UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Du Coca dans le stylo

    Coulon3.jpg

    Méfiez-vous des enfants sages, type représentatif du premier roman prometteur, marque l’apparition d’un nouveau talent de vingt ans : Cécile Coulon. À  laquelle on souhaite la longévité de Sagan

    Cécile Coulon, née en 1990 et grandie sous les volcans d’Auvergne, déboule en souplesse, et le sourire lavé au Coca, dans la cour de la rentrée littéraire, avec son premier roman intitulé Méfiez-vous des enfants sages et publié par une  éditrice, Viviane Hamy, au catalogue littéraire de bon renom .

    La concurrence sera rude, puisque 85 premiers romans se trouvaient au départ. Déjà, quelques nouveaux auteurs, pas forcément jeunots, ont été repérés. Telle Douma Loup, romancière genevoise de 27 ans qui s’affirme d’emblée, avec L’embrasure, paru au Mercure de France, par une écriture très originale, plus mûre assurément que celle de Cécile Coulon.

    Mais la fringante Cécile a de bons atouts pour elle. D’abord parce qu’elle a, de toute évidence, la « papatte », qui distingue un écrivain d’un faiseur. Elle a le sens du mot, le sens du récit, le sens de la construction, le sens des personnages. Ensuite, elle ressaisit, avec un mélange de candeur et de culot, les thèmes et le ton, les carences affectives et la révolte individualiste de  la jeunesse du tournant du siècle, comme Françoise Sagan exprimait le ton et les thèmes de sa génération en veine de libération, au mitan des années 1950. Cécile est-elle pour autant la nouvelle Sagan ? Probablement pas plus qu’elle n’est la nouvelle Carson McCullers évoquée  par l’éditeur.

    Mais le fait est que Cécile Coulon, comme l’an dernier le très jeune Sacha Sperling, auteur de Mes illusions donnent sur la cour, et comparé lui aussi à Sagan pour sa précocité, correspond aux normes, voire aux fantasmes liés au jeune auteur béni des fées rappelant évidemment le Raymond Radiguet du Diable au corps. Pour mémoire, rappelons  que Bernard Grasset lança ce premier roman, en 1923, année de la mort du jeune prodige,  « comme un savon » en annonçant « le premier livre d’un romancier de 17 ans », quitte à susciter  la réprobation de pas mal de critiques peu accoutumés à ces mœurs publicitaires…

    Un peu moins d’un siècle plus tard, le bluff et les « coups » éditoriaux ou médiatiques aidant, le risque advient, pour un jeune auteur, d’être lancé de la même façon, quitte à être abandonné dans la foulée s’il ne « marche » pas. À cet égard, nous pourrions aligner une liste de nouveaux Radiguet et de nouvelles Sagan qui ont fait « pschiitt » avant d’être relégués dans les oubliettes. Or, ces jeunes auteurs de premiers romans font encore figure de privilégiées par rapport à tous ceux dont les débuts non remarqués resteront sans lendemain.

     

    Cécile Coulon, bien dans sa peau et bien entourée, poursuit ses études à Clermont-Ferrand en affirmant qu’elle aimerait bien élever des chèvres, acheter des motos et se couper les cheveux, sans savoir dans quel ordre le faire. « Donc, en attendant, j’écris un nouveau roman ». Le premier a l’air américain, du côté de marginaux à la Carver. Pourtant elle se défend d’avoir écrit un roman américain avec Méfiez-vous des enfants sages. « C’est un roman qui se déroule aux Etats-Unis, ce qui est très différent. J’ai choisi ce lieu car d’une part, c’est le lieu de tous les possibles, et d’autre part, parce qu’à ce moment là, j’étais réellement accro à la culture américaine littéraire, cinématographique, musicale et populaire, et je le suis toujours. Disons que le logo Coca-Cola m’inspire beaucoup plus qu’une conserve de petits pois Bonduelle »…

     

     

    Doux oiseau de jeunesse

    On pense un peu (notamment) aux nouvelles douces-acides de Raymond Carver en lisant Méfiez-vous des enfants sages, autant à cause de ses personnages non conventionnels, voire un peu paumés, que pour le climat de bohème romantique qui le baigne. C’est d’abord le pur bonheur d’être au monde, éprouvé par Kerrie depuis qu’elle a débarqué à San Francisco de son trou de province, à vingt ans et des poussières.

    Puis, dans la petite ville du sud où elle est revenue après la mort de sa mère, c’est la vie partagée avec Markku le Suédois, passionné d’entomologie et s’éloignant peu à peu, et avec leur fille Lua, très indépendante en dépit de la tendresse qu’elle porte aux siens, et développant une amitié farouche pour Eddy l’ex-junkie. À la mort solitaire de son «vieux pote», Lua connaîtra son premier grand chagrin, entre autres expériences formatrices.

