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  • Pour tout dire (79)

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    À propos du rêve américain selon Philip Roth devenu fantasme de pacotille, et de l'intéressante réalité américaine documentée par les séries télé. De ce qui rapproche et sépare Donald Trump et le jeune imposteur de la série Suits (Avocats sur mesure). De ce qui rapproche et sépare Donald Trump et le populiste suisse Christop Blocher sous le regard de Shakespeare...


    Il faut lire ou relire Pastorale américaine, premier volet de la trilogie romanesque de Philip Roth, pour se rappeler ce qu'a été la renaissance du rêve américain, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, incarné par un héros blond et juif, champion sportif et loyal à la patrie. Le génie du plus grand romancier américain vivant, outrageusement "oublié " par les jobards de l'Academie de Stockholm, à toujours été de prendre le contrepied du conformisme de son pays, à commencer par celui de son milieu de Juifs de Newark, dans Portnoy et son complexe; mais c'est avec autant de tendre loyauté que d'esprit critique qu'il a rendu justice à son père dans Patrimoine, et autant de verve qu'il a pourfendu la nouvelle posture du politiquement correct dans La Tache, troisième volet de sa trilogie américaine.

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    Soixante ans après, l'on voudrait nous faire croire que l'élection de Donald Trump marque le renouveau du rêve américain contre, précisément, le politiquement correct. Double imposture évidemment, puisque le rêve d'une société plus juste et plus ouverte s'est transformé en fantasme de pacotille frotté de racisme sélectif, alors que le politiquement correct - disons le nouveau conformisme de gauche - cristallise l'indignation vertueuse des "réalistes" et des profiteurs cyniques.

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    Réagissant à l'élection de Donald Trump à la présidence américaine, qui ne l'a pas étonné, le philosophe allemand Peter Sloterdijk, à mes yeux l'un des "poètes" les plus originaux de la pensée contemporaine, redéfinit la mouvance populiste comme une "croyance dans la faculté salvatrice des incompétents, dans l'innocence de l'incompétence ".
    Or comment faut-il l'entendre ? La campagne de dame Clinton a-t-elle manifesté plus de compétence que celle du sieur Trump ? Et le fait que celui-ci n'ait aucune expérience politique caractérise-t-il son incompétence ?
    Comme j'ai visionné cette nuit la 5e saison de la très addictives série Suits (Avocats sur mesure), l'idée de comparer l'ascension sociale fulgurante du jeune Mike dans l'un des meilleurs cabinets d'avocats new yorkais, où il s'est introduit sans avoir passé par Harvard, en jouant de son seul talent, à la carrière guère plus conformiste de Donald Trump, m'a paru éclairante par l'analogie apparente de ces success stories et leur antinomie profonde.

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    De fait, le jeune pseudo-avocat non titré de la série, quoique prodigieusement doué et s'élevant bientôt au niveau des meilleurs, ne se vante jamais de son manque de toute formation universitaire. Compétent "sur le terrain" il reste un fraudeur sur le papier et craint à tout instant qu'on le démasque, et plus encore que ses amis du célèbre cabinet, devenus complices, n'en pâtissent avec lui.

     

    À deux heures du matin, la nuit dernière, Mike se présentait à la porte de la prison après avoir "pris sur lui" pour sauver ses confrères, et c'est parti pour la 6e saison. Quant à Trump, il est au contraire fier de ses fraudes et fait de son incompétence en matière politique un argument en sa faveur. Double escroquerie qui se moque également des diplômes et des lois, puisque le fric est à la fois juge et partie.

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    Les "poètes", comme un Philip Roth ou un Peter Sloterdijk, le Dürrenmatt de La visite de la vieille dame ou l'universel Shakespeare, font toujours du plus simple avec du très compliqué, sans vider la réalité de sa substance.
    De très compétents universitaires jettent, sur le genre combien populaire des séries télévisées, un regard dignement condescendant, sans y aller voir, et j’estime qu'ils ont tort. Je pensais comme eux il y a encore deux ans de ça, sans me prévaloir d'aucun autre titre universitaire que celui de Docteur Honoris causa de l'Academie mondiale des rues et clairières. Voir Lady L regarder Les experts me faisait presque honte, sanglier que j'étais. Puis j'ai découvert The Wire (A l'écoute) et sa fresque incroyablement vivante et intelligente, humainement richissime et sociologiquement révélatrice, des dessous et des coulisses de la ville de Baltimore; et dans la foulée de cette docu-fiction exemplaire j'ai vu plus d'une centaine de séries américaines, anglaises, nordiques ou d'autres provenances - mais pas une ne trouvant grâce à mes yeux en langue française ou suisse allemande - , qui m'ont souvent plus appris ou touché que nombre de romans à prétention plus "littéraire ".
    La faiblesse majeure du cinéma suisse, et plus précisément romand, autant que de la littérature romande et suisse, à quelques exceptions près, tient à leur manque de sérieux en matière de scénarios et de naturel et de vraie poésie en matière de dialogues. De même les séries françaises restent-elles terriblement "théâtrales", emphatiques quant à l'interprétation et sans comparaison, du point de vue de la perception des réalités sociales , avec leurs homologues anglo-saxonnes ou nordiques. Les purs littéraires nos régions peuvent dauber tant qu’ils veulent sur les artifices techniques auxquels se réduirait selon eux la littérature américaine, et a fortiori le cinéma hollywoodien. C’est ignorer que celui-ci s’est construit avec de grands écrivains et que les séries télévisées (notamment à l’enseigne de HBO) fédèrent des réalisateurs de premiers rang, des scénaristes hors pair et des comédiens à l’avenant.

