelle, avec l’écrivain Alain Bagnoud, que le (trop) fameux Farinet, adulé par tous comme un aventurier libertaire, n’était au vrai qu’un assez triste type. Mais en passant au large de Martigny, il rendr en revanche un chalreruex hommage à Leonard Gianadda, entrepreneur un peu rustaud à l’origine que le critique d’art André Kuenzi (autorité de l’époque à 24 Heures) a largement contribué à policer avant l’épanouissement remarquable de sa Fondation.

    Jacques Vallotton, durant sa longue carrière de journaliste, a été amené à fréquenter, de près ou de loin, de nombreuses figures de la vie politique ou économique, qu’il évoque en passant pour égratigner celui-ci (un Pascal Couchepin) ou rappeler diverse « magouilles » qui ne diront rien, probablement, aux lecteurs peu familiers de l’histoire locale. L’accumulation de telles allusions est parfois un peu fastidieuse, comme sont par trop elliptiques ou convenus certains salamalecs balancés au passage (à Jacques Chessex, à Rilke ou Corinna Bille) , mais le retraité aura peut-être le temps d’y revenir car il a certainement, encore, mille souvenirs et observations à ressusciter.

    Au terme de son périple, le jour pointant, on le voit, panthéiste sur le bords, célébrer LA mémoire par excellence, en la « personne » d’un mélèze extraordinaire, vieux de 870 printemps, planté à l’époque de la deuxième croisade...

    Bel hommage final du journaliste, conscient de l’éphémère, au « long récit » de l’ancêtre auquel, non sans cadeur, il lance un final « longue vie à toi ! »   

    ob_961ca5_apparences-j-vallotton.jpgJacques Vallotton. Jusqu’au bout des apparences. Editions de L’Aire,304p. 

  • Chemin faisant (78)

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    L'assiette et la balance. - Quittant les Asturies avec un serrement de coeur, tant nous avons été bien reçus à la Casona de Andrin, nous ne nous sommes pas laissés abattre par la pluie harcelante, visant quelques nuances de gris bleuté vers la Galice, et nous encourageant avec le recours oral de bonne lectures alternant les sentences éternelles à la Pierre Dac ("Il vaut mieux qu'il pleuve un jour comme aujourd'hui, plutôt qu'un jour où il fait beau") et la suite d'Un été avec Montaigne, l'épatant essai d'Antoine Compagnon - plus précisément le récit de la chute de cheval qui lui enseigna d'expérience qu'"il ne faut pas craindre excessivement de mourir"...

    Compagnon honore son nom, qui accompagne bonnement le lecteur dans les Essais en dégageant les multiples aspects de l'honnête homme par excellence, en butte aux guerres de religion et difficultés du gouvernement des hommes. Il en illustre bien la position (entre l'assiette du cavalier s'efforçant de rester droit dans un monde où tout branle, et la balance du relativiste conscient du mouvement constant et de la complexité du réel) et le clarté de son approche, à fines touches concentrées, n'a d'égale que la limpidité de son expression. En lisant ce qu'il écrit à propos des Indiens visitant la France à l'invite du jeune roi Charles IX, qui formulent leurs observations à la manière des futures Lettres persanes, j'ai resongé à notre conversation de la veille, à La Casona, à propos de la conquête espagnole et de ce qu'en a écrit Bartolomeo Las Casas, autre grand esprit porté à la tolérance...  

     

    Chemins89.jpgGens du lac. - Une autre lecture, à travers les hauts plateaux boisés de Galice, nous a ramenés à la fois à notre vieille amie Janine Massard - femme de coeur dont tous les livres sont lestés par les dures épreuves personnelles qu'elle a subies autant que par les tribulations collectives du siècle -, et aux eaux supposées pures et limpides du Léman, dont elle évoque deux pêcheurs père et fils liés à la Résistance française. L'évocation du métier de nos pêcheurs - hommes libres levés avant tous et rencontrant sur le lac ceux d'en face, leurs collègues de Savoie - est aussi sensible qu'intéressante par les détails observés, et l'épisode lié à l'engagement spontané des deux Ami (le père et le fils Gay) dans l'aide aux résistants et autres Juifs menacés par la Gestapo donne également du poids à ce nouveau roman de la chère lutteuse. Dans la foulée, on relève le passage en douce de Pierre Mendès-France sur une barque, entre la France occupée et le rivage d'Aubonne...

    Munro01.jpgAu miroir d'Alice. - Le voyage dans le voyage que constitue à tout coup la lecture tous azimuts (les livres que je lis pendant que ma bonne amie conduit, mais aussi les paysages, des articles de journaux, les listes de mots des menus les noms de lieux et les bribes de guides genre Le Tuyau du Routard) nous vaut parfois de vrais périples parallèles, comme ces jours les nouvelles d'Alice Munro, médium incomparable des destinées humaines. Entre le Morvan et l'Anjou, l'Aquitaine et les Asturies et jusqu'à la descente, en Galice occidentale, sur Pontevedra et Samieira où nous voici, nous aurons vécu ainsi, sa traversée de tous les parcours existentiels des protagonistes de Secrets de polichinelle - huit nouvelles de plus en plus étonnantes voire folles, qui donnent à la ville de Carstairs une existence quasi mythique. Or, comme certains peintres changent notre vision des choses, et comme le voyage aiguise notre regard sur les lieux et les gens, l'on pourrait dire que cet écrivain nous fait voyager dans nos propres vies en les éclairant d'un jour nouveau...  

