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  • Opus Novus

     

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    Exergues

     

    «Mon petit papa, quand on recouvrira ma tombe, émiette dessus un croûton de pain que les petits

    moineaux, ils viennent, moi je les entendrai voleter, et ça me fera une joie de ne pas être seul, en dessous. »

     

    Dostoïevski, Les Frères Karamazov. 

     

    «Celui qui n’a pas vu qu’il est immortel n’a pas droit à la parole. »

     

    Ludwig Hohl, Notes.

     

    « Si l’idée de la mort dans ce temps-là m’avait, on l’a vu, assombri l’amour, depuis longtemps déjà le souvenir de l’amour m’aidait à ne pas craindre la mort. »

     

     

    Marcel Proust, Le Temps retrouvé.

     

     

     

     

    2264363850.JPGÀ la vie à la mort

     

     

    On n’y pense pas tout le temps mais elle est tout le temps là. La mort est tout le temps là quand on vit vraiment. Plus intensément on vit et plus vive est la présence de la mort. Penser tout le temps à la mort empêche de vivre, mais vivre sans y penser reviendrait àfermer les yeux et ne pas voir les couleurs de la vie que le noir de la mort fait mieux apparaître.

     

     

    L’apparition de la vie va de pair avec une plus vive conscience de la mort. En venant au monde l’enfant m’a appris que je mourrais, que sa mère mourrait et que lui-même disparaîtrait après avoir, peut-être, donné la vie ?

     

     

    La première révélation de la mort est de nous découvrir vivants, la première révélation de la vie est de nous découvrir mortels, et c’est de ce double constat que découle ce livre.

     

    Le livre auquel j’aspire serait l’essai d’une nouvelle alliance avec les choses de la vie, au défi de la mort.

     

     

    La mort viendra, c’est chose certaine, mais nous la défierons en tâchant de mieux dire les choses de la vie avec nos mots jetés comme un filet sur les eaux claires aux fonds d’ombres mouvantes, ou ce serait une bouteille à la mer, ou ce serait une lettre aux vivants et à nos morts. 

     

     

     

    Matterhorn61.jpgÀ L’ENFANT QUI VIENT

     

     

    Pour Declan, Nata, Lucie et les autres...

     

     

    Je ne sais pas qui tu es, toi qui viens là, ni toi non plus n’es pas censé le savoir.

     

     

    Ce que je sais que tu ne sais pas, c’est que tu es porteur de joie. Tu ne sais pas ce que tu donnes, que nous recevons. Après quoi nous te donnerons ce que nous savons, que tu recevras ou non.

     

     

    Du point de vue de l’ange on pourrait dire que tu sais déjà tout, sans avoir rien appris. C’est une vision très simple que celle de l’ange, toute claire comme le jour où tu es venu, et qui se trouble

    au fil des jours, mais qu’un premier sourire, puis un rire suffisent à éclaircir.

     

     

    On ne s’y attendait pas: on avait oublié, ou bien on ne se doutait même pas de ce que c’est qu’un enfant qui éclate de rire pour la première fois; plus banal tu meurs mais ils en pleurent sur le moment, à vrai dire l’enfant qui rit pour la première fois recrée le monde à lui seul: c’est l’initial étonnement et tout revit alors — tout est béni de l’ici-présent.

     

     

    Tu vas nous apprendre beaucoup, l’enfant, sans t’en douter. Ta joie a été notre joie dès ton premier sourire, et mourir sera plus facile de te savoir en vie.

     

     

    Du point de vue de l’ange, on pourrait dire que nous ne savons rien, sauf un peu de chemin. C’est l’ange en nous qui a tracé, un peu partout, ces chemins.

     

     

    Ensuite il t’incombera de choisir entre savoir et ne pas savoir, rester dans le vague ou donner à chaque chose ton souffle et son nom, leur demander ce qu’elles ont à te dire et les colorier, les baguer comme des oiseaux, puis les renvoyer aux nuées.

     

     

    Les mots te savent un peu plus qu’hier, ce premier matin du monde où tu viens, et c’est cela que nous appelons le temps, je crois, ce n’est que cela : ce qu’ils feront de toi aux heures qui viennent, ce que fera de toi le temps qui t’est imparti sous ton nom — les mots sont derrière la porte de ce premier jour et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à s’écrire, les mots ont confiance en toi, qui leur apprendras ta douceur.

     

     

    (À La Désirade, ce 30 juin 2013) 

     

     

    Ces textes constituent les exergues, le prologue et l'envoi final de L'échappée libre, qui vient de paraître aux Editions l'Âge d'Homme. 

  • L'échappée libre

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    Le nouvel opus de la firme JLK. À La Désirade ce jour même.

     

    L'échappée libre constitue la cinquième partie de la vaste chronique kaléidoscopique des Lectures du monde, recouvrant quatre décennies, de 1973 à 2013, et représentant aujourd'hui quelque 2000 pages publiées.

    À partir des carnets journaliers qu'il tient depuis l'âge de dix-huit ans, l'auteur a développé, dès L'Ambassade du papillon (Prix de la Bibliothèque pour tous 2001), suivi par Les Passions partagées (Prix Paul Budry 2004), une fresque littéraire alternant notes intimes, réflexions sur la vie, lectures, rencontres, voyages, qui déploie à la fois un aperçu vivant de la vie culturelle en Suisse romande et un reflet de la société contemporaine en mutation, sous ses multiples aspects.