    Au fil d’une narration jouant sur des points de vue alternés, ce premier roman d’apprentissage filtre bien les désarrois et la révolte de l’ado révoltée, avec un regard lucide sur son époque et sa propre génération. Or, l’étonnante maturité de la romancière le dispute à une pétillante fraîcheur, qui fait passer quelques faiblesses et autres facilités juvéniles.

    Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages.Editions Viviane Hamy, 107p

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures de ce samedi 18 septembre.

  • L’autre désir – la poésie

    Bonnefoy3.jpg
    Vient de paraître chez Albin Michel: L'Inachevable, recueil très substantiel d'entretiens avec le poète. Qui nous avait accordé celui qui suit pour Le Passe-Muraille, en 1993.  

    Entretien avec Yves Bonnefoy

    La tendance massive de l’époque est à la parole vilipendée à grande échelle, à la présence émiettée, à la distraction planifiée, aux certitudes assenées et qui tuent, au doute qui paralyse et qui stérilise, à toutes les formes du leurre et du simulacre – et comment résister à ce qui paraît un mouvement fatal ?A ces questions bien générales, certaines œuvres particulières répondent et d’abord par la simple évidence d'une voix à sa plénitude d’être et d’expérience. Ainsi celle d’Yves Bonnefoy, poète exemplaire de la présence au monde vécue à tous les degrés de l’intuition sensible, de la connaissance tous azimuts et de la réflexion.


    - Quelle place l’écriture tient-elle exactement dans votre vie ? Est-ce une discipline régulière ou une suite de mûrissements et de jaillissements ?
    - Quelle place ? Des jours aucune, puisqu’il y a tant de tâches qui nous requièrent dès qu’on a une profession. Nombre de mes journées sont occupées ainsi, dévorées ainsi, et il vaut mieux que je n’essaye pas de les retenir à quelque illusion d’écriture, elles ont leur vérité propre, d’ailleurs, leur enseignement. Et ce qui est vrai pour des jours l’est aussi pour des mois, parfois, si ce n’est même pour des années. Le fait poétique ne cesse pas de me préoccuper pendant ces périodes, il me donne matière à réflexion, sur l’exemple d’œuvres que j’ai toujours avec moi, mais je puis rester longtemps sans écrire. Après quoi, eh bien, c’est comme si j’entrais, parfois peu à peu, dans une autre sorte de vie, et il y a des saisons de la mienne pendant lesquelles je me penche chaque jour ou presque, et pour des heures recluses, sur cette feuille où des surgissements se produisent, que je me propose de comprendre, de raccorder entre eux, en les refusant s’il le faut, c’est-à-dire le plus souvent.
    - Qu’en est-il, plus précisément, de cette germination du poème ? Vous semblez dire qu’elle est difficilement accordée ?
    - Pour moi en tout cas elle est bien longue, et c’est là un fait qui me rassure, car je ne crois pas qu’il y ait de vraie poésie qui ne soit le renversement de la parole ordinaire par une autre qui monte de très profond dans notre inconscient et cela ne peut donc s’accomplir qu’au travers de maintes péripéties, où il faudra déjouer nombre de pseudo-évidences : certaines d’ailleurs suggérées par cet inconscient même que j’évoquais à l’instant, quand il agit par ses formes superficielles. L’inconscient, autrement dit, ce n’est pas simplement cette parole du désir dont on parle tant depuis Freud. C’est vrai que le désir, l’éros s’est façonné un langage en nous, avec ses symboles, sa scène, son autorité et son énergie, si bien qu’il suffit d’écrire, et le voilà qui afflue : ce vont être ces évidences dont je dis qu’il faut se méfier, celles qui font que l’on croit savoir ce qui est beau, ce qui a du sens. Mais tout cela n’est qu’une image du monde, de l’irréel : et plus profond dans notre rapport à nous-mêmes il est un autre désir qui veut, lui, la réalité et rien d’autre, un désir qui veut la voir, la toucher en ce qu’elle a d’inentamé par les mots – d’immédiat, disons aussi, de présent à notre présence -, et s’impatiente donc contre le discours de l’éros, et cherche à en déjouer les structures, à remonter à travers ses pour nous arracher à leur séduction, pour nous montrer comme à nu, du coup, la montagne, là-bas, ou l’arbre dans le soleil, ou le nuage immobile. Cet autre désir, c’est la poésie. Et comment espérer que l’écoute en soit facile, quand tant de prestiges l’étouffent ? Il ouvre des failles mais on n’en finit pas d’y descendre.