    Et voici qu'à l'étape d'A Maquìa, la bonne auberge de Samieira admettant les chiens (!) où nous descendons, prône aussi les livres, exposés à foison sur moult tables et rayons et des meilleurs: Garcia Marquez, Isabel Allende, Eduardo Mendoza, Mario Vargas Llosa, le Livre de l'intranquillité de Pessoa... Merci à tant de bons compagnons, merci la vie...   

  • La rentrée en mode lecture

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    (Dialogue schizo)

    Des poncifs liés à toute rentrée littéraire française, pointés par Pierre Assouline. Des remarquables retours de Martin Amis et Toni Morrison. Charles Dantzig et Pajak au mieux de leurs styles. De l’adulation convenue de Joël Dicker, qui pourrait « mieux faire »… 

    Moi l’autre : - Alors, tu as lu ce que Pierre Assouline dit, sur son blog de La République des livres, à propos des lieux communs marquant chaque rentrée littéraire française ? Comme quoi l’on publierait trop de livres, que chaque année verrait revenir les mêmes ou presque, que la moisson 2015 serait médiocre, que tout – choix des livres, distribution des prix, etc. - serait joué d’avance sous l’effet d’un complot parisien, enfin que cette rentrée nouvelle serait décidément sans surprise ?

    Moi l’un : - Oui, j’ai lu ça et je souscris, même s’il y a du vrai dans ce qu’on peut reprocher au phénomène de la rentrée à la française (spécialité mondiale), dont la pléthore même contient le pire et le meilleur. On peut déplorer le surnombre, mais se plaindra-t-on de ce formidable choix ? L’important est de choisir. De savoir choisir. Et surtout de lire : de prendre le temps de lire…

    Moi l’autre : - Notre ami JLK, sur ses blogs, a lui-même émis des doutes sur la qualité de la donne 2015…

    Moi l’un : - Il a eu tort, et il le sait. Son souci a toujours été de résister aux enthousiasmes de commande et à l’engouement grégaire, donc il fait le mauvais esprit. Il fait son malin genre connaisseur. Mais sur quelle base alors qu’il a à peine lu (ou essayé de lire et pas pu continuer…) une quinzaine de livres sur les 589 parus.

    Moi l’autre : - Tu es sûr du chiffre 589 ?

    Moi l’un : - Absolument pas, mais c’est Assouline qui l’avance, relayant probablement, Livres-Hebdo, et cela n’a aucune importance…

    Moi l’autre : - Venons-en donc à ce que tu disais du choix. Comment s’y prendre ?

    Moi l’un : - Comme toujours : par ce qu’on sait déjà de tel ou tel auteur, ce qu’on grappille ici et là en matière de jugements et de rumeurs entre médias et librairies, le bouche à oreille et la « carotte » dans le gisement : on palpe, on hume, on tâte l’étoffe. 

    Lady L. entend Sorj Chalandon parler de Profession père à la radio et en touche un mot à JLK, qui lui achète le livre alors que lui-même est en train de lire Dantzig qui l’intéresse depuis des années, ainsi de suite. C’est comme ça, aussi, qu’il a acheté sans hésiter le nouveau roman de Martin Amis, La Zone d’intérêt, et Délivrances de Toni Morrison, sur la base de ce qu’il sait de ces grands auteurs (qu’il a d’ailleurs rencontrés) et de ce que les critiques en ont dit en langue originale…

    Moi l’autre : - Et c’est ainsi que nous l’avons suivi dans ce premier choix des revenants « étrangers »…

    images.jpegMoi l’un : - Yes, sir.Avec la première surprise, contre l’inepte polémique qu’il a nourrie, de La Zone d’intérêt de Martin Amis, roman profondément dérangeant qui sonde l’abjection humaine par la peau, pourrait-on dire, un peu comme le Max Aue de Jonathan Littell l’avait endossée, mais dans un roman qui travaille la fiction d’une façon beaucoup plus ramassée que dans Les Bienveillantes, avec un travail sur la langue qui touche à la saleté originelle du langage nazi, litotes comprises…  

    Moi l’autre : - André Clavel a parlé, dans Le Temps, d’un roman dénué de tout intérêt…

    Moi l’un : - Le problème de Clavel est d’être, comme toujours, à la traîne du parisianisme, et de lire les livres en diagonale.

    Moi l’autre : - Comment expliquer le rejet, sans aucun argument, de Gallimard et de l’éditeur allemand ?