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    Quoi de commun entre l’état de la narration dans notre littérature ou notre cinéma et l’avènement de Trump, le loyauté du jeune Mike Ross et la duplicité du populiste suisse Christoph Blocher se réclamant de noble valeurs et refusant d'accueillir les migrants sur la pelouse sécurisée de son château de milliardaire ? Je dirai tout à trac: Shakespeare.
    En version Disneyworld , Donald va nous la jouer 5e saison de House or cards, mais on attend un scénar plus détaillé, idéalement inspiré par l'auteur de La Tempête, pour les saisons suivantes,etc.
    Ce qu'attendant je vais balancer ces notes de mon TOUT DIRE matinal sur Cloud avant de lancer sur mon Top Computer le DVD de Macbeth genre série gore, voire Gomorrha, à l'écossaise ...
    À la fenêtre le blanc de la neige reflète pour l’instant notre conscience immaculée de Suisses au-dessus de tout soupçon. Snoopy me scrute avec l’air de se demander si l’existence précède bien l’essence, puis soupire avant de retourner à son propre roman...

  • La plus douce alliance

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    (À nos enfants, et pour L.)
     
    Prends garde à la lumière,
    ne laisse pas l’ombre gagner:
    elle est en toi, elle est en vous
    qui restez éveillés
    au secret de votre clairière...
     
    Gardez en vous ce don précieux
    des larmes et de ce lent courage
    que vous avez en partage
    en ce jour lumineux,
    malgré l’ombre au sombre visage...
     
    Le temps accordé vous advient,
    que vous vivrez ensemble,
    liés par le plus tendre lien
    que rien ne désassemble...
     
    Portrait de Lucienne, en 1987: P. Omcikous,
    qui lui trouvait un air de madone rhénane...

  • Pour tout dire (78)

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    À propos de la morosité désabusée et de l'optimisme béat voire béant. De l'hédonisme morose et des raisons déraisonnables d'espérer. Qu'une autre vie est possible et que ce n'est pas une rêverie creuse. Quand Toni Morrison et Hölderlin la ramènent. De l'expérience humaine et de la vraie nouveauté documentée par le film Demain...


    Pour Sophie et Florent, Julie et Gary, Lady L. et les autres...

     

    "Au milieu des pires saloperies humaines perdurent leurs contraires: entraide, détermination, vitalité, projets, courage, douceur", écrit Jean-Claude Guillebaud dans un grand petit livre datant de 2012 et réédité récemment, dont le titre proclame tranquillement qu'Une autre vie est possible et qui relance notre indignation contre la morosité désabusée de ceux qui ne croient plus à rien, sans donner pour autant dans un optimisme que Georges Bernanos qualifiait de "fausse espérance à l'usage des lâches et des imbéciles ".

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    Avant d'être l'auteur d'une série d'essais très éclairants sur notre époque et un passeur d'idées nourri des meilleurs esprits de la France intellectuelle non inféodée aux idéologies mortifères ou aux modes volatiles (de Jacques Ellul à Edgar Morin en passant par Michel Serres et René Girard), Jean-Guillebaud fut le témoin, sur le terrain, des "pires saloperies humaines", du Vietnam au Liban ou du Biafra à Sarajevo, notamment.
    "Le cynisme me fait horreur", poursuit -il. "Et la désillusion m'apparaîtrait comme une trahison. Mon optimisme n'a pas "survécu" aux famines éthiopiennes , aux assassinats libanais ou aux hécatombes du Vietnam. Tout au contraire, il leur doit d'exister, il s'est nourri et fortifié de ce que j'ai vécu là-bas."


    Ce grand reporter qui ne se la joue pas star du scoop mais accorde autant d'attention aux "pires saloperies humaines" qu'aux gestes moins spectaculaires de la solidarité et de la survie obstinée, fonde sa réflexion sur l'observation de ce qu'il y a de meilleur dans notre espèce à double face d'ombre et de lumière: "De façon très concrète, cette espérance correspond à des maisons dix fois détruites et dix fois reconstruites, à des répressions policières mille fois défiées, à des iniquités dénoncées, à des familles endeuillées mais à nouveau debout, à des joies collectives toujours renaissantes après l'horreur ".

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    Or une autre forme d'horreur m'apparaît ces jours, devant l'annonce hideuse de nouveaux prétendus lendemains qui chantent, sous les dehors d'un retour au "réalisme " dont Bernanos, encore lui, disait qu'il fondait "la bonne conscience des salauds". Ainsi Donald Trump sera-t-il enfin plus "réaliste" que le rêveur Obama, à la pleine satisfaction de ceux qui voient en les Lois du Marché un dogme "réaliste " par excellence , en Europe autant qu'aux States et en Suisse autant qu'en Europe - en Suisse où le "réalisme " consiste à sécuriser le territoire et les jardins privatifs quitte à flinguer vite fait tel jeune Congolais agité ou à pousser les jeunes réfugiés au désespoir, au dam de ceux qui défendent une tradition généreuse non moins réelle.


    Jean-Claude Guillebaud plaide contre la peur, rejoignant la romancière noire Toni Morrison qui parle elle aussi d'expérience. Ainsi tweetait-elle le jour même de l'élection du nouveau président aux idées rances: "C’est précisément maintenant que les artistes doivent se remettre au travail. Il n’y pas de place pour le désespoir, l’auto-apitoiement, le silence ou la peur”...

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    Après l'effondrement du Mur de Berlin, le poète Claude Roy (de quoi je me mêle ?) détona sur l'euphorie ambiante en s'exclamant: "C'est très bien , mais qui va faire peur aux riches maintenant ?" Et sans doute, avec l'avènement des cyniques au sommet des Etats, les riches auront-ils de moins en moins peur. Mais un autre poète, visionnaire politique à ses heures, du nom de Friedrich Hölderlin, fait écho à son tour à l’ancien communiste et à la négresse: “La où est le danger croît aussi ce qui sauve”. Ou encore: “Que serait la vie sans espérance ?”


