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  • Rédemption

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    Le premier roman de Slobodan Despot, Le Miel, paraît chez Gallimard sous le signe du dépassement de toute haine, scellé par l'expérience de la tragédie.

     

    Dans son magistral essai intitulé Mensonge romantique et vérité romanesque, le grand philosophe français René Girard, snobé par une bonne partie de l'intelligentsia de son pays, montre comment le meilleur du roman européen, de Cervantès à Proust, en passant par Stendhal et Dostoïevski, se trouve marqué au sceau d'une commune rédemption liée au dépassement des feux de l'envie et des passions mimétiques.

     

    Or lisant, en cette veille de Noël, le premier roman de Slobodan Despot, intitulé Le miel et rebrassant le magma chaotique de le guerre en ex-Yougoslavie, je me suis senti gagné progressivement par une profonde émotion découlant de la grande beauté du livre, sur fond de pacification intérieure et par le miracle, aussi, d'une mise en forme relevant d'un art lumineux. 

    Ma lecture aurait pu, à tout moment, se trouver parasitée par de multiples souvenirs personnels, favorables ou défavorables à l'auteur, que je connais depuis une vingtaine d'années, dont j'ai partagé diverses passions à l'enseigne des éditions L'Age d'Homme, avec lesquelles j'ai rompu pendant quinze ans, en partie à cause des positions nationalistes serbes que Slobodan défendait. 

     

    Or pas un instant la figure du jeune propagandiste de la cause serbe ne s'est interposée au fil de ma lecture de son premier roman, dont l'enjeu est tout autre que celui d'une interprétation romanesque partisane de la seule tragédie balkanique. Il en va en effet de la ressaisie des destinées humaines marquées par les enchaînements et les enchevêtrements de l'Histoire, autant que par les intrigues à jamais impures de la Politique, à la lumière de la Conscience humaine incarnée ici par deux magnfiques personnages: Vera la naturopathe et Nikola le vieil apiculteur. 

     

    Tous deux, par des voies différentes, semblent avoir passé de l'autre côté des apparences, ou s'être hissés sur une crête où les faits et les événements prennent une autre signification que dans les opinions et les médias. Ce ne sont pas deux anges désincarnés pour autant: ce sont deux êtres bons, ou plus exactement bonifiés par la vie. Telle étant en effet la bonne nouvelle: que chacun peut se trouver, comme le miel, bonifié par la vie. Il en va de données naturelles et de culture, de matière travaillée par la douleur et de spiritualité.

     

    Le Miel de Slobodan Despot se lit comme une espèce de film très construit et très fluide à la fois, avec des enchâssements de narration très maîtrisés. Une scène centrale est extraordinaire, qui décrit le saisissement du vieil apiculteur assistant, du haut de la montagne où il a sa cabane et ses ruches, à la fuite en débandade des siens, en pleine Krajna serbe, devant l'armée bien organisée de leurs anciens "frères" croates. Tout à coup, Slobodan l'ex-idéologue pur et dur, devient un poète serbe. Par sa plume, on vit ce que vit le vieux Nikola, qui rappelle le vieil Ikonnikov de Vassili Grossman, témoin muet de la folie des hommes. Et tout son roman, bref, tendu, sensible, admirablement agencé, s'organise avec le même mélange d'autorité virile et de porosité féminine, dont Vera figure l'incarnation.

     

    C'est par le truchement de Vera  que se livre le récit central de Veselin K., dit Vesko leTeigneux, fils cadet du vieil apiculteur, du genre Serbe criard et un peu veule, qui a vécu un peu en marge des événements tout en ressentant l'humiliation des siens, et qui tout de même portera secours à son vieux père isolé dans sa montagne dévastée. Qui plus est, le récit recueilli par Vera l'est en tierce main puisque celui qui écrit, pas tout à fait Slobodan Despot lui-même au demeurant, est un Serbe vivant en Suisse et lui aussi témoin plus ou moins honteux.  Or, avec la distance du temps passé, ce décentrage des récits rend à merveille le sentiment d'éloignement "épique" de la narration, alors même que le verre grossissant de la poésie en actualise la moindre action... comme chez Homère.

     

    Bien entendu, je ne compare en rien Slobodan Despot, écrivain débutant, à Homère ou Dostoïevski, mais je relève ce fait littéraire essentiel que constitue la transposition par effet de mûrissement et, plus profondément, de pardon.

    Il est certain que Slobodan Despot à des choses à se pardonner, comme les chefs de guerre et les journalistes occidentaux (j'en ai été à un très moindre titre), les Européens et les Américains, les donneurs de leçons pro-croates ou pro-serbes, les popes serbes entretenant la vindicte ou les doux franciscains croates mitraillette au flanc, entre tant d'autres. 

    Avec le temps, cependant, et avec la pensée, avec le coeur et avec l'aveu de chacun, tout peu changer. Bonifier comme le miel. D'aucuns, cela ne fait pas un pli, jetteront encore la pierre à Slobodan Despot pour ce qu'il a été et sera encore pendant des siècles de haine sans répit. Pour ma part, je ne vois que son livre qui est, dans ses limites, un geste de rédemption - un objet cristallisant la bonté.  

     

    Despot01.jpgSlobodan Despot. Le Miel. Gallimard, 128p. En vente début janvier.              

  • Ceux qui fêtent Noël

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    Celui qui aime l'odeur du sapin et des bougies et adresse ses bons voeux à toutes ses amies et tous ses amis-pour-la-vie de Facebook / Celle qui a conservé précieusement les santons de Colette Massard / Ceux qui ont fait la crèche dans un coin du squat / Celui qui apprécie le côté rituel des rites / Celle qui récuse toute sanctification du dominant et préfère donc le couple âne et boeuf honorés par les rois du monde / Ceux qui trouvent du charme au bricolage mythique de la Nativité tout de même plus avenant que le culte de Mithra / Celui qui reçoit chaque année un pyjama de pilou de sa mère-grand et s'en réjouit / Celle qui se défie de la méchanceté des Gentils et s'en remet ce soir à Dolly Parton déguisée en Santa Claus / Ceux qui visionnent Le Père Noël est une ordure pour manifester clairement qu'ils ne sont pas dupes ah ça c'est sûr / Celui qui a toujours aimé fêter Noël en famille à la maison ou au squat ou au front ou hors-saison / Celle qui a fait un berger à la Noël de la paroisse des Bleuets où son Ken Barbie a fait Jésus / Ceux qu'insupporte cette mise en scène paupériste de la naissance biologique d'un dieu semi-humain clairement voué à l'insolvabilité voire à la cloche / Celui qui nie l'historicité du massacre des innocents survenu cette même nuit mais que les croyants occultent volontiers eux aussi pour des raisons de confort moral / Celle qui collectionne les repros de Nativités picturales dont certaines appartiennent à des musées reconnus / Ceux qui affectionnent les Noëls latinos / Celui qui prétend que le récit des rois mages est empruntée à la tradition perse sinon aux Mille et une nuit / Celle qui trouve son bambin de sept mois aussi flippant que l'enfant-là sinon plus / Ceux qui vomissent le père Noël au motif que sa fonctionnalité marchande contrevient au pur idéal chrétien tout à fait désintéressé n'est-il pas ? / Celui qui ne souscrit même plus au persiflage de Scutenaire affirmant que l'existence des croyants prouve l'inexistence de Dieu vu que plus rien n'est à prouver dans ces eaux-là / Celle qui se dit de moins en moins croyante et se comporte de plus en plus en chrétienne au risque de déplaire à son directeur de conscience à cela près qu'elle n'en a pas / Ceux qui font l'amour à Noël en se basant sur l'Evangile dont rien de la Lettre ne l'interdit ni de l'Esprit encore moins alors bon Noël les enfants, etc.


  • Ceux qui brassent de l'air

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    Celui que le ventilateur fait rêver de Malaisie à l'époque des Anglais / Celle qui sent un courant d'air dès que ce grand con l'ouvre / Ceux qui s'agitent dans les gréements du navire en cale sèche / Celui qui entonne une chanson d'atrocité pour la fille du corsaire / Celle qui exige un peu de sincérité de la part du cheval masqué / Ceux qui s'accrochent à ta tunique de loup / Celui qui freine l'andante pour entendre la brise dans l'unique bouleau / Celle qui barre la vague de ses rames plombées / Ceux qui régurgitent leur écume sentimentale au micro de Macha la noctuelle / Celui qui est passé maître en ligatures de tresses de Gitanes / Celle qui arrache le foie du charbonnier par trop porté sur le calva / Ceux qui esquivent la volute de séduction diabolique / Celui qui exhibe son relief laborieux de culturiste wallon / Celle qu'on appelle la hallebardière matinale Dieu sait mêmepas pourquoi c'est dire / Ceux qui en sont encore à flipper pour des dauphines natatoires /   Celui qui pratique la brasse coulée dans sa baignoire sabot / Celle qui en pince pour le fils bien alluré du saleur d'anchois / Celle qui estime que seul l'argent permet à l'humble de le rester sans perdre le nord / Ceux qui relativisent la prise en compte des soupières dans les sondages relatifs à la popularité du Président De la Gomme / Celui qui de la maison du curé reconnaît les yeux fermés l'odeur chaude de beignets et de caleçons à l'étendage / Celle qui perçoit la musique des parfums par l'oreille de sa tapisserie nasale / Ceux qui fêteront Noël à Pâques vu que tous les téléskis ne mènent pas à la crèche / Celui qui a pris la sortie Bethléem pour tomber sur un Mur / Celle qui alarme ses amis par ses longs silences genre Dieu de l'église boudiste / Celle qui croit savoir pourquoi Joseph s'est fait la malle mais sachons nous méfier de la jalousie féminine / Ceux qui clament à table qu'il est hyper-important de se rappeler qu'un enfant meurt toutes les cinq secondes avant de remarquer sans le dire que la dinde est un peu grasse cette année - mais on leur a promis un dessert bio alors ça va, etc.      


    Peinture (détail): Robert Indermaur.