    Moi l’un : - Je suppose qu’il y a là une question de prérogatives. Je ne veux pas accuser Claude Lanzmann, mais je me rappelle qu’il avait fait barrage au roman de Litttell, comme si un jeune Américain n’avait pas le droit de parler de « ça ». 

    Par ailleurs, Martin Amis ne minimise pas les souffrances du peuple polonais, comme Lanzmann s’y est appliqué. Mais il y a sûrement d’autres raisons. Il y a aussi ça que Martin Amis ne « sacralise » par la solution finale où seule l’extermination des Juifs serait en cause. 

    Il va au fond d’une abjection composite, qui est au cœur de l’homme : le Mal est au cœur de l’homme et il repousse sans cesse, d’un consentement à l’autre, d’un génocide à l’autre. 

    Bref, c’est un livre sérieux, fondé sur des lectures sérieuses et une connaissance personnelle sérieuse du genre humain, et ce n’est pas seulement peu sérieux de le réduire à rien : c’est relancer l’abjection sur la formule nazie :circulez, y a rien à voir…

    Moi l’autre : - D’aucuns regimbent à l’idée de lire un livre de plus sur la Shoah…

    Moi l’un : - Ce n’est pas « un livre de plus », c’est un roman original, d’un auteur qui achoppe, avec son sens profond du comique, au tragique de la condition humaine. En outre, l’extermination des déportés, mise en parallèle avec l’exploitation industrielle de ceux-ci dans la « zone d’intérêt », renvoie à l’esclavagisme et aux purges organisées par Staline et Mao, entre autres monstres totalitaires. Or les exécuteurs de ceux-ci ont visage humain, et chaque romancier devrait achopper à cette réalité.    

    Unknown-3.jpegMoi l’autre : - On change de point de vue avec Délivrances de Toni Morrison…

    Moi l’un : - Pas tant que ça ! À vrai dire on en revient à l’abjection humaine, présente aussi au cœur d’un enfant, et traitée avec la poésie sans pareille de la romancière noire.

    Moi l’autre : - Le canevas du roman évoque les personnages et les situations d’une série américaine. N’est-ce pas« téléphoné » ?À la limite du cliché ?

    Moi l’un : - Disons qu’on est sur le fil de la lame, mais le côté un peu convenu, en apparence, des situations et des personnages, est compensé par l’authenticité des sentiments et les vérités d’expérience qui se dégagent de la confrontation des personnages, autant que par la langue de la romancière. 

    Les thème de la délivrance, de l’exorcisme, du dépassement de l’horreur et de sa transmutation, du Mal relancé par la vengeance d’un enfant humilié ou par le racisme persistant d’une société, sont brassés et incarnés dans le jeu purificateur de la narration. 

    Pour le lecteur aussi, Délivrances est un livre qui délivre…

    Moi l’autre : - Tout ça fait un beau début de rentrée en anglais dans le texte. Et en notre langue ?

    charles-dantzig-01.jpgMoi l’un : - Dans la foulée de notre compère JLK qui a longuement commenté, déjà, le mémorable Dictionnaire égoïste de la langue française, je placerai l’Histoire de l’amour et de la haine, de Charles Dantzig, au premier rang  de ce qui fait le génie français. 

    C’est à la fois le livre d’un moraliste pénétrant et d’un poète, d’un observateur aigu de la société contemporaine et d’un vrai romancier pour aujourd’hui, avec des personnages beaucoup mieux individualisés et charnellement présents que ceux d’un Philippe Sollers, auquel la narration fragmentaire de Dantzig fait parfois penser; et puis ce roman respire merveilleusement.

    Moi l’autre : - Le mariage pour tous en France te concerne à ce point ?

    Moi l’un : - Absolument pas : je m’en fiche plutôt, ou disons que la lutte contre l’homophobie, très présente dans le roman, dépasse de loin le débat de société pour toucher, une fois encore, à l’abjection humaine aboutissant à l’exclusion raciste, comme dans Délivrances,  ou à l’extermination, comme dans La Zone d’intérêt.

    Il s’agit ici, comme le titre du roman l’indique, des multiples modulations de l’amour, dégagé de tout son marshmallow sentimental, et des sources de la haine, de la méchanceté et de la bêtise.

    Moi l’autre : - Tu ne trouves pas qu’il y a quelque chose de Kundera dans l’économie du livre, entre essai et roman ?

    Moi l’un : - Tout juste Auguste, mais à la française évidemment, même si l’on pense à la fois à De l’amour de Stendhal, et bien sûr à Proust, qu’à la littératureanglo-saxonne, avec un clin d’œil à Joyce et Virginia Woolf. À un moment donné, il est question de la gentillesse d’un des protagonistes, alliée à sa bonté. Il y a aussi de ça chez l’auteur…

    images-6.jpegMoi l’autre : - Bonté et gentillesse : on pourrait le dire aussi de Frédéric Pajak…

    Moi l’un : - Certainement, et sans plus de sucre sentimental que chez Dantzig. N’empêche que, sous leurs arêtes vives et certaine noirceur pessimiste, les quatre volumes du Manifeste incertain sont d’un homme de qualité et de ce qu’on peut dire avec Villon d'un frère humain.