    Après Riches Heures et Chemins de traverse, dont la forme empruntait de plus en plus au "montage" de type cinématographique, L'échappée libre marque, par sa tonalité et ses thèmes (le sens de la vie, le temps qui passe, l'amitié, l'amour et la mort), l'accès à une nouvelle sérénité. L'écho de lectures essentielles (Proust et  Dostoïevski, notamment) va de pair avec de multiples découvertes littéraires ou artistiques, entre voyages (en Italie et en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Grèce ou au Portugal, en Tunisie ou au Congo) et rencontres, d'Alain Cavaier à Guido Ceronetti, entre autres. De même l'auteur rend-il hommage aux grandes figures de la littérature romande disparues en ces années, de Maurice Chappaz et Georges Haldas à Jacques Chessex, Gaston Cherpillod ou Jean Vuilleumier.

     

    Dédié à Geneviève et Vladimir Dimitrijevic, qui furent les âmes fondatrices des éditions L'Âge d'Homme, L'échappée libre se veut, par les mots, défi à la mort, et s'offre finalement à  "ceux qui viennent".   

     

    L'Âge d'Homme, 424p. 25€.

     

    Illustration de couverture: Robert Indermaur.

  • Ceux qui sont blasés

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    Celui qui dit à l’Académie de Stockholm de déposer son Nobel dans la boîte à lait / Celle qui a usé sept maris et ramené le huitième à la ménagerie / Ceux qui ne font plus le marathon de New York qu’à la télé / Celui qui à trois ans a déjà tout vu et se rendort par conséquent au milieu de ses joytoys / Celle qui attend que Ruquier l’appelle pour lui dicter ses conditions / Ceux qui demandent quoi de neuf ? après le tsunami / Celui que plus rien n’étonne que la pluie en automne / Celle que plus rien n’épate genre le chat répond au téléphone à Nabila / Ceux qui ont tout lu quoique pas personnellement / Celui qui parcourt la Bible pour voir si ça finit bien /  Celle qui ayant déjà tout n’attend plus que le reste / Ceux qui remarquent que devenir riches ne les rend pas plus pauvres / Celui qui déclare qu’entre un Rembrandt et un Vermeer il préfère les tulipes / Celle qui lance au sosie de George Clooney qu’y faut pas la prendre pour une Paris Hilton quelconque / Ceux qui trouvent que les cinq étoiles ne sont pas assez trop / Celui que tout désenchante hormis sa sorcière bien-aimée / Celle qui trouve Dieu trop vieux pour le job / Ceux qui s’exclament à la résurrection du Seigneur : et après ça ? / Celui qui a fait tous les pays sauf celui du soupir / Celle que les hommes n’étonnent plus sauf au piano Richard Clayderman / Ceux qui se la jouent godelureaux sans snober les godelurettes / Celui qui a marqué vingt buts pour le PSG dont les dirigeants attendaient un peu plus même s’il est Sénégalais / Celle qui se prend un poke dans l’œil gauche et lâche un gémissement virtuel / Ceux qui trouvent ces listes de plus en plus  chais-pas-quoi, en tout cas du vu et revu, etc  

     

  • Ceux qui font tapisserie

     

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    Celui qui pense comme il danse et inversement si ça se trouve au final on peut dire ça comme ça / Celle que les malveillants de l’autre bourg disent la poubelle pour aller danser / Ceux qui invitent la Gundula par pitié qui leur marche ensuite sur les pieds mais se laisse peloter à deux mains les yeux fermés / Celui qui aime rester sur la touche en tant qu’employé de banque sûr de son avancement mais patience / Celle qui reste en carafe comme les vieux crus dont elle a d’ailleurs l’âge / Ceux qui estiment que la tapisserie de l’école de tango mériterait un lifting / Celui qui ne saurait se moquer des vieilles Allemandes dansant ensemble au bar de l’hôtel Heimweh de Benidorm / Celle qui a dansé tout l’été avec les grillons et va se faire un hiver d’enfer en disco malgré sa cousine fourmi à niqab rabat-joie / Ceux qui ont ouvert une pâtisserie hallal dont les religieuses, les charlottes et les tropéziennes sont abattues selon le rituel / Celui qui ne sort pas de l'auberge / Celle qui se tient à carreau / Ceux qui lésinent sur le pactole / Celui qui se la joue pharmacien à vétilles / Celle qui prend le remords aux dents/ Ceux qui freinent à la montée / Celui qui ne se sort oncques les pouces du cul / Celle qui attend le train dans l'embranchement triste /Ceux qui révoquent le droit au camionnage de fantaisie en zone courte / Celui qui s'en tient à la feuille de déroute / Ceux qui s'incrustent à la buvette / Celui qui t'appelle sa voiture-balai /Celle qui se doigte dans le wagon de queue / Ceux qui prennent langue dans le train blindé / Celui qu'on appelle le boute-en-train de nuit /Celle qu'on taxe d'omnibus de ménage / Ceux qui se rament le fourgon / Celui qui se rappelle la belle époque où il rêvait d’ouvrir de nouveaux marchés en Afrique du Nord / Celle qui se cherche (dit-elle) une machine de chair / Ceux qui constatent que leur épouse est un estomac sur pieds / Celui qui fréquente les soirées chantantes des bords du Neckar / Celle qui fuit sa cousine dont l’haleine sent le foie cru / Ceux qui écoutent Chostakovitch en fermant les yeux comme au bord d’un cratère cosmique / Celui qui essaie de réduire son amour pour Martine à la jonction de deux systèmes cellulaires et qui chiale quand même un max en pensant à elle qui ne répond plus à ses SMS / Celle qui se dit indifférente au spectacle de la mort mais que le trépas d’un souriceau fait sangloter  grave / Ceux qui mastiquent de la réglisse en se rappelant leurs dix-huit ans au bord de la rivière à fumer des Lucky Strike sans filtre, etc