    128876_couverture_Hres_0.jpgRetour alors, précisément, à l'espérance qui ne soit pas que vaine parlote, alors, avec cette autre réalité, dont parlent autant Jean-Claude Guillebaud que Jean Ziegler dans son dernier livre, de la myriade d'associations non institutionnelles se développant dans le monde au nom d'un autre réalisme, et défiant toute peur.


    Contre la prétendue nouveauté des alternances binaires, un autre demain se prépare peut-être, dit-on. On verra ça demain même si tout se trame dès aujourd'hui et depuis des lustres. Ah mais ça tombe bien, demain c'est lundi et je passerai, comme promis, chez Karloff ou m'attend le DVD de Demain...

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  • Charles-Albert le grand incendiaire carbonisait les éteignoirs

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    Un album splendidement documenté et enluminé, intitulé Cingria, l’extincteur et l’incendiaire, célèbre la mémoire du génial vélocipédiste, dont paraîtra l’an prochain, à L’Âge d’Homme, le 7e volume de la 2e édition de ses Œuvres complètes mondialement méconnues et plus que jamais à (re)découvrir par quelques-un(e)s…
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    Le 16 octobre 1942 paraissait la 5e livraison du « plus grand tirage du plus petit journal paraissant irrégulièrement à Saint-Saphorin », dont le responsable était l’artiste vaudois Géa Augsbourg et le rédacteur en chef Charles-Albert Cingria.
    À la première page de ce numéro dit « Spécial » figurait un texte de Cingria intitulé Éloge simplement de ce qui existe, exposant des vues pour ainsi dire « programmatiques » sur l’art en relation avec la vie, les gens dans la société, le rapport des visages et des âmes et les relations particulières entretenues par la province romande avec Paris, notamment.
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    Un peu moins de trente ans plus tôt, Charles Ferdinand Ramuz, ami de Cingria de longue date, publiait un essai à valeur explicite de manifeste, sous le titre de Raison d’être, qui célébrait précisément ce coin de terre lacustre à la douce courbe des vignobles de Lavaux, entre Cully et Vevey, y situant le « timbre-poste » terrestre dont parle Faulkner en désignant son « Sud profond », à partir duquel développer un récit à valeur universelle, avec ou sans la reconnaissance de Paris ou de New York.
    « Les gens sont si braves chez nous et le pays est si beau que l’on se demande pourquoi serait requise en plus une prévalence dans l’art », écrivait Cingria, avant de préciser: «L’art, il existe déjà. Ce qui est art,c’est d’être comme on est, de vivre comme on vit. Il n’y a qu’à se promener,L’art est dans la rue tout le temps ».
    Après quoi, l’auteur de Notre terre et ses gens (autre collaboration avec Géa Augsbourg, en 1937) qui n’a jamais donné dans le régionalisme complaisant ni la vaudoiserie de cantine, faisait l’éloge, à sa façon singulière, du peuple « véritablement superbe. Et si gentil, si bien disposé ! », amorçant une de ces envolées lyriques alliant fantaisie et géniales mises en rapport.
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    En octobre 1942, c’était la guerre, l’Europe à feu à sang, et Charles-Albert parlait comme si de rien n’était de la société locale à laquelle il trouvait quelque chose d’à la fois celtique et d’ « un peu américain ou anglo-américain – en bref quelque chose de racé à bon marché qui s’accorde admirablement avec ce français par exprès un peu hoqueté et déginguenandé (sic) qu’on parle », ajoutant (alors que la VIIIe armée britannique, commandée par le général Montgomery lançait une grande offensive à l’enseigne de la 2e bataille d’El Alamein) que « nulle part on ne voit de si beaux bas ni de si beaux golfs. Nulle part les hommes d’âge ne portent de si beaux chapeaux »... Telle étant l’actualité de «cela simplement qui existe »…
    La vertueuse (et malencontreuse) accusation de «pédérastie» et de « fascisme »…
    Lorsque Charles-Albert, en nage, se pointait à Saint-Saphorin ou à Cully en vélocipède, les gamins du coin l’acclamaient en reconnaissant celui qu’ils appelaient Cachou au motif que le cycliste leur offrait à tout coup de ces petits losanges noir bons pour la toux et les relations de la diplomatie enfantine sans frontières.
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    De fait, Charles-Albert était pour l’essentiel une façon d’enfant éternel, déclarant une fois pour toutes son âge : « Mon âge : douze ans et demi et trente-six mille ans. Mes origines : le paradis terrestre »…
    Cachou cherchait-il, avec ses bonbons, à s’attirer les grâces douteuse des petits garçons, comme le laissaient entendre certaines dames vertueuses des beaux quartiers genevois, craignant pour leur progéniture ? Certainement pas. On sait que Gide (qui le dégommait à la NRF) ou Montherlant, couraient l’impubère, et parfois même le mioche de dix ans, à Berlin ou en Afrique du nord, mais de Cingria on ne sait rien de ce genre, et l’accusation (par Cendrars) de pédérastie – renvoyés d’ailleurs par Charles-Albert à l’expéditeur pour d’aussi futiles motifs - ne correspond probablement à rien d’autre qu’à un goût vécu charnellement en sa jeunesse (on l’espère pour lui), au point d’ailleurs d’avoir été jeté dans les prisons de Mussolini après qu’on l’eut pincé avec quelques chenapans sur la plage d’Ostie.
    Et après ? Après il clamera, notamment en réponse à Cendrars, qu’il a la pédérastie et tout ce qui s’y rapporte en horreur, et rien dans son œuvre ne relève pour autant de l’homosexualité refoulée, moins encore revendiquée.
    Parler d’un Cingria crypto-pédophile ou gay serait donc un contresens grossier, comme de voir en lui un «fasciste», alors que la seule accointance qu’il ait eu avec l’extrême-droite française maurassienne remonte à ses jeunes années et ne se réduit à aucune espèce de position partisane déclarée.
    Et pourtant, voyez-les se tortiller ! Voyez ses commentateurs virant nitouches dès qu’ils effleurent la question « politique ». Même un Jacques Réda, le plus ardent de ses défenseurs français vivants, même Nicolas Bouvier, se démarquaient prudemment d’un Charles-Albert «politiquement suspect».
    Et même Valère Novarina, dans le présent album, pour en revenir aux supposées « mœurs » de Charles-Albert, qui affirme que Charles-Albert prend tout «à rebours», avant de se racheter, il est vrai, de façon bien plus inspirée et généreuse…
    Charles-Albert LGBTQ ? Cingria «facho» ? Et quoi encore ? Accro grave à la dive bouteille ? Pour sûr et la belle affaire ! Charles Albert couturé de contradictions ? Comme nous tous et le proclamant: « Je sais bien que je dirais le contraire tout à l’heure, mais tout à l’heure est tout à l’heure et ce n’est pas maintenant »…
    Comme si la vie même ne se contredisait pas à tout moment !
    Hors de toute «posture»: une position poétique centrale.
    À vrai dire, il y a des mots et des concepts qui, simplement, ne conviennent pas à l’approche de Cingria et de son œuvre. Le concept, par exemple, de « préférence sexuelle », ou le terme de « fascisme » ne lui vont pas mieux qu’ils n’iraient à Platon ou à Shakespeare, pas plus que les concepts d’« avant-garde », de « posture » ou de « champ littéraire » que lui appliquent certains commentateurs en ce même album, techniciennes et techniciens de surface du chantier Cingria ouvert après le chantier Ramuz par les employés zélés de la voirie littéraire de nos académies locales - ceci dit tout gentiment, n’est-ce pas ? dans la langue de coton des temps qui courent que Charles-Albert eût été le premier à vitupérer.
     
