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  • Au printemps retrouvé

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    « Moi, c’était autre chose que j’avais à écrire... » (M.P., Le Temps retrouvé)
     
     
    (Pour Mario Martín Gijón)
    Tu te demandes si le Temps
    restera quelque part,
    et si des années écoulées
    dans l’océan, là-bas,
    où des ombres sombres remuent
    un chant relèvera
    dont tu ne sais ni d’où il vient
    ni où il portera...
     
    La pluie, en ce matin de guerre,
    lave les mains salies
    en ce monde tant avili
    par vous, par nous, par tous,
    des enfants qui n’en peuvent rien -
    la pluie, le vent, le Temps, la mer...
     
    À présent te ravit ,petit,
    à la fin de ce jour,
    confiné dans la tour
    des illusions toujours fécondes -
    à la fenêtre du passé,
    petit , cette fraîcheur
    de nouvelle saison,
    tu la reçois pour la donner...
     
    (Peinture: Rembrandt, Titus)

  • Ceux qui ne sont pas racistes, mais...

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    (À mes amis Bona et Michaël)
     
    Celui qui reconnaît que certains Juifs ont parfois du mérite / Celle qui tolère les homos pour autant qu’ils fassent ça entre eux / Ceux qui ont toujours dit qu’il fallait se méfier des Russes / Celui qui explique à Monique que les Noirs c’est les Noirs et qu’il n’a rien contre / Celle qui estime que les Tessinois gagnent à être connus / Ceux qui ont un chiffon spécial pour désinfecter les caddies du centre commercial accessible à tous / Celui qui exige de voir le certificat de vaccination de l’Ukrainienne accueillie par sa bru polonaise / Celle qui renverse la vieille exilée à la sortie de l’ascenseur et saute dans l’Alfa de son mec sans se retourner / Ceux qui se demandent ce que fout la vieille exilée par terre / Celui qui dit à la vieille exilée que mendier à plat ventre devant l’ascenseur d’un immeuble de standing ne se fait pas dans ce pays où les Russes n’auraient pas l’idée de se risquer / Celle qui se douche chaque fois qu’un basané s’assied à côté d’elle dans le bus / Ceux qui rappellent à leurs partenaires de golf que pour la tolérance il y a des maisons, etc.
     
    Peinture: Banksy, accusé de racisme pour cette image...

  • Elégie au bonheur des tristes

     
    «Ne me secouez pas, je suis plein de larmes» (Henri Calet, Peau d'ours)
     
    Les vagues de chagrin remontent,
    on ne sait d’où ça vient,
    on ne sait ce que ça raconte
    de malheur enfantin...
     
    Tu te tiens droit sur ta douceur,
    la vieille dans son train,
    l’air égaré, retient ses pleurs,
    et le dieu pharmacien
    faillit à peser la douleur...
     
    La tristesse est océanique,
    dormeuse aux yeux ouverts
    ou déchaînée en jeux pervers,
    insensible aux suppliques ...
     
    Le chagrin n’a fait que passer,
    et les ailes brisées
    tu restes, en ta mélancolie,
    à chanter sa beauté...
     
     
    (Peinture: Hugo Simberg, L'ange blessé, 1903)

  • Ceux qui sont au-dessus de ça

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    Celui qui prend l’avis du plasticien John Armleder pour la déco de son caisson de détente spirituelle / Celle qui estime que « la guerre c’est la beauté » / Ceux qui savent que la vraie beauté de la top model est tout intérieure / Celui qui sait que l’éthique sans réseau solide ne peut pas gagner / Celle qui porte un string griffé Lucio Fontana / Ceux qui se sentent très libre de dire ce qu’ils pensent de la finance internationale sur la Hotline de l’Entreprise en tout cas sous pseudo / Celui qui se fait un plan Q à Shanghai / Celle qui se sent au bord de céder au requin bleu sosie de Brad Pittt à la chinoise / Ceux qui n’en reviennent pas de se retrouver au top sans avoir rien fait / Celui qui banque sans provision / Celle qui se la joue Boni and Cash / Ceux qui briguent le leadership du produit structuré du New Market Show de Pudong / Celui qui s’identifie à l’Entreprise au niveau des gains et profits / Celle qu’on appelle la Tueuse du Panier / Ceux qui ont repéré ze place to be / Celui qui vit en phase avec le nasdaq et le yen renforcé / Celle qui pense « primes » depuis sa période Pampers / Ceux qui se définissent plutôt comme facilitateurs qu’en tant que chasseurs-cueilleurs du Bund / Celui qui vit le stress post-traumatique du trader trahi / Celle qui gère de grosses fortunes sans prendre un gramme / Ceux qui se réclament de la Bible pour justifier leur fortune bien vue du Copilote selon Billy Graham / Celui qui a connu Soros à Davos et Madoff à Rostov / Celle que Paulo Coelho appelle l’Alchimiste de ses placements / Ceux dont une menace d’enlèvement marque l’entrée en Bourse / Celui qui ouvre son coffre pour aérer son Titien / Celle qui a épouse un banquier sans visage TBM / Ceux qui citent parfois le Che pour flatter les actionnaires / Celui qui est prêt à investir dans le recyclage des organes sains mais hors de Suisse et par firme-écran à Singapour / Celle qui gagne un million de dollars à l’émission Cash or Clash pendant que sa mère boursicote sur son Atari hors d’âge et que son père grappille des peanuts à Wall Street / Ceux qui estiment que quelque part un Bonus justifie une vie / Celui qui est devenu banquier à vie vers trois ans sur cooptation des Pontet de Sous-Garde réunis à Courchevel / Celle qui ne voit pas d’un bon œil l’imam pissant le dinar / Ceux qui répètent au téléphone qu’ils sont armateurs et non arnaqueurs / Celui qui dépose toutes ses économies à la Banque qui lui signe un reçu hélas oublié dans le tram / Celle qui pense que c’est dans la nature humaine de vouloir gagner toujours plus alors qu’elle même n’a jamais été intéressée mais ça aussi tient à la nature humaine vous savez quand on y pense / Ceux qui décident parce qu’il paient et cesseront de payer sans le décider, etc.
     
    Peinture: Robert Indermaur.

  • Sauteries du bel âge

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    Pauline au bal est si légère
    qu’elle a l’air d’une balle
    jetée là-bas de bras en bras,
    comme de salle en salle,
    grisée par les regards glissés
    sur ses épaules dénudées
    qui tournoient dans le ciel...
     
    Pauline et sa jambe de bois
    marquent bien les syncopes
    de la valse ou du cha-cha-cha;
    son cigare étincelle
    à sa main qui n’a que trois doigts,
    et pas une de celles
    qui lui dénient son charme exquis
    ne sait boiter comme elle...
     
    Pauline est ces jours à l’hosto:
    il faut bien réparer
    les beaux restes de ses vieux os
    qui déjà s’impatientent
    de tâcher de ses talons hauts
    à remonter la pente...
     
    Pauline danse au bord du ciel
    en pure silhouette,
    nous rappelant toutes les fêtes
    de nos plaisirs véniels,
    quand de nos pieds de pélicans,
    palmés et juvéniles,
    nous faisions la pige à Satan...
     
    Lors Pauline indocile,
    au milieu de tant de liesse
    marquait déjà le pas,
    le tempo et le mouvement,
    le déhanché de chaque fesse,
    au bal des débutants...
     
    (Peinture: Hans Bellmer)

  • Philippe Delerm parle de New York mieux que s’il y avait mis les pieds…

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    images-1.jpegDans New York sans New York, son dernier recueil de proses impressionnistes, souvent délectables et toujours intéressantes à de multiples égards, l’écrivain minimaliste défend l’idée qu’on peut voyager autour de sa chambre, ou sur le tapis magique de sa table de travail, aussi bien qu’aux ordres d’un Tour Operator pressé ou stressé. Foison d’évocations qui parleront à celles et ceux qui ont goûté à la Grande Pomme en 3D, autant qu’aux autres qui partageront les rêveries nomades de l’auteur.
    À untel qui lui demandait s’il avait vraiment pris le Transsibérien dont sa fameuse Prose restitue le prodigieux tagadam, Blaise Cendrars répondait : « Et qu’est-ce que cela peut te fiche que je l’aie pris, si mon poème te l’a fait prendre ? ».
    A contrario, l’on pourrait se demander, en ces temps de voyages organisés où des touristes attroupés «font» la Thaïlande après avoir «fait» le tour des Cyclades, traversé le Bhoutan et le Bantoustan, ou multiplié les selfies devant les ruines de Louxor ou d’Angkor, ce que ces braves toutous ont retenu de leurs pérégrinations organisées et ce qu’ils peuvent en dire ?
     
    Or qu’avez-vous à dire , vous qui y êtes allés, une fois ou plein de fois, de ce que Philippe Delerm taxe de «ville des villes» , qu’on appelle aussi la Grande Pomme ou Paul Morand, qui l’évoqua superbement en son temps, la « ville debout » ?
    La question n’a rien d’inquisitorial, ce n’est affaire ni de snobisme ni de «branchitude» à la page, mais il est vrai que l’aura de New York, autant que la réalité magnétique de cette ville, la majesté flamboyante de cette forêt de pierre et de verre reste sans pareille au monde malgré Paris et Londres, Berlin ou Tokyo, sans parler des foisons d’entités urbaines nouvelles, de Chine ou des émirats, etc.
    Mais est-il vraiment nécessaire d’être allé à New York pour en parler ? L’auteur de New York sans New York prouve que non. Et que vous y ayez déambulé ou pas, ce qu’il en dit vous parlera (ou pas) tout autant, chacune et chacun se trouvant en somme invité à visiter sa propre Amérique rêvée – étant admis que New York représente ici l’Amérique…
     
    La skyline comme un rêve à fleur de ciel
    Le meilleure de l’écriture de Philippe Delerm est d’un poète, en cela que le propre de ses mots, concentré de sens et de musique, est de suggérer autant que de signifier, par le truchement de l’évocation; et c’est par ce biais de l’évocation que, personnellement, je me suis retrouvé à New York comme la première fois – la première fois que m’est apparue, aux premières lueurs d’un jour d’hiver glacial, la skyline de New York, constituant précisément la première image du présent livre : cette ligne de crête des buildings de New York se découpant sur le fond du ciel - et pour moi c’était, arrivant une nuit de janvier 1981 de Washington dans un bus de la compagnie Greyound (à l’enseigne du Lévrier), émergeant du sommeil, la découverte soudaine de cette inimaginable image, à la fois délicate comme un papier découpé et massive comme une muraille crénelée - putain c’est ça New York ! De Dieu le rêve !
    Faisant écho au mot skyline, évoquant la chose et sa ligne «dessinée d’un graphisme parfait unissant tous les décalages », « si immobile avec en soi la folie de tous les mouvements», les skyboys apparaîtront plus tard dans la suite des variations de l’écrivain affirmant que « la course au ciel a tenu une grande place dans l’imaginaire new yorkais », se référant alors à une photographie célèbre de onze laveurs de carreaux des gratte-ciel (dont on dit que beaucoup sont d’origine indienne) assis sur une poutre métallique comme pour dire autrement la beauté de la chose n’excluant pas (en sous-entendu) l’exploitation des travailleurs, etc.
    À partir des mots et des images - mots et images de nos livres d’enfants -, et plus tard des disques et des films de son adolescence et de nos âges successifs, Philippe Delerm reconstruit pour ainsi dire sa ville qui est aussi la nôtre, où résonnent le « son du silence » de Simon and Garfunkel (avec la fourre d’un microsillon qui annonce déjà la couleur) autant que les balades de Dylan lui rappelant La fureur de vivre de James Dean et donc l’Actors studio et la bohème new yorkaise ; et défilent alors les écrivains et les illustrateurs, de Paul Auster ou Jerome Charyn à Jean-Jacques Sempé et Raymond Depardon, ou bien encore au Dickens conférencier remplissant des auditoires géants d’un public fanatisé par ses prestations de lecteur-acteur mimant Pickwick & Co – de magnifique pages sur cet immense auteur trop peu considéré ou ramené à un romancier pour kids – et au Melville de Bartleby, idéal anti-héros de Wall Street cher à toutes les âmes pures qui « préfèrent ne pas »…
     
    Et la vie là-dedans ? À chacun de l'ajouter !
    Pas trop exclusivement livresque ou «cultureux» tout cela ? Pas trop «second hand» avec ses renvois obligés non moins que fervents à la genèse et aux avatars de West Side Story (dont l’origine du projet remonte à 1947) ou aux films de Woody Allen, entre tant d’autres références à la fois littéraires et cinématographiques, musicales ou photographiques, sans compter le détail des lieux, rues et cafés, établissements mythiques et autres emblèmes de la new-yorkitude ?
    À ces éventuelles objections, Philippe Delerm répond lui-même en pointant ce qui lui «manque», à savoir la rumeur particulière et les odeurs de New York, et chaque visiteur de la Big Apple ajoutera que telle ou telle chose «manque» à ce livre dont le projet ne se veut, à vrai dire aucunement exhaustif .
    «Si je fantasme New York au point de me refuser à m’y rendre, précise encore Delerm, c’est beaucoup pour garder le New York que j’aime. Celui de Woody Allen ». Donc celui d’une certaine « géopoésie » affective de New York, avec « l’effervescence palpitante de Woody Allen ».
    Ce qui n’exclut aucunement, cela va sans dire, votre New York, qui est peut-être celui de Tom Wolfe (1930-2018), l’auteur du Bûcher des vanités préludant au New York de Bret Easton Ellis dans American psycho, ou « mon » New York qui serait plutôt celui de Thomas Wolfe (1900-1930), dont les nouvelles de De la mort au matin constituent, entre autres, la plus fascinante évocation, épique et lyrique à la fois, de cette ville-monde - enfin comment ne pas voir que ce New York sans New York a le mérite majeur de célébrer la porosité sensible par excellence et l’attention aux choses, si belles parfois d’être vues de loin, désirées ou caressées en rêve.
    « Les images de New York me sont venues tout au long des années », conclut Philippe Delerm. « Mais pour le mot, l’idée, j’ai souhaité garder la distance. Il y a tant d’occasions d’être infidèle à son esprit d’enfance. Je n’ai pas voulu celle-là ».
    Et pour la rumeur qui se faisait entendre ce matin-là aux fenêtres de la vieille bâtisse de Brooklyn Heights où, jeune fille délaissée ou vieille Russe exilée, vous regardiez la pluie tomber sur les eaux du fleuve, ou pour l’odeur de cette ruelle pourrie des abords de la Bowery dans laquelle, ce matin glacial, revenant de Staten Island où tu avais voulu voir la «ville debout» telle qu’elle était apparue aux migrants européens du début du XXe siècle, tu t’étais retrouvé au milieu des mendiants et des junkies, comment en dire la réalité sans trahir les choses par nos pauvres mots ?
    Philippe Delerm, New York sans New York. Editions du Seuil, 199p. 2022.