Quand il nous attrape dans la forêt, nous surprend d’abord la rapidité de sa détente d’animal sauvage. Les contes le représentent souvent comme un grand empêtré, mais il en va de l’ogre comme du loup à l’instant de bondir sur sa proie.
Ensuite seulement vient la douceur, non moins surprenante, de sa pince, puis de sa paume et de son giron velu.
Nous étions ce matin une poignée de bambins dans le décolleté de sa chemise de forestier, où la sueur pleuvait; et d’emblée sa voix moelleuse a calmé nos tremblements de lapereaux. C’était amusant de l’entendre nous supplier de ne pas le chatouiller ainsi, même il alla jusqu’à glousser lorsque le plus hardi d’entre nous s’en vint à lui mordiller un téton; mais alors apparut la masure dans la clairière et nous parvint, enivrant, le fumet du pot-au-feu où tout à l’heure l’ogre nous jetterait tout vifs.
Nous qui n’avons jamais humé que l’odeur rance de la misère, nous croyons découvrir l’odeur du paradis lorsque l’ogre enfin nous dépose, dans sa cuisine où flotte le relent divin, sur la grasse planche où flamboient les couteaux. Cela non plus n’est pas assez connu des conteurs: que l’ogre, dans l’apprêt de ses viandes, soit un être d’une si prévenante délicatesse.