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    Cingria vertueux ? Certes et au plus haut point d’ascétisme apollinien et dionysiaque à la fois – cet oxymore est fondamental - , mais pas du tout au sens des «virtuistes» qu’il conchiait déjà dans l’un des textes constituant le noyau de son œuvre et de son ontologie poétique, intitulé Le canal exutoire et commençant avec cette fulmination joyeuse: «Il est odieux que le monde appartienne aux virtuistes – à des dames aux ombrelles fanées par les climats qui indiquent ce qu’il faut faire ou ne pas faire – car vertu, au premier sens, veut dire courage. C’est le contraire du virtuisme. La vertu fume, crache, lance du foutre et assassine ».
    Charles-Albert s’en prendrait probablement, aujourd’hui, au mouvement «woke» et à la « langue inclusive », comme il s’en serait pris hier au «Nouvel âge» ou, à son époque, à ce qu’il appelait le «nordisme» et le «moderne voulu moderne».
    Le début du XXe siècle fut celui des idéologies et de leur méli-mélo artistico-politique foisonnant de nouveaux «ismes», du futurisme au surréalisme en passant par le vorticisme, le suprématisme, le spiritualisme plus ou moins nudiste, la théosophie, le gnosticisme et tutti quanti.
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    Cingria «réactionnaire» ? Autre malentendu d’époque, car son temps n’était pas, quoique contemporain, le même que celui d’un Jean-Paul Sartre, et l’interrogation portant sur son «engagement» serait aussi saugrenue que si on la posait à l’auteur des Psaumes, à Pétrarque ou à Jean Dubuffet.
    Or les constellations poétiques de Cingria, malgré les fréquentations parisiennes ou romandes de l’écrivain, ne participent en rien de cette modernité «voulue moderne», alors même que le poète aura rafraîchi notre langue à grande eau claire et traits de foudre, comme Rimbaud avant lui ou Max Jacob, Robert Desnos, Audiberti le feront à leur façon.
    Tel étant son moyeu central, relié à tous les points de sa majestueuse circonférence: la poésie. Et non du tout la poésie « poétique », mais la constante recherche, sur une «base d’airain» latine, d’une modulation chantée de «cela simplement qui existe».
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    Comme un labyrinthe harmonique et visuel
    À la fois chartiste autodidacte non moins que vastement érudit, passionné d’histoire et de musicologie, mais aussi grappilleur itinérant de choses vues le long des chemins du monde, de Lausanne à Paris ou de Rome à Sierre et Fribourg, via la Provence accueillante, Charles-Albert, quoique paraissant dispersé et parfois qualifié de « loufoque » pour sa fantaisie inaltérable, tenait solidement en mains tous les fils d’une immense tapisserie verbale dont la texture, le tissu, la cohérence organique l’apparentent aux plus grands poètes en prose française du XXe siècle, de Proust à Jean Genet ou de Céline à Audiberti. Qu’il consacre un livre entier à Pétrarque, salué par Jean Dubuffet comme le livre le plus important du moment, qu’il rédige son Air du mois dans la prestigieuse Nouvelle Revue Française, ou qu’il confie un texte intitulé « comment habiller l’enfant » au petit journal de la maison Charles Veillon, la découpe et l’intensité vibratile de son écriture est la même.
    « L’écriture est un art d’oiseleur, note –t-il plus précisément et les mots sont en cage, avec des ouvertures sur l’infini ». Ou cette sublime évocation de la poésie de Pétrarque : «Quand Rossignol tombe, un ver le perce et mange son cœur. Mais tout ce qu’il a chanté s’est duréfié en verbe de cristal dans les étoiles ; et c’est cela qui, quand un cri de la terre est trop déchirant, choit, en fine poussière, sur le visage épanoui de ceux qui aiment».
    Riche en ses jeunes années et pauvre le restant de sa vie, Charles-Albert, clochard céleste (pardon pour le cliché…) écrit tout le temps et partout, sur tous les supports. Pierre-Olivier Walzer m’a décrit l’état de sa mansarde de la rue Bonaparte : un véritable gourbi jonché de bouteilles vides et de boîtes de conserves à hauteur de mollets, la bicyclette suspendue au plafond, un petit clavier muet disposé sur une armoire pour exercer ses gammes, une machine à écrire minuscule de marque Corona, une petite valise de carton bouilli.
    Dans Le Canal exutoire il précise : « L’homme-humain doit vivre seul et dans le froid : n’avoir qu’un lit – petit et de fer obscurci au vernis triste. – une chaise d’à côté, un tout petit pot à eau. Mais déjà ce domicile est attrayant : il doit le fuir.
    Or de ce taudis jaillit le chant de Rossignol !
    Et les archives de vos milliers de textes, Monsieur l’homme de lettres ? Daniel Maggetti souligne qu’elles n’auront jamais été rangées bien soigneusement par le studieux vagabond. Du moins aura-t-on retrouvé plusieurs dizaines de cartons remplis de dossiers et de papiers après sa mort, qui font ici le bonheur des chercheurs et la splendeur indéniable de Cingria L’Extincteur et l’incendiaire…
    Iconographiquement et pour maints détails biographiques, cet album est un trésor dont il faut remercier les collaboratrices et collaborateurs (comme on dit à la police) de Daniel Maggetti.
    Question contenu, le poète de théâtre Valère Novarina scintille en avant-propos, avec une anecdote biographique révélatrice (son père a connu Charles -Albert en 3D) et une appréciation splendide de son art : «L’écriture de Cingria ne cesse d’élargir tout ce à quoi elle touche – c’est-à-dire la lettre qu’elle libère – et défait chacune des choses qu’elle invoque des lieux communs qui la hantent ; c’est un regard quasi adamique qu’elle pose sur le monde, rehaussé sans ces, et revigoré de cette vibration théophanique, à la manière des mosaïstes turcs; un langage d'analphabète (ce gréco-latin ne savait pas l’orthographe, Dieu merci, comme les médiévaux, puisqu’il n'y en avait pas), amoindri par rien qui snete l’écritoire ou l’académie, et qui redonne le monde dans son idiotie primitive et hallucinée».
    Pour l’approche « génétique » des documents recueillis, et leur mise en perspective biographique, révérence aux dames Maryke de Courten, Océane Guillemin et Alice Bottarelli. Côté Mesieurs, Alessio Christen éclaire la galaxie profuse des publications de Cingria en revues et journaux, tandis que Thierry Raboud rappelle la plus essentielle cohérence de corps et d’âme, d’harmonie «tenue ensemble» et de finition architectonique de l’Œuvre.
    Aux dernières nouvelles, Les Petites Feuilles, que j’avais relancées avec Pierre-Olivier Walzer à la seule gloire de Charles-Albert, font l’objet d’une dernière livraison (octobre 2021) positivement squattée par la jeune autrice (auteuse, ou autorelle, comme vous voudrez) du nom de Myriam Wahli, laquelle se pose en «vedette» autoproclamée d’un narcissisme plus ou moins inspiré, pastichant le ton et la manière du petit journal d’origine avec l’aide de trois complices habiles, en multipliant les piques et les vannes à l’encontre de la « basse-cour » des lettres romandes actuelles. Si le génie poétique de Cingria n’y est pas, certaine insolence indocile potache y fait florès et c’est pourquoi je lui donnerai le (tendre) coup de pied final du vieil âne et la bise de Bon Pour La Tête…
    Cingria, L’Extincteur et l’incendiaire. Editions La Baconnière, 2021.

