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Actualité de Cendrars

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Dernières parutions

L'actualité de Cendrars est relancée ces jours par la publication de quatre livres marquant, du même coup, la fin de la réédition des Oeuvres annotées par Claude Leroy, chez Denoël. Avec les volumes 13, 14 et 15 de cette série s'achève ainsi une édition assortie d'un appareil critique léger. Le dernier volume, reprenant les fameux entretiens de Cendrars avec Michel Manoll, Blaise Cendrars vous parle... illustre parfaitement le travail de mise en perspective de Claude Leroy, qui détaille par exemple les circonstances dans lesquelles ont été réalisés ces entretiens et l'énorme travail de refonte accompli par Cendrars pour le passage de l'oral à l'écrit.

Autre transcription passionnante relevant du même genre: Celle de Qui êtes-vous ?, émission de radio qui rassemble ici, autour de Cendrars, divers interlocuteurs (dont les écrivains Emmanuel Berl et Maurice Clavel) qui s'affairent à pousser le poète dans ses derniers retranchements, d'où il échappe le plus souvent avec des prodiges de malice affabulatrice ou de mauvaise fois. Un certain Dr Martin, jouant les psychanalystes, parvient cependant à le transporter, soudain, sur le terrain de l'absolue sincérité, et tout l'entretien s'en trouve éclairé d'une autre lumière. La pauvre Berl ne semble pas bien comprendre à quelle sorte de vérité se réfère Cendrars, alors que les propos de celui-ci tissent une véritable profession de foi poétique sur fond, quelque peu inattendu, de pessimisme philosophique nourri de Schopenhauer.  

Le continent Cendrars n'a cessé, ces dernières années, de se trouver cartographié par moult diligents chercheurs tous plus ou moins liés au Fonds Cendrars des Archives littéraires suissses. Ces travaux ont nourri, comme elle le révèle d'entrée de jeu, la nouvelle édition de la grande biographie de son père dont Miriam Cendrars avait publié une première mouture en 1984. Monumentale, cette biographie entremêle le récit d'une vie et les innombrables écrits procédant de celle-ci ou la réinventant, d'une manière incessamment créatrice. Fils d'un inventeur raté qui s'inventait déjà tout un monde dans ses palabres de bistrot, le jeune Sauser devenu Cendrars a passé par une multitude d'avatars souvent peu connus, parfois peu glorieux, mais dont l'ensemble constitue bel et bien une légende de la littérature du XXe siècle.   

 

Deux affabulations du poète, rapportées par Claude Roy 

"Blaise Cendrars, quand je le rencontrai, était un vieil homme. Manchot, boucané, la trogne d’un adjudant de la Coloniale qui aurait eu du génie dix minutes avant Apollinaire. La prose du Transsibérien, les Pâques à New-York : mon cœur bat toujours en lisant ces poèmes.

Un grand malheur avait frappé Cendrars : la mort de son fils. Un peu de hargne aussi l’avait atteint, comme un peu de mal-mûri gâte une vieille pomme rouge : Cendrars était, tout compte fait, un célèbre méconnu. Il consolait sa grande peine, et ses petits ressentiments, en fabulant à sa machine à écrire. Un de ses livres d’alors s’intitule Histoires vraies. C’est hâbler dès le titre. Cendrars galopait au large du réel.

Un jour, j’avais été lui rendre visite à Aix-en-Provence. Pendant tout le déjeuner il m’avait parlé du célèbre tableau du Maître de l’Annonciation d’Aix. Je n’avais pas de chance. La toile était justement en voyage. Elle avait quitté l’église de la Madeleine, envoyée il ne savait où pour une de ces expositions temporaires qui font voir du pays aux chefs-d’œuvre. Mais ça ne faisait rien : Cendrars avait exactement le tableau dans l’œil. Il le connaissait comme sa poche. Il l’avait étudié pendant des mois et des mois. Il avait même fait à son sujet des découvertes capitales. Il avait acquis la certitude que l’auteur de cette Annonciation était un de ces satanistes déguisés en peintres pieux qui abondaient au XVè siècle.

Ils camouflaient sous une orthodoxie apparente leurs blasphèmes et leurs défis. La preuve, c’est que le bouquet qui, dans l’Annonciation d’Aix se trouve aux pieds de la Vierge est composé sournoisement de toutes les fleurs chères à Satan, et aux treize mille démons, Séddim, Schirim, Bélial, Belzébuth et leur cohorte sulfureuse.