    Moi l’autre : - La première bordée polémique de Pajak, cuisinier d’expérience, contre la malbouffe et la gastronomie envahissante, est immédiatement jouissive !  

    Moi l’un : - Et loin d’être gratuite ou superficielle. Juger un peuple à sa cuisine est le début d’un art de vivre, et l’évocation suivante de la méga-croisière sur le Magnifica, des Canaries à Buenos Aires, est aussi d’un observateur aigu à la Houellebecq, autre esprit libre…  

    Moi l’autre : -  De fait, lire Gobineau pendant que la croisière s’amuse rappelle les lectures de l’amer Michel, et l’on retrouve ici, après sa lecture de Walter Benjamin ou de Niezsche, la saisissante capacité de synthèse, simple mais jamais simpliste, d’un autodidacte bien plus crédible que nombre d’intellectuels à préjugés se contentant de cracher sur le« racialisme » de Gobineau. 

    Et puis il y a la part dessinée du récit, génial contrepoint !

    Moi l’un : - Bon signe : les notes en marge du Manifeste incertain 4 sont aussi abondantes que celles qui enveloppent le « miroir » des pages de l’Histoire de l’amour et de la haine, sur les exemplaires du sieur JLK. Il va probablement y revenir en long et en large.

    Unknown-4.jpegMoi l’autre : - Pour sûr ! Mais je présume qu’il sera plus bref en ce qui concerne le nouveau roman de Joël Dicker, surtout qu’il va jouer le gâte-sauce et que ce n’est pas pour le réjouir…

    Moi l’un : - Voir un talent s’égarer dans la complaisance n’est jamais réjouissant. Or Le Livre des Baltimore est une sorte d’apothéose du convenu, qui a de quoi désoler ceux qui voyaient un avenir d’écrivain au brillant storyteller…

    Moi l’autre : - Nous avions pourtant aimé La vérité sur l’affaire Harry Quebert !

    Moi l’un : - Et comment ! C’était immédiatement captivant, les personnages en étaient intéressants et la construction diablement maîtrisée, même si la phrase restait lisse et fonctionnelle. Mais le « tribute to » aux auteurs américains (Roth, Salinger ou Irving) ou aux séries télévisées (à commencer par Twin Peaks ) avait du sens et la relation de Marcus Goldman avec son mentor ou sa mère avaient du relief…

    Moi l’autre : - Tout cela qui, revisité, devient procédé dans Le Livre des Baltimore…

    Moi l’un : - Tu me demandais s’il n’y avait pas quelque chose de « téléphoné » dans le roman de Toni Morrison, jouant elle-même sur la dramaturgie des séries, mais la pâte humaine et l’écriture de l’auteur déjouaient les clichés.

    Tandis que Joël Dicker, avec son histoire d’adolescents magnifiques se retrouvant dans les demeures mirifiques de leurs extraordinaires aînés pleins aux as et débordant de sentiments incomparables, nous exténue de niaiserie dans le déjà-vu. 

    Avec le jeune romancier-à-qui-out réussit amoureux de la chanteuse-de-tous-les succès, en passant par le garçon né en milieu pauvre adopté par des riches et l’oncle riche recalé dans un supermarché, on a droit en bonus à des dialogues d’une indigence digne de Marc Levy ou Anna Todd ! 

    Moi l’autre : - Le premier accueil des médias romands est non moins exténuant de complaisance.

    Moi l’un : - C’est affreux ! C’est la curée des groupies médiatiques sur le millionnaire du laptop, le Federer de la nouvelle sitcom !

    Moi l’autre : - Un tabloïd matinal nous apprend que le romancier écrit à 10.000 mètres du sol...

    Moi l’un : - Hélas, on ne s’envoie guère en l’air dans Le Livre des Baltimore, conçu selon Dicker lui-même « comme une série à regarder en famille »…

    Moi l’autre : - Tu as quelque chose contre les séries ?

    Moi l’un : - Au contraire, mais pour Baltimore je préfère The Wire, en français À l’écoute, fabuleux scanner narratif d'une ville à tous les étages de la société, sous forme de docu-fiction en six saisons qui vaut tous les romans à succès flattant le public pour lui masquer la réalité... 

    Martin Amis. La zone d’intérêt. Calmann-Lévy.

    Toni Morrison. Délivrances. Christian Bourgois.

    Charles Dantzig. Histoire de l’amour et de la haine.Grasset.

    Frédéric Pajak. Manifeste incertain 4. Noir sur blanc.

    Joël Dicker. Le livre des Baltimore. De Fallois.

  • Chemin faisant (76)

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    Pèlerin "malgré lui". - Depuis notre escale à Saint-Jean Pied-de-Port, et bien plus encore en ces régions de Cantabrie et d'Asturies, notre route n'en finit pas de recouper la voie, marquée par la fameuse coquille de Saint-Jacques, des pèlerins de Compostelle, à vrai dire rares en cette saison. Dans une bouquinerie visiblement marquée par l'indépendantisme basque, à Saint-Jean, la librairie, férue d'anarchisme et qui venait d'assister à un concert de Paco Ibanez à Camo, m'a fait comprendre que jamais, pour sa part, elle ne ferait Le Chemin, désormais programmé par des Tours Operators et drainant des troupeaux de marcheurs pour ainsi dire conditionnés.

