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L'Mariole

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Rhapsodies panoptiques (21)

 

Pour Nétonon Noël Ndjékéry

 

…Ensuite au bout de la nuit n’y a pas de nuit, ce matin de neige et de brouillard, mais je n’en finis pas moi d’lire Voyage et de le relire ce satané bouquin. Là je relis l’épisode de la vieille Henrouille et de Robinson, tu te rappelles Nétonon ? Tu me parlais l’autre jour de nos vieux, dans ce pays devenu pour moitié le tien. Tu me disais combien tu en appréciais les gens pour leur réserve. Tu les croyais hostiles d’abord à les voir se taire pareillement dans les endroits passants, et puis tu as mieux perçu ce qu’il y avait derrière. T’as cru que c’était ta peau noire. T’as cru que c’était ta dégaine de cannibale en costar élégant. T’as pensé qu’ils se méfiaient du Tchadien, alors qu’ils sont comme ça avec tous, un peu moins policés que des Japonais mais tout comme : la réserve et un peu de timidité de mince pays, tandis que le Japon se croit le Fils du Ciel. Donc tu me parlais de la mort et de nos vieux. Tu nous complimentais pour notre savoir-faire de Maîtres horlogers et nos mécanismes politiques à complications, mais je sentais venir l'objection, je sentais ta réticence et même que je la devinais, je pressentais que t’allais parler de nos vieux et de notre façon de faire passer nos morts par la porte de derrière, et ça na pas manqué : tu vois que je les connais aussi mes clichés - et ce matin je me rappelle aussi que Voyage a été ton livre de chevet, à Moundou, comme il l’a été de Quentin dans le désert de Joshua Tree, celui de Tonio et celui du Gitan et de tout un populo que les phrases du Mariole scotchent genre celle-ci que je te sers ce matin de frimas gris : « Être vieux, c’est ne plus trouver de rôle ardent à jouer, c’est tomber dans cette insipide  relâche où on n’attend plus que la mort »…

…Tu m’avais donc parlé de nos vieux et de notre façon de les reléguer, Nétonon, et voilà que je retombe sur l’épisode de la vieille Henrouille, tu te souviens, dont son fils et sa belle-fille rêvent de se débarrasser chez les Sœurs ou en quelque cabanon, et du coup ça me fait penser au vieux Ricain de Quentin que les siens s’impatientent de voir calancher, et je me dis que c’est bien ça qui nous est arrivé avec ces puritains congelés qui ont réduit le Seigneur à une morale ou un compte bancaire : c’est cette édulcoration de tout ce qui meurt dans tout ce qui vit, cette horreur du sexe virée en obsession, cette peur du macchabée, cette terreur de l’inutile et cette panique à l’idée qu’une vieille ou qu’un vieux puissent encore bander – façon négro de parler…

 

…  Tu te rappelles l’épisode des Henrouille dans Voyage, Nétonon. Le fils indigne et la belle-fille à l’avenant  qui s’impatientent de jeter la vieille peste, et Robinson qui passe par là. Robinson le vaurien qu’a fait un peu la guerre avec Ferdine, Robinson qu’est un peu le Vendredi mal barré de Bardamu – Robinson qui rêve lui de se refaire avec les biftons que lui vaudrait un crime d’assassinat  pas vu pas pris, la solution parfaite du pétard appareillé au clapier que la vioque prendra en pleine poire au moment calculé qu’elle viendra voir le lapin. Mais le lapin foire, tu te le rappelles, et c’est Robinson qui prend la chevrotine en plein cigare. Et là le rôle ardent revient au galop à la vieille rescapée qui va pour rameuter tout le quartier et le Parquet dans la foulée si le docteur et son acolyte ne parviennent pas à faire diversion. Et la vieille de se gondoler comme une possédée. Comme l’écrit le Mariole encore : « Un vieillard, rire et si fort c’est une chose qui n’arrive que chez les fous »…

…Sauf que les fous c’est plutôt nous, tu l’as pointé Nétonon Noël : c’est bien cette façon d’ourdir le pire pour éviter d’être dérangé. Cette horreur suissaude, j’te le fais pas dire, enfin cette horreur au sens élargi qui inclut l’Europe unie par le jacuzzi et l’Occident solidarisé par le barbecue : NE PAS DERANGER. Le tout sera de bien « gérer », comme ils disent en usant et abusant de ce verbe que je hais. Gérer le défunt, Jackie. Gérer la fin de vie de ton défunt quotidien, Jackie. Notre amie Jackie qui se lève tous les matins pour aller gérer ses graves cas à l’hosto. Tu vois ça Bona ? La mort il y a des papiers pour ça. C’est comme le Congo, Bona : il y a des dossiers à gérer. C’est comme pour Tonio dans la cage aux fauves aux lycéens ingérables : faut gérer le stress et veiller surtout à ne pas déranger… 

