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  • Cathédrale de l'humain

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    Unknown-17.jpegUn roman de Valère Staraselski à découvrir: Les Passagers  de la cathédrale.  

    Un roman du regard, à la croisée du transept, à la voûte de la cathédrale. Ne vous méprenez pas, celle de Meaux, avec les passagers de la cathédrale qui, dans l’après-dire du récit de Valère Staraselski, rappellent l’ultima verba du très beau texte que l’auteur a consacré à Notre-Dame de Paris pour les raisons que le monde entier découvrait, hébété, le 15 avril 2019.

    Des raisons de lire le livre de Valère Staraselski. La première, celle d’accompagner un auteur – romancier de son état puisqu’il signe là son neuvième roman – que l’on a lu précédemment avec cette curiosité qui porte tout élan pour un livre à découvrir, de sorte que naît une proximité, une non-distance, une intimité reconnaissables aux jalons jetés par l’auteur, autant d’amers pour le lecteur naviguant dans le récit dont il tourne les pages.

    La seconde est pour la manière de se laisser cueillir à l’improviste, d’accepter d’être étonné moins par la nouveauté que par la constance avec laquelle un vrai auteur persiste et signe. Car c’est de cela dont je voudrais vous entretenir, moins par réaction de lecture ou compte-rendu, ou paperolles même si depuis Marcel Proust on sait combien elle sont importantes, combien elle participe de la finalité du texte.

    D’une certaine manière, il y a chez tout écrivain un effet palimpseste tout à fait reconnaissable.   On ne saurait lire un roman tel que les passagers de la cathédrale en jetant aux orties, ceux qui l’ont précédé car il faut le dire haut et clair, ce livre s’innerve et palpite effrontément du travail précédent du romancier qui n’a eu de cesse de mettre en mots sa vision du monde et sa visée humaniste – Il est vrai que certains mots ont pu être enfouis au plus profond comme s’il y avait un déshonneur à être profondément humaniste au jour d’aujourd’hui -. N’empêche Valère Staraselski l’est sans se cacher, sans employer des faux-fuyants ou masques, il l’est avec une profonde certitude qui l’aura fait avancer de ces croyances à lui vers celles des autres. J’emploie le mot à dessein pour dire à la fois la finitude de l’homme et l’infinitude de l’écrivain dès lors qu’il s’attèle à se dire lui et à nous dire nous. Car nous sommes dans le livre de Valère Staraselki au travers des cinq personnages rappelés en quatrième de couverture  : Louis, l’ancien fantasque – François, le secret et l’amoureux- Darius, le blessé – Thierry, le Chéri -Bibi affamé et Katiuscia, la lumineuse auxquels j’ajouterai la petite chatte Cannelle. Et voilà qui suffit à faire roman, à dérouler le récit par la méthode Staraselski – car il faut bien que le roman s’écrive, qu’il aille de la première à la dernière page sans autre concession que de nous éclairer comme la lanterne vacillante du poète, - qui toujours va chercher dans ce qui a été écrit précédemment, toujours en rappel, à la cordée des mots et de l’histoire même qui nous est racontée.

    Dès lors le roman décline ses moments, sa temporalité du 28 août 2017 à la Noël 2018, ses rencontres ( celles de François et de Louis, celle de François et de Katiuscia…), les retrouvailles (celles de François et de Darius…), les moments partagés et surtout, surtout, les conversations et les confrontations lors de longues promenades où le monde se décrypte au travers des souvenirs, des expériences, des interrogations, des drames et du tragique, de l’histoire. Valère Staraselki laisse aller sa plume au gré de son sentiment amoureux pour la vie et ses surprises, au fil de ses réflexions et de ses maturations et de son engagement citoyen vers lesquels toute vie d’homme à l’affût du monde, tout esprit en quête de lumière, devraient conduire. La chair, le sang du livre nous sont donc donnés et il y a dans ce roman des emportements et des apaisements, des douleurs et des joies, tous ces contraires qui profilent l’âme humaine, en connaissance de cause pour certains, en méconnaissance absolue pour d’autres. Mais le romancier est habile à nous conduire vers les chemins qu’il ouvre devant nous, lecteurs. Ceux de la pensée, de la spiritualité consenties nous faisant faire un pas après l’autre, nous mettant en marche vers l’autre, tous les autres. Et voilà que dans la nef des fous car toute cathédrale est folie si l’on songe aux bâtisseurs d’antan, il nous échoie de se laisser prendre par la main et qu’importe alors nos aptitudes à croire ou à ne pas croire lorsque le romancier fait entendre sa controverse de Meaux, n’oublie pas ceux qui sont tombés avant nous, effacés d’eux-mêmes comme Brice Beaulieu ou ceux que l’oppression a biffé d’un seul trait en des temps qu’on disait noirs, c’était hier et c’est toujours aujourd’hui que cela se passe, que les atteintes à la dignité et à la vie de l’homme et au vivant restent assourdissantes, que la nature n’en peut mais d’être toujours aussi attaquée, lacérée, meurtrie en dépit des alertes généralisées réitérées année après année. De cette surdité caractérisée sourd une volonté pour retrouver du sens, accorder son attention, se raccorder aux autres comme une ultime possibilité d’une île où l’harmonie, qui sait, deviendrait maison commune.

    Ainsi nous allons de territoire en territoire dans une géographie dessinée par des instants de solitude et des moments partagés, Meaux et sa cathédrale, Meaux et son canal, Paris et sa gare de l’est, Paris et son institut médico-légal, Paris et ses environs avec le cimetière de Thiais, où il est question de quais et de transiliens et des morts dans la rue et des animaux martyrisés. Nous devenons les passagers du roman de Valère Staraselki et, à notre tour, nous nous joignons à ces belles âmes dont il parle en dépit des horreurs qui toujours remontent à l’esprit simple, l’anéantissent. Un roman qui interroge tout à la fois l’action et le recueillement, la perspective à redonner et à partager, en communion presque : « En cette fin d’après-midi automnale d’une inhabituelle douceur, Thierry puis François, à sa suite, avaient imité Louis, qui venait tout juste de s’accouder au parapet. Tous les trois étaient postés là, en cet endroit du quai Jacques-Prévert, à mi-chemin entre le Pont-neuf et le vieux pont du marché. Leurs rares gestes étaient alentis par la fatigue. Une longue promenade dans le parc aux miroirs d’eau du Pâtis les avait exténués. La nature y était si prenante qu’ils avaient fait « le grand tour ». A présent leur regards erraient sur la surface miroitante de la Marne. Ils demeuraient à offrir leurs visages aux caresses de la brise vespérale afin qu’elle sèche leur sueur. Puis relevant la tête d’un même mouvement, tous les trois semblèrent mesurer la hauteur des grands arbres de l’autre rive, là où le soleil dispensait une belle couleur jaune orangé sur les façades des immeubles. »

    Avec la soirée de Noël, la messe de minuit, Valère Staraselski nous assoit dans les travées de la cathédrale de Meaux, il opère une ultime liturgie, pour se convaincre et nous convaincre que la foi en Dieu pour le croyant, que la foi en l’homme pour celui qui n’y croyait pas, nous relèvent les uns et les autres de nos erreurs, de nos fautes, de nos… péchés pour peu que l’alliance sacrée des textes bibliques ou l’entente cordiale entre les hommes naissent indifféremment dans les cœurs, pour que l’inatteignable se rapproche à portée des mains implorantes, sans doute, mais ouverte, sacrément ouvertes aux autres et que la conscience soit. « Il n’écoutait plus rien de la messe, le vieux Louis, ça défilait dans sa tête. Plus ou moins vite, plus ou moins lentement. Une tension… Quelque chose qui n’était pas l’absolu, mais qui prétendait à l’infini. Ce vers quoi tendaient tant d’êtres, en premier lieu les adeptes d’une religion, comme les artistes qui appartenaient eux aussi à la race des croyants. Quelque chose à la fois d’inatteignable et qui se trouvait pourtant à la portée de tous. »

    Francis Vladimir

    Valère Staraselski. Les Passagers de la cathédrale . Au Cherche midi, 2025 , 245p.

     

  • Sauvée par la Beauté

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    art,littératureRENCONTRE Dans Passagère du silence, Fabienne Verdier raconte son apprentissage du grand art de la Chine, au prix d'inimaginables difficultés.
    Le rayonnement de certains êtres, par leur œuvre ou par leur simple présence, semble procéder d'une sorte de grâce, et c'est ce qui saisit précisément à l'approche de la peinture autant que de la personne de Fabienne Verdier, dont il émane la même lumière comme traversée de souffle vital. Rien pour autant de l'angélique suavité dans cette aura, ni de flatteur ou de seulement talentueux dans la beauté foudroyante de l'œuvre révélée par L'unique trait de pinceau, dont nous découvrons aujourd'hui de quelle longue et parfois très douloureuse initiation cet art magistral marque l'accomplissement, alors même que Fabienne Verdier se dit toujours et encore, avec son mélange de complète humilité et de malice joyeuse, « une apprentie » ...
    Belle façon de rappeler ce qu'elle doit aux derniers maîtres humiliés et offensés de la Chine millénaire, dont l'héritage a été vilipendé par l'atroce Révolution culturelle de Mao, et auprès desquels elle a acquis en dix années très difficiles, et très belles aussi, les bases de l'art de la calligraphie, intimement mêlé à la tradition poétique et à la pensée chinoises. C'est d'ailleurs en hommage à ces grands lettrés, traités comme des gueux par les apparatchiks communistes, que « Mademoiselle Fa », ainsi que l'appelait l'un d'eux, a laissé ses pinceaux une année durant pour raconter son initiation dans un récit bouleversant d'humanité paru récemment sous le titre de Passagère du silence.
    b6b9bece8c5f8d34422fdbd0f58455c3.jpgAu chemin de la Dame
    Le temps d'une heure dérobée à sa tournée de promotion (une démarche qui lui sied aussi bien qu'un dentier à une crevette), une rencontre éclair avec Fabienne Verdier nous aura du moins permis de vivre, comme hors du temps, ce bonheur rarissime d'un partage immédiat de l'émerveillement que pouvaient inspirer, ce jour-là d'arrière-automne tissé de gris suprêmes et d'airs légers, les soies aux multiples bleus du lac et des monts de Savoie découverts du chemin de la Dame, cette étroite arête aux à-pics surplombant les vignes et l'eau et finissant dans l'entrelacs de ruelles de Rivaz. Or à chaque instant de cette balade, comme un enfant découvrant le monde au matin ou comme le poète chinois ivre au bord de l'étang nocturne plein de scintillements d'étoiles, Fabienne Verdier n'aura cessé de s'exclamer gaiement: « Mais regardez ci, mais regardez ça, mais quelle beauté !»

    Et de se rappeler tout haut les premières montagnes contemplées en son adolescence finissante, dans la maison de pierre de
    son père sculpteur, au pied des Pyrénées, où deux ans durant il l'aida à éprouver durement, entre pigments broyés et travaux à la vigne, sa vocation d'artiste. Puis d'évoquer la retraite actuelle de son vieux maître Huang Yuan où elle a demandé à un ami d'aller prendre de ses nouvelles: « C'est pour m'enguirlander, une fois de plus, qu'il m'a fait savoir, du fin fond de ses montagnes du Sichuan, que j'étais bien écervelée de m'inquiéter de sa santé alors qu'il est tout occupé à devenir immortel !»


    Une ardente exigence


    Au naturel, dans les gestes de sa peinture ou dans l'acte de mémoire que représente Passagère du silence, Fabienne Verdier en impose par le même mélange de spontanéité et de présence concentrée, d'extrême sensibilité et de force acquise au fil d'épreuves dont on dirait qu'elle a sciemment recherché les plus dures.
    « A 20 ans, explique-t-elle, pour pallier la vacuité prétentieuse d'une certaine ambiance avant-gardiste, et plus précisément l'incurie d'une Ecole des beaux-arts où l'on n'apprenait plus rien et que j'ai vécue comme un cauchemar, je me suis mise à étudier le chinois après avoir découvert les livres de François Cheng sur l'art et la pensée taoïstes, dans lesquels je me suis sentie en harmonie et qui m'ont fait pressentir une échappée de ce côté-là. »

    art,littérature
    Ce que la jeune femme ne pouvait imaginer, évidemment, c'est que la voie la conduisant à l'antique civilisation chinoise constituerait un véritable chemin de croix dont la première station se situerait à Karachi, où elle serait violentée et abusée par une bande de brutes. Dès son arrivée en 1983 à Chongqing, dans le Sichuan, la candide boursière allait en outre se trouver confrontée aux rigueurs du système communiste et aux séquelles encore sensibles de la Révolution culturelle. Cloîtrée dans une piètre pièce à néon et paillasse à la porte de laquelle un dazibao interdisait à ses condisciples de « déranger l'étrangère » sous peine de graves mesures punitives, surveillée et censée ingurgiter le pire académisme, au milieu de 2000 étudiants encasernés aux gamelles numérotées, elle s'obstina cependant à penser que les gardes rouges n'avaient pas tout éradiqué et qu'il restait quelque part quelque maître à débusquer. Par l'entremise d'un jeune artiste insoumis dont elle ne manqua pas de tomber ensuite amoureuse, elle finit ainsi par rencontrer un vieux peintre et calligraphe taoïste du nom de Huang Yuan, qui commença par lui faire valoir qu'une étrangère, femme qui plus est, ne pourrait jamais suivre l'enseignement d'un maître chinois, proscrit de surcroît !
    Le b. a.-ba du bâtonnet ...
    Têtue comme une chèvre tibétaine, l'aspirante calligraphe allait cependant déposer, six mois durant, ses rouleaux de calligraphe à la porte du maître qui, bientôt convaincu de ses dispositions, la défia un jour en ces termes: soit dix ans à mon école, soit des nèfles ! Or ce sont ces années d'enseignement à la fois artistique et humain, essentiellement fondé sur le non-dit et brutalement interrompu par les troubles de 1989, que Fabienne Verdier raconte au fil de Passagère du silence. D'un premier stage auprès du maître graveur de sceaux Cheng Jun, qui se fit couper une main par les gardes rouges, aux exercices basiques de la calligraphie (des milliers de bâtonnets à aligner jusqu'à les rendre vivants et vibrants ...) ordonnés par Huang Yuan, la jeune artiste allait progressivement acquérir plus qu'un métier: une connaissance nouvelle et globale engageant sa main-esprit et la préparant à un art libéré de toute contrainte apparente à proportion de la contrainte matérielle affrontée.

     

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    Au cours de ces années, la vie quotidienne et les hommes n'auront cessé de faire ressentir le « poids du monde » à Fabienne Verdier, qui raconte aussi les révoltes étudiantes et quelques voyages au Tibet ou chez les minorités malmenées par les Chinois, tels les Yi. Par ailleurs, autre épisode haut en couleur, elle évoque sa participation à la mise sur pied de la tournée des bateliers-chanteurs du Yang-tseukiang accueillis au Festival d'Avignon en 1987.

    Frappée à deux reprises par de graves maladies, dont elle subit aujourd'hui encore les atteintes, Fabienne Verdier a également échappé à l'enlisement existentiel du fonctionnariat, dans des circonstances assez cocasses. Alors qu'elle travaillait momentanément à l'ambassade de France à Pékin, elle fut ainsi « rattrapée » par son maître Huang Yuan, venu spécialement du Sichuan pour la houspiller et lui signifier que, tonnerre, il ne lui avait pas prodigué son enseignement pour qu'elle finisse aussi lamentablement ! Se le tenant pour dit, elle interrompit sa carrière de conseillère culturelle et se consacre exclusivement désormais, dans son ermitage d'Ile-de-France, auprès du mari sinophile qu'elle a rencontré à Pékin et de leur fils, à sa passion pour la peinture et à la beauté qui, répètet-elle en son sourire radieux, l'aura finalement sauvée.

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    Fabienne Verdier. Passagère du silence. Albin Michel, 292 pp. Pour mémoire: L'unique trait de pinceau. Calligraphie, peinture et pensée chinoise. Albin Michel, 175 pp.