Le peintre avait rassemblé dans un pot de cuivre la flore de l’enfer : le chardon stérile, la racine de houx, la mandragore, l’iris noir, toutes les fleurs du jardin du mal. Cendrars était intarissable sur ses découvertes. Il les étayait d’une scintillante érudition où les traités de démonologie, les Pères de l’Eglise, les descriptions des théologiens de l’Eglise syriaque, l’Histoire de la Magie en France du bon Garchet et les traités persans d’astrologie venaient à la rescousse.
Après le déjeuner, nous allâmes en flânant jusqu’au Musée, et dans la seconde salle, je tombai sur la toile de l’Annonciation d’Aix. Elle y était accrochée temporairement, parce qu’on faisait des travaux dans l’église de la Madeleine. Je me précipitai sur le bouquet dont Cendrars m’avait entretenu pendant une bonne partie du déjeuner. Pour découvrir que le peintre avait représenté avec autant d’amour que de minutie, non pas les végétaux vénéneux que m’avait décrits le poète, mais (plus innocemment) deux lys blancs, une campanule bleue et une rose rouge.
« Regardez, Cendrars ! » M’écriai-je.
Il se pencha, examina avec un œil stupéfait le bouquet que je lui désignai, se releva avec une expression souveraine d’indignation :
« Ah les salauds !s’écria-t-il : ils ont fait des repeints ! »
L’année suivante, après une journée à Aix en compagnie de Cendrars, il m’emmena boire à la fin de l’après-midi le verre des adieux dans un petit bar du cours Mirabeau. Il ne pouvait m’accompagner jusqu’à la gare, où j’allais prendre le train, mais avait décidé de faire un bout de chemin avec moi.
« Vous avez vu, me dit-il, le patron de ce petit bar devant lequel nous venons de passer ? C’est Charlot, un vieil ami à moi. Ah si nous avions eu le temps, j’aurais aimé que vous bavardiez avec lui ! C’est un personnage étonnant. Il est bistrot, mais il a en même temps la passion de l’archéologie, des vieilles pierres, de l’histoire. Pendant l’occupation, c’est lui qui a organisé l’évasion des résistants de la prison d’Aix. »
« Quelle évasion ? » demandai-je.
« Oh ! tous les journaux en ont parlé. On a même décoré Charlot après la Libération . Il était peut-être le seul aixois à connaître l’existence du souterrain creusé au Moyen Age, un souterrain qui réunissait le Palais de Justice à la place où avaient lieu les exécutions capitales. Charlot a réussi de sa cellule à en trouver le tracé, à creuser au bon endroit pendant des nuits avec ses camarades, et finalement à y faire passer douze personnes avec lui, qui attendaient d’être fusillées par les Allemands. Une nuit, ils ont filé et les Allemands ne les ont jamais rattrapés. »

Je quittai Cendrars, arrivai à la gare, pour m’apercevoir que j’avais raté mon train. Schéhérazade ne donne pas la vertu d’exactitude à ceux qui l’écoutent. J’avais deux heures à tuer en attendant le prochain départ, et je décidai de retourner bavarder avec le nommé Charlot.
Il fut très aimable. Dommage : il n’avait jamais été en prison sous l’occupation. Il n’y avait malheureusement eu aucune évasion de la prison ni du Palais de Justice. Personne n’avait entendu parler du fameux souterrain qui réunissait la Conciergerie à la place des exécutions capitales.
Mais quoi ? Quel mal y avait-il là ? Cendrars avait été heureux deux heures. Je l’avais été avec lui..."

Propos rapportés par Claude Roy in Somme toute, anatomie du mensonge. Paris Gallimard.1976. Page 215-217.
Photo de Robert Doisneau: Blaise Cendrars et les Gitans d'Aix-en-Provence.
Cette citation de Claude Roy a été retrouvée par Bona Mangangu, citée sur son blog (cf liens ci-contre).

Commentaires

  • Merci pour cette note. Blaise, c'est un grand souvenir, un souvenir d'adolescence lorsque je lus pour la première fois Moravagine. Quel choc ! La puissance de l'écriture alliée à la force des images. D'une rare densité et d'une richesse inouïe quant à la narration. Un grand écrivain. Certains l'avait baptisé : le Céline de gauche. Curieuse comparaison car, vraiment, les univers sont si différents et puis… mais bon… je préfère briser là, car le reste c'est une autre histoire qui frappe à la porte de l'Histoire.

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