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Le Bal des Maudits

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Sur les écrivains infréquentables

Armand Robin publia, dans Le Libertaire du 29 novembre 1946, donc en pleine Epuration, une Demande officielle pour obtenir d’être sur toutes les listes noires, et cela relance décidément l’admirative sympathie que m’inspire l’auteur salubre de La fausse parole, dont le courage intellectuel est rappelé dans un article consacré par Jean-Luc Moreau à Dominique de Roux « l’indispensable contemporain », à lire dans la dernière livraison hors-série de La Presse littéraire de Joseph Vebret, intitulée Ecrivains infréquentables et conçue par Juan Asensio avec dix huit auteurs.
Les écrivains, de portée littéraire et de styles très variables et même très inégaux (on oscille entre Pierre Corneille et Renaud Camus, Maurice Barrès et Ivan Illich…), réunis dans cet ensemble aussi substantiel qu’hétéroclite, ne sont guère assimilables à une famille d’esprits repérable, et l’on ne voit d’ailleurs pas en quoi un Witold Gombrowicz ou un Paul Léautaud peuvent être qualifiés de « maudits », alors qu’y manquent un Lucien Rebatet, un Pierre Gripari ou un Albert Caraco, sans parler de Céline dont les pamphlets restent toujours frappés d’opprobre. Dans le même ordre de réserves, on pourrait chipoter sur la première affirmation de Joseph Vebret, dans son introduction, évoquant «des livres qui depuis longtemps auraient dû être de grands classiques de la littérature si leurs auteurs n’avaient rejoint l’arbitraire liste noire des écrivains réputés infréquentables ». Ce dernier critère est hautement variable selon les époques (Céline, maudit dans les années 50, est aujourd’hui en livre de poche, de même que Bloy ou Barrès), et parler de «grands classiques de la littérature à propos de Philippe Muray (excellent essayiste, mais bon...) ou d’André Coûteaux fait tout de même un peu sourire. De même les essais de définition de l’infréquentable comme «révolutionnaire le plus abouti », sous la plume de Juan Asensio, ou le non moins intempestif Eloge du réactionnaire, sous celle d’Ivan Rioufol, en dépit de leurs développements respectifs intéressants, ne parviennent pas à dissiper l'impression générale qu’on se trouve ici dans un fourre-tout d'indéfinissables esprits libres dont le seul dénominateur commun est peut-être le même refus du conformisme intellectuel et la même inadéquation au chic littéraire régnant.
Dans cette perspective non dogmatique, composite voire anarchique, et même s’il y a là-dedans à prendre et à laisser, cela reste une belle et bonne idée que de rassembler ainsi des aperçus sur des œuvres originales et parfois réellement méconnues en dépit de leur valeur, comme celle du très réactionnaire et nons moins éclatant Nicolas Gomez Davila, dont l'illustration fait regretter l’absence d’une présentation égale de Vassily Rozanov, son « cousin » russe… A signaler aussi: quatre lettres de Dominique de Roux, préludant à la publication d’un important choix de lettres chez Fayard ; une lecture, par Olivier Noël, de Maurice G. Dantec, pertinente mais qui me semble faire trop peu de part aux deux grands romans récents de cet indéniable « infréquentable » ; une très épatante défense d'un certain Pierre Corneille signée Sarah Vajda (mais au fait : pas trace d’infréquentable femelle dans l’histoire de la littérature ?), et un hommage à Carl Schmitt taxé de « grand catholique » par Rémi Soulié, entre autres approches de Berlioz, Burke ou Brasillach.
Juan Asensio et Joseph Vebret encourent-il un appel à la Fatwah tel que celui que le magazine Teknikart a lancé contre Dantec ? Je l’espère bien, et je prépare dûment la rédaction de ma Demande officielle pour obtenir le droit de figurer sur la même liste noire…
La Presse littéraire. Hors série no3. Spécial Ecrivains infréquentables. Mars/Avril/Mai 2007. La peinture reproduite en couverture est une oeuvre d'Olivier de Sagazan.