    - On a parlé des aspects religieux de votre poésie. Vous considérez-vous comme un esprit religieux ?
    - C’est une question de mots. Si un esprit religieux, c’est celui qui croit en un dieu, je n’en suis pas un : il ne m’est donné aucune croyance. Mais si religion signifie désir de vivre dans l’unité plutôt que le fragmentaire, avec respect pour les aspects les plus immédiats, les plus simples de l’être naturel, alors j’accepte ce grand vocable et je voudrais qu’il ait sens pour la société tout entière, sinon celle-ci est perdue, qui ne sera plus qu’un réseau de signes, aveugle au mystère de ce que j’évoquais tout à l’heure : l’arbre dans la lumière, le silence des pentes de la montagne.
    - Que diriez-vous aujourd’hui à un jeune poète ?
    - Qu’il ne faut pas qu’il ait peur de cette sorte de préoccupation, mais surtout qu’il ne s’y prête pas que de façon négative, c’est-à-dire en cherchant la rupture, la faille dans le discours de la société, mais fasciné malgré tout par l’infini propre de celui-ci, qui a certes de belles phosphorescences. C’est bien cette rupture que veut la poésie, je l’ai déjà dit, et j’aime la retrouver dans l’apparent décousu ou le minimalisme de bien des poèmes de notre époque, mais le rôle de la rupture, c’est de révéler l’immédiat, l’indéfait du monde, vers lequel il faut donc aussi que l’on se porte en des moments de vie simplement vécue parmi les grandes et belles choses.
    - Que pensez-vous de la coupure que l’on constate aujourd’hui entre la poésie et la société ?
    - Y en a-t-il vraiment une ? Ou ne s’agit-il pas simplement de la même sorte de distraction qui prive d’eux-mêmes, tous les premiers, ceux qui ont souci de la poésie ? A tout instant celle-ci leur échappe, le discours du concept s’y substitue, et cela qui a lieu aussi pour le groupe social dans son ensemble, depuis surtout que la science détourne de la pensée symbolique, qui gardait l’esprit auprès de la chose, mais voilà qui peut laisser espérer, tout aussi bien, que ce qu’on oublie peut être également ce qui tout se resignifie, et appelle. Peu de place pour les livres de poésie sur les rayons des librairies, mais que de films pour nous éblouir par de brusques instants épiphaniques, poésie brute !
    - Quelle pourrait être la fonction de la poésie dans l’univers de fausse parole des médias ?
    - Assurément, de combattre ce que l’on peut appeler l’idéologie, laquelle est d’articuler les uns aux autres quelques concepts absolutisés, refusés à tout avenir d’expérience, afin de les substituer au monde et d’ainsi enfermer les êtres, séduits ou contraints par force, dans ce champ d’abstraction, d’intolérance, de mort. Puisqu’il n’y a de poésie que par mémoire d’un au-delà du langage, tout recours au poème est aussi l’accusation, comme par surcroît, mais avec grande efficacité, de ces caricatures de langues qui sont des captations de pouvoir. Et cela me conduit à dire que la poésie est donc, de ce fait, le complément naturel du projet de démocratie – ce droit de chacun à sa parole – et la condition nécessaire à son véritable plein exercice. Il y a de la poésie même aux époques totalitaires, par des recherches individuelles, qui réussissent quelque eu à modifier la pensée commune, comme ce fut le cas à la Renaissance, ou préservent l’avenir. Mais il n’y aurait plus de démocratie si disparaissait l’activité poétique, et il faut donc prendre garde à ce que celle-ci soit protégée et révélée là où c’est possible, c’est-à-dure d’abord dans l’enseignement. Un professeur peut préserver un enfant de la tentation d’être dogmatique, intolérant, tyrannique – ou d’accepter d’être un esclave – en lui donnant simplement à lire – simplement, oui, sans les commenter, pour qu’il reste seul avec elles – quelques pages de Baudelaire ou de Rimbaud…

  • Une ballade américaine


    Coulon2.jpg

    Méfiez-vous des enfants sages marque l’apparition d’une nouvelle romancière talentueuse de vingt ans : Cécile Coulon, à laquelle on souhaite la longévité de Sagan…

    Cécile Coulon, née en 1990 et grandie sous les volcans d’Auvergne, déboule en souplesse, et le sourire lavé au Coca, dans la cour de la rentrée littéraire, avec son premier roman intitulé Méfiez-vous des enfants sages et publié par une éditrice, Viviane Hamy, au catalogue littéraire de bon renom .