  • Pour tout dire (77)

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    À propos des emballements politico-médiatiques et de la vie qui continue. De la tartufferie de ceux qui invoquent la lucidité des peuples, dont ils se foutent, contre les élites. Que tout est simplement plus compliqué que la pensée unique frappant les "bobos " ou versant dans l'anti-américanisme primaire...


    Les vivats des démagogues européens, et jusqu'en Suisse,saluant la "victoire" de Donald Trump, assimilée à l'expression d'une volonté populaire rivant leur clou aux élites, pour ne pas dire une revanche des laissés pour compte contre les nantis, relèvent d'une escroquerie à deux vitesses.

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    D'abord parce qu'elle émane de nantis non moins "élitaires " que leurs adversaires, qui se foutent complètement des peuples, et ensuite du fait que le monde "nouveau " promis par Trump et ses clones recycle les vieilles marmites du chauvinisme national et de la religiosité mercantile (les évangélistes en tête), de l'hypocrisie moralisante et de la simplification raciste, entre autres replis replets.

    Mais les States de demain seront-ils vraiment conformes aux aspirations, d'ailleurs vagues et contradictoires, du nouveau Monsieur Propre à pattes baladeuses ? Il faudrait ne pas croire aux "peuples", précisément, ou plus précisément à ce qui jusque-là fait que notre drôle d'espèce ne s'est pas encore entièrement auto-détruite, pour le penser sans pécher par excès d'optimisme. Une Naomi Klein, certes un peu moins climatosceptique que Trump, pense encore que "tout peut changer", mais la gauchiste canadienne n'est qu'une "bobo " de plus, n'est-ce pas...