    2379009806.jpgOr cette prévention était celle, aussi, de l'écrivain Jean-Christophe Rufin, avant qu'il ne se mette en route et se fasse rattraper, à l'étape d'Oviedo, par une spiritualité dont il se défiait jusque-là. Du récit limpide et réaliste qu'il a tiré de son périple, dont l'énorme succès l'a étonné, il a tiré une nouvelle version, illustrée par son ami le photographe québécois Marc Vachon, dont nous pouvons mieux apprécier l'apport sur les lieux mêmes.  

    santillana_del_mar_cantabria_8717_570x.jpgSantillana del mar. - En passant par le bourg de Cantabrie que Jean-Paul Sartre qualifie de "plus beau village d'Europe", dans La nausée, Jean-Christophe Rufin n'a pas été plus charmé que nous, qui n'y avons vu qu'une espèce de village-musée aux magnifiques maisons médiévales réduites, faute de vie locale (à part l'exploitation touristique) à l'état de clinquant décor de film historique. "Santillana del mar m'a retenu dix minutes, écrit l'académicien pèlerin, le temps de boire un jus d'orange dans le patio d'un restaurant. Aucune des serveuses que j'interrogeais ne connaissait le village. Elles venaient toutes d'ailleurs, recrutées pour la saison estivale".

    Et de déplorer, alors, une "tragédie moderne qui se nomme le tourisme de masse", que nous avons déjouée, pour notre part, en nous pointant en ces lieux un 20 novembre, pour trouver le vide sans âme d'un village àpeu près désert au lieu du trop-plein. Pas de quoi nous donner la nausée, mais rien pour se réjouir non plus...  

    3633077812.jpgCulture terrienne. - Demain nous serons à Oviedo, départ du Camino primitivo dont Jean-Chrisophe Rufin dit qu'il a marqué un tournant décisif dans ce qui est bel et bien devenu pour lui une quête spirituelle, mais en attendant nous aurons fait encore deux étapes dignes d'être recommandées: la première dans une très bonne auberge de pierre et de bois, à Puertas de Vidiago, non loin des falaises à bufones, à l'enseigne de la Casa Poli dont la table réalise la perfection de l'art culinaire paysan à la mode asturienne, associant grande qualité et raisonnable dépense. Enfin, un crochet par le Musée ethnographique de Porrua, à peine écarté du Chemin, nous a permis de découvrir les reliefs émouvants d'une culture paysanne pauvre dont les instruments aratoires, outils d'artisans et autres objets usuels de la vie quotidienne se trouvent mis en valeur dans un ensemble de maisons simples et belles dont la première est un typique horreo, genre grenier sur pattes tout semblable à nos mazots valaisans. Or, décrivant précisément ces constructions séculaires, contrastant avec "la prétention sophistiquée et qu'on espère éphémère des lotissements qui défigurent la côte", Jean-Christophe Rufin relève également la spiritualité qui émane des sanctuaires préromans de la région, témoignages d'un christianisme humblement vécu: "Quelque chose d'âpre, de primitif et en même temps d'une grande noblesse m'a tout de suite frappé dans les Asturies"... 
    Jean-Christophe Rufin. Immortelle randonnée - Compostelle malgré moi. Edition illustrée par le photographe Marc Vachon. Gallimard, 232p.  

  • Chemin faisant (75)

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    Musique des noms.- De Combray à Santillana del Mar, les noms chantent et ne  finissent pas d'en appeler d'autres, de Cantabrie à Compostelle où nous sommes ces jours, qui appellent déjà ces  noms à venir, demain, de l'Alentejo et de l'Algarve, avant Cordoue et Grenade en Andalousie. Rien que ce nom d'Andalousie est d'ailleurs promesse de tout un mundillo que je m'impatiente d'investir sur ses lieux et par le truchement, aussi, du nouveau roman de l'ami David Fauquemberg, Manuel El Negro, que nous lirons pour entendre les mots et le chant profond de la langue flamenca...

     

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    Les mots de Louise. - Ces jours, cependant, c'est avec une autre femme à mots (comme on dit un homme à femmes...) que nous aurons voyagé tandis que je lisais en voiture, des Landes aux Pyrénées et de Cantabrie au Asturies, les mots de dame Claire en ses Histoires de Louise, dont le personnage sort déjà d'autres mots puisque cette Louise Bottu est empruntée au Monsieur Songe de Robert Pinget: " Monsieur Songe au cours de sa promenade du matin rencontre un jour Louise Bottu, la poétesse. Elle est toute déjetée, boiteuse et tremblotante. Mais sitôt qu'elle reconnaît monsieur Songe elle a un sourire de petite fille et leur conversation, qu'ils ont interrompue depuis des lustres, est la même qu'autrefois".