    - Quel a été votre parcours jusqu’à ce matin ?
    - C’est très rapide : je suis née le même jour que Malcolm McDowell, mais pas la même année, ce qui m’a fait arriver un peu en retard au casting d’Orange Mécanique. J’ai fait mes études à l’ombre des volcans, entourée par les chats, les cassettes vidéos et les livres de mes parents. J’ai commencé à bafouiller du stylo vers douze ans, avec de très courtes nouvelles qui se sont peu à peu épaissies. En seconde, après la chouette lecture de L’éducation Sentimentale écrit par un certain Gustave, j’ai pondu un roman intitulé Le Voleur de Vie, publié un an plus tard par les Editions Revoir. L’année suivante, le même éditeur sortait Sauvages, un recueil de nouvelles. Puis j’ai découvert les cheeseburgers, les comics et John Steinbeck, et depuis, je me lave les dents au Coca-Cola. Entre-temps, j’ai fait deux ans de classe hypokhâgne et khâgne avant d’entrer en fac, au moment de la sortie de mon dernier roman, Méfiez-Vous des Enfants Sages.
    - Comment en êtes-vous arrivée à l’écriture ?
    - Très naturellement. J’aimais la lecture, la musique, le cinéma, je crois que tout s’est combiné. Ça s’est fait tout seul. C’est comme ça, ça vient instinctivement.
    - Quelle place la lecture occupe-t-elle dans votre vie ?
    - Une place beaucoup plus importante que l’écriture ! Je crois que c’est un réflexe de quand j’étais gosse : je ne peux pas m’endormir sans une histoire, un chapitre, un roman. Je lis tous les jours, et de tout. De Batman à Tennessee Williams en passant par Desproges…
    - Pouvez-vous évoquer la genèse de ce texte ?
    - J’ai écrit Méfiez-Vous des Enfants Sages il y a deux ans, pendant le mois d’août. Il n’y a pas eu d’idée de départ, de grande ligne directrice. C’est sorti d’un coup d’un seul, comme une langue de caméléon. Ça se passe toujours de cette façon: les idées viennent, c’est un mélange de films, de chansons, de textes, d’histoires, qui finissent par faire une bonne mayonnaise. Pour ce qui est du thème, je crois qu’à cette période, j’étais plongée dans la littérature américaine, le rock’n’roll et le chili con carne. J’aurais du mal à dire de quoi parle le texte ; et pourquoi je l’ai écrit, c’est quelque chose qui m’amuse, c’est un jeu, un tour de passe-passe entre ce que je vois, ce que je ressens, et ce que j’écris.
    - Pourquoi le situer aux States ?
    - Méfiez-vous des Enfants Sages n’est pas un roman américain, c’est un roman qui se déroule aux Etats-Unis, ce qui est très différent. J’ai choisi ce lieu car d’une part, c’est le lieu de tous les possibles, et d’autre part, parce qu’à ce moment là, j’étais réellement accro à la culture américaine littéraire, cinématographique, musicale et populaire, et je le suis toujours. Disons que le logo Coca-Cola m’inspire beaucoup plus qu’une conserve de petits pois Bonduelle.
    - Qui est Lua à vos yeux ? Vous identifiez-vous à elle ?
    - Lua est un personnage dont le parcours ne dépasse par la première et la dernière page du livre. Je ne m’identifie pas du tout à elle, même si c’est un peu bête de vouloir prendre de la distance par rapport à son propre livre, puisque toute création est forcément un peu autobiographique, quand on y pense. Dans cette optique, je m’identifie à tous mes personnages. Lua n’est qu’une nuance du tableau, et même si c’est elle qui raconte une partie de l’histoire, les autres ont une importance égale.
    - Comment les personnages vous sont-ils apparus ?
    Ils sont le résultat d’expériences musicales, cinématographiques et littéraires. Des mutants. Ils sont polymorphes, je me les suis figurés comme on cuisine un plat sans savoir la recette : on balance tout dans la gamelle, on touille, et on goûte.
    - Comment avez-vous construit votre histoire ? De manière concertée ou à l’instinct ?
    - À l’instinct. Rien d’autre.
    - Comment travaillez-vous ?
    - Course à pied, hamburgers et Coca : ça fonctionne un max ! J’écris la première mouture d’un roman en un mois et demi, puis le vrai travail d’ordre grammatical et syntaxique commence, avec ceux qui relisent derrière moi. J’utilise les conseils qu’on me donne comme une manière d’améliorer le texte, et cela m’oblige à reconsidérer mon propre fonctionnement, à me pencher sur mes faiblesses d’écriture.
    - Qu’est-ce qui compte à vos yeux dans un roman ?
    - Le détail. Que l’auteur capte le génie de l’infime. Et jouer avec ce décalage entre l’histoire globale et ce petit rien qui donne toute son épaisseur au texte, j’adore. C’est ce qui permet aux personnages d’exister.
    - Lisez-vous les romanciers français actuels ?
    - À fond. Chateaubriand est vraiment tip top. Plus sérieusement, le dernier livre français qui m’a plu est Cutter, d’Yves Ravey, publié chez Minuit. Il redonne au mot le sens qu’on lui arrache jour après jour.
    - Quel a été le parcours de votre manuscrit jusque chez Viviane Hamy ? L’éditrice vous a-t-elle fait retravailler le texte ?
    - C’est une amie qui a envoyé le manuscrit chez Viviane Hamy. Celle-ci m’a demandé de retoucher légèrement le texte, en particulier le personnage de Kerrie. C’est tout. Il n’y a pas eu de gros changements. J’ai étoffé certains passages et changé le titre : au début, le roman s’intitulait Bye-Bye Lua.
    - Et Dieu là-dedans ? Et vos prochains projets ?
    - Il paraît qu’Il a adoré le livre. Maintenant, j’aimerais bien élever des chèvres, acheter des motos et me couper les cheveux, mais je ne sais pas dans quel ordre le faire. Donc, en attendant, j’écris un nouveau roman...