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    Le qualificatif dépréciatif le plus débile qui soit apparu ces dernières années, désignant initialement des "bourgeois bohèmes " au gré d'une nomenclature aussi vague et réductrice que celle qui désigne d'un bloc "réacs" ou "fachos", s'applique désormais à tout individu non aligné sur les rangs de la droite cynique ou de l'extrême-droite inique, aussi débile à mes yeux que ce qu'on appelle l'anti-américanisme primaire, toutes tendances confondues.


    À notre fille S. découvrant courageusement ces jours l'Amérique réelle pour un séjour de longue durée, je conseillais ce matin la lecture de The Circle, de Dave Eggers (traduit chez Gallimard sous le titre de Le Cercle), qui brosse en 500 pages aussi ludiques que satiriques un Paradis artificiel soumis au règne de l'absolue transparence informatique. Il y a là, entre tant d’autres preuves de la créativité culturelle américaine et de sa vitalité en matière d’autocritique, une belle illustration de ce que la littérature peut produire, hic et nunc, qui nous aide à repas tomber dans le simplisme et les slogans masquant la complexité du monde.
    Mais vivre vaut autant que lire, ou disons que ça se vaut quand on a les yeux ouverts, même quand il fait nuit en Californie comme à l’instant...

  • Pour tout dire (76)

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    À propos de l'impossibilité de TOUT DIRE en matière politique, sauf par les raccourcis de Shakespeare. Que Donald Trump n'est comparable ni avec Hitler ni non plus avec le Père Ubu, tout en étant un pur produit de l’actuelle folie envieuse. Que la haine de l'intelligence en général, et des bobos en particuluer, fait de nouveaux gogos...


    J'avais la tête encore pleine des acerbes observations du glorieux et faillible Antoine, chef de guerre pris au piège de la passion amoureuse, contre la versatilité du peuple facile a séduire par de belles paroles, après avoir vu la version BBC de l’Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, la veille au soir, quand, hier matin, l'évidence de la victoire de Donald Trump s'est imposée pour atterrer les uns et réjouir les autres.


    Je ne sais pas au juste qui est réellement ce personnage dont la seule apparence physique et la parole exhalent à mes yeux la stupidité vulgaire et le bluff du pire parvenu, mais le sait-il lui-même, lui qui ne se fonde que sur sa réussite matérielle et qui n'a de conseils à donner aux autres que de réussir à son médiocre instar ?


    En passant en revue les caricatures de ce bateleur au visage et au regard aussi plats et vides que ceux d'un Berlusconi, j'ai été frappé de le voir comparé à un Hitler ou à un sectateur du Ku-klux-klan, alors qu'il me semble incomparable, ou alors juste comparable à un obscène paquebot américain surgissant à Venise, c'est-à-dire précisément : à un symbole mégalo de la société du spectacle et du profit, du loisir en foule et du mimétisme avide.


    L'une des plaies de l'époque est la folie de comparaison qui produit de l'envie à foison et transforme tout un chacun en enfant criseux dans un magasin de jouets. Or Donald Trump me semble incarner l'animateur hystérique de cette foire multinationale, bien plus qu'un clone du Führer nazi, artiste raté ressentimental au délire idéologique d'une autre consistance, en sa revendication raciste, que les slogans flatteurs et reversibles du nouveau président américain.
    Or faut-il s'acharner sur cette baudruche, comme on l'a fait à l'époque sur le cow-boy Ronald ? Le président Trump sera-t-il pire que Reagan ou meilleur que le calamiteux George W Bush ? L'empire va-t-il continuer de régresser sous l'effet séculaire de l'hybris, cette folie orgueilleuse relancée par les rodomontades de Donald super-héros, ou d'autres forces en tension permettront-elles aux States d'éviter l'apocalypse now ?
    En ce qui me concerne, je parie sur l'intelligence humaine, la bonne volonté de millions d'individus refusant de ne pas voir la cata qui menace notre planète, et l'opposition résolue à la démagogie anti-intellos ou anti-bobos des prétendus réalistes et autres avérés cyniques.
    On a pointé, avec qu'elle mauvaise foi, le passé va-t-en guerre de dame Clinton, mais celle-ci avait surtout le tort d'être femme, dans un monde où le complexe militaro-industriel reste un apanage de mecs qui en ont, non mais ! Or la quasi-victoire d'Hillary en dit autant des States, dont le système électoral pourrait évidemment "mieux faire", que l'élection de Donald Trump qui fait exulter tant de démagogues européens comme d'une preuve de lucidité populaire et de saine réaction contre "les élites".

    Mon élite à moi se nomme Candide, elle s'occupe de permaculture et passe beaucoup de temps, ces soirs d'hiver, à regarder de passionnantes séries américaines (ou nordique et britanniques) à valeur critique ajoutée, entre mes rencards avec Shakespeare et la lecture du Cercle, dernier roman de Dave Eggers proposant une assez phénoménale descente aux enfers du paradis informatisé et globalisé à l’enseigne d’une seule firme d’épanouissement contrôlé, style Google à l’ère de Big Data Brother, où tout est si cool qu’on en devient complètement fool...

  • Pour tout dire (74)

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    À propos du Purgatoire des écrivains et de la postérité de Jacques Chessex, Georges Haldas ou Nicolas Bouvier. Comment Ramuz et Cingria sont sorti du Purgatoire après 50 ans. De la disparition du bunker palinzard de Simenon et des prévisions de Bernard Clavel. De la lecture en mémoire vive.