    Je ne connaissais guère, jusque-là, la poétesse Claire, que par nos échanges sporadiques de Facebook. Or la récente lecture des livres d'Alice Munro, qu'elle a lu en v.o. lors d'un séjour américain, si j'ai bien compris, et le peu que je sais aussi des éditions Samizdat et de ses autres écrits persos, préludaient à une lecture constituant un moment de voyage privilégié en cela, notamment, que Louise Bottu, comme Claire Krähenbühl, est une femme à mots.

    Ces Histoires de Louise, comme les nouvelles d'Alice Munro, nous font passer de l'autre côté du miroir des mots, où une femme, les mains dans l'eau de vaisselle, se dit soudain ceci: "Quand j'étais jeune, j'étais folle". Et de se rappeler un rendez-vous où elle est allée, un dimanche d'été à Heidelberg, "un rendez-vous qu'on ne lui avait pas donné". Les histoires de Louise sont autant d'évocations de vies possibles ou possiblement perdues et retrouvées des années après, ou pas - autant de rêveries.

    "Elle se demande souvent. Où vont les petites cuillères ?" Grave question en effet, que ne peut manquer de se poser un pèlerin sur le Chemin de Compostelle, en attendant de rencontrer peut-être une Louise à laquelle il parlera spiritualité pour la draguer, et avec lequel elle préférera jouer au jeu d'"on dirait qu'on serait"...

    Louise n'aime pas trop les voyages: nous non plus. C'est que c'est trop souvent pas mal d'emmerdes les voyages, mais qui sait emmener sur la route sa chambre et la poser partout, une chambre et donc une table et un carnet sur lequel recréer le monde: là, ça va, et Louise aime traduire les mots, n'importe quoi faisant vite un poème comme la très élémentaire Lista de precios de la Casona de Andrin:

    Temporada baja: habitacion doble: 70 Euros

    Temporada alta: habitacion doble: 80 Euros

    Cama supletoria para ninos hasta 10 anos: 15 Euros.

    Ensuite nous serons à Lisbonne et nous traduirons en portugais ces mots de Rodriguez Garcia, l'auteur d'Al final de la noche, qui a dormi dans la chambre de la Casona où j'ai retrouvé son livre, ces lignes évoquant Lisbonne. "Se miraron a los ojos co una melancolìa hospitalarie, como si desearan comenzar a vivir y tuverian miedo".  

    "Qu'en est-il des archives d'amour ?", se demande aussi Louise qui claudique volontiers, elle aussi, entre mélancolie et chanson douce. Et c'est un autre voyage dans le voyage qu'on relance, alors, au fil des mots...

     

    Pivot.jpgLes mots de nos vies. - Dans son livre  intitulé Les mots de ma vie, Bernard Pivotqui a lu mes Riches Heures, me cite sous la rubrique Amie, pour l’usage que je fais de l’expression ma bonne amie, qui lui rappelle le temps de sa jeunesse lyonnnaise où l'expression était courante. Or lisant son livre je tombe ensuite sur un autre de ses mots-fétiche, à la rubrique Admiration, qui me fait penser que ce grand passeur est par excellence le véritableamateur, au sens de celui qui aime...

    Et Louise Bottu de la ramener derechef: "Ah! comme j'aime les mots soupire-t-elle. Est-ce que je radote ? Est-ce qu'on peut tous les glisser dans un poème ? Si longtemps timorée, elle ajoute encouble et ruclon à filament, firmament, batelière, grelot, sureau et tant d'autres"... 

    Dans la foulée, le pédant puriste franco-français aura tiqué: Non mais, "encouble", "ruclon", et quoi encore ? Alors Louise, qui ne les aurait pas utilisés sous le nom de Robert Pinget, d'expliquer sous celui de dame Claire que s'encoubler signifie, en langue vernaculaire romande, trébucher, et qu'une encouble est, par exemple, un enfant dans vos jambes vous encombrant; alors qu'un ruclon est un tas de déchets ou d'ordures. Or ces mots, si peu académiques qu'ils soient, procèdent en somme du langage-geste, invitant à d'autres voyages...     