    Coulon1.jpgDoux oiseau de jeunesse
    On pense (notamment) aux nouvelles douces-acides de Raymond Carver en lisant Méfiez-vous des enfants sages, autant à cause de ses personnages non conventionnels, voire un peu paumés, que pour le climat de bohème romantique qui le baigne. C’est d’abord le pur bonheur d’être au monde, éprouvé par Kerrie depuis qu’elle a débarqué à San Francisco de son trou de province, à vingt ans et des poussières. Puis, dans la petite ville du sud où elle est revenue après la mort de sa mère, c’est la vie partagée avec Markku le Suédois, passionné d’entomologie et s’éloignant peu à peu, et avec leur fille Lua, très indépendante en dépit de la tendresse qu’elle porte aux siens, et développant une amitié farouche pour Eddy l’ex-junkie. À la mort solitaire de son «vieux pote», Lua connaîtra son premier grand chagrin, entre autres expériences formatrices.
    Au fil d’une narration jouant sur des points de vue alternés, ce premier roman d’apprentissage filtre bien les désarrois et la révolte de l’ado révoltée, avec un regard lucide sur son époque et sa propre génération. Or, l’étonnante maturité de la romancière le dispute à une pétillante fraîcheur, qui fait passer quelques faiblesses et autres facilités juvéniles
    Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages.
    Editions Viviane Hamy, 107p.

  • Ceux qui restent dignes

     PanopticonB779.jpg

     

    Celui qui noue très soigneusement sa cravate dans son logis de sanglier papivore abandonné de tous mais continuant de lire Epicure / Celle qui porte élégamment son costume de prisonnière politique / Ceux qui chipent des bouts de pain de rab à la Soupe populaire sans lâcher leur Livre de poche / Celui qui se lave les dents avec la même vigueur que lorsqu’il était Scout de France genre Signe de Piste et que son éthique personnelle se résumait aux préceptes du père du désert  Charles de Foucauld / Celle qui reste petite fille modèle au milieu des effeuilleuses du Peep Show CuniGuli / Celui qui fait le tour des vioques de sa paroisse en écoutant Gun’s and Roses dans sa Volkswagen vert pistache de diacre à plein temps / Celle qui joue du clavecin dans la chambre de l’autiste / Ceux qui honorent leur particule jusque dans le ruisseau de la rue des Claques / Celui qui  mendie avec le regard plein d’amour intemporel de l’Abbé Zundel à l’instant sacré de l’Eucharistie / Celle qui conserve religieusement le portrait de Walter Benjamin par Gisèle Freund  dans son portefeuille en peau de pis de chamelle que lui a offert son ami Abdou renvoyé tout récemment dans son pays / Ceux qui font contre mauvaise fortune Sentiment Distingué / Celui qui a fait adapter à ses moignons d’artiste victime de la Révolution culturelle des pinceaux lui permettant désormais de peindre comme avec des ailes / Celle qui dit volontiers que ce monde n’est qu’une esquisse qu’il incombe à chacun de parfaire même s’il n’a aucun don reconnu par les Staracadémies / Ceux qui n’ont pas honte de leur mère coiffeuse avec laquelle ils traversent fièrement la rue de l’Université, etc.

     

    Image: Philip Seelen