    Faut-il s'inquiéter, sept ans après sa mort subite défrayant la chronique médiatique par ses circonstances assez sensationnelles - l'écrivain foudroyé par un arrêt cardiaque alors qu'un brave toubib lui demandait de justifier sa défense publique de Roman Polanski - , du calme plat régnant autour du nom de Jacques Chessex après les tempêtes soulevées par sa vie et certaines de ses œuvres, de Carabas au Juif pour l'exemple en passant par L'Ogre qui lui valut le prix Goncourt en 1973 ?
    Telle est la question que posait récemment L'Hebdo, le magazine suisse romand "qui pense" et dans lequel la culture n'est pas encore trop laminée par le zapping ambiant, relançant la question purement médiatique elle aussi d'un "après Chessex" faisant croire que l'auteur du Désir de Dieu fut une sorte de pivot messianique au milieu d'un désert d'insignifiance.
    En couverture d'une livraison antérieure, L'Hebdo focalisait son attention sur les écrivains romands "qui cartonnent", procédant du même esprit simplificateur, voire démagogique, qui ne prête qu'aux riches ou plus précisément aux plus "vendeurs" des auteurs, dont Chessex lui-même n'était que sporadiquement - mais on s'en fout n'est-ce pas dans un monde surtout soucieux de buzz et de scoops hebdomadaires.
    Nous étions une trentaine, l'autre soir au Café littéraire de Vevey, réunis pour évoquer Maître Jacques en sa vérité (à savoir surtout ses livres) et ses légendes, et c'était émouvant et sympathique d'y compter la présence d'un des jeunes fils de l’écrivain, lequel m'a dit et répété en ses dernières années, la joie et là fierté que lui valaient ses lascars; mais l'absence totale de jeunes auteurs de nos régions, et notamment de ceux qui ont établi un nouveau critère d'élection fondé sur la ségrégation de l'âge, à l'enseigne de l'AJAR (Association des jeunes auteurs romands), m'a paru le signe concret , et bien plus inquiétant que le prétendu oubli de Chessex, d'une inattention et d'une amnésie caractérisant ceux-là même qui devraient montrer quelque curiosité ou quelque enthousiasme juvénile, quitte à s'opposer publiquement à je ne sais quel culte convenu du Maître et à semer une joyeuse zizanie...

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    L'amnésie ne consiste pas tant, en l'occurrence, à oublier un écrivain, qu'a ne pas se rappeler un phénomène tout à fait banal qu'on appelle "le Purgatoire" affectant après leur disparition les écrivains et même les meilleurs ou les plus célèbres de leur vivant (pas forcément les mêmes), qui a fait par exemple qu'un Ramuz ne fut béatifié par l'Université que cinquante ans et des poussières après sa mort (survenue l'année de ma naissance, pour dire combien je me souviens de cet été 1947...) avant d'être sanctifié sur papier bible dans la prestigieuse Bibliothèque de La Pléiade, excusez du peu...
    On excusera aussi un Bernard Clavel, romancier éminemment populaire et vendeur ô combien, de s’être montré bien modeste, et lucide, quand, évoquant ses succès, il me disait que son oeuvre ne survivrait probablement pas plus à son trépas que celle d’un Hervé Bazin, autre romancier très en vue à l’époque, ou d’un Henri Troyat, dont nous lisions les romans en famille à la fin des années 50, ou encore d’un Jean d’Ormesson quand celui-ci irait faire de l’oeil (très bleu) à la camarde.

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    Et c’est avec le même stoïcisme, sinon la plus complète indifférence, que les voisin Palinzards (habitant d’Epalinges, comme chacun sait), dont je fus dans les années 70, ont vu récemment la destruction du bunker de luxe de Georges Simenon, sur les hauts de Lausanne, dans lequel il passa les vingt dernières années de sa vie.

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    En 1947, le génial Charles-Albert Cingria, sept ans avant sa mort, était aussi "oublié" des médias romands que Jacques Chessex sept ans après la sienne, et la plupart de ceux-là ne prêtèrent pas la moindre attention à la première édition de ses oeuvres complètes en 18 volumes, merveilleusement établie grâce (notamment) à la ferveur d'une lectrice déjà remarquable par sa qualité de cantatrice et d'épouse d'un haut gradé de l'Armée du salut, et qui recueillit pieusement la myriade d'étincelants petits textes éparpillés en d'innombrables revues et journaux auxquels Charles-Albert collaborait pour ne pas crever tout à fait de faim et surtout de soif. Or cette édition déjà mythique fut suivis, ces dernières années, par sa doublure scientifique, avec appareil critique et tout le tralala valant mille salamalecs à la télé ou sur Facebook...

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    Georges Haldas, mort en 2010 à l'âge de 93 ans, à la fois aveugle et furieux d'avoir à quitter ce foutu monde, dort à présent d'un œil au cimetière des rois, à Genève, non loin de Jorge Luis Borges dont la tombe a des airs de sépulture viking. Nicolas Bouvier, retiré des affaires terrestres en 1998 à l'âge plus ou moins érotique de 69 ans (la aussi j'en sais quelque chose puisque c'est mon âge actuel) et sans se douter, malgré sa gloire tardive, qu'un important recueil de ses œuvres paraîtrait en 2004 dans la collection Quarto des éditions Gallimard, aura survécu à son propre insu alors que Philippe Jaccottet entrait à La Pléiade encore vivant, ce qui n'eût pas vraiment enthousiasmé notre ami Chessex dont la jalousie fameuse s'exerçait de préférence contre Haldas (avant qu’il ne lui décerne le Prix Edouard Rod pour l’ensemble de son oeuvre) , Bouvier et Jaccottet...
    Et la littérature là-dedans ? Elle ne meurt pas, mais ce n'est pas le buzz du moment: c'est une histoire vieille comme le jeune Homère, qui évoquait ce matin encore l'aurore aux doigts de rose - littérature là encore puisque la première neige blanchissait le tapis de feuilles mortes, etc.

  • Pour tout dire (73)

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    À propos de Proust et des rats furieux, ou comment ne pas ne pas trop mêler les genres, notamment dans le cas de Jacques Chessex, écrivain et tombeur de dames. Du "misérable tas de petits secrets" selon Valéry et de la mythomanie de Malraux. Quand la famille de Knausgaard le traitait de "Judas littéraire " et quand la fille de Faulkner demande à papa de ne pas boire le jour de son anniversaire, etc.