  • Ceux qui n'en ont cure

    Suisse23.JPGCelui qui fait le tour du jardin sans penser à rien d’autre / Celle qui surveille les voltigeurs mais sans plus / Ceux qui ne s’occupent pas de la  planète des autres / Celui qui ne se sent pas concerné par le discours communautariste du Parti National Suisse qui invoque l’ascendance aryenne de la Suisse germano-celte prouvée par la Bible / Celle qui n’est pas motivée par l’argent mais uniquement par l’or / Ceux qui se disent de gros boulonneurs comme le prouve leurs gros boulets / Celui qui possède deux voitures tapissées de poils de chien / Celle qui ne se soucie point des soucis de Sophie la siphonnée / Ceux qui se rappellent les souliers jaunes de la vieille dame revenant à ses hommes comme le refoulé de leurs cabinets / Celui qui se demande s’il a bien l’âge de sa maladie / Celle que son arrogance caparaçonne sans que la potence de son lit de clinique ne s’en offusque / Ceux qui ont des canines de caniches courroucés / Celui qui ne vit que pour répéter qu’il est catholique et donc ni juif ni pédé / Celle qui à force de se répéter est devenue ce qu’elle est en plus laid / Ceux qui persistent à mourir dans l’indifférence du dictionnaire / Celui qui est modestement suffisant genre Jean d’Ormesson qui s’excuse de vous rappeler son importance / Ceux qui a deux opérateurs chargés de l’opéra de ses finances / Ceux qui opèrent à ciel ouvert/ Celui qui se précipite entre deux rafales de voitures et se retrouve dans la bijouterie dont la vitrine brisée lui laissera des marques aux pommettes /Celle qui qualifie de spacieuse la pensée de Gaston Bachelard / Ceux qui ont des suites dans leurs idées d’hôtels de luxe avec vue sur l’Avenir / Celui qui ne pense pas que ses arrangements futuristes se finaliseront de son vivant / Celle qui s’appuie sur du fragile à l’instar des bricoleurs de pirogues en pagnes / Ceux qui rappellent à leurs filles que l’adjectif indéfrisable remonte à l’époque des Dolly Sisters /Celui qui a épilé Angela Davis « à la grande époque » / Celle dont un tuyau de gaz stimule le rein gauche / Ceux qui n’ont cure de voir un curé récurer le réfectoire de leur âme, etc.

  • Chemin faisant (74)

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    Voix de la mer . - On les entend d'abord de loin, rugissants et de plus en plus proches, bientôt tonitruants, sur le fond de la rumeur marine, puis on les voit jaillir de la lande pierreuse, comme des geysers. Les jours de grosse mer et de grand vent, leurs terribles coups de boutoir évoquent de vieilles terreurs légendaires, et plus encore si le brouillard rampe au sommet des falaises dominant l'océan d'une cinquantaine de mètres. Or l'eau qui semble jaillir de la terre n'est que la projection des vagues montant soudain à la verticale par les failles du rocher et finissant en jets écumeux, parfois jusqu'à  dix ou vingt mètres au-dessus de la surface d'herbe et de calcaire, retombant ensuite dans l'entonnoir karstique et rejaillissant au prochain spasme...       


    Chemins64.jpgL'envolée de Carmencita.
     -   Si l'on vous raconte l'histoire de Carmencita la vache volante, ne prenez pas votre air incrédule, et d'autant moins qu'on se trouve ici sur le chemin de Compostelle et qu'il ne peut qu'y avoir du miracle en suspension - c'est le cas de dire. Ainsi Carmencita, comme c'est arrivé à divers autres ruminants distraits, s'égara un jour dans la brume, glissa sur les hauts gazons et bascula dans le gouffre marin, sous les yeux épouvantés du jeune Pedro venu la chercher pour l'abreuvoir. Cependant la Vierge Marie, ce soir-là, fut émue par la prière du garçon, si bien que celui-ci, toujours à genoux, vit remonter Carmencita dans le prochain grondement du bufon et voler soudain au-dessus de lui, tournoyer là-haut et retomber enfin très en douceur, tout à côté de lui, juste un peu sonnée et sa jolie frange bouclée ruisselant d'eau de mer...  

    054.jpgVersion terre à terre. - Quant aux pancartes apposées à proximité des divers gouffres de ces abords de Llanes, elles se bornent à de plus ordinaires explications, invoquant la nature particulière du sous-sol local et à la conformation de ces "cheminées" de calcaire aboutissant, sous l'effet des déferlantes, à ces jets d'eau et de vapeur spectaculaires - le tout ayant été classé Monument naturel par la principauté des Asturies...     Chemins60.jpg    

  • Chemin faisant (73)

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    Loin de la foule. - D'aucuns se tapent mille bornes afin de pouvoir dire qu'ils ont "fait" le Guggenheim de Bilbao, et nous avons "donné" une fois, mais il n'y en aura pas deux. Entre l'ours floral débile de Jeff Koons, le labyrinthe où la multitude tourne en rond et les bricolages minimalistes des stars multi-mondiales maxi-friquées, nous avons cherché un peu de peinture, en vain. Pour dire les choses tranquillement: passé le choc certain de la super-carène architecturale du grand vaisseau vide, nous n'avons trouvé là-bas d'attrait qu'à la cafeteria, sinon rien.

     

    021.jpgEl nieto e l'abuelito. - Ce qu'il faut dire, c'est que l'oeil requis à Bilbao est essentiellement cérébral où confiné dans l'esthétique fonctionnelle, oscillant entre concepts et déco. Je vais faire figure d'attardé voire de réactionnaire mais je m'en balance: pour tout dire je préfère une évocation de Paul Klee signée par mon petit-neveu de 7 ans Adrien, ou une tapisserie de son arrière-grand-père André, à tous les chichis des Sol Lewitt et autres Franck Stella, pour ne citer que  les plus illustres noms du lilliputisme artistique ricain. Ceci pour introduire au museo privado,et sans la moindre prétention snob, de La Casona de Andrin, aux objets intégralement rassemblés par la dona Hermana Grande de la Fuente, ma frangine...    

