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  • Adieu l'ami, à la mort à la vie...

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    3361509495.2.jpg(Dernier salamalec à Rafik Ben Salah)
    À La Désirade, ce vendredi 18 octobre. - La nouvelle m’est arrivée hier soir par le réseau social, que j’ai prise comme un double reproche, à lui autant qu’à moi.
    Rafik mort, non mais des fois, nous faire ça ! Rafik se barrer sans crier gare, alors que je m’apprêtais à le relancer après des années d’éloignement involontaire comme il s’en fait dans «la vie» pour aucune bonne ou mauvaise raison, après avoir retrouvé, l’autre jour, dans la bibliothèque de Lady L. qui les avait beaucoup appréciés, La prophétie du chameau, Le Harem en péril et son impayable histoire de Gayoum Ben Tell, découverts bien avant notre périple en commun de juillet 2011, dans l’effervescence de la « révolution du jasmin », où nous avions partagé, avec les siens, entre Tunis et son bourg natal de Moknine, des espérances aussi vives que fragiles – lui-même en voyant surtout la fragilité, plus que son frère Hafhed le futur ministre…
    Rafik barré, alors que nous aurions eu, ces derniers temps d’horreur, à propos de son pays et de son étrange nouveau despote, mais plus encore sur l’affreuse guerre relancée au nom des intégrismes qu’il exécrait, tant de choses à nous dire, Rafik dont je me rappelle soudain, les yeux tournés à l’instant vers le temps affreux de ce matin - pluie et brouillard sur les ors et les pourpres des arbres d’automne où la vie continue dans un insolant tourbillon d’oiseaux -, que c’est à la « cérémonie de lumière » marquant les adieux à Lady L. que remonte notre dernière rencontre, le 20 décembre 2021, Rafik tout désolé, et moi donc ce matin…
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    Unknown-1.jpegPour mémoire, sur le ton qui s'impose...
    Rafik Ben Salah était un auteur d’origine tunisienne, venu en Suisse via la Sorbonne et établi dans le bourg de Moudon, dans le canton de Vaud, où il avait enseigné, signant en outre de nombreux livres qui lui avaient valu, parfois des menaces de mort de la part de ses compatriotes.
    Neveu d’un ancien ministre de Bourguiba qu’Edgar Faure disait « ministre de tout », et qui avait été chassé avant d’échapper de justesse à la peine de mort, Rafik avait commencé par aborder la politique dictatoriale menée en Tunisie, dans ses deux premiers livres (Lettres scellées au Président, puis La prophétie du chameau), avant de traiter plus largement de ses répercussions sur la vie quotidienne, et notamment en décrivant la vie des femmes par le détail, dans Le harem en péril, Récits de Tunisie ou La mort du Sid.
    L'écrivain avait vu de près ce que l’homme fort de la Tunisie avait fait de ceux « dont le rôle serait d’agir », puisque sa propre maison fut surveillée pendant des mois, avant que des pressions extérieures n’obtiennent la commutation de la peine de mort prévue pour son oncle en travaux forcés…
    Rafik Ben Salah parlait de l’analphabétisme de sa mère, qui a été sciemment maintenu du vivant de son grand-père, après la mort duquel les tantes plus jeunes de l’écrivain s'étaient lancées dans les études. «Mais que font-elles donc à l’école ? » demandait la mère de Rafik. Et d’évoquer son rôle d'écrivain, consistant à donner une voix à tous ceux qui en étaient privés, et à trouver une langue particulière pour traduire le « sabir » de ceux qui ne peuvent s’exprimer autrement.
    Les livres de Rafik Ben Salah étaient truffés de ces «détails» qui n’ont rien à voir ni avec la couleur locale ni avec ces clichés dramatiques dont les médias font usage, diluant le sens dans le cliché. La peinture de la société arabo-islamique à laquelle se livrait Rafik Ben Salah n’était en rien une caricature faite pour plaire aux Occidentaux, pas plus qu’elle ne visait à édulcorer la réalité ou à prouver quoi que ce soit.
    Tant dans ses romans que ses nouvelles, l’écrivain restituait la vie même, comme s’y emploient les nouvelles de Tchékhov, avec une frise de personnages qui sont nos frères humains au même titre que les personnages des Egyptiens Naguib Mahfouz ou Albert Cossery.
    Avec Le Harem en péril, que je l'ai vu présenter aux étudiants de la Manouba, en conteur savoureux, mais développant aussi de féroces observations sur la société dont il était issu, et notamment sur la condition de la femme et la régression obscurantiste, l’écrivain nous avait captivés avec dix nouvelles également marquées au sceau de la vitalité et de l’authenticité, à commencer par l’insoutenable premier récit (La viande morte) des atroces souffrances endurées par Selma, atteinte d’une tumeur et que les siens accusent d’avoir « fauté » parce que son ventre gonfle. La vie, toujours, la vie belle et cruelle, la putain de vie qui vient de nous priver d'un ami...
    (La plupart des ouvrages de Rafik Ben Salah ont été publiés par les éditions L'Age d'Homme)