Commentaires

  • Cher Jean-Louis, merci pour cette critique, la première du genre sur cet ensemble effectivement hétéroclite et voulu tel.
    Plusieurs points, d'abord, un, purement factuel : 4 lettres inédites de Dominique de Roux et non pas 5.
    Ensuite, en tant que rédacteur en chef, il m'a fallu tenir compte de plusieurs impératifs : celui des infréquentables (Bernanos, Céline, Sade par exemple) auxquels des n° spéciaux ou de conséquents dossiers avaient déjà été consacrés par La presse littéraire. Inutile, donc, d'en reparler car, vous le savez sans doute, si cela n'avait tenu qu'à moi, j'aurais aimé évoqué le Grand d'Espagne, à mon sens l'auteur le plus infréquentable (et doué) qui soit...
    Ensuite, le fait que d'autres infréquentables n'y figurent point : Caraco par exemple mais aussi, vous l'avez dit, Rebatet auxquels j'aurais pour ma part voulu ajouter Rolfe ou encore Darien. Là encore, je devais faire avec les moyens du bord : en premier lieu, trouver des rédacteurs capables d'écrire sur de tels auteurs et, croyez-moi, cela ne court finalement pas les rues (nul n'a ainsi voulu écrire sur Pound, encore moins sur Rebatet...), en second ne pas dépasser le format imposé de 160 pages, ce qui d'ailleurs m'a contraint à publier dans la Zone (et sur le blog de JV) 4 papiers (Jünger, Maistre, Dumont et Boutang) qui auraient dû trouver leur place dans notre numéro.
    Vous êtes injuste avec le texte de Coûteaux (qui, à l'origine et pour la petite histoire, devait rendre un papier sur Renaud Camus...) : c'est l'un des meilleurs textes de la revue à mes yeux, en tout cas le plus émouvant.
    Vous avez raison quant à ma tentative de définition, en introduction de la revue : mais vos réserves n'est-ce pas sont JUSTEMENT LES MIENNES, qui me font écrire que l'Infréquentable (là encore, thème imposé) est, in fine, un homme libre... Je vous trouve un peu dur à l'égard de cette introduction tout de même car vous passez sous silence sa problématique et les différentes options que j'analyse puis écarte...
    Merci en tous les cas, si nous devions nous retrouver alignés contre le mur des imbéciles à goître, de vouloir figurer sur la même liste que Robin signa jadis, c'est pour moi un honneur...!

  • Caro Juan, Pardon pour Coûteaux: je ne visais pas l'auteur de l'article mais que Joseph Vebret classe André Coûteaux au nombre des grandes oeuvres occultées. Pareil pour Renaud Camus: je ne marche pas. Mais tout ça est un peu vite dit de ma part aussi, et j'ai très bien compris vos choix. En ce qui concerne votre introduction, elle est un programme à soi seule et j'y reviendrai donc. Par ailleurs, j'ai repris la lecture d'American Black Box dont je vais parler dans 24Heures avec la présentation de la revue. Il y a dans ce livre d'extraordinaires pages, et parfois des scories de vrai barjo, une écriture incroyablement relâchée parfois et parfois de haute tenue. Dantec est émouvant jusque dans sa folie, mais il faut prendre le temps de le lire avant de le tuer. Hélas les gens de Technikart sont trop occupés pour lire. Pauvres poètes travaillons, comme disait Cendrars...

  • Cher Jean-Louis, j'attends donc de vous lire.
    Sur Dantec : cette conversation (voir lien) à trois (Samuel Gourio, Bruno Gaultier et Olivier Noël) fait je crois le tour des impressions/critiques/défauts du TdO 3 : elle vous intéressera donc.
    Je partage nombre des réserves que vous dites, ainsi que celles qu'exposent le Transhumain et Systar : il y a des passages magnifiques et remarquables alternant avec des truismes que l'on dirait avoir été écrits par un sous-caporal de l'évidence.
    Reste que Dantec, malgré d'énormes défauts sur lesquels j'insiste depuis mon texte consacré à Villa Vortex, demeure quelques coudées au-dessus des petites productions parisiennes qui n'aiment rien tant que se flatter le nombril...
    Reste encore que son parcours, les questions qu'il pose, sont fascinants.

  • Il me semble que ce sont les ayants-droit de Céline qui refusent la publication des pamphlets. Il n'y a pas censure à proprement parler.

  • Les ayants-droit ne faisant là, a fortiori, que respecter scrupuleusement la volonté de la Ferdine elle-même... Cela-dit, cette auto-mise à l'index est sans doutes liée aux mêmes raisons qui détermineraient une censure automatique si les ayant-droit en question s'avisaient d'outrepasser les volontés de l'auteur. En Union Française Soviétique 2007, les pamphlets tombent clairement sous le coup de la loi Gayssot. Et leur antisémitisme ne souffre en effet aucun doute. Mais il y a le génie littéraire, intact, et l'interêt historique bien sûr. Peut-être qu'un éditeur belge, suisse, françafricain... Je ne sais pas si Céline s'est clairement expliqué sur cette auto-censure. Peut-être a-t-il voulu ne pas donner prise à ses ennemis, de retour du Danemark. Il n'a jamais renié ses pamphlets, au contraire, mais il était mali, et ce n'était pas un chevalier de Destouches là, mais un gros malin qui savait bien où se trouvait son interêt...

  • A ce que m'a dit Henri Godard, qui édite Céline en Pléiade, on devrait passer outre les SMS posthumes de Ferdine et les voeux de Lucette pour publier les pamphlets dans ladite collection, infréquentable s'il en est.... Feuilleton à suivre.

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