    015.jpg043.jpgL'Oeil. - Avoir l'oeil, en matière de goût autodidacte, ressortit à la même donnée, innée ou acquise par éducation ou contacts, qu'avoir l'oreille en musique: on l'a ou on ne l'a pas. Or j'ose affirmer, sans esprit de clan ni chauvinisme familial particulier, que la maîtresse des lieux, à La Casona de Andrin, aura montré un goût raffiné dans ses multiples choix, qu'il s'agisse de la distribution des couleurs de chaque chambre (mais les Asturiens montrent l'exemple avec une propension remarquable à préférer le safran ou le rose saumon, le vert céladon ou le bleu cru pour le façades  des maisons, aux sempiternelles nuances de gris ou d'ocre terne des murs d'un peu partout) à la foison de tableaux et d'objets réjouissant le regard sans la moindre affectation.

    047.jpg013.jpgNous sommes ces jours les seuls hôtes de la Casona de Andrin, mais je me plais à imaginer la ruche estivale où passent et reviennent des gens de toute sorte, y compris telle artiste ou tel écrivain amis, dont on retrouve les oeuvres aux murs ou dans les bibliothèques. Tout cela naturellement, en somme, comme partie prenante d'un certain art de vivre où les choses de la culture, les conversations, Mercedes Sosa en  train de chanter à l'instantGracias à la Vida, la confiture de figue le matin et  le vin de don Ramon en fin de soirée, les photos de la smala enfantine, un découpage de ma bonne amie ou une gravure de vieux maître flamand - tout cela fait symphonie...         

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  • Chemin faisant (72)

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    Voyageurs du temps. - À la fin d'un des plus beaux romans épiques qui soient, intitulé Migrations et constituant le chef-d'oeuvre de l'écrivain serbe  Milos Tsernianski, celui-ci conclut sur ces mots: "La mort n'existe pas. Les migrations existent". Or je repensais à cette sentence en déambulant, cet après-midi à Colombres, dans le palais bleu abritant l'impressionnant musée de l'émigration des Asturiens, dit Archivo de Indianos, qui documente la saga des migrations économiques (dans le milieu di XIXe) ou plutôt politiques (dans les années 30 du XXe siècle, dès le début de la guerre civile)  qui ont poussé les natifs des Asturies à chercher fortune à Cuba, en Argentine, au Mexique ou à Porto Rico, notamment.

    017.jpgLa formidable bâtisse qui abrite ces archives est un bel exemple de l'architecture indiana, construite par Inigo Noriega Laso en 1906. Le personnage lui-même, parti à 14 ans pour l'Amérique et qui joua un rôle important dans la révolution mexicaine tout en amassant une fortune colossale, est un bel exemple de ces aventuriers-bâtisseurs, ligués, dans chaque pays, en communautés solidaires, et revenus au pays fortune faite.

    008.jpgLa Casona de Andrin, où nous créchons ces jours, fut elle-même construite à la fin du XIXe siècle par un militaire revenu d'Amérique du Sud, comme en témoignaient encore force malles et autres objets de voyage retrouvés dans ses greniers. Nous saluons sa mémoire d'un pacifiste garde-à-vous...

      

    Chemins57.jpgAdmirable Altamira. - On a beau se trouver dans une grotte reproduite à l'identique dans les soubassements bétonnés  d'un vaste musée ultra-moderne: la vision des peintures rupestres et autres graffiti retrouvés, à la fin du XIXe siècle, dans la grotte d'Altamira, ne laisse d'émouvoir par la grâce de ses représentations animales (plus quelques formes anthropomorphiques) datant de 30.000 à 10.000 ans. La datation de ces merveilles a suscité maintes polémiques, autant que l'interprétation de leur fonction et de leur signification, mais on en sait un peu plus au fil des recherches, et par exemple que les animaux peints ne sont pas forcément des animaux chassés...

    Pour ce qui me concerne, je n'ai envie que de me taire là-devant, tant je suis touché par ce qu'on peut dire la ressemblance humaine émanant de ces peintures, qui fait à mes yeux de l'Artiste inconnu, voyageant à travers les millénaires d'avant la Préhistoire, le frère occulte des peintres et poètes de tous les temps...   

     

    La Création d'avant la Genèse. - Non sans malice j'ai demandé au jeune guide, francophone et visiblement averti de tous les aspects, artistiques mais aussi techniques de ce patrimoine et de sa préservation, ce qu'en disent les éventuels visiteurs créationnistes du lieu. Alors lui de sourire d'un air entendu, et de se dire indéniablement catholique mais assez humble pour rendre à la Connaissance de science sûre ce qu'on lui doit en l'occurrence, qui n'exclut ni respect devant les rites anciens ni reconnaissance fervente à cet art vraiment premier...