    On raconte que Proust, pour jouir, se faisait livrer des caisses de rats dûment affamés qu'il jetait les uns contre les autres afin qu'ils se dévorent de mâle rage, et qu'au moment où le sang giclait Marcel prenait son pied. Mais qui raconte ça ? Qui a assisté à la scène ?

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    Un autre Marcel, le suave et médisant Jouhandeau, client lui aussi des maison de passe pour messieurs, rapporte précisément ce fait qui n'est peut-être qu'un bruit de chiottes, à tout le moins nié par Céleste Albaret, gouvernante angélique du plus grand écrivain du XXe siècle qui savait très exactement où Monsieur passait certaines soirées dont il lui faisait tranquillement le récit, mais s’indignait de cela qu’on pût soupçonner son maître de maltraiter ainsi d’innocents rongeurs.

    Je pensais hier soir à ce "misérable tas de petits secrets " à quoi Paul Valéry réduisait le roman, dont on a attribué la paternité de l'expression à Malraux en visant, plus que le genre romanesque: la vie secrète des écrivains ou des artistes les plus adulés, y compris ce "mythomane génial" qu'était Malraux selon Clara son épouse...

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    Hier soir donc, je repensais à tout ça, au Café littéraire de Vevey où nous évoquions la personne, le personnage et les œuvres (plus de 130 titres à sa bibliographie...) de Jacques Chessex, notamment en écoutant le témoignage d'une ancienne amante de l'écrivain, magnifiée dans une très belle chronique intitulée Dans la buée de ses yeux et non moins malmenée par le machiste manipulateur et l'alcoolique au dernier degré que fut aussi le poète aux ombres aussi noires parfois que ses mots pouvaient être lumineux.
    En outre, écoutant l'égérie aimée et blessée, je regardais un jeune homme au fond de la salle, au prénom de Jean et au nom de Chessex, de l'âge de nos filles et qui suivit un jour sa mère Françoise et son frère quand la vie avec Maître Jacques fut par trop intenable.
    Je me fous, personnellement, de ces "misérables petits tas de secrets" et surtout me garde de les juger, mais je me rappelle la scène de théâtre d'une apparition de Chessex à la télé romande où, visiblement ivre, il s'était publiquement désolé de constater que les femmes puissent partir, et les pianos avec - il ne citait pas ses fils, partant aussi avec maman et le piano...
    Or que pensent Jean et son frère de leur père ? Je ne me permettrais pas de le leur demander, pas plus que je n'oserais demander à Philippe Jacottet comment il prenait son pied à l'âge des fils de Chessex. J'ai trouvé outrecuidant qu'un magazine feigne de s'intéresser à l'actuelle postérité de Jacques Chessex et qu'on interroge ses fils à ce propos, de même que l'indignation médiatisée de ceux qui s'inquiétaient de ne voir qu'une simple croix sur la tombe de l'écrivain, il y a deux ou trois ans de ça m'a paru douteuse. Or Jacques Chessex a maintenant une jolie dalle de marbre devant laquelle ceux-là n'iront pas plus s'incliner qu'ils n'ouvriront jamais un livre du poète réduit à l'état de star goncourtisée de nos lettres, point barre.
    Dans sa mémorable bio d'Alber Camus, Olivier Todd a brossé un portrait de Malraux en vérité sur la base de documents scrupuleusement réunis, qui révèlent les mensonges éhontés du personnage posant au grand résistant et du mirifique protecteur des arts dont on sait les pillages illicites en Orient extrême. Malraux se voulant au- dessus des "misérables tas de petits secrets", et pour cause ! Mais jugerai-je l'œuvre de Malraux en fonction des entourloupes de l'homme, plus sévèrement que je jugerais Rousseau pour abandon de progéniture et carrière de gigolo ?

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    Proust distingue le vrai moi dont procèdent ses livres des multiples "moi" qui portèrent son nom en société au Ritz ou dans les claques de mecs. De la même façon, j'aimerais bien parler avec les fils de Maître Jacques de ce qu'il y avait chez leur père de plus lumineux et, chez l'écrivain, de réellement admirable, en oubliant le manipulateur et l'angoissé parano hyper-jaloux et parfois jusqu'à la traîtrise de bonne foi - si j'ose dire.

     

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    Après la publication de son autobiographie, Karl Ove Knausgaard s'est vu attaqué par sa famille qui l'a traité de "Judas littéraire " au motif qu'il parlait de la déchéance alcoolique de son père et de ses vexations sadiques dans un livre lu par des centaines de milliers de gens. À ce même taux, les fils de Jacques Chessex devraient me traîner en justice pour ce que j'ai écrit de Maître Jacques dans mes carnets de L'Ambassade du papillon, à vrai dire non encore traduits en norvégien ni même en japonais, des trahisons et vilenies occasionnelles de leur paternel, évoquées en contraste avec notre amitié non moins avérée.
    La question se pose dans la foulée: un fils d'écrivain ou une ancienne maîtresse connaissent-ils mieux celui-là qu'une lectrice ou un lecteur de ses oeuvres ?

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    Je laisse ironiquement ma réponse en suspens en me rappelant la supplique de la fille de Faulkner à son père, de ne point s'enivrer, please Daddy, le jour de son anniversaire. Or Faulkner était en train d'écrire un roman, et la fiole de scotch jouxtait son encrier. Donc le vilain Daddy de répondre à sa fille : hélas Pussy, mon roman à ses exigences, et dans un siècle on aura oublié mon whisky et ton anniversaire, alors que mon œuvre nous survivra”, etc.