…Mais l’Mariole est là qui veille, et la vie des mots. Les mots ne seraient rien que des décorations d’académiciens compassés s’ils n’étaient pas repeints par le Mariole et compagnie, et là j’te vois venir, Nétonon Noël, avec ton griot malpoli, ton Douradeh laboureur de temps et semeur de mots, j’vous vois venir tous, semeuses et semeurs de mots pour ne pas toujours rien dire - on vous espère on vous attend comme disait l’autre…

…L’Mariole a tout fait pour bien se faire détester, avec lui le monstrueux de la poétique est à son pic en cela qu’il mime la canaille humaine au plus pire, « le voyage c’est la recherche de ce rien du tout, de ce petit vertige pour couillons », qu’il dit, mais il voyage et jusqu’au bout et jusqu’au bout il délire, il déraille, j’ai lu toutes ses lettres et son grand dépit d’hygiéniste rêvant de tout nettoyer, sa fierté blessée, son génie dénié et vilipendé par jalousies atroces, mais jamais assez à son goût d’un côté l’autre, et t’as vu, Quentin, sa carcasse de parano : t’as vu le centaure buté, t’as vu l’Orgueil incarné; nous avons lu tous ses pamphlets, au Mariole, gloriole et ridicule, la vieille histoire du bouc émissaire et là ce sera sus aux youtres, comme il les appelle et feindra de ne pas les avoir appelés pour se tirer des fiotes, mais plus je vais et moins j’ai envie de le comprendre tout à fait ni de lui pardonner rien – d'ailleurs qu’aurais-je diable, qu’aurions -nous donc à pardonner à son verbe affolé ?...

 

…Ce mariole de Nétonon Noël est un poète qui ose lui aussi parler de politique, mais le délire raciste ne passera pas par là; comme de Douradeh le griot sa peau « reproduit le pigment de la nuit afin de mieux piéger et démasquer les ténèbres », et le v’là qui renvoie à son obscurité noiseuse le Sarko foireux qui s’en vient gérer l’Africain en lançant comme ça que « dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès », non mais t’as lu ça Bardamu, et toi l’Mariole absolu dont le Voyage a parlé mieux que personne de la vilenie faite aux négros, lis encore ce délire fade de l’indigne nouveau roitelet à venir : «Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble écrit d’avance », eh,  tu te souviens de ce beau discours glapi au Sénégal, ami Alassane ?...

…Moi l’Afrique je n’y suis pour rien, Blacky, je t’écoute juste me parler des commères de Douala et de ton Président parasite, j’me retrouve parfois dans vos contes et vos diatribes, je compatis ou je salive de loin, je me suis saoulé avec l’immense Amadou Kourouma peu avant sa dernière révérence au soleil des indépendances bafouées, j’ai prolongé de belles conversations  avec  Henri Lopes si bien élevé et cultivé dont je reçois à l’instant Une enfant de Poto-Poto dont la dédicace affirme trop généreusement que rien de ce qu’apportent le vent et les voix du Sud ne m’est indifférent, enfin tu sais ce que sont les anciens ministres, Bona, toujours tellement polis – et dire que celui-ci se paie le luxe mariole d’être écrivain et des meilleurs encore…

 

…Mais là le brouillard s’est levé, Nétonon Noël. Tu vois que la nature naturelle fait elle aussi des progrès : ça arrive autant ici qu’à Tananarive ou Ndjaména. Et maintenant va falloir gérer les affects du jour. J’te balance encore ces quelques mots de l’affreux Céline et j’te souhaite de passer d’un an l’autre au bonheur de ta case, avec ta femme soumise et tes enfants obéissants : « Il est difficile de regarder en conscience les gens et les choses des Tropiques à cause des couleurs qui en émanent. Elles sont en ébullition les couleurs et les choses »…   

 

Nétonon1.jpegNétonon Noël Ndjékéry, écrivain tchadien et suisse, a publié récemment un roman très substantiel, intitulé Mosso, aux éditions Infolio. Les citations ci-dessus sont tirées de ses Chroniques tchadiennes, autre beau roman paru en 2008 chez Infolio.

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