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  • Tous éloquents

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    (Journal de quarantaine, II)

     

    Ce jeudi 19 mars, soir. – Hier le Merle de l’arrière-cour exultait à sa branche dessinée à l’encre de Chine sur le fond du ciel blanc, et là-haut je voyais la paroi aux volets fermés de l’École des Gestionnaires et Sommeliers à dominante asiate, tous rentrés je ne sais où tandis que le Président à mufle rose de la moitié de planète qu’on voit à gauche sur la mappemonde montrait les dents à son contraire aux yeux fendus de la droite cernée de rouge; sur quoi j’ai recommandé à Lady L. en visible souci pour tous de chanter des airs allègres et suis sorti avec le Chien dont je vois qu’il continue d’attendre quelque chose de ma main faillible.

    Le vieux Théodore Monod me disait au téléphone qu’il ne voyait que les insectes pour s’en tirer à la longue, tout en prononçant chaque matin une Béatitude, mais avec les insectes les enfants porteurs de multiples parasites de passage perpétueront l’étrange adoration de l’Oiseau de paradis de leurs premiers dessins au Neocolor, me dis-je en lisant dans son Journal total cet autre sage avant l’âge que fut Julien Green en sa trente-huitième année encore pantelante de désirs fessus mais sans cesse épuré par son impureté même: «Ce que j’appelle vivre n’est pas autre chose que la conscience que l’humanité a d’elle-même. J’ai éprouvé ce sentiment à un degré si vif que notre crainte de mourir m’a paru tout à coup un des plus tragiques malentendus dont nous ayons jamais souffert ; il vient sans doute de cette désastreuse confusion entre nous-même et notre corps. Mais comment parler de cela ? À des gens qui savent ce que je veux dire, ces choses paraissent naturelles parce qu’ils les ont ressenties. Les autres me prendraient pour un fou. Le propre de ces idées qui me viennent comme elle viendront peu à peu à tous, car rien ne nous sépare les uns des autres, de même que rien ne sépare les gouttes d’eau de l’Océan, le propre de ces idées est que leur valeur est à peu près nulle tant qu’elle restent dans le domaine intellectuel ; il faut que nous les vivions ».

    Et c’est cela même que je me dis sur la pelouse déserte descendant en douce pente vers le quai sans personne et le lac semblant lui aussi dans l’expectative silencieuse, tandis que partout et sans répit l’océan de la jactance nous sépare au lieu de nous lier aux murènes et aux ondines : il faut que nous vivions ce que nous vivons.
    Mais comment parler de cela ?