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  • Ceux qui font semblant

     

    Panopticon761.jpgCelui qui atermoie / Celle qui chipote / Ceux qui lésinent / Celui qui en rabat / Celle qui mégote 7 Ceux qui biaisent / Celui qui le dit sans le dire / Celle qui laisse plus ou moins entendre qu’on ne pourra conclure sans peser le pour et le contre / Ceux qui donnent le change / Celui qui laisse décider celle qui obéit à ceux qui ont la situation en mains / Celle qui s’écoute parler pour ne rien dire / Ceux qui jettent de la poudre aux yeux fermés / Celui qui ne risque rien sans garantie bancaire / Celle qui mise sur le cheval d’arçon / Ceux qui ne prendront même pas le train en marche / Celui qui se refuse à lui-même / Celle qui s’égare sans se perdre / Ceux qui trouvent tous les prétextes / Celui qui découvre soudain l’inanité du simulacre et s’exclame « oh » dans le tea-room feutré / Celle qui entrevoit l’aspect infernal de l’éternel retour / Ceux qui disent haïr la réalité mais acceptent néanmoins l’omelette norvégienne du menu / Celui que la laideur fascine / Celle qui réalise ses fantasmes par procuration / Ceux qui se font de la thune en s’exhibant sur Webcam Wide World (WWW.com) / Celui que  sa révolte isole de plus en plus / Celle qui n’en peut plus de ne pas consentir à l’abaissement programmé / Ceux qui se retrouvent à la salle de lecture de la bibliothèque publique de Houston Downtown / Celui que la pensée de la mort éloigne des estrades / Celle qui ne peut se confier à la Speakerine blonde / Ceux qui deviennent prudents devant l’extension du domaine de l’indiscrétion / Celui qui se constate en panne de réseau social / Celle qui se met au vert de gris / Ceux que leur délire reprend à l’instant où la gymnaste biélorusse s’étire dans la clairière aux invisibles / Celui qui se fie à son bon naturel qui revient au galop / Celle qui va voir nager les nageurs nègres / Ceux qui se la jouent faune qui veut / Celui que son restant de dignité et d’humour retient de faire comme si / Celle qui se remet à son tour de potière picarde / Ceux qui aiment leur travail d’artisans modestes mais pas cons / Celui qui relève le défi les cornes / Celle qui chantonne sous la tonnelle au pied pourri de mégots / Ceux qui cueillent des bleuets sous le ciel jaune / Celui qui fauche du même geste auguste que le semeur de la pub de La Semeuse / Celle qui bénit chaque marche de l’escalier montant / Ceux qui balaient le couvent sans se demander pourquoi / Celui qui aime le « doux royaume de la terre » / Celle que la pensée de la mort occupe moins que le sentiment de l’amour que lui communique sa palette de restauratrice de tableaux anciens / Ceux qui essaient de croire à ce qu’ils ne possèdent pas / Celui qu’accable la pensée que les damnés vont par troupeaux et que ça peut finir par « la montée des marches » /  Celle qui attend que la mort la réveille / Ceux dont la chute du corps met l’âme à vif, etc.

    Image : Philip Seelen

     

  • Le frondeur centenaire

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    Maurice Nadeau, lecteur universel, découvreur et éditeur, incarne une mémoire du siècle.

     Maurice Nadeau, qui passa le cap des cent ans le 21 mai dernier, prétend qu’il a très mauvaise mémoire». La bonne blague ! « Si je mourais, renchérit sa femme Marthe, tu ne te souviendrais même plus de moi.... » N’en jetez plus ! D’autant que ces deux bourdes  figurent à la première des quelques 500 pages des Mémoires littéraires du critique, découvreur et éditeur que fut Nadeau. Acteur et témoin de la vie littéraire française de la fin des années 1930 à nos jours, il a connu André Breton. Il était résistant quand il a rencontré un Jean-Paul Sartre... politiquement naïf. Au lendemain de la guerre, il devint «le» critique du journal Combat d’Albert Camus et Pascal Pia. Puis il s’improvisa éditeur pour diffuser le premier témoignage d’un rescapé des camps nazis, avec Les jours de notre mort de son camarade David Rousset ; et avec celui-ci, l’un des rares communistes à reconnaître l’existence des camps du goulag.

    Nadeau2.gifAmi du « pornographe » Henry Miller dont il publia la trilogie de Sexus, Maurice Nadeau  passa des heures à se taire avec Samuel Beckett, se fit servir de l’eau chaude par Henri Michaux, lança Georges Perec à hauteur de Renaudot avec Les Choses, découvrit et défendit de grands auteurs « étrangers » tels Malcolm Lowry - l’auteur du génial et présumé invendable Au-dessous du volcan -, le Polonais Witold Gombrowicz, le Sicilien Leonardo Sciascia et le Russe Varlam Chalamov, enfin le Sud-Africain J.M. Coetzee, futur Nobel de littérature.

    La découverte récente la plus «choc»  de Nadeau fut celle de Michel Houellebecq, qui se présenta à lui comme le nouveau Perec ! Après quelques tergiversations parut tout de même Extension du domaine de la lutte.  Mais comme tant d’autres, Houellebecq le quitta bientôt pour un éditeur plus coté. Précisons du moins  que Nadeau avait refusé entretemps de publier les poèmes de l’amer Michel, qui   traitait son ami Prévert de con...

    Serviteur !

    Fils d’une servante illettrée, Maurice Nadeau, «Momo» pour sa mère - personne de bons sens et d’ironie qui lui montra un jour son derrière pour lui faire sentir combien elle se moquait des convenances - , déclarait à ce propos, à Laure Adler qui lui rappelait le geste de Flaubert de tremper sa Légion d’honneur dans son café: «Ah oui, je trouve ça formidable, tout ce qui est inconvenant me plaît !» Dans la foulée, on rappellera que Maurice Nadeau lui-même présenta l’édition de Madame Bovary chez Rencontre...

    Orphelin de père à cinq ans, pupille de la nation poussé aux études par sa mère, prof très engagé, d’abord stalinien puis exclu du Parti pour ses questions incongrues sur la politique de Staline et l’Allemagne nazie, Maurice Nadeau n’a rien du clerc né coiffé. Franc-tireur trotzkiste il fut, révolté de gauche, présent jusqu’en mai 68 («ce n’était pas un changement de politique, c’était un changement de vie»), à la fois très impliqué dans la vie littéraire et toujours à l’écart.

    Critique étranger aux modes médiatiques ou universitaires, il fonda La Quinzaine littéraire en 1966, restée mythique par son indépendance (ses collaborateurs ne sont pas payés) et son ouverture. De son Histoire du surréalisme, datant de 1945, à ses Mémoires littéraires portant le titre significatif de Grâces leur soient rendues, en passant par Serviteur ! un itinéraire critique à travers livres et auteur depuis 1945, Maurice Nadeau aura  fait oeuvre, précisément, de serviteur dévoué reconnaissant simplement qu’il «aime admirer»...

    Un jour à Alger, où il avait rejoint sa future femme Marthe, camarade prof et  militante  comme lui, «Momo» tomba amoureux de cette jeune fille en observant sa façon de relever les manches de son imper avec des coups d’épaules. «Le détail bête !», souligne-t-il devant Laure Adler. Or c’est avec la même «mémoire du coeur» qu’il parle de sa mère, des ses collaboratrices de la Quinzaine et de ceux qui l’ont marqué ou qu’il a «servis», de Pascal Pia à Henri Calet, de Walter Benjamin à Roland Barthes, de Pierre Naville à Maurice Blanchot et jusqu'au jeune Yann Garvoz, sa dernière découverte...   

    Maurice Nadeau. Grâces leur soient rendues. Mémoires littéraires. Albin Michel, 479p.

    Le Chemin de la vie. Entretiens avec Laure Adler. Verdier,157p.