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  • Devant la guerre

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    Le Temps accordé (Lectures du monde, 2019-2022)
     
    À la Maison bleue, ce mercredi 9 mars. – Peu bien, ce matin, ou plus exactement : pas bien du tout, au point que, titubant sur mes jambes soudain sans force dans le jardin public souillé par la merde des autres, et ramassant celle de Morning Dog comme chaque soir et chaque matin, j’ai cru que j’allais y passer comme on dit, avec une très forte oppression au thorax me rappelant que mon souffle au cœur est une épée de Damoclès (le « souffle de l’épée », ça ne s’invente pas que dans le romans pour ados), une douleur intercostale lancinante, l’impression que mon corps foutait le camp je ne sais où (la chose me rappelant ce jour de décembre passé où Lady L. me disait que son corps glissait hors d’elle…), les jambes se dérobant et l’esprit protestant : mais non, Ma Noire Dame, c’est un peu tôt, faites pas ça à mes enfants et aux petits lascars, et putain je n’ai pas tout à fait fini mes choses, etc.
    Sur quoi je suis redescendu à la Maison bleue, j’ai nourri les pigeons de l’arrière–cour (la nuée bruissante chaque fois de leurs ailes jusqu’à la fenêtre ouverte de la cuisine qu’ils ont repérée désormais), je me suis tiré un verre d’eau pure additionné de Paracetamol avant de passer à mes douze médocs matinaux, et déjà je me sentais un peu moins au bord de la tombe que tout à l’heure, sur quoi j’ai pensé aux Ukrainiens, l’expression DEVANT LA GUERRE m’est revenue, je me suis rappelé tel jour à Dubrovnik sous le soleil zénithal de midi, quand les reporters allemands m’ont amené sur les champs dominant la ville encore fumants d’obus matinaux, j’ai ouvert le Matin Dimanche volé hier soir à L’Oasis et je suis tombé sur la Lettre ouverte de Mikhaïl Chichkchine (notre rencontre de je ne sais plus quelle année me restant toujours très présente, autant que les récits persos de son dernier livre), et voilà que la vie remonte, la vie me revient, l’urgence de vivre me revient, talonné que je suis par Lady L. qui m’a enjoint de m’occuper de nos petits lascars après qu’elle a enjoint nos filles et leurs mecs de s’occuper du vieux gamin foldingue…
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    Quant à ce que dit Mikhaïl Chichkine de la guerre et de la littérature, j'y souscris si pleinement que, les larmes aux yeux, je le recopie et le balance sur Facebook et sur mes divers autres blogs, retenant ceci que j'aurai pu écrire:
    "Que peut un écrivain ? La seule chose en son pouvoir est de parler clairement. Se taire, c'est soutenir l'agresseur. Au 19e siècle, les Polonais révoltés se sont battus contre le tsarisme, "pour votre et notre liberté". À présent, les Ukrainiens se battent contre l'armée de Poutine, pour votre et notre liberté. Ils défendent non seulement leur dignité humaine mais la dignité de toute l'humanité. L'Ukraine, en ce moment, est en train de défendre notre liberté et notre dignité. Nous devons l'aider autant que nous le pouvons.
    Le crime de ce régime, c'est aussi que la marque de l'infamie retombe sur tout le pays. La Russie aujourd'hui est assimilée non à la littérature et à la musique russes, mais aux enfants sous les bombes.
    Le crime de Poutine, c'est d'avoir empoisonné les gens avec la haine. Poutine partira, mais la douleur et la haine peuvent rester longtemps dans les coeurs. Et seuls l'art, la littérature, la culture pour aider à surmonter ce traumatisme. Le dictateur, tôt ou tard, termine sa vie misérable et inutile, et la culture continue : ainsi en a-t-il toujours été, ainsi en sera-t-il après Poutine.
    La littérature ne doit pas parler de Poutine, la littérature ne doit pas expliquer la guerre. Il est impossible d'expliquer la guerre : pourquoi est-ce que des gens donnent l'ordre à un peuple d'en tuer un autre ? La littérature, c'est ce qui s'oppose à la guerre. La vraie littérature traite toujours du besoin d'amour de chacun de nous, et non de la haine".

  • Pour votre, et notre liberté

     
    (Lettre ouverte de Mikhaïl Chichkine)
     
    Des livres contre les bombes (1)
     
    Cette guerre n'a pas commencé aujourd'hui, mais en 2014. Le monde occidental n'a pas voulu le comprendre et a fait comme s'il ne se passait rien de grave. Pendant toutes ces années, j'ai tenté,dans mes interventions et mes publications, d'expliquer aux gens d'ici qui était Poutine. Je n'y suis pas parvenu. Maintenant, Poutine a tout expliqué lui-même.
    Je suis Russe. Au nom de mon peuple, de mon pays, en mon nom, Poutine est en train d'accomplir des crimes monstrueux.
    Poutine, ce n'est pas la Russie. La Russie ressent de la douleur, de la honte. Au nom de ma Russie et de mon peuple, je demande pardon aux Ukrainiens. Et je comprends que tout ce qui se fait là-bas est impardonnable.
    Chaque fois qu'un de mes articles était publié dans un journal suisse, la rédaction recevait des lettres indignées de l'ambassade de Russie à Berne. À présent, ils se taisent. Peut être qu'ils sont en train de faire leurs valises et d'écrire pour demander qu'on leur accorde l'asile politique ?
    Je veux rentrer en Russie. Mais dans quelle Russie ? Dans la Russie de Poutine, on ne peut pas respirer - la puanteur des bottes policières est trop forte. Je rentrerai dans mon pays, sur lequel j'ai écrit une lettre ouverte en 2013 déjà, quand j'ai refusé de représenter la Russie de Poutine dans les salons du livre internationaux - avant l'annexion de la Crimée et le début de cette guerre contre l'Ukraine : "Je veux et je vais représenter une autre Russie, ma Russie, un pays libéré de ses imposteurs ,un pays avec une structure étatique qui protège non le droit à la corruption, mais le droit de la personne, un pays avec des médias libres, des élections libres et des gens libres.»
    L'espace d'expression libre, en Russie, était déjà précédemment réduit à Internet, mais maintenant, la censure militaire s'applique même sur la Toile. Les autorités ont annoncé que toutes les remarques critiques sur la Russie et sa guerre seraient considérées comme une trahison et punies selon les lois martiales.
    Que peut un écrivain ? La seule chose en son pouvoir est de parler clairement. Se taire, c'est soutenir l'agresseur. Au 19e siècle, les Polonais révoltés se sont battus contre le tsarisme, "pour votre et notre liberté". À présent, les Ukrainiens se battent contre l'armée de Poutine, pour votre et notre liberté. Ils défendent non seulement leur dignité humaine mais la dignité de toute l'humanité. L'Ukraine, en ce moment, est en train de défendre notre liberté et notre dignité. Nous devons l'aider autant que nous le pouvons.
    Le crime de ce régime, c'est aussi que la marque de l'infamie retombe sur tout le pays. La Russie aujourd'hui est assimilée non à la littérature et à la musique russes, mais aux enfants sous les bombes.
    Le crime de Poutine, c'est d'avoir empoisonné les gens avec la haine. Poutine partira, mais la douleur et la haine peuvent rester longtemps dans les coeurs. Et seuls l'art, la littérature, la culture pour aider à surmonter ce traumatisme. Le dictateur, tôt ou tard, termine sa vie misérable et inutile, et la culture continue : ainsi en a-t-il toujours été, ainsi en sera-t-il après Poutine.
    La littérature ne doit pas parler de Poutine, la littérature ne doit pas expliquer la guerre. Il est impossible d'expliquer la guerre : pourquoi est-ce que des gens donnent l'ordre à un peuple d'en tuer un autre ? La littérature, c'est ce qui s'oppose à la guerre. La vraie littérature traite toujours du besoin d'amour de chacun de nous, et non de la haine.
    Qu'est ce qui nous attend ? Dans le meilleur des cas, il n'y aura pas de guerre atomique. J'ai très envie de croire que le fou n'aura pas accès au bouton rouge, ou que l'un de ses subordonnés n'exécutera pas ce dernier ordre. Mais c'est, semble-t-il, la seule bonne chose à espérer.
    La Fédération de Russie, après Poutine, cessera d'exister sur la carte en tant que pays. Le processus de désagrégation de l'Empire continuera. Quand la Tchétchénie sera devenue indépendante, d'autres peuples et régions suivront. Une lutte pour le pouvoir s'engagera. La population ne voudra pas vivre dans le chaos, et le besoin d'une main ferme apparaîtra. Même en cas d'élections aussi libre que possible- si elles ont lieu- un nouveau dictateur prendra le pouvoir. Et l'Occident le soutiendra, parce qu'il promettra de contrôler le bouton rouge.
    Et qui sait, tout se répétera peut être encore une fois...
    (Traduit du russe par les éditions Noir sur Blanc)
    Dernier livre paru en traduction de Mikhaïl Chichkine: Le manteau à martingale et autres textes. Noir sur